Meubles Cathedra inc. (Division Confortec 2000) et Desjardins |
2010 QCCLP 5259 |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 1er septembre 2009, Meubles Cathedra Inc. (Division Confortec 2000), (l’employeur) dépose une requête en révision à l’encontre d’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 13 août 2009.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles dispose de trois contestations de l’employeur. Elle déclare d’abord que madame Linda Desjardins (la travailleuse) a été victime d’une lésion professionnelle le 27 août 2007. Puis, elle déclare que la travailleuse ne conserve aucune limitation fonctionnelle en lien avec cette lésion et que, conséquemment, elle est capable d’exercer son emploi pré-lésionnel à compter du 18 janvier 2008. Elle déclare aussi sans objet la contestation de l’employeur portant sur l’admissibilité en réadaptation de la travailleuse, une mesure de formation visant à la rendre capable d’exercer un emploi convenable et la détermination d’un emploi convenable de préposée à l’accueil.
[3] Le 1er octobre 2009, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) dépose également une requête en révision à l’encontre de cette même décision rendue par la Commission des lésions professionnelles, le 13 août 2009, qu’elle a reçu le 17 août 2009.
[4] L’audience sur les requêtes en révision a lieu devant la Commission des lésions professionnelles à Joliette, le 22 mars 2010, en présence de la travailleuse qui n’est pas représentée. L’avocat de l’employeur et celui de la CSST y sont également présents.
LES OBJETS DES REQUÊTES
[5] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de réviser la décision rendue le 13 août 2009 et d’annuler la conclusion suivante :
« DÉCLARE cependant qu’elle a le droit, en vertu
de l’article
[6]
La CSST demande à la Commission des lésions professionnelles de réviser
la décision rendue le 13 août 2009 et de déclarer que la travailleuse n’avait
pas droit à l’indemnité de remplacement du revenu en vertu de l’article
L’AVIS DES MEMBRES
[7]
Le membre issu des associations syndicales et le membre issu des associations
d’employeurs sont tous les deux d’avis d’accueillir les deux requêtes en
révision. En effet, ils retiennent que l’employeur et la CSST ont démontré que
la première juge administrative a commis une erreur manifeste et déterminante
en appliquant l’article
LES FAITS ET LES MOTIFS
[8] Le tribunal siégeant en révision doit déterminer s’il y a lieu de réviser la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 13 août 2009.
[9]
L’article
429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.
Lorsqu’une affaire est entendue par plus d’un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l’ont entendue.
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s’y conformer sans délai.
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1997, c. 27, a. 24.
[10]
Le recours en révision et en révocation est prévu à l’article
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendue:
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
__________
1997, c. 27, a. 24.
[11]
Le recours en révision et en révocation s’inscrit dans le contexte de
l’article
[12] Dans le présent cas, l’employeur et la CSST invoquent que la décision de la première juge administrative comporte un vice de fond qui est de nature à l’invalider.
[13] La notion de « vice de fond » a été interprétée par la Commission des lésions professionnelles[2] comme étant une erreur manifeste, de droit ou de fait, ayant un effet déterminant sur l’issue du litige.
[14]
Il a été maintes fois réitéré que ce recours ne peut constituer un appel
déguisé compte tenu du caractère final d’une décision de la Commission
des lésions professionnelles
énoncé au troisième alinéa de l’article
[15] Dans l’affaire C.S.S.T. et Fontaine[3], la Cour d’appel a été appelée à se prononcer sur la notion de « vice de fond ». Elle réitère que la révision n’est pas l’occasion pour le tribunal de substituer son appréciation de la preuve à celle déjà faite par la première formation ou encore d’interpréter différemment le droit. Elle établit également que la décision attaquée pour motif de vice de fond ne peut faire l’objet d’une révision interne que lorsqu’elle est entachée d’une erreur dont la gravité, l’évidence et le caractère déterminant ont été démontrés par la partie qui demande la révision.
[16] Dans l’affaire Fontaine[4], comme elle l’avait déjà fait dans la cause TAQ c. Godin[5], la Cour d’appel invite et incite la Commission des lésions professionnelles à faire preuve d'une très grande retenue dans l'exercice de son pouvoir de révision.
[17] Avant d’analyser les prétentions respectives des deux parties, rappelons brièvement quelques faits afin de comprendre le contexte du présent litige.
[18] La travailleuse travaille comme journalière pour l’employeur depuis le 9 juillet 2007. Elle prétend avoir été victime d’une lésion professionnelle à son poignet droit le 27 août 2007.
[19] Elle travaille les 28 et 29 août avec une orthèse qu’elle s’est procurée à la pharmacie. Le 30 août 2007, la travailleuse est congédiée au motif que son rendement est insuffisant.
