Décision

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Bombardier Aéronautique inc.

2010 QCCLP 6224

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Saint-Jérôme

18 août 2010

 

Région :

Laurentides

 

Dossier :

374974-64-0904

 

Dossier CSST :

131051799

 

Commissaire :

Martine Montplaisir, juge administrative

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Bombardier Aéronautique inc.

 

Partie requérante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 9 avril 2009, Bombardier Aéronautique inc. (l’employeur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles à l'encontre d'une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d'une révision administrative, le 26 mars 2009.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme la décision du 28 octobre 2008 et déclare qu’il y a lieu d'imputer à l'employeur la totalité du coût des prestations dues en raison de la lésion professionnelle subie par monsieur M le 30 novembre 2006.

[3]           Le 2 juin 2010, la Commission des lésions professionnelles tient une audience à Saint-Jérôme à laquelle l’employeur est représenté par Me Francine Legault.

L'OBJET DE LA CONTESTATION

[4]           L'employeur demande d'imputer aux employeurs de toutes les unités le coût de l'indemnité versée à la conjointe de monsieur M pour la période du 30 novembre 2007 au 25 février 2008.


LES FAITS ET LES MOTIFS

[5]           La Commission des lésions professionnelles doit déterminer s'il y a lieu d'imputer aux employeurs de toutes les unités le coût de l'indemnité versée à la conjointe de monsieur M pour la période du 30 novembre 2007 au 25 février 2008.

[6]           L'article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) prévoit ce qui suit en regard de l'imputation des coûts :

326.  La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.

 

Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.

 

L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.

__________

1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.

 

 

[7]           Il ressort de cette disposition que le principe général en matière de financement est d'imputer le coût des prestations dues en raison d'une lésion professionnelle au dossier de l'employeur à l'emploi duquel le travailleur se trouve au moment où il subit cette lésion.

[8]           L'employeur peut toutefois obtenir une imputation moindre ou un transfert d’imputation s'il démontre qu'il supporte injustement le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers[2], qu'il est obéré injustement[3], qu'il s'agit d'une lésion professionnelle visée dans l'article 31[4], qu'il s'agit de prestations d'assistance médicale dues en raison d'une lésion professionnelle qui ne rend pas le travailleur incapable d'exercer son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle s'est manifestée sa lésion[5], que la maladie professionnelle du travailleur a été engendrée chez un ou d'autres employeurs[6], que le travailleur est déjà handicapé au moment de la manifestation de sa lésion professionnelle[7] ou que le coût des prestations résulte d’un désastre[8].

[9]           En regard de l'interprétation qu’il convient de donner au terme « obérer » du deuxième alinéa de l'article 326 de la loi, la Commission des lésions professionnelles, dans l'affaire C.S. Brooks Canada inc.[9], considère que ce mot ne s'interprète pas par rapport à la situation financière de l'employeur.

[10]        Partant de la même prémisse, la Commission des lésions professionnelles, dans l'affaire Corporation d'Urgences Santé de la région de Montréal métropolitain et CSST[10], retient le principe selon lequel l'intention du législateur en utilisant le terme « injustement » est de pondérer l'effet du mot « obérer » et de donner une portée à cette portion de l'article 326.   

[11]        La Commission des lésions professionnelles conclut que l'interprétation du terme obérer dans son sens strict — charger, accabler de dettes[11] — aurait pour effet, en pratique, de rendre inapplicable cette portion de l'article 326 puisque cette façon de faire implique une analyse de la question par rapport à la situation financière de l'employeur qui aurait alors à démontrer, par une preuve de nature financière, qu'il est accablé de dettes à la suite de l'imputation du coût des prestations dues en raison d'une lésion professionnelle, ce qui n'apparaît pas réaliste et cohérent avec l'intention du législateur.

[12]        La Commission des lésions professionnelles dans cette affaire[12], considère plutôt qu'en insérant cette disposition d'exception au principe général de financement, l'objectif du législateur en est un d'équité envers un employeur qui se voit imputer des coûts injustement.  Elle en arrive à la conclusion que c'est dans cette mesure qu'il convient alors d'analyser la question, sous l'angle de la justice, en donnant aux termes « obérer injustement » une interprétation large et libérale et en considérant l'employeur comme obéré injustement lorsqu'il se voit imputer toute somme qui ne doit pas lui être imputée pour une raison de justice, selon le bien-fondé du cas plutôt que selon sa situation financière.

