LA COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE
DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES
QUÉBEC MONTRÉAL, le 19 avril 1994
DISTRICT D'APPEL DEVANT LA COMMISSAIRE: Santina Di Pasquale
DE MONTRÉAL
RÉGION:
Lanaudière
DOSSIER:
36109-63-9201
AUDIENCE TENUE LE: 2 décembre 1993
AJOURNÉE LE: 10 décembre 1993
DOSSIER CSST:
0961 70402
A: Montréal
GASTON VENNE
160, 65e Avenue
St-Come (QC)
J0K 2B0
PARTIE APPELANTE
et
SCIERIE ST-MICHEL INC. (FAILLITE)
a/s de M. Jean Fortin, Syndic
50, Place Crémazie Ouest, # 1105
Montréal (QC)
H2P 2W9
PARTIE INTÉRESSÉE
et
COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE
LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL
432, rue de Lanaudière
Joliette (QC)
J6E 7X1
PARTIE INTERVENANTE
D É C I S I O N
Le 22 janvier 1992, M. Gaston Venne (le travailleur) en appelle
d'une décision unanime du bureau de révision datée du 23 décembre
1991.
Par cette décision, le bureau de révision confirme les décisions
rendues par la Commission de la santé et de la sécurité du
travail (la Commission) le 17 et le 18 avril 1991 et conclut que
l'emploi de gardien de sécurité constitue un emploi convenable
pour le travailleur et que l'indemnité réduite de remplacement du
revenu établie par la Commission est exacte.
OBJET DE L'APPEL
Le travailleur demande à la Commission d'appel en matière de
lésions professionnelles (la Commission d'appel) d'infirmer la
décision du bureau de révision et de conclure que l'emploi de
gardien de sécurité ne constitue pas un emploi convenable. De
plus, il prétend que l'estimation du salaire pour l'emploi de
gardien de sécurité est inexacte.
LES FAITS
Le travailleur, actuellement âgé de 36 ans, occupe les fonctions
de bûcheron depuis l'âge de 15 ans. Il a complété sa huitième
année à l'école Ste-Anne à Rawdon en 1971. Il a été promu en
neuvième année avec une moyenne générale de 56,8 % . Il a
commencé sa neuvième année, mais il ne l'a jamais terminée. La
famille avait besoin d'argent et le travailleur mentionne qu'il
n'était pas un bon étudiant. Il a commencé ainsi à travailler
comme bûcheron et a exercé ce métier jusqu'au 15 avril 1987.
En effet, à cette date, le travailleur allègue avoir été victime
d'un accident du travail. Il indique dans sa réclamation qu'en
poussant sur un arbre, il a ressenti une douleur au dos. Un
diagnostic de lombosciatalgie est posé et le travailleur est mis
en arrêt de travail.
Le 20 juillet 1987, le docteur Jean-Yves Bhérer examine le
travailleur et émet l'opinion suivante:
«Il s'agit d'un travailleur qui s'est fait une entorse
lombaire le 15 avril 1987 et cet événement a
probablement fait apparaître des douleurs en relation
avec une sténose du canal spinal, cette dernière étant
en relation avec sa chirurgie de discoïdectomie L5-S1
de 1983.
En réponse aux questions de l'expertise:
1. L'histoire et quelques examens obtenus verbalement
par le travailleur semblent démontrer qu'il ne
peut actuellement reprendre le travail et qu'il
sera probablement en réorientation sociale.
2. Les séquelles actuelles sont des séquelles
douloureuses et d'enraidissements consécutifs à la
douleur. Il n'y a pas de séquelle neurologique
spécifique retrouvée lors de l'examen.
3. En ce qui regarde le retour au travail, il ne peut
définitivement pas s'envisager à titre de bûcheron
ni à titre de travailleur manuel mais probablement
dans un travail clérical.
4. Un partage de coûts sera à être demandé dans ce
dossier maintenant que nous avons l'histoire d'une
sténose du canal spinal. Nous pourrons spécifier
ce partage de coûts lorsque nous aurons reçu les
rapports de myélographies.»
En effet, il appert du dossier que le travailleur a subi une
intervention chirurgicale en 1983, à savoir une discoïdectomie au
niveau L5-S1.