[20] Le 31 août 2007, la travailleuse consulte le docteur Roy qui pose le diagnostic de tendinite au poignet droit secondaire à des mouvements répétitifs au travail. Il recommande un arrêt de travail.
[21]
À la même date, la travailleuse dépose une plainte, en vertu de
l’article
[22]
Par diverses décisions, la CSST déclare que la travailleuse a été
victime d’une lésion professionnelle le 27 août 2007, qu’elle conserve un
déficit anatomo-physiologique de 0 % avec des limitations fonctionnelles
l’empêchant d’exercer son emploi, qu’elle est admissible en réadaptation et
qu’elle est capable d’exercer l’emploi convenable de préposée à l’accueil lui
donnant droit à l’indemnité de remplacement du revenu en vertu de l’article
[23] Ces décisions sont toutes contestées par l’employeur. Le 13 août 2009, la première juge administrative rend la décision et détermine que la travailleuse a été victime d’une lésion professionnelle le 27 août 2007, mais qu’elle ne conserve pas de limitations fonctionnelles à la suite de cette lésion et qu’elle est capable d’exercer son emploi depuis le 18 janvier 2008 qui correspond à la date de la consolidation de la lésion retenue par le médecin traitant à son rapport médical final.
[24]
Sans que cet élément n’ait été soulevé à l’audience, la première juge
administrative ajoute ce qui suit, au paragraphe [77], relativement à l’article
« […]
[76] Considérant tout cela, le tribunal conclut que
madame Desjardins ne conserve aucune atteinte permanente à son intégrité
physique ni de limitations fonctionnelles. Par conséquent, elle n’avait pas le
droit à la réadaptation en vertu de l’article
[77] Normalement, elle n’a plus droit à l’indemnité de
remplacement du revenu à compter de cette date, mais étant donné qu’elle
n’avait plus d’emploi à cette date, elle avait droit de recevoir l’indemnité de
remplacement du revenu en vertu de l’article
[…] »
[25] De plus, elle ajoute ce qui suit, à son dispositif, dans le dossier 352924-63-0807 :
DÉCLARE cependant qu’elle a le droit, en vertu de
l’article
[26]
L’employeur soumet essentiellement que la décision du 13 août 2009
comporte un vice de fond en ce que la première juge administrative a appliqué
l’article
[27]
Il ajoute que, selon lui, le dispositif retenu par la première juge
administrative, au regard de l’indemnité de remplacement du revenu versée en
vertu de l’article
[28]
La CSST plaide essentiellement les mêmes arguments et ajoute, de
surcroît, qu’il y a absence de motivation sur l’application de l’article
[29]
Il est utile de reproduire les articles
48. Lorsqu'un travailleur victime d'une lésion professionnelle redevient capable d'exercer son emploi après l'expiration du délai pour l'exercice de son droit au retour au travail, il a droit à l'indemnité de remplacement du revenu prévue par l'article 45 jusqu'à ce qu'il réintègre son emploi ou un emploi équivalent ou jusqu'à ce qu'il refuse, sans raison valable, de le faire, mais pendant au plus un an à compter de la date où il redevient capable d'exercer son emploi.
Cependant, cette indemnité est réduite de tout montant versé au travailleur, en raison de sa cessation d'emploi, en vertu d'une loi du Québec ou d'ailleurs, autre que la présente loi.
__________
1985, c. 6, a. 48.
240. Les droits conférés par les articles 236 à 239 peuvent être exercés :
1° dans l'année suivant le début de la période d'absence continue du travailleur en raison de sa lésion professionnelle, s'il occupait un emploi dans un établissement comptant 20 travailleurs ou moins au début de cette période; ou
2° dans les deux ans suivant le début de la période d'absence continue du travailleur en raison de sa lésion professionnelle, s'il occupait un emploi dans un établissement comptant plus de 20 travailleurs au début de cette période.
Le retour au travail d'un travailleur à la suite d'un avis médical n'interrompt pas la période d'absence continue du travailleur si son état de santé relatif à sa lésion l'oblige à abandonner son travail dans la journée du retour.
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1985, c. 6, a. 240.
[30]
La seule motivation de la première juge administrative relativement à
l’article
[31] Pourtant, ce n’est pas le critère retenu par cette disposition pour donner droit à l’indemnité de remplacement du revenu. En effet, l’article 48 prévoit que, pour pouvoir bénéficier de l’indemnité de remplacement du revenu, il faut que la travailleuse soit redevenue capable d’exercer son emploi après l’expiration de son droit de retour au travail, ce que ne mentionne aucunement la première juge administrative.