[13]        Dans l’affaire Cegelec Entreprises (1991) ltée et CSST[13], la Commission des lésions professionnelles émet toutefois une réserve quant au transfert automatique de toute somme imputée en présence d'une injustice et exige une preuve de nature financière pour permettre le transfert d'imputation.  La Commission des lésions professionnelles estime que l’article 326 de la loi « doit être lu dans son ensemble et que le mot "injustement" doit être lu en corrélation avec le terme "obéré" qui comporte une signification financière ».

[14]        Puis, dans Location Pro-Cam inc. et CSST et Ministère des Transports du Québec[14], les critères se resserrent et la preuve à caractère financier requise par la Commission des lésions professionnelles devient plus stricte.  La Commission des lésions professionnelles écrit que « l’employeur a le fardeau de démontrer une situation d’injustice, c’est-à-dire une situation étrangère aux risques qu’il doit supporter » et « une proportion des coûts attribuables à la situation d’injustice qui est significative par rapport aux coûts découlant de l’accident du travail en cause ».

[15]        Plus récemment, la Commission des lésions professionnelles retient une approche plus pragmatique dans les affaires Chocolats Splendid ltée[15] et Compagnie A et C... C...[16], et conclut qu’il est préférable de « laisser ouvertes ces questions d’injustice et de coûts afin de les adapter aux faits particuliers de chaque espèce ».  Dans cette dernière affaire[17], la Commission des lésions professionnelles s'exprime comme suit sur cette question :

« […]

[14]      Après avoir considéré les différents courants jurisprudentiels, la soussignée est d’avis qu’imposer à l’employeur une preuve de situation financière précaire ou de lourde charge financière, pour conclure qu’il est obéré injustement au sens de l’article 326 de la loi, a pour effet de rendre cet article inapplicable à la majorité de ceux-ci. En effet, plusieurs employeurs prospères auront peine à prétendre que l’imputation de coûts à leur dossier, même exorbitants, les conduit à une situation financière précaire ou leur impose une lourde charge. Or, une loi doit être interprétée de façon à favoriser son application. C’est pourquoi la soussignée ne peut retenir une interprétation aussi restrictive.

 

[15]      Il faut toutefois se garder de généraliser et prétendre que toute lésion professionnelle générant des coûts élevés obère injustement l’employeur. L’imputation au dossier d’expérience de ce dernier doit également être injuste. Dans un tel contexte, l’employeur doit non seulement démontrer qu’il assume certains coûts, mais il doit également démontrer qu’il est injuste qu’il les assume dans les circonstances. La soussignée ne retient donc pas les critères plus restrictifs ou l’encadrement proposés dans l’affaire Location Pro-Cam. Elle préfère laisser ouvertes ces questions d’injustice et de coûts afin de les adapter aux faits particuliers de chaque espèce. Cette interprétation est certes imparfaite; elle n’impose pas de recette miracle, mais elle permet d’apprécier chaque cas à son mérite.

[…] »

 

 

[16]        Cette position est reprise dans plusieurs autres décisions[18] de la Commission des lésions professionnelles.

[17]        La soussignée retient cette dernière approche et considère que lorsqu'il demande un transfert d'imputation pour le motif qu’il a été obéré injustement, un employeur doit, en plus de démontrer qu’il a subi une injustice, présenter une preuve relativement à l'impact financier de l'imputation du coût des prestations dont il est question dans le dossier en litige.  Il reviendra alors au tribunal d'évaluer si, selon les circonstances propres à ce dossier, cet impact financier correspond à la notion « d'obérer » dont il est question à l'article 326.

[18]        Par ailleurs, en regard du critère d'injustice, la Commission des lésions professionnelles souligne, dans l'affaire Centre de santé et de services sociaux de Rivière-du-Loup[19], que ce critère doit être interprété de la même façon que lorsqu’il est question de la première exception prévue à l’article 326.

[19]        Cette interprétation de la notion d’injustice prévoit que ce concept doit être analysé en fonction des risques inhérents aux activités de l’employeur[20] puisque selon l'article 284.1 de la loi, la CSST doit tenir compte de l’expérience associée au risque de lésions professionnelles qu’elle assure dans la détermination de la cotisation.  « Ainsi, la "justice" de toute imputation repose sur la prise en compte du risque assuré pour chaque employeur »[21].

[20]        Dans l'affaire Ministère des Transports et CSST[22], la Commission des lésions professionnelles reprend la position très fortement majoritaire exprimée par la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles et de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d’appel) selon laquelle le « coût des prestations dues en raison d’un accident du travail dont les causes ne relèvent pas des risques particuliers inhérents ou reliés à l’ensemble des activités de l’employeur de l’accidenté devrait être imputé à d’autres, car l’application de la règle générale en de telles circonstances produirait un effet injuste ».