Le 20 août 1987, le docteur Bernard écrit dans son rapport que la
lésion professionnelle du travailleur est consolidée le 17 août
1987, avec atteinte permanente et limitations fonctionnelles. Il
suggère que le travailleur soit admis en réadaptation.
Le 19 octobre 1987, le travailleur est examiné par le docteur P.-
E. Renaud, chirurgien-orthopédiste. Le docteur Renaud conclut
que le travailleur présente des limitations fonctionnelles de
travail léger mais qu'elles ne sont pas en relation avec le fait
accidentel et qu'il n'y a aucun déficit anatomo-physiologique à
prévoir en relation avec le fait accidentel.
Le 21 janvier 1988, l'arbitre, le docteur Bernard Séguin,
orthopédiste, appelé à se prononcer sur la question de l'atteinte
permanente et les limitations fonctionnelles émet l'avis suivant:
«QUESTION NO 4: ATTEINTE PERMANENTE
Après étude du dossier et des pièces médicales
justificatives, nous nous devons de conclure
qu'effectivement, à notre avis, il n'y a pas de déficit
anatomo-physiologique relié à l'événement du 87-04-15.
Il n'y a pas non plus de contestation comme telle au
dossier face à cet item. Effectivement, le docteur
Renaud mentionne dans son expertise qu'il n'y a aucun
déficit anatomo-physiologique à prévoir en relation
avec le fait accidentel du 87-04-15. Le docteur
Bernard, quant à lui, demande un déficit anatomo-
physiologique et mentionne que, selon lui, il pense que
ce patient est porteur d'un déficit anatomo-
physiologique en rapport avec le 87-04-15. Il
mentionne qu'il pense que le patient pourrait être
évalué pour ce déficit anatomo-physiologique. Nous
croyons qu'en l'absence de signes objectifs et
subjectifs, il n'y a pas non plus de déficit anatomo-
physiologique à prévoir face à l'événement du 87-04-15.
Il n'y a cependant pas eu d'expertise ou d'évaluation
de ce déficit anatomo-physiologique selon les nouveaux
barèmes faits par l'un ou l'autre des intervenants.
Cependant, en conclusion, nous croyons donc que cette
contestation est acceptable et que le rapport du
docteur Renaud infirme effectivement la demande de
déficit anatomo-physiologique du médecin qui a charge.
(...)
Le demandeur doit savoir que pour avoir droit à la
réadaptation sociale, le patient doit être porteur d'un
déficit anatomo-physiologique relevant d'un événement
dont la responsabilité est imputable à la CSST. Ce
patient, à notre avis, n'est pas porteur d'un déficit
anatomo-physiologique face à cet événement et n'a donc
pas droit à la réadaptation sociale; cependant, ceci ne
fait pas l'objet d'une contestation.
En résumé, donc, aucun déficit anatomo-physiologique
n'est prévu ni aucune limitation fonctionnelle en ce
qui a trait à l'événement du 87-04-15.»
Par décision datée du 15 février 1988, la Commission entérine
l'avis de l'arbitre mais elle est contestée par le travailleur.
En juin 1988, le travailleur a été examiné par le docteur Dehnade
et le docteur Bernard.
En décembre 1989, le travailleur est embauché par la firme
Lombex-Lanofor à faire le travail de balayeur. Il a occupé cet
emploi jusqu'au 5 mars 1990 mais il précise à l'audience que ses
douleurs sont réapparues durant cette période; le travail étant
trop lourd. Il a alors été assigné à son retour aux fonctions de
commissionnaire. Il a été incapable de faire ce travail
puisqu'il devait transporter des poids lourds. Il a été remis en
arrêt de travail le 20 mars 1990 par le docteur Rémillard.
Le 18 juin 1990, le docteur Dominique Bernard écrit ce qui suit à
la Commission:
«La présente se veut un complément au présent rapport.
La nouvelle date de consolidation notée ici s'explique
par le fait que, suite au 17/8/87, soit en novembre 87,
le patient m'a reconsultée parce que son problème de
lombo-sciatalgie persistait. Nous avons alors consulté
la physiatrie (Dr Jean Rémillard) qui a pu, grâce à des
infiltrations facettaires, corset lombaire et essai
d'un TENS, améliorer encore l'état du patient. La
nouvelle date de consolidation correspond donc au
moment où un "plateau thérapeutique" fut atteint.
