Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Dépanneur 5 Étoiles inc. |
2016 QCCQ 7179 |
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COUR DU QUÉBEC |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
TROIS-RIVIÈRES |
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LOCALITÉ DE |
Trois-Rivières |
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« Chambre criminelle et pénale » |
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N° : |
400-61-069102-154 |
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DATE : |
12 juillet 2016 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
MONSIEUR GAÉTAN RATTÉ, J.P.M. |
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DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES |
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Poursuivant |
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c. |
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DÉPANNEUR 5 ÉTOILES INC. |
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Défenderesse |
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JUGEMENT |
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NATURE DE L’INFRACTION
[1] La défenderesse est poursuivie pour avoir vendu du tabac à un mineur contrairement aux articles 13 et 43.2 de la Loi sur le tabac.[1]
LE CONTEXTE
[2] Le 11 août 2014, Pierre Lévesque, inspecteur pour le ministère de la Santé et des Services sociaux, accompagné d’une aide-inspectrice âgée de 16 ans, se présentent au dépanneur opéré par la défenderesse.
[3] L’aide-inspectrice entre seule dans le commerce, se rend au comptoir et demande à la caissière un paquet de cigarettes de marque «Prime Time».
[4] Elle donne un billet de vingt dollars (20 $) à la caissière qui lui remet la monnaie et un paquet de cigarettes «Prime Time» aux cerises.
[5] La caissière ne lui pose aucune question quant à son âge et ne lui demande pas à voir sa carte d’identité.
[6] La défenderesse admet les faits constitutifs de l’infraction. Elle présente une défense de diligence raisonnable.
PREUVE DE LA POURSUITE
[7] En preuve documentaire, le poursuivant dépose le constat d’infraction général, une photographie du paquet de cigarettes acheté, la facture d’achat, une copie du registre des entreprises du Québec, la déclaration de l’aide inspectrice et le rapport d’inspection. (Pièce P-1, en liasse)
PREUVE DE LA DÉFENSE
Serge Richard, président
[8] La défenderesse admet les faits constitutifs de l’infraction et la preuve documentaire déposée par la poursuite.
[9] Elle fait entendre Serge Richard, président de la défenderesse.
[10] Il est propriétaire du dépanneur depuis 1982 et c’est la première fois que la défenderesse est poursuivie pour une infraction à la Loi sur le tabac.
[11] Il opère une entreprise familiale avec son épouse et sa fille Katia, âgée de 22 ans, est gérante depuis trois ans.
[12] Une quinzaine d’employés travaillent au dépanneur avec un taux de roulement annuel d’environ trente pour cent (30%). Les employés ont au moins un an d’expérience; la majorité d’entre eux a deux à trois ans d’expérience.
[13] Le dépanneur reçoit environ mille clients par jour. En plus des membres de la famille, trois à cinq employés travaillent «sur le plancher».
[14] La vente de produits du tabac représente environ cinquante pour cent (50%) du chiffre d’affaires de la défenderesse.
[15] Le témoin fait une description générale de l’intérieur du dépanneur et dépose plusieurs photographies illustrant la présence d’affiches indiquant l’obligation de «carter» toute personne de moins de vingt-cinq ans sur les portes d’accès, les comptoirs et l’ameublement situé près des caisses. (Pièce D-1, en liasse)
[16] Il rencontre personnellement chacune des personnes qui postulent un emploi au dépanneur. Au cours de cette rencontre qui dure entre une heure trente à deux heures, il leur fait part des règlements du dépanneur dont il produit une copie. (Pièce D-2)
[17] Il insiste particulièrement sur l’importance de «carter» toute personne qui semble avoir moins de vingt-cinq ans pour la vente de tout produit de tabac, d’alcool ou de loterie. Une seule infraction à ce règlement entraine automatiquement un congédiement.
[18] Par la suite, les employés reçoivent une formation d’au moins trente heures au cours desquelles ils doivent travailler sous la surveillance constante de Marie-France, l’assistante-gérante aussi responsable des employés.
[19] Il y a presque toujours deux caissières au comptoir de service qui doivent s’aider en cas de besoin ou de problème dont sa fille Katia qui travaille habituellement à six pieds de la caisse principale.
[20] Son bureau est situé au deuxième étage du dépanneur et il peut observer le travail des employés au moyen d’une trentaine de caméras. Les employés savent qu’ils sont filmés et enregistrés ce qui les conscientise à bien exécuter leur travail. Il intervient régulièrement sur le plancher lorsqu’il constate que quelque chose n’est pas à sa satisfaction ou pourrait être améliorée.
[21] Personnellement, il parle beaucoup avec ses employés pour leur donner des directives, des consignes ou faire des rappels d’être attentifs lors de la vente de produits interdits aux mineurs.