[32]
Or, tel que le soumettent l’employeur et la CSST, quelque soit l’angle
dans lequel on analyse la situation, la travailleuse n’avait manifestement pas
droit à l’indemnité de remplacement du revenu en vertu de l’article
[33]
En effet, d’une part, la travailleuse a été congédiée le 30 août 2007.
Ce congédiement a fait l’objet d’une plainte en vertu de l’article
[34]
De toute façon, même si la travailleuse avait toujours été à l’emploi de
l’employeur, l’article
[35] Tel que le souligne l’employeur et la CSST, aux fins de l’application de cette disposition, deux interprétations possibles se dégagent de la jurisprudence quant à la date qu’il faut prendre en considération pour décider si la capacité d’exercer l’emploi survient avant ou après l’expiration du droit de retour au travail. Certains considèrent que cette date correspond à la date réelle de cette capacité retrouvée, soit en l’occurrence le 18 janvier 2008, tel qu’il apparaît du paragraphe [76]. D'autres, s’en remettant à une interprétation plus large et libérale de la loi, retiennent plutôt qu’il faut prendre en considération la date de la décision finale statuant sur cette capacité qui, en l’espèce, correspond à la date de la décision de la première juge administrative, soit le 13 août 2009.
[36]
Or, en l’espèce le début de la période
d’absence continue dont il est question à l’article
[37]
Ainsi, que l’on retienne la date réelle de
capacité à exercer l’emploi, soit le 18 janvier 2008, ou celle de la
décision finale, le 9 août 2009, dans les deux cas le droit de retour au
travail de la travailleuse n’était pas expiré. La travailleuse ne pouvait donc
bénéficier de l’indemnité de remplacement du revenu en vertu de l’article
[38]
De surcroît, à son dispositif, la première juge administrative ne
précise pas à partir de quelle date la travailleuse a droit à cette indemnité
de remplacement du revenu. Cependant, à la lecture des paragraphes [76] et [77]
de la décision, on comprend que la travailleuse y a droit pour, au plus, une
année, à compter du 18 janvier 2008. Or, la travailleuse avait déjà reçu de
l’indemnité de remplacement du revenu pour cette période et même plus
longtemps, soit jusqu’au 1er août 2009. En outre, pour la période du
1er août 2008 au 1er août 2009, la travailleuse a reçu de
l’indemnité de remplacement du revenu durant un an, en vertu de l’article
[39]
Par conséquent, le dispositif de la décision concernant le droit à
l’indemnité de remplacement du revenu en vertu de l’article
[40]
Pour ces raisons, la Commission des lésions professionnelles siégeant en
révision estime que la décision du 13 août 2009 comporte un vice de fond qui
est de nature à l’invalider en ce que la première juge administrative applique
erronément une disposition de la loi. Il y a donc lieu de réviser la décision
sur la question de l’application de l’article
[41]
Procédant à rendre la décision sur le fond, la Commission des lésions
professionnelles conclut que la travailleuse n’ayant plus de lien d’emploi avec
l’employeur depuis le 30 août 2007, elle n’avait plus de droit de retour au
travail. Conséquemment, elle n’avait pas droit à l’indemnité de remplacement du
revenu à compter du 18 janvier 2008 en vertu de l’article
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE les requêtes en révision de Meubles Cathedra Inc. (Division Confortec 2000), l’employeur, et de la Commission de la santé et de la sécurité du travail;
RÉVISE la décision rendue le 13 août 2009 par la Commission des lésions professionnelles dans le dossier 352924-63-0807;
ACCUEILLE la requête de l’employeur, Meubles Cathédra inc, (Division Confortec 2000);
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 25 juin 2006, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE qu’à la suite de la lésion professionnelle survenue le 27 août 2007, madame Linda Desjardins, la travailleuse, ne conserve aucune limitation fonctionnelle en lien avec la lésion professionnelle et que par conséquent, elle était capable, à compter du 18 janvier 2008, d’exercer son emploi prélésionnel;
DÉCLARE que madame Linda Desjardins, la
travailleuse, n’a pas droit à l’indemnité de remplacement du revenu en vertu de
l’article
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Monique Lamarre |
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Me François Bouchard |
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LANGLOIS KRONTRÖM DESJARDINS |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Marc Champagne |
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PANNETON LESSARD |
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Représentant de la partie intervenante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] Voir notamment Produits forestiers
Donohue Inc. et Villeneuve,
[3]
[4] Précitée, note 3.
[5] Tribunal administratif du Québec c.
Godin,
[6] Voir formulaire de l’« Avis de l’employeur et demande de remboursement » daté du 21 septembre 2007.