Malgré ces démarches, le patient continue toujours
d'accuser une lombalgie, parfois avec sciatalgie, au
moindre effort, à la marche, après quelques mouvements
de flexion du tronc (ce qu'il ne présentait pas avant
le 15/4/87). Il ne pourra jamais reprendre son travail
de bûcheron et est même limité dans les activités de la
vie quotidienne (ex: douleurs ressenties au râtelage,
balayage, si prend ses enfants dans ses bras).
Il demeure donc avec les limitations fonctionnelles
suivantes:
- Il ne peut soulever de poids lourds.
- Il ne peut faire de flexions ou torsions répétées
du tronc.
Par conséquent, le patient demeure avec des séquelles
suite à cet accident du 15/4/87. Il a donc droit à un
D.A.P. de 2 % comme séquelle d'entorse lombaire
chronique.»
Par décision datée du 21 juin 1990, la Commission d'appel infirme
la décision de la Commission du 15 février 1988, déclare que le
travailleur conserve une atteinte permanente et des limitations
fonctionnelles reliées à sa lésion professionnelle du 15 avril
1987, qu'il a droit à l'indemnité de remplacement du revenu et à
la réadaptation que requiert son état.
Le 31 juillet 1990, un deuxième arbitre, le docteur Bernard
Perrault, chirurgien-orthopédiste, émet l'avis suivant en
relation avec l'événement du 20 mars 1990:
«SUJET DE CONTESTATION NO 1 - DIAGNOSTIC
L'examen de ce jour du patient de même qu'après avoir
pris connaissance de l'ensemble de toutes les notes
disponibles au dossier, j'estime qu'il y a lieu de
maintenir le diagnostic suggéré par les divers médecins
soit statut post-discoïdectomie lombaire.
SUJET DE CONTESTATION NO 2 - CONSOLIDATION:
J'estime qu'il y a lieu de maintenir la date de
consolidation suggérée par le docteur Renaud soit le 2
mai 1990.
SUJET DE CONTESTATION NO 3 - TRAITEMENTS:
Il n'existe chez ce réclamant aucune justification de
maintenir les traitements de physiothérapie. Son état
est stable et je ne vois aucune justification de
maintenir des traitements de médecine douce.
SUJET DE CONTESTATION NO 4 - ATTEINTE PERMANENTE
Il n'existe aucune atteinte permanente à l'intégrité
physique ou psychique en rapport avec les événements
ayant pu survenir le 20 mars 1990.»
Le 20 août 1990, le travailleur est examiné par le docteur
Sylvain Laporte. Le docteur Laporte conclut ainsi dans son
rapport daté du 20 août 1990:
«Évidemment ce requérant avait des altérations
personnelles comme un spondylolise du côté contra-
latéral. Il a subi une discoïdectomie L5-S1 sans que
l'on ait pu établir de relation avec l'accident de
1982. Nous le croyons affligé d'une instabilité lombo-
sacrée post-entorse lombo-sacrée. Nous croyons que du
point de vue pratique il ne pourra pas reprendre les
activités initiales. Il devra donc être rééduqué,
réhabilité et réorienté vers des travaux relativement
légers. Une greffe antérieure pourrait
vraisemblablement pallier aux récidives auxquelles il
aura à faire face à l'occasion de manoeuvre en
apparence relativement simples et imprévues. Le
pronostic à notre point de vue est sombre malgré que la
symptomatologie peut à certains moments apparaître
assez banale. Ce requérant a eu à l'occasion de 1987-
04-15 une aggravation d'un syndrome antérieur dont la
relation n'avait pas été établie avec un accident au
travail. Cette lésion en est une d'instabilité, elle
est compliquée d'une ankylose du segment lombo-sacré
jusque là inexistante.