[22] Depuis trente ans, il utilise également un livre pour communiquer avec ses employés contenant des informations, des commentaires, des directives et des notes personnelles dont ces derniers doivent prendre connaissance et signer. (Pièces D-3 et D-4)
[23] Interrogé par la poursuite, le témoin déclare qu’il n’a pas recours à une agence pour faire effectuer des visites d’inspection de son dépanneur pour vérifier l’observance des règles concernant la vente de produits interdits aux mineurs.
[24] Concernant plus particulièrement l’employée qui a commis l’infraction, le témoin déclare que Sarah Toupin était à l’emploi de la défenderesse depuis quinze mois.
[25] Elle a été congédiée suite à l’infraction tel qu’il appert de son relevé d’emploi. (Pièce D-5) Elle a également signé un document par lequel elle reconnait qu’elle a été avisée plusieurs fois de «carter» toutes les personnes qui n’ont pas l’apparence de vingt-cinq ans pour la vente de produits interdits aux mineurs. (Pièce D-6)
[26] Elle travaillait habituellement de jour, de 6 h à 14 h, cinq jours/semaine, mais pouvait aussi travailler les soirs et les fins de semaine.
[27] Il déclare que cette employée nécessitait une attention particulière parce qu’elle se montrait plutôt négligente dans l’exécution de ses tâches. Elle ne suivait pas toujours les consignes et il fallait souvent lui faire des rappels.
[28] Il lui est arrivé de ne pas «carter» des personnes qui, bien que majeures, n’avaient pas l’apparence de vingt-cinq ans et plus. Il a dû intervenir à quelques occasions à ce sujet.
[29] Selon le témoin, elle faisait partie de ses moins bons employés.
[30] Le jour de l’infraction, l’employée était seule à la caisse. Il ne peut dire qui était le superviseur ou responsable lors de cette journée.
Katya Richard, gérante
[31] La défense fait entendre Katya Richard, gérante du dépanneur.
[32] Elle a vingt-deux ans et travaille depuis quatre ans au dépanneur de ses parents dont trois comme gérante.
[33] Son horaire est de 9 h 30 à 17 h 30, du lundi au vendredi. Son poste de travail est situé à la deuxième caisse à environ six pieds de la caisse principale.
[34] Elle fait de la caisse pendant environ quatre heures durant la journée. Le reste du temps, elle s’occupe des commandes, place la marchandise, s’occupe du bureau de poste, du frigidaire, etc. Elle surveille aussi les employés.
[35] Elle ne donne pas de formation aux employés. Elle s’occupe surtout du fonctionnement journalier du dépanneur.
[36] Elle ne se rappelle pas si elle était sur place lors de l’infraction et elle n’a pas eu connaissance des événements. Elle n’a pas vu les bandes vidéo de la journée de l’infraction, vidéos d’ailleurs qu’elle ne visionne pas personnellement.
[37] Elle ne se souvient pas d’un problème particulier avec Sarah Toupin.
LE DROIT
[38] Les dispositions pertinentes de la Loi sur le tabac se lisent comme suit :[2]
13. Il est interdit à quiconque de vendre du tabac à un mineur.
14. Dans une poursuite intentée pour une contravention au deuxième alinéa de l’article 8.2 ou à l’article 13, le défendeur n’encourt aucune peine s’il prouve qu’il a agi avec diligence raisonnable pour constater l’âge de la personne et qu’il avait un motif raisonnable de croire que celle-ci était majeure.
ANALYSE ET CONCLUSION
[39] Les faits de la présente affaire ne sont pas contestés. Le poursuivant a fait la preuve de tous les éléments essentiels de l’infraction.
[40] La preuve démontre en effet que la caissière a vendu un paquet de cigarettes à une mineure malgré que cette dernière ne lui ait pas présenté de carte d’identité et qu’elle ne lui a posé aucune question sur son âge.
[41]
Nos tribunaux ont jugé à maintes reprises que pour invoquer une défense
de diligence raisonnable, la défenderesse doit démontrer, par prépondérance de
preuve, qu’elle a pris toutes les précautions raisonnables pour ne pas
commettre l’infraction. Elle doit en outre satisfaire au fardeau plus élevé
édicté par le législateur à l’article
[42] L’arrêt Dépan-Escompte Couche-tard inc., suivi en cela par une abondante jurisprudence, établit les circonstances ou conditions permettant à la défenderesse de démontrer qu’elle a agi avec diligence raisonnable.[4]
[43] La défenderesse doit démontrer qu’elle a pris les mesures suivantes :
1. la présence de directives claires et appropriées transmises aux employés par un moyen de communication efficace;
2. la mise en place de système d’application, de contrôle et de supervision des directives des employés;
3. l’existence d’un programme de formation spécialisée et d’entrainement du personnel;
4. l’utilisation et l’entretien d’équipements adéquats;
5. la mise sur pied d’un programme d’urgence, s’il y a lieu;
6. la possibilité de sanctions administratives graduées pour inciter les employés à respecter la loi et les directives.