[21]        Ainsi, il sera considéré injuste pour un employeur d’être imputé du coût des prestations dues en raison d’un accident du travail qui résulte d’une situation étrangère aux risques inhérents à ses activités.  La Commission des lésions professionnelles[23] exprime cette position comme suit :

« […] l’imputation suivant la règle générale établie au premier alinéa de l’article 326 s’avère injuste pour l’employeur217 parce que, bien qu’elle soit reliée au travail, la perte subie ne fait pas partie de son risque assuré et que l’inclusion des coûts de prestations en découlant au dossier de l’employeur vient fausser son expérience.

[…]

_______________

 

217       Plusieurs décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles arrivent à cette conclusion.  Voir, à titre d’exemple : STCUM et CSST, [1997] C.A.L.P. 1757  ; Commission scolaire de la Pointe-De-L'Île, [2001] C.L.P. 175  ; Centre hospitalier de St-Eustache, 145943 -64 -0009, 15 février 2001, M. Montplaisir ; Les Entreprises Éric Dostie inc. et Constructions Marco Lecours, 181190-05-0203, 5 décembre 2002, M. Allard ; S.M. Transport, [2007] QCCLP 164  ; Centre de la Réadaptation de la Gaspésie, [2007] QCCLP 5068  ; Pharmacie Ayotte & Veillette, 302526-04-0611, 21 février 2007, J.-F. Clément ; S.A.A.Q. - Dir. Serv. Au Personnel et CSST, 285881-62B-0604 et autres, 30 avril 2007, N. Lacroix.

[…] » [sic]

 

 

[22]        La Commission des lésions professionnelles[24] propose la liste des facteurs suivants à prendre en considération lors de l'analyse de l'injustice causée à l'employeur dans le cas de l'imputation faite en vertu du premier alinéa de l'article 326 :

·        les risques inhérents à l’ensemble des activités de l’employeur, les premiers s’appréciant en regard du risque assuré alors que les secondes doivent être considérées, entre autres, à la lumière de la description de l’unité de classification à laquelle il appartient ;

·        les circonstances ayant joué un rôle déterminant dans la survenance du fait accidentel, en fonction de leur caractère extraordinaire, inusité, rare et/ou exceptionnel, par exemple, les cas de guet-apens, de piège, d’acte criminel ou autre contravention à une règle législative, règlementaire ou de l’art ;

·        les probabilités qu’un semblable accident survienne, compte tenu du contexte particulier circonscrit par les tâches du travailleur et les conditions d’exercice de l’emploi.

[23]        La soussignée partage ce raisonnement et entend analyser l'injustice causée au présent employeur en tenant compte de ces facteurs.

[24]        Dans le présent cas, monsieur M, qui est monteur d'avions chez l'employeur, est victime d'un accident du travail le 30 novembre 2006 alors qu’il est âgé de 44 ans.  Lors de cet accident, il subit une lésion professionnelle qui ne le rend pas incapable d'exercer son emploi.  Cette lésion professionnelle est consolidée le 5 mars 2007, mais le 19 octobre 2007, monsieur M subit une rechute, récidive ou aggravation à la suite de laquelle il devient incapable d'exercer son emploi.  Le 26 novembre 2007, monsieur M reprend un travail en assignation temporaire.  Monsieur M exerce ce travail jusqu'au 29 novembre 2007.  Le 30 novembre 2007, monsieur M décède à la suite d'un suicide.

[25]        Le 20 décembre 2007, la CSST rend une décision par laquelle elle informe la conjointe de monsieur M qu'elle lui versera une indemnité pendant les trois mois qui suivent le décès de ce dernier[25].  Cette décision n'est pas contestée par l'employeur.

·                    Prestation au sens du premier alinéa de l'article 326

[26]        L'employeur demande au tribunal de déclarer que c'est sans droit que la CSST lui a imputé le coût de l'indemnité versée à la conjointe de monsieur M pour la période du 30 novembre 2007 au 25 février 2008.

[27]        La procureure de l'employeur soutient que le premier alinéa de l'article 326 prévoit que le principe de base en matière d'imputation est d'imputer à l'employeur le coût des prestations « dues en raison » d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.