«SÉQUELLES ACTUELLES
Hernie discale 204157 3 %
Un espace
Instabilité objectivée en 204576 3 %
l'absence de fracture
Pachyméningite objectivée 204585 2 %
par tests spécifiques
ANKYLOSE INCOMPLÈTE PERMANENTE DE LA COLONNE
DORSO-LOMBAIRE
Flexion antérieure
Degrés Degrés 207608 3 %
perdus retenus
20 70
Extension
20 10 207635 2 %
Flexion latérale droite
0 30 207699 0 %
Flexion latérale gauche
0 30 207733 0 %
Rotation droite
0 30 207779 0 %
Rotation gauche
0 30 207813 0 %
SÉQUELLES ANTÉRIEURES
Hernie discale 204157 3 %
Un espace
Pachyméningite objectivée 204585 2 %»
par tests spécifiques
Le 13 mars 1991, un troisième arbitre, le docteur Martinez,
neurochirurgien, émet l'opinion suivante:
«SUJET DE CONTESTATION NO 4 - ATTEINTE PERMANENTE:
N'ayant pas des éléments évidents d'aggravation du
tableau clinique qui, aujourd'hui, me semble
strictement absent de phénomènes à caractère
radiculaire que l'on voit dans une pachydurite, et je
ne vois pas l'existence d'un pourcentage d'APIPP relié
à un phénomème d'entorse chez un patient qui avait une
condition de status post-discoïdectomie, il faudra
considérer que le docteur Sylvain Laporte appuie
l'incapacité du patient sur la base d'une
discoïdectomie et que même le patient nous déclare que
le phénomène douloureux qui a amené à sa discoïdectomie
n'avait pas été considéré comme un accident de travail.
Le fait que le patient a eu une entorse le 15 avril
1987, ne peut pas être relié à ce phénomène de
pachydurite et, dans les circonstances, nous ne croyons
pas qu'il y ait lieu de considérer un pourcentage
d'APIPP.»
Les notes évolutives de la Commission pour le 17 avril 1991 se
lisent ainsi:
«Rencontre avec T.
M'avise qu'il est sobre depuis 2 semaines AA, le moral
va très bien. Le T désire rester comme cela. Semble
responsable.
Avais parlé des différents possibilités E.C. a déjà
rencontré C.O. de la CFP. Me remet choix identifiés.
Plusieurs d'entre eux ne correspondent pas aux C.F.
Avons établi d'un commun accord, que le T. serait en
mesure de faire le travail de gardien de sécurité. Ceci
correspond aux C.F. du T . D'après le T, il est
possible de se trouver un emploi dans ce secteur. Le T
contactera son ancien E. La scierie St-Michel pour
évaluer possibilité d'embauche. Si identifié au T tous
les endroits où il pourra faire ses demandes d'emploi.
Date de capacité 1 mai 91
Revenu E.C. 18 500 $ selon normes en vigueur
IRR réduite
LSFO8143, LSFO 8149 demandée.» (sic)
Le même jour, la Commission rend une décision et déclare l'emploi
de gardien de sécurité comme emploi convenable à compter du 1er
mai 1991. Le 18 avril 1991, la Commission rend une deuxième
décision et estime le revenu brut annuel de cet emploi à
18 500 $. Le travailleur conteste ces décisions. Elles sont
confirmées par le bureau de révision. Le travailleur conteste
également cette décision, d'où le présent appel.
Par décision datée du 25 avril 1991, la Commission entérine
l'avis de l'arbitre du 13 mars 1991 et conclut à l'absence d'une
atteinte permanente. Le travailleur a contesté cette décision
mais une entente semble être intervenue entre les parties le 9
décembre 1991.
Les notes évolutives de la Commission pour le 29 avril 1991 se
lisent ainsi:
«Appel de l'avocat T, M. Laporte. Celui-ci nous demande
d'offrir au T. formation secondaire V. Selon lui, il ne
pourra jamais occuper l'emploi de gardien de sécurité.
Me dit que le T a de la "difficulté" à écrire. Je
l'informe qu'être gardien de sécurité ne signifie pas
obligatoirement rédaction de rapport.
(...)
Si vérifié avec Jean Rousseau, responsable Recherche
d'emploi, des possibilités d'embauche. Celui-ci
m'informe que Sec V n'est pas un critère pour se
trouver un emploi dans ce secteur.
De plus, il m'assure qu'il pourra aider le T dans sa
démarche de recherche d'emploi. Il pourra lui offrir
un "support" particulier. M. Rousseau m'informe qu'il
a autant de chance à se trouver un emploi de gardien de
sécurité, qu'un autre travailleur. La preuve: M.