[44] L’ensemble de la preuve démontre que, généralement, la défenderesse a suivi règles établies par l’arrêt Dépan-Escompte Courche-Tard.
[45] La défenderesse est bien consciente de l’importance du respect de la Loi sur le tabac par ses employés puisque les ventes de produits du tabac représentent la moitié de son chiffre d’affaires, d’où l’importance de la sanction imposée à un employé fautif, soit le congédiement à la première offense.
[46] La preuve démontre que la défenderesse insiste et répète, que ce soit lors de la formation ou lors de fréquents rappels, que les employés «cartent» tous les clients qui ont une apparence de moins de vingt-cinq ans.
[47] Des affiches sont installées près des caisses dans le dépanneur, des rencontres et des rappels sont faits régulièrement aux employés. Ces derniers sont sous la surveillance d’un système de caméras, du gérant et d’autres employés plus expérimentés.
[48] Comme l’a d’ailleurs souligné la procureure du poursuivant, le Tribunal a bien noté que la formation des employés comporte des lacunes et est certainement perfectible.
[49] Mais, il n’appartient pas au Tribunal de définir ou déterminer les mesures à prendre, la règle applicable en la matière n’étant pas celle de la perfection mais celle du caractère raisonnable des mesures appliquées comme l’aurait fait un exploitant de dépanneur placé dans les mêmes circonstances.
[50] Comment alors expliquer l’infraction commise par la jeune caissière?
[51] La réponse vient du président de la défenderesse.
[52] Dans son témoignage, monsieur Serge Richard mentionne que la caissière Toupin était une de ses moins bons employés. Elle était parfois négligente dans l’exécution de son travail et il a dû intervenir auprès d’elle à plusieurs reprises pour des manquements aux directives données.
[53] Or, la preuve démontre que le jour de l’infraction, la jeune caissière était seule à la caisse, sans supervision.
[54] La gérante ne se souvient pas si elle était présente sur les lieux et n’a pas eu personnellement connaissance de l’infraction. Le Tribunal ignore si d’autres responsables étaient à proximité ou en mesure d’intervenir auprès de la caissière.
[55] Cette situation démontre une lacune importante concernant la supervision des employés d’autant plus que la caissière était une jeune employée problématique selon la défenderesse elle-même.
[56] Connaissant la situation et les possibilités, pour ne pas dire probabilités, d’erreur par cette caissière, la défenderesse devait s’assurer qu’elle ne soit pas laissée à elle-même et soit mieux encadrée.
[57] La défenderesse exerce une activité fortement règlementée qui lui impose une responsabilité plus grande qu’une autre qui ne l’est pas. Elle ne peut s’exonérer de cette responsabilité en la reportant sur l’employée qui en raison de son jeune âge, de son inexpérience et de ses propres capacités, n’est peut-être pas en mesure de l’assumer sans un encadrement et une surveillance adéquate.
[58] La défenderesse n’a pas pris toutes les mesures raisonnables pour éviter la commission de l’infraction qui n’était pas imprévisible ou inévitable.
[59] Comme le mentionne le juge Jean-Jude Chabot, dans l’arrêt C. Corp inc., «La nature humaine étant ce qu’elle est, aucun système n’est parfait et il existera toujours des failles. C’est la diligence apportée à colmater ces failles qui démontre l’absence d’intention coupable.[5]
[60] La défenderesse n’a pas fait la preuve qu’elle a agi avec diligence raisonnable dans les circonstances.
[61] Elle n’a pas soulevé de doute raisonnable quant à sa culpabilité à la lumière des principes émis dans l’arrêt R. c. W (D).[6]
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL
[62] DÉCLARE la défenderesse coupable;
[63] CONDAMNE la défenderesse à payer la somme de 500 $ plus les frais et la contribution statutaire;
[64] ACCORDE à la défenderesse un délai de trois (3) mois pour payer l’amende et les frais.
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__________________________________ GAÉTAN RATTÉ, J.P.M. |
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ME STÉPHANIE SAULNIER BRIDGES |
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Procureure du poursuivant |
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ME OLIVIER TOUSIGNANT |
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Procureur de la défenderesse |
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Date d’audience : |
3 mai 2016 |
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[1] Loi sur le tabac, RLRQ, c. T-0.01
[2] Loi sur le tabac, précitée note 1.
[3]
Fernand Dufresne c. DPCP,
Trois-Rivières, 400-36-000567-152, 24 mai 2016, j. Dionne, p.7; DPCP c.
Philippe Gosselin et Associés ltée,
[4] Procureur général du Québec c. Dépan-Escompte Couche-Tard inc., 2003, QCCQ 9343.
[5]
C.Corp. Inc. c. Procureur général du Québec, C.S. Montréal,
[6]
R. c. W. (D),
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.