[28]        La représentante de l'employeur ne conteste pas le fait que l'indemnité de remplacement du revenu qui a été versée à monsieur M durant la période au cours de laquelle il a été retiré du travail correspond à des prestations « dues en raison » de son accident du travail.

[29]        La procureure de l'employeur estime, toutefois, que l'indemnité versée à la conjointe de monsieur M à compter du 30 novembre 2007 ne correspond pas à des prestations « dues en raison » de l'accident du travail du 30 novembre 2006.  Selon l'employeur, il s'agit de prestations versées en raison d'un décès relié à une cause étrangère à la lésion professionnelle.  Ainsi, la CSST n'est pas justifiée d'imputer ce coût à l'employeur en vertu du premier alinéa de l'article 326.

[30]        Le tribunal ne retient pas cet argument.

[31]        Le terme « prestation » auquel fait référence le législateur au premier alinéa de l'article 326 est défini à l'article 2 de la loi comme « une indemnité versée en argent, une assistance financière ou un service fourni en vertu de la présente loi ».  Le législateur ne précise pas qu'une prestation est une indemnité qui est versée uniquement à un travailleur.

[32]        Le tribunal retient de cette définition que l’indemnité de remplacement du revenu qui est versée au travailleur victime d'une lésion professionnelle correspond à des prestations au sens de la loi.

[33]        Selon les articles 44 et 57 de la loi, le droit à l'indemnité de remplacement du revenu d'un travailleur est régi comme suit :

44.  Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à une indemnité de remplacement du revenu s'il devient incapable d'exercer son emploi en raison de cette lésion.

 

Le travailleur qui n'a plus d'emploi lorsque se manifeste sa lésion professionnelle a droit à cette indemnité s'il devient incapable d'exercer l'emploi qu'il occupait habituellement.

__________

1985, c. 6, a. 44.

 

 

57.  Le droit à l'indemnité de remplacement du revenu s'éteint au premier des événements suivants :

 

1° lorsque le travailleur redevient capable d'exercer son emploi, sous réserve de l'article  48 ;

 

2° au décès du travailleur; ou

 

3° au soixante-huitième anniversaire de naissance du travailleur ou, si celui-ci est victime d'une lésion professionnelle alors qu'il est âgé d'au moins 64 ans, quatre ans après la date du début de son incapacité d'exercer son emploi.

__________

1985, c. 6, a. 57.

 

 

[34]        Le tribunal retient de ces articles que le droit à une indemnité de remplacement du revenu est tributaire de la capacité d'un travailleur d'exercer son emploi prélésionnel à la suite d'une lésion professionnelle, car ce droit naît lorsque le travailleur devient incapable d'exercer son emploi en raison d'une lésion professionnelle et qu’il prend généralement fin au moment où le travailleur redevient capable d'exercer son emploi[26]

[35]        De façon générale, lorsqu'un travailleur demeure incapable d'exercer son emploi jusqu'à son décès[27], son droit à l'indemnité de remplacement du revenu s'éteint le jour de son décès. 

[36]        Dans le cas de monsieur M, la preuve révèle que le décès est survenu alors qu’il était toujours incapable d'exercer son emploi prélésionnel.  Son droit à l'indemnité de remplacement du revenu s'est donc éteint le 30 novembre 2007 en application du paragraphe 2o de l'article 57 de la loi.

[37]        La CSST a toutefois décidé d'appliquer l'article 58 de la loi qui stipule ce qui suit :

58.  Malgré le paragraphe 2° de l'article 57, lorsqu'un travailleur qui reçoit une indemnité de remplacement du revenu décède d'une cause étrangère à sa lésion professionnelle, cette indemnité continue d'être versée à son conjoint pendant les trois mois qui suivent le décès.

__________

1985, c. 6, a. 58.

 

 

[38]        La question soulevée par l'employeur consiste à déterminer si l'indemnité versée en vertu de l'article 58 correspond à des prestations « dues en raison » de l'accident du travail subi par monsieur M le 30 novembre 2006.

[39]        La procureure de l'employeur demande au présent tribunal de retenir l'interprétation qui se dégage de l'affaire Ganotec inc.[28] dans laquelle la Commission des lésions professionnelles considère qu'une indemnité de remplacement du revenu versée en vertu de l'article 58 ne correspond pas à des prestations « dues en raison » d'un accident du travail, car elle est versée « en considération du fait que le travailleur est décédé d'une cause étrangère à sa lésion professionnelle et non en considération
ou à cause de l'accident du travail ».  Les passages suivants de cette décision résument la position de la Commission des lésions professionnelles sur le sujet :

« […]

[26]      Toutefois, on peut se demander si cette prestation est due en raison de l’accident du travail subi par le travailleur. Le petit Larousse définit l’expression « en raison de » comme voulant dire « en considération de, à cause de ».