Rousseau a "placé" un travailleur accidenté, secteur de
la Construction, comme gardien pour la compagnie
Pinkerton. Salaire conforme au décret (18 500). T.
Plein (dossier # 099548687)
(responsable embauche : Hélène Molard 935-6311)
Notre décision sur E.C. est donc conforme aux normes.
M. Rousseau avait fait les démarches auprès de cette
compagnie. Scolarité n'est donc pas un critère
d'embauche mais c'est plutôt le sens des
responsabilités.
Appel à l'avocat - lui ai expliqué notre situation -
lui ai confirmé un suivi de la part de M. Rousseau,
resp. recherche d'emploi.
Nous ne reconsidérerons pas notre décision E.C.»
Le 23 décembre 1991, le bureau de révision infirme les décisions
de la Commission du 10 septembre 1990 et du 1er octobre 1990 et
déclare que le travailleur a subi une rechute, récidive ou
aggravation le 5 mars 1990 et que l'évaluation médicale du 20
août 1990 produite par le docteur Sylvain Laporte est recevable
vu le jugement rendu par la Commission d'appel le 21 juin 1990.
A l'audience, le travailleur déclare que c'est la conseillère qui
lui avait suggéré l'emploi de gardien de sécurité mais qu'il
était d'accord. Il explique également que la Commission l'a mis
en contact avec la firme Progeco pour l'aider à se trouver un
emploi. Il a rencontré M. L'Espérance qui lui a remis une liste
d'employeurs, soit des agences de sécurité, et une autre liste
pour qu'il puisse occuper la fonction de commissionnaire pour les
buanderies. Il s'est rendu à presque toutes les entreprises qui
se retrouvent sur la liste, environ une trentaine et à bien des
endroits, on exigeait un diplôme de secondaire V. On lui disait
qu'il y avait beaucoup de personnes sur le marché avec plus
d'expérience et un diplôme de secondaire V. Cette recherche
d'emploi s'est étendue sur environ une semaine.
A également témoigné à l'audience, M. Luc Joël, conseiller en
emploi au centre d'emploi fédéral. Il rencontre des clients qui
sont à la recherche d'emploi. Il explique qu'actuellement, les
employeurs sont plus exigeants. A titre d'exemple, il explique
que pour être gardien de sécurité pour Pinkerton, on demande un
secondaire V ou l'équivalent, une formation en sécurité, un bon
français parlé et écrit et d'être en bonne santé.
Il ajoute qu'en fonction du code national des professions on
exige quelques années de secondaire pour être gardien de sécurité
cependant, il faut tenir compte du contexte économique.
Selon le témoin, les chances pour le travailleur de se faire
embaucher par des agences de sécurité sont nulles. Il faut
rédiger des rapports et les comprendre. Compte tenu des capacités
du travailleur, il est d'avis qu'il ne serait pas embauché par
une agence mais il pourrait être embauché par une entreprise ou
un particulier.
M. Joli relate que sur une période d'un an et demi il n'y a eu
que trois offres d'emploi reçues au bureau d'emploi de Joliette
pour le poste de gardien de sécurité. Cependant, il précise
qu'aucun employeur n'est tenu de passer par les centres d'emploi
et que seulement 15 à 20 % des employeurs s'adressent au centre
d'emploi.
A également témoigné à l'audience, M. Jean Rousseau,
coordonnateur au service de support à l'emploi de la Commission
depuis 1988.
Il s'occupe de l'ensemble des dossiers où il y a eu détermination
d'emploi convenable. Le dossier du travailleur lui a été référé
à cause d'un problème personnel qu'il vivait en même temps que
son accident du travail. M. Rousseau dépose à l'audience les
notes évolutives qu'il a rédigées entre le 10 juin 1991 et le 12
décembre 1991.
Les extraits les plus pertinents de ses notes se lisent ainsi:
VOIR I-1:
«10 juin 91:
Appel R
Intéressé IRE
Dit j'ai pas d'instruction
Faudrait m'aider pour savoir quoi faire etc. le réfère
Projeco
13 juin:
OK refuse Projeco int
2 juillet:
Le R serait présenté
. 10 hr (alcool)
. depuis 1 sem. période rechute
- serait prêt pour cure
- parle avec Edith problème connu, prêt à payer
de... en période de réad.
- donne mandat d'orienter R de sa rechute et de
l'encadrer et l'éblayer IRE.
