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DÉCISION
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Dossier n° 201865-09-0303
[1] Le 19 mars 2003, madame Clermonde Watts (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision rendue, le 14 mars 2003, par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST).
[2] Par cette décision, la CSST rejette la plainte formulée par la travailleuse, le 24 janvier 2001, en vertu de l’article 32 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) en déclarant celle-ci irrecevable parce qu’elle a été présentée après l’expiration du délai de 30 jours prévu à l’article 253 de la loi.
Dossier n° 205791-09-0304
[3] Le 16 avril 2003, le Centre hospitalier régional de Baie-Comeau (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue, le 21 mars 2003, par la CSST.
[4] Par cette décision, la CSST accueille la plainte formulée par la travailleuse, le 20 mars 2001, en vertu de l’article 32 de la loi en ordonnant à l’employeur de créditer à celle-ci 8,4 jours de vacances.
[5] La travailleuse et l’employeur sont présents et représentés à l’audience tenue à Baie-Comeau le 10 septembre 2003.
L’OBJET DES CONTESTATIONS
Dossier n° 201865-09-0303
[6] La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître qu’elle a respecté le délai de 30 jours prévu à la loi pour présenter sa plainte ou, à défaut, de conclure qu’elle démontre avoir un motif raisonnable permettant de la relever des conséquences de son défaut d’avoir respecté ce délai.
[7] Au regard de la question de fond sur laquelle porte sa contestation, la travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles d’ordonner à l’employeur de lui payer la prime de disponibilité, ainsi que les heures supplémentaires auxquelles elle aurait eu droit pendant ses périodes d’assignation temporaire n’eut été de sa lésion professionnelle.
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[8] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que la travailleuse n’a pas droit au paiement de 8,4 jours additionnels de vacances, puisque celle-ci aurait cessé de cumuler des crédits de vacances après une année d’invalidité totale selon les dispositions de la convention collective de travail qui la régit.
L’AVIS DES MEMBRES
[9] Les membres issus des associations d’employeurs et des associations syndicales sont tous deux d’avis que, d’une part, la travailleuse démontre avoir un motif raisonnable pour expliquer son retard à présenter sa plainte à la CSST et que, d’autre part, elle a droit aux journées additionnelles de vacances qu’elle réclame.
[10] En ce qui concerne la question relative à la prime de disponibilité et aux heures supplémentaires, le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que la travailleuse n’y a pas droit, parce qu’elle n’a pas fourni à l’employeur de prestation justifiant leur paiement. Le membre issu des associations syndicales croit, au contraire, qu’elle y a droit, parce que la preuve démontre d’une manière suffisante qu’elle aurait dû être disponible et effectuer les heures supplémentaires qu’elle réclame si elle n’en avait été empêchée par sa lésion professionnelle.
LES FAITS ET LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[11] La travailleuse est au service de l’employeur depuis 1971 à titre d’infirmière. Elle occupe un poste à temps plein au bloc opératoire depuis 1984. Le 26 avril 1999, elle est victime d’un accident du travail. Elle est en assignation temporaire à partir du 1er juin 1999, et alternera, jusqu’à son retour au travail le 31 octobre 2000, des périodes d’assignation temporaire et des périodes d’arrêt de travail. Ces périodes se répartissent de la façon suivante :
1er juin au 2 août 1999 : assignation temporaire
3 août 1999 au 5 janvier 2000 : arrêt de travail
6 janvier au 22 février 2000 : assignation temporaire
23 février au 2 avril 2000 : arrêt de travail
3 avril au 4 mai 2000 : assignation temporaire
5 mai au 25 septembre 2000 : arrêt de travail
25 septembre au 31 octobre 2000 : assignation temporaire.
[12] D’après son témoignage, la travailleuse reçoit sa rémunération normale d’infirmière pendant ses périodes d’assignation temporaire. Le 22 juin 1999, elle est informée, au cours d’une conversation téléphonique avec une agente de la CSST, du fait qu’elle ne recevra aucune indemnité au regard de primes de disponibilité ou d’heures supplémentaires pendant ses périodes d’assignation temporaire. Elle déclare à l’audience avoir fait confiance à cette agente et ne pas avoir contesté les paies reçues à la suite de ses assignations temporaires.
[13] Dans la semaine du 2 octobre 2000, un collègue de la travailleuse, qui a été blessé au travail, l’informe du fait que, dans son cas à lui, ses primes de disponibilité et ses heures supplémentaires lui seront payées pendant son assignation temporaire. La travailleuse s’enquiert alors auprès de son employeur et de son syndicat des raisons pour lesquelles elle ne bénéficie pas du même traitement que son collègue. On lui répond qu’on la contactera après avoir fait des démarches pour se renseigner à ce sujet.
[14] Le 14 décembre 2000, son syndicat et son employeur l’informent qu’elle a droit à des primes de disponibilité, mais que, parce qu’elle ne les a pas demandées auparavant, leur paiement ne peut rétroagir que sur une période de six mois. Elle n’aurait donc droit à des primes de disponibilité qu’à compter du 10 avril précédent. Elle n’aurait par ailleurs droit au paiement d’aucune heure supplémentaire.
[15] Dans la semaine qui suit, la travailleuse rencontre un représentant de la C.S.N., monsieur Valois Pelletier, qui l’informe du fait qu’elle aurait droit au paiement de primes de disponibilité et d’heures supplémentaires. Il lui conseille