 

[27]      Selon l’article 58 de la loi, l’indemnité de remplacement du revenu versée à la conjointe du travailleur l’est en considération du fait que le travailleur est décédé d’une cause étrangère à sa lésion professionnelle et non en considération ou à cause de l’accident du travail. Cette prestation n’est donc pas due en raison de l’accident du travail et, ce faisant, le coût ne devrait pas en être imputé à l’employeur.

[…] »

 

Les soulignés sont de la soussignée.

 

 

[40]        Avec tout le respect pour l'avis contraire, la soussignée ne retient pas cette approche.

[41]        Le présent tribunal est d'avis que l'indemnité versée à la conjointe de monsieur M correspond à des prestations « dues en raison » de l'accident du travail dont ce dernier a été victime le 30 novembre 2006, car la prémisse de base à l'origine du versement de cette indemnité est la survenance de cet accident du travail.

[42]        N'eut été de l'accident du travail du 30 novembre 2006, la conjointe de monsieur M n'aurait pas reçu une telle indemnité.

[43]        Selon le présent tribunal, les trois conditions requises pour qu'il y ait ouverture à l'application de l'article 58 de la loi sont les suivantes :

·        que le droit à l'indemnité de remplacement du revenu d'un travailleur se soit éteint au décès de ce dernier [Les termes « Malgré le paragraphe 2° de l'article 57 » utilisés à l'article 58 supposent que cette disposition s'applique malgré le fait que le décès du travailleur ait entraîné l'extinction de son droit à l'indemnité de remplacement du revenu, car le paragraphe 2° de l'article 57 fait référence à la conséquence du décès du travailleur sur son droit à l'indemnité de remplacement du revenu.] ;

·        que le travailleur reçoive une indemnité de remplacement du revenu au moment de son décès [Le législateur indique de façon précise que le moment où l'article 58 s'applique est « lorsqu'un travailleur qui reçoit une indemnité de remplacement du revenu décède », ce qui implique que le travailleur reçoit une indemnité de remplacement du revenu au moment du décès.] ;

·        que le travailleur décède d'une cause étrangère à sa lésion professionnelle.

[44]        Pour que le droit à l'indemnité de remplacement du revenu d'un travailleur s'éteigne, ce dernier doit d'abord et avant tout avoir eu droit à l'indemnité de remplacement du revenu.  Or, ce droit découle directement de son incapacité d'exercer son emploi, laquelle résulte de sa lésion professionnelle, et donc, de son accident du travail.

[45]        Ainsi, l'indemnité versée à la conjointe d'un travailleur en vertu de l'article 58 l'est « en considération de et à cause de » l'accident du travail ayant donné naissance au droit du travailleur à cette indemnité.  

[46]        Le tribunal remarque, par ailleurs, qu’au moment de son décès, monsieur M ne recevait pas une indemnité de remplacement du revenu et qu'en dépit de ce fait, la CSST a décidé d'appliquer l'article 58 de la loi et de verser à sa conjointe une indemnité de remplacement du revenu.

[47]        Il y a donc eu « reprise » du versement de l'indemnité de remplacement du revenu de monsieur M qui s'était interrompu le 26 novembre 2007, soit au moment où monsieur M avait entrepris un travail en assignation temporaire.  Contrairement à ce qui est prévu à l'article 58 de la loi, monsieur M ne recevait plus l'indemnité de remplacement du revenu le 30 novembre 2007.  Par conséquent, cette indemnité n'a pas « continué d'être versée » à la conjointe.

[48]        L'employeur, qui est en désaccord avec le fait d'être imputé du coût de ces prestations, n’a pas contesté la décision de la CSST de verser cette indemnité à la conjointe.  Sa procureure a réitéré à l'audience que l'employeur ne remettait pas en question le droit de la conjointe de recevoir cette indemnité.  

[49]        Bien que l'employeur n'ait pas invoqué qu’il est injustement obéré par le fait que la décision rendue par la CSST le 20 décembre 2007 n'apparaisse pas conforme aux critères de l'article 58 de la loi à première vue, le présent tribunal tient à souligner qu’il n'aurait pas eu compétence pour se prononcer sur cette question, car un employeur ne peut remettre en question la validité d'une décision statuant sur le versement d'une indemnité par le biais d'une contestation d'une autre décision relative à l'imputation des coûts.