21 septembre
Suivi Progeco
. Le gars oui/ il boit.
. même alcoolique
. mais fonctionnel
. il est à l'heure
sérieux dans ses démarches.
1e le mandat 0 (finiales R)
Va vérifier si constant dans démarches. On verra.
16 septembre :
Le 2e mandat est donné suite au rapport SHI/TOP avec
relance
4 décembre
Marco
- liste fait pour chauffeur livreur.
- encore sur l'effet de l'alcool fin nov.
fonctionnel mais pas toujours attentif.
- va au minimum de ses efforts (dysfonctionnel faut
le pousser).
- a eu beaucoup d'efforts pour rencontrer le client.
12 décembre:
Aurait dit comme quoi aurait eu 1 réunion avec
possibilité de pension avec la CSST.
Aurait lettre d'avocat dans le dossier où on voulait
savoir de informations concernant la possibilité de
réintégration.»
M. Rousseau explique à l'audience que le travailleur a été référé
à Projeco et que le 2 juillet 1991, il s'est présenté à leurs
bureaux sous l'effet de l'alcool. Ils ont donc décidé de lui
offrir une cure de désintoxication mais il a fait une rechute.
Le témoin relate que si on réfère un travailleur à un organisme
et il se présente en état d'ébriété, on ne peut l'aider.
Dans ce dossier, le témoin relate que le salaire a été déterminé
en fonction du décret. Lorsque le décret ne s'applique pas, ils
appliquent un taux aux environs du salaire minimum. En l'espèce,
il considère que le travailleur pouvait être gardien de sécurité
selon le décret.
M. Rousseau admet que le travailleur peut être considéré comme un
salarié de classe A seulement, d'après le décret. L'article 4.07
du même décret précise que le salarié de classe A a droit à une
rémunération de 8,75 $ l'heure. L'article 1.00 du décret définit
ainsi le salarié classe "A":
«e) "salarié de classe A": salarié qui exécute les
tâches que détermine l'employeur, sans qu'une
classe supérieure ne soit applicable et qui est
particulièrement affecté à l'une ou plusieurs des
tâches suivantes:
i) acheminer des personnes à destination;
ii) surveiller des salariés d'un client de
l'employeur;
iii) diriger la circulation;
iv) donner des renseignements;
v) dresser les contraventions pour infractions par un
automobiliste;
vi) patrouiller;
vii) contrôler les laissez-passer;
viii) recueillir et enregistrer les objets trouvés;
ix) surveiller afin de prévenir le vol à l'étalage;
x) fouiller;
xi) prévenir le vol, le feu et le vandalisme.»
En contre-preuve, le travailleur explique qu'il ne s'est plus
présenté en état d'ébriété après l'incident dont a parlé M.
Rousseau. Il dit ne plus prendre d'alcool depuis avril 1991;
cependant, en contre-interrogatoire, il affirme que c'est depuis
six mois qu'il ne prend plus d'alcool.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La Commission d'appel doit décider dans un premier temps si
l'emploi de gardien de sécurité constitue un emploi convenable
pour le travailleur . Dans un deuxième temps, elle doit statuer
sur l'indemnité réduite de remplacement du revenu établie par la
Commission le 18 avril 1991.
L'article
2
de la Loi sur les accidents du travail et les
maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001) (la loi) définit
ainsi l'emploi convenable:
«emploi convenable»: un emploi approprié qui permet au
travailleur victime d'une lésion professionnelle
d'utiliser sa capacité résiduelle et ses qualifications
professionnelles, qui présente une possibilité
raisonnable d'embauche et dont les conditions
d'exercice ne comportent pas de danger pour la santé,
la sécurité ou l'intégrité physique du travailleur
compte tenu de sa lésion;
Par ailleurs, l'article 171 de la loi édicte ceci:
171. Lorsqu'aucune mesure de réadaptation ne peut
rendre le travailleur capable d'exercer son emploi ou
un emploi équivalent et que son employeur n'a aucun
emploi convenable disponible, ce travailleur peut
bénéficier de services d'évaluation de ses possibilités
professionnelles en vue de l'aider à déterminer un
emploi convenable qu'il pourrait exercer.
