Charron c. Soglo |
2014 QCRDL 38938 |
RÉGIE DU LOGEMENT |
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Bureau dE Gatineau |
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No dossier : |
22-120829-002 22 20120829 G 22-120822-019 22 20120822 G |
No demande : |
64673 64893 |
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Date : |
10 novembre 2014 |
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Régisseur : |
Pierre C. Gagnon, juge administratif |
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BRYAN CHARRON |
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Locataire - Partie demanderesse (22-120829-002 22 20120829 G) Partie défenderesse (22-120822-019 22 20120822 G) |
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c. |
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TOYI SOGLO |
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Locateur - Partie défenderesse (22-120829-002 22 20120829 G) Partie demanderesse (22-120822-019 22 20120822 G) |
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D É C I S I O N
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[2] Le locataire demande des dommages-intérêts matériels (9 104 $) et punitifs (7 000 $) (22-120829-002).
[3] Les deux demandes ont été entendues conjointement en vertu de l’article 57 de la Loi constitutive.
[4] Le bail du locataire a débuté le 1er mai 2012, mais celui-ci a emménagé dans le logement vers le 18 avril. Au début du mois d’août, le locateur ne réussissait pas à joindre le locataire pour percevoir le loyer de ce mois. C’est pourquoi, le 10 août, le locateur a pris la décision de changer la serrure de l’appartement. Comme il relate à l’audience et dans son document explicatif, « Ma seule intention était alors de forcer indirectement M. Charron à communiquer avec moi pour payer son loyer et je lui aurais remis les nouvelles clés ».
[5] Le 20 août, n’ayant toujours pas de nouvelles du locataire, le locateur a fait vider le logement par son fils. Les biens ont été transportés dans un entrepôt et dans un autre appartement. Le 28 août, constatant les faits, le locataire s’est plaint à la police. Il a récupéré ses effets le 18 septembre.
[6] Le locataire témoigne qu’en effet, le loyer d’août était impayé au moment des événements ci-dessus énoncés. Il avait alors des problèmes reliés à une séparation et il faisait la navette régulièrement avec ses deux jeunes garçons chez ses parents. C’est d’ailleurs à cet endroit qu’il a été hébergé jusqu’à son emménagement dans un nouveau logement.
[7] Le locataire nie avoir été impossible à contacter pendant la période visée. À l’appui de photographies, il soutient que de nombreux objets ont été endommagés lors du transfert. Il allègue notamment qu’on a vidé son réfrigérateur dans un sac de plastique contenant d’autres effets. Le tout a été laissé à pourrir pendant plus d’un mois.
[8] Le locataire avance que ses droits fondamentaux ont été violés. Il fait part au tribunal que cette transgression lui a occasionné une période d’anxiété majeure, qui est venue s’ajouter aux ennuis qu’il subissait déjà dans sa vie personnelle. Ses enfants ont également souffert de cette incertitude, ainsi que de la privation de leurs propres biens.
[9] Dans cette affaire, le locateur a contrevenu à l’article 1934 C.c.Q. :
« 1934. Aucune serrure ou autre mécanisme restreignant l'accès à un logement ne peut être posé ou changé sans le consentement du locateur et du locataire.
Le tribunal peut ordonner à la partie qui ne se conforme pas à cette obligation de permettre à l'autre l'accès au logement.»
[10] Il a également fait défaut de respecter l’article 1936 C.c.Q. :
« 1936. Tout locataire a un droit personnel au maintien dans les lieux; il ne peut être évincé du logement loué que dans les cas prévus par la loi.»
[11] Ces agissements contreviennent en outre à la Charte des droits et libertés du Québec[1], et particulièrement aux articles suivants :
5. Toute personne a droit au respect de sa vie privée.
6. Toute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens, sauf dans la mesure prévue par la loi.
7. La demeure est inviolable.
8. Nul ne peut pénétrer chez autrui ni y prendre quoi que ce soit sans son consentement exprès
[12] Puisque le logement contenait les biens du locataire, le locateur ne pouvait pas invoquer l’article 1975 C.c.Q. pour conclure que celui-ci avait déguerpi. Aux termes des articles 1863 et 1971 C.c.Q., il devait procéder par voie judiciaire pour faire résilier le bail :
«1863. L'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l'inexécution lui cause à elle-même ou, s'agissant d'un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.
L'inexécution confère, en outre, au locataire le droit de demander une diminution de loyer; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablissement du loyer pour l'avenir.»
« 1971. Le locateur peut obtenir la résiliation du bail si le locataire est en retard de plus de trois semaines pour le paiement du loyer ou, encore, s'il en subit un préjudice sérieux, lorsque le locataire en retarde fréquemment le paiement.»
[13] Le locataire a élaboré une liste de pertes matérielles comprenant les frais de déménagement, les frais de pension et les pertes reliées à ses biens (dommage et remplacement). Il soutient enfin qu’il a perdu une somme de 1 240 $, 2 bagues en or, une chaîne en or ainsi que deux collections de pièces et de timbres).