[50]        Le présent tribunal n'est pas saisi de la décision du 20 décembre 2007 et n'a pas à statuer sur ce sujet, mais uniquement sur le bien-fondé de l'imputation au dossier financier de l'employeur de l'indemnité versée à la suite de cette décision.

·                    Obéré injustement au sens du deuxième alinéa de l'article 326

[51]        L'employeur plaide qu’il serait obéré injustement par l'imputation de ces coûts, car monsieur M est décédé d'une cause étrangère à sa lésion professionnelle et que n'eut été de son décès, il aurait poursuivi son assignation temporaire évitant ainsi l'imputation de ces coûts.

[52]        L'employeur fait une analogie avec une jurisprudence[29] abondante de la Commission des lésions professionnelles qui souligne :

·        que l'assignation temporaire est un mécanisme qui est prévu dans le chapitre relatif à la réadaptation ;

·        que la cessation d'une assignation temporaire en raison d'une maladie intercurrente engendre des coûts additionnels au dossier financier de l'employeur puisqu'au moment de l'arrêt de l'assignation, il y a reprise des versements de l'indemnité de remplacement du revenu lorsque le travailleur demeure incapable d'exercer son emploi ;

·        que le fait de se voir imputer une somme quelconque dans ces circonstances constitue une injustice dans la mesure où le législateur inscrit la réadaptation comme l'un des objectifs de cette loi, que l'employeur n'a aucun contrôle sur la maladie intercurrente de son travailleur et que cette situation est étrangère aux risques inhérents à ses activités.

[53]        Le présent tribunal estime que le cas de monsieur M n'est pas comparable à ceux de travailleurs dont la cessation de l'assignation temporaire pour cause de maladie intercurrente a entraîné une reprise du versement de l'indemnité de remplacement du revenu.

[54]        Premièrement, au moment de la cessation de l'assignation temporaire, les travailleurs dont il est question dans ces affaires conservent leur droit à l'indemnité de remplacement du revenu en raison de leur incapacité d'exercer leur emploi.  C'est la raison pour laquelle il y a reprise du versement de leur indemnité de remplacement du revenu.

[55]        Le cas de monsieur M est différent, car au moment de la cessation de son assignation temporaire, il n'a plus droit à l'indemnité de remplacement du revenu, ce droit s’étant éteint au moment de son décès.

[56]        Deuxièmement, l'injustice causée aux employeurs dont les travailleurs présentent une maladie intercurrente découle du fait qu'il y a « reprise » du versement de l'indemnité de remplacement du revenu de leur travailleur alors que n'eut été de leur maladie intercurrente, ces derniers auraient continué d'exercer le travail en assignation temporaire et les employeurs n'auraient pas eu à supporter ces coûts. 

[57]        Cette situation diffère de celle qui est prévue à l'article 58, car selon le libellé de cet article, il n'est pas censé y avoir « reprise » du versement de l'indemnité de remplacement du revenu d'un travailleur, mais poursuite du versement pendant une période de temps déterminée.  Le législateur écrit que « cette indemnité continue d'être versée » pendant les « trois mois qui suivent le décès ».  De plus, l'indemnité n'est pas versée au travailleur, mais au conjoint.

[58]        Troisièmement, le fait de plaider que l'imputation de ces coûts constitue une injustice équivaut en quelque sorte à sous-entendre que le principe consacré par le législateur à l'article 58 est inéquitable, argument qui ne peut être retenu par la soussignée. 

[59]        Le présent tribunal ne voit pas en quoi il est injuste de prévoir une indemnité pour le conjoint lorsqu'un travailleur qui reçoit une indemnité de remplacement du revenu décède d'une cause étrangère à sa lésion professionnelle dans la mesure où tous les employeurs qui se trouvent dans des situations semblables sont traités de façon comparable.

[60]        C'est la conclusion à laquelle en arrive la Commission des lésions professionnelles dans l'affaire Bourboule Transport ltée[30] où elle écrit que le fait de « procéder à un transfert d’imputation dans de tels cas sous prétexte que le travailleur n’est pas [décédé des suites][31] de sa lésion professionnelle, signifierait un transfert dans toutes les situations et cela n’a pas de sens » [sic]. 

[61]        Enfin, la soussignée partage le raisonnement élaboré par la Commission des lésions professionnelles dans l'affaire Ville de Drummondville et CSST[32] selon lequel l'application d'une disposition législative ne peut être interprétée comme obérant injustement un employeur[33].