Cette évaluation se fait notamment en fonction de la
scolarité du travailleur, de son expérience de travail,
de ses capacités fonctionnelles et du marché du
travail.
En l'instance, le travailleur exerce le métier de bûcheron et ce,
depuis l'âge de 15 ans. Il est peu instruit et n'a pas d'autre
expérience sur le marché du travail. Le travailleur a subi une
discoïdectomie et il a des limitations fonctionnelles qui
l'empêchent de faire un travail manuel.
L'emploi convenable qui lui a été attribué par la Commission est
celui de gardien de sécurité. La Commission allègue que le
travailleur peut effectuer le travail d'un salarié de classe A
tel que décrit dans le décret sur les agents de sécurité et ont
même calculé le montant de l'indemnité réduite à partir de la
rémunération prévue dans ce décret.
La liste des tâches que peut être appelé à exécuter un salarié de
classe A inclut entre autres, donner des renseignements, dresser
les contraventions pour infractions par un automobiliste,
recueillir et enregistrer les objets trouvés, fouiller, acheminer
des personnes à leurs destinations, etc.
Or, l'emploi de gardien de sécurité respecte-t-il la capacité
résiduelle du travailleur?
Cette notion de capacité résiduelle exige de s'en remettre aux
limitations fonctionnelles découlant de la lésion
professionnelle.
Comte tenu de la description de l'emploi et compte tenu des
limitations fonctionnelles du travailleur, la Commission d'appel
est d'avis que le travailleur est apte à exercer l'emploi de
gardien de sécurité. En conséquence, l'emploi déterminé respecte
la capacité résiduelle du travailleur.
La Commission d'appel doit par ailleurs déterminer si l'emploi
permet d'utiliser les qualifications professionnelles du
travailleur.
Il est en preuve que l'emploi de gardien de sécurité exige
généralement quelques années d'études secondaires, sans qu'il
soit nécessaire d'avoir en mains un diplôme de secondaire V.
Cependant, la preuve révèle également que bien qu'un diplôme de
secondaire V ne soit pas exigé dans tous les cas un travailleur
qui ne l'a pas a toujours moins de chances dans le contexte
économique actuel de se faire embaucher.
A cet effet, M. Rousseau a relaté à l'audience que la
personnalité du travailleur entre en ligne de compte et peut
venir combler à un manque de scolarité dans certains cas.
En l'instance, le travailleur a complété sa huitième année avec
une moyenne générale de 58 %. Il dit avoir de la difficulté à
lire et écrire. En plus, la Commission d'appel a eu l'occasion
d'entendre le travailleur à l'audience et de l'interroger et elle
est d'avis que celui-ci n'a pas les capacités requises pour
effectuer le travail de gardien de sécurité. Bien qu'elle soit
d'accord avec les propos de M. Rousseau à l'effet qu'un diplôme
de secondaire V n'est pas toujours requis, elle est d'avis, comme
lui d'ailleurs, qu'une carence au niveau scolaire peut être
compensée par des acquis personnels. Cependant, chaque cas en est
un d'espèce et lorsqu'on applique ce facteur d'équivalence, il
faut évaluer tant les qualités du travailleur que ses déficiences
afin de déterminer si un emploi lui est convenable.
La Commission d'appel est convaincue que le travailleur n'a pas
les qualifications professionnelles suffisantes pour exercer cet
emploi.
Troisièmement, la Commission d'appel doit déterminer si l'emploi
de gardien de sécurité présente une possibilité raisonnable
d'embauche.
La Commission d'appel s'exprimait ainsi quant à ce critère dans
l'affaire Lajoie et Système Intérieur Laval Inc. et C.S.S.T., no.
36889-60-9202, 21 décembre 1993, Laurent McCutcheon, commissaire:
«Déjà, à plusieurs reprises, la Commission d'appel
s'est prononcée sur cette notion de possibilité
raisonnable d'embauche. Il ressort alors de la
jurisprudence que la possibilité raisonnable d'embauche
ne signifie pas que l'emploi convenable déterminé par
la Commission doive être disponible pour le
travailleur1.
Par ailleurs, s'il n'est pas nécessaire que l'emploi
convenable déterminé par la Commission soit disponible
pour le travailleur, la possibilité raisonnable
d'embauche doit malgré tout être présente.