[14] Le locataire a peu de pièces justificatives à l’appui de ses réclamations. Mais le visionnement des photographies prises lors de la récupération des biens permet au tribunal de constater qu’il y a effectivement eu négligence significative lors du déménagement des biens.
[15] Lorsque la valeur à indemniser n’est pas appuyée de pièces justificatives pertinentes, la jurisprudence nous enseigne que le décideur doit procéder à sa propre évaluation en fonction des éléments de preuve disponibles[2]. Ceci est particulièrement le cas pour des meubles, vêtements et autres effets mobiliers, dont la valeur actuelle est très difficile à fixer précisément.
[16] Ayant pris connaissance de la preuve testimoniale et des photographies produites, le tribunal fixe les dommages-intérêts matériels à 2 500 $.
[17] Reste la réclamation de dommages-intérêts punitifs. Selon l'article 49, al. 2 de la Charte, ce type de redressement est accordé lorsque l'atteinte illicite est intentionnelle. Il importe ici de préciser la notion d'«intentionnalité».
[18] De précieux éclaircissements nous sont fournis à cet égard par l'énoncé de principe de Mme la juge L'Heureux-Dubé dans l'arrêt St-Ferdinand de la Cour suprême. Elle statue qu'il y a ouverture aux dommages-intérêts punitifs sous le régime de la Charte
«...lorsque l'auteur de l'atteinte illicite a un état d'esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou encore s'il agit en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera. Ce critère est moins strict que l'intention particulière, mais dépasse, toutefois, la simple négligence. Ainsi, l'insouciance dont fait preuve un individu quant aux conséquences de ses actes fautifs, si déréglée et téméraire soit-elle, ne satisfera pas, à elle seule, à ce critère.» [3]
[19] Dans la présente affaire, il n'y a aucun doute que le locateur connaissait «les conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables» de son comportement. Il affirme d'ailleurs à l'audience avoir été propriétaire de cinq logements.
[20] Il reconnaît avoir eu de la difficulté antérieurement, dans des circonstances semblables, lorsqu’il a suivi les procédures prescrites par la loi en matière de recouvrement. Il y a donc ouverture au recours en dommages-intérêts punitifs en vertu de la Charte.
[21] Quant au montant du redressement punitif, des indications à cet égard sont fournies à l'article 1621 C.c.Q. :
«1621. Lorsque la loi prévoit l'attribution de dommages-intérêts punitifs, ceux-ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive.
Ils s'apprécient en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, de sa situation patrimoniale ou de l'étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier, ainsi que, le cas échéant, du fait que la prise en charge du paiement réparateur est, en tout ou en partie, assumée par un tiers.»
[22] En pareilles circonstances, le tribunal doit évaluer, de façon globale, l'événement ou le comportement donnant ouverture au redressement (« en tenant compte de toutes les circonstances appropriées »). L'examen doit tenir compte de la « gravité de la faute » : gravité par l'ampleur objective du préjudice causé, mais aussi par le niveau d'intention coupable du fautif et par l'importance des effets négatifs pour la victime.
[23] Dans la décision Obadia[4], le tribunal trace un parallèle entre l'amende pénale applicable et une sanction civile punitive convenable. L'article 112.1 L.R.l. prévoit une amende s'échelonnant de 5 800 $ à 28 975 $ lorsque le locateur n'obtient pas la permission du tribunal pour utiliser le logement à une autre fin que celle pour laquelle le droit de reprise a été exercé.
[24] Dans le jugement Andraoui[5], un déménageur impayé n’a pas voulu libérer les biens d’un client. Le tribunal a jugé que le client a ainsi été privé de ses biens nécessaires à la vie, biens déclarés insaisissables aux termes de la loi, et que le comportement du déménageur lui a occasionné un traumatisme au-delà du simple inconvénient. Une indemnité exemplaire de 3 000 $ a été accordée.
[25] Compte tenu du décalage des années et des faits de la présente cause, le tribunal accorde des dommages-intérêts punitifs de 4 000 $. Cette indemnité convient pour assurer la fonction dissuasive et préventive du redressement visé.
[26] Vu la dette de loyer de 885 $ et l’effet de la compensation légale (art. 1672 et s. C.c.Q. ), le locateur est débiteur d’une somme de 5 615 $, plus intérêts et frais.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[27] CONDAMNE le locateur à payer au locataire la somme de 5 615 $ avec intérêts et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec à compter du 15 octobre 2012, ainsi que les frais judiciaires et de signification de 68 $.
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Pierre C. Gagnon |
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Présence(s) : |
le locataire le locateur |
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Date de l’audience : |
7 novembre 2014 |
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[1] RLRQ, c. C-12.
[2] Neault c. Bérubé, 2011 QCRDL 43133; Danis c. Beauchemin, 2013 QCRDL 3995.
[3] Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l'hôpital St-Ferdinand, [1996] 3 R.C.S. 211, par.121.
[4] Obadia c. 3008380 Canada Inc., nos 31-940510-040P-940517; 31-970718-057G, 11 février 1998, r. G. Joly et C.-H. Hovington
[5] 2003 CanLII 18783 (QCCQ), J.E. 2004-1149.
AVIS :
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