[62]        La procureure de l'employeur plaide également que le législateur n'a pas voulu que le coût de l'indemnité versée au conjoint du travailleur qui décède d'une cause étrangère à sa lésion professionnelle lorsqu'il reçoit une indemnité de remplacement du revenu soit imputé à l'ensemble des employeurs.

[63]        Le tribunal ne retient pas cet argument, car si tel était le cas, le législateur l'aurait clairement indiqué aux articles 326 et suivants comme il le fait dans le cas du travailleur dont l'accident du travail est attribuable à un tiers, de l'employeur qui est obéré injustement, de la lésion professionnelle visée dans l'article 31, des prestations d'assistance médicale dues en raison d'une lésion professionnelle qui ne rend pas le travailleur incapable d'exercer son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle s'est manifestée sa lésion, de la maladie professionnelle du travailleur engendrée chez un ou d'autres employeurs, du travailleur déjà handicapé au moment de la manifestation de sa lésion professionnelle ou du coût des prestations résultant d’un désastre.

[64]        Le tribunal note que le législateur prévoit aussi une exception au principe général d'imputation en ce qui a trait à l'indemnité de remplacement du revenu qui est versée à la travailleuse enceinte qui bénéficie d'un retrait préventif.  En effet, l'article 45 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail[34] stipule que le coût relatif au paiement de cette indemnité est imputé à l'ensemble des employeurs.

[65]        Le tribunal estime, en conséquence, que l'employeur n'a pas démontré que l'imputation du coût de l'indemnité versée à la conjointe de monsieur M constitue une injustice.  Comme cette démonstration n'a pas été faite, le tribunal n'a pas à se prononcer relativement à l'impact financier de l'imputation du coût des prestations dont il est question dans le dossier en litige.

[66]        L'employeur doit donc assumer la totalité du coût des prestations dues en raison de la lésion professionnelle subie par monsieur M le 30 novembre 2006, y compris le coût de l'indemnité versée à la conjointe de ce dernier pour la période du 30 novembre 2007 au 25 février 2008.


POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête de Bombardier Aéronautique inc. en date du 9 avril 2009 ;

CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d'une révision administrative le 26 mars 2009 ;

DÉCLARE qu’il y a lieu d'imputer à Bombardier Aéronautique inc. la totalité du coût des prestations dues en raison de la lésion professionnelle subie par monsieur M le 30 novembre 2006, y compris le coût de l'indemnité versée à la conjointe de ce dernier pour la période du 30 novembre 2007 au 25 février 2008.

 

 

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Martine Montplaisir

 

 

 

 

Me Francine Legault

Heenan Blaikie

Représentante de la partie requérante

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001

[2]           Article 326, alinéa 2

[3]           Article 326, alinéa 2

[4]           Article 327, paragraphe 1

[5]           Article 327, paragraphe 2

[6]           Article 328, alinéas 2 et 3

[7]           Article 329

[8]           Article 330

[9]           [1998] C.L.P. 195  ; Lagran Canada inc. (Div. Leedye) et Mendicino, C.L.P. 107156-71-9811, 14 juin 1999, A. Suicco.

[10]         [1998] C.L.P. 824

[11]         Le petit Robert 1 : dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, nouv. éd. revue et corrigée, Paris, Le Robert, 1989, 2171 p.

[12]         Corporation d'Urgences Santé de la région de Montréal métropolitain et CSST, précitée, note 10

[13]         C.L.P. 85003-09-9701, 11 juin 1998, C. Bérubé

[14]         C.L.P. 114354-32-9904, 18 octobre 2002, M.-A. Jobidon

[15]         C.L.P. 349262-62C-0805, 14 janvier 2009, C. Racine

[16]         C.L.P. 358478-62C-0809, 6 mars 2009, C. Racine

[17]         Compagnie A et C... C..., précitée, note 16

[18]         Voir notamment : 3323552 Canada inc., C.L.P. 302558-64-0610, 6 mars 2009, R. Daniel ; Acier Picard inc. et CSST, C.L.P. 375269-03B-0904, 4 août 2009, J.-L. Rivard ; Société des alcools du Québec, C.L.P. 371141-63-0903, 1er septembre 2009, J.-F. Clément ; Groupe Jean Coutu PJC inc. (Le), C.L.P. 353645-62-0807, 14 octobre 2009, R. Daniel ; Électricité Pierre Marchand inc., C.L.P. 372231-07-0903, 28 octobre 2009, S. Séguin ; Ville de Montréal (Sécurité-Policiers), C.L.P. 377096-71-0905, 5 novembre 2009, J.-F. Clément ; Bombardier Aéronautique inc., C.L.P. 378456-61-0905, 1er décembre 2009, D. Martin.