La Commission d'appel est d'avis que pour répondre à ce
critère, le travailleur doit être dans une situation où
il est compétitif dans sa recherche d'emploi. Il doit
présenter un profil d'emploi comparable aux autres
travailleurs qui recherchent un emploi semblable à
celui déterminé par la Commission.»
Il est évident que le travailleur n'est pas compétitif dans sa
recherche d'emploi puisqu'il n'a pas les qualifications
professionnelles requises. Le critère de la possibilité
raisonnable d'embauche n'est donc pas rencontré.
Enfin, la Commission d'appel est d'avis que les conditions
d'exercice de l'emploi convenable ne présentent pas de danger
compte tenu de la lésion professionnelle.
De l'ensemble de la preuve, la Commission d'appel conclut que
l'emploi de gardien de sécurité ne constitue donc pas un emploi
convenable pour le travailleur. La preuve présentée par la
Commission relativement à un problème d'alcoolisme du travailleur
n'est pas pertinente en l'espèce. La Commission d'appel avait à
décider si l'emploi de gardien de sécurité constitue un emploi
convenable pour le travailleur et elle a répondu par la négative.
Le fait que le travailleur a possiblement un problème d'alcool ne
change rien à la détermination d'un emploi convenable. La
Commission aurait pu suspendre ou mettre fin au plan
individualisé de réadaptation si le travailleur refusait de
1 Tanguay et Isolation Noma Inc.
[1992] CALP 628
.
Tremblay et Constack Int. ltée
[1992] CALP 1081
.
Roy et Arno Électrique ltée
[1993] CALP 552
.
Quérion et Minnova inc., 12106-62-8906, 13-01-93, madame
Joëlle L'Heureux, commissaire.
collaborer, ce qui n'a pas été fait.
Enfin, la Commission reproche au travailleur de ne pas avoir fait
une recherche sérieuse. Le travailleur est incapable de citer le
nom d'un seul employeur, il ne mentionne que le nom d'une
buanderie. Il a fait des applications aux seuls endroits qui
sont indiqués sur la liste préparée par la firme Projeco.
La Commission d'appel, après avoir entendu le témoignage du
travailleur à ce sujet, estime qu'il est crédible et sincère
lorsqu'il nous dit qu'il ne se rappelle pas des noms des
employeurs où il a fait des demandes d'emploi. En effet, ce
témoignage démontre que le travailleur ne serait pas compétitif
sur le marché du travail pour ce type d'emploi. La possibilité
raisonnable d'embauche dans le domaine de gardien de sécurité est
presque nulle de l'avis du tribunal. Par conséquent, la
Commission d'appel conclut que le travail de gardien de sécurité
n'est pas un emploi convenable pour le travailleur.
Vu la conclusions auxquelles en arrive la Commission d'appel
quant à l'emploi convenable, il s'ensuit que la question de
l'indemnité réduite de remplacement du revenu devient sans objet
puisqu'elle doit être calculée en fonction du salaire attribué à
l'emploi convenable.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE DE LÉSIONS
PROFESSIONNELLES
ACCUEILLE l'appel du travailleur;
INFIRME la décision du bureau de révision du 23 décembre 1991;
DÉCLARE que l'emploi de gardien de sécurité ne constitue pas un
emploi convenable;
RETOURNE le dossier à la Commission de la santé et de la sécurité
du travail afin qu'elle détermine un nouvel emploi convenable
pour le travailleur, après avoir mis en oeuvre un plan de
réadaptation;
DÉCLARE que l'appel portant sur la question de l'indemnité
réduite de remplacement du revenu est devenu sans objet.
___________________________
Santina Di Pasquale
commissaire
André Laporte & ass.
(Me André Laporte)
596, boul. Manseau, # 2
Joliette (QC)
J6E 3E4
(représentant de la partie appelante)
Chayer Panneton
(Me Carole Bergeron)
432, De Lanaudière
Joliette (QC)
J6E 7X1
(représentante de la partie intervenante)
JURISPRUDENCE DÉPOSÉE PAR LES PARTIES
1) Brazeau et Garage Robert Rainville Inc., B.R.P. 61116499, 6
juillet 1993;
2) Ricard et Proulx et C.S.S.T. C.A.L.P. 12937-05-8904, 29218-
05-9105, 24 avril 1992.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.