[19]         C.L.P. 298077-01A-0609, 4 mars 2008, L. Desbois.  Voir aussi les décisions suivantes qui vont dans le même sens : SGT 2000 inc. et CSST, C.L.P. 286203-01A-0603, 4 juillet 2008, L. Collin ; Transport Luc Richard, C.L.P. 330652-04B-0710, 3 septembre 2008, L. Collin.

[20]         Groupe F. Brisson inc. c. C.L.P. et CSST, C.S. Montréal 550-17-003064-076, 12 novembre 2007, j. Gagnon (décision sur requête en révision judiciaire) ; Corporation d'Urgences Santé de la région de Montréal métropolitain et CSST, précitée, note 10 ; Ameublement Tanguay inc. et Batesville Canada (I. Hillenbrand), [1999] C.L.P. 509  ; Auto Coiteux Montréal ltée, C.L.P. 291545-61-0606, 29 novembre 2006, L. Nadeau.

[21]         Ministère des Transports et CSST, [2007] C.L.P. 1804 (formation de trois commissaires)

[22]         Ministère des Transports et CSST, précitée, note 21

[23]         Ministère des Transports et CSST, précitée, note 21

[24]         Ministère des Transports et CSST, précitée, note 21

[25]         Cette décision est rendue en application de l'article 58 de la loi.

[26]         Chemins de fer nationaux et Hébert, C.A.L.P. 52969-64-9308, 12 octobre 1995, C. Demers ; Cimon et Transport Belmire inc., [1996] C.A.L.P. 750  ; Paquin et Menuiserie Roland, C.L.P. 90877-03A-9709, 15 avril 1998, P. Brazeau.

[27]         Outre l'exception prévue au paragraphe 3o de l'article 57 de la loi

[28]         C.L.P. 339014-62C-0802, 10 septembre 2008, D. Lajoie

[29]         Voir notamment : Corporation d'Urgences Santé de la région de Montréal métropolitain et CSST, précitée, note 10 ; Groupe Canam Manac inc. et CSST, C.L.P. 119565-03B-9907, 9 décembre 1999, R. Jolicoeur ; Papiers Scott et Charron, C.L.P. 138650-07-0005, 14 mars 2001, N. Lacroix ; Portes Cascades inc., C.L.P. 180560-62B-0203, 20 décembre 2002, Alain Vaillancourt ; Pavillon Richmond & Valcourt, C.L.P. 192556-62B-0210, 31 janvier 2003, Y. Ostiguy ; Carrefour Santé du Granit (C.H.), C.L.P. 250187-05-0412, 18 avril 2005, L. Boudreault ; J.P. Métal América inc., C.L.P. 240875-71-0408, 14 octobre 2005, L. Couture ; Commission Scolaire de l’Or-et-des-Bois, C.L.P. 264852-08-0506, 21 février 2006, J.-F Clément ; ITI Hydraulik, C.L.P. 305140-63-0612, 21 février 2008, J.-P. Arsenault ; Aliments Maple leaf inc. (Rothsay), C.L.P. 302772-64-0610, 7 avril 2008, R. Daniel ; Provigo Distribution inc., C.L.P. 361886-01A-0810, 20 juillet 2009, R. Deraiche ; Pavillon Hôpital Royal-Victoria, C.L.P. 380202-71-0906, 3 novembre 2009, L. Collin.

[30]         C.L.P. 162954-64-0106, 9 janvier 2002, G. Perreault

[31]         Le texte qui figure dans la décision est le suivant : « décidé des suite » [sic].

[32]         [2003] C.L.P. 1118 (décision accueillant la requête en révision), requête en révision judiciaire rejetée, [2004] C.L.P. 1856 (C.S.)

[33]         Voir aussi les affaires suivantes : Hôpital Laval, C.L.P. 353474-31-0807, 23 mars 2009, H. Thériault ; Groupe C.D.P. inc., C.L.P. 356625-31-0808, 23 juillet 2009, G. Tardif ; Nettoyeurs Pellican inc., C.L.P. 372145-31-0903, 4 août 2009, S. Sénéchal ; Fernand Harvey & Fils inc., C.L.P. 382751-31-0907, 17 décembre 2009, R. Hudon.

[34]         L.R.Q., c. S-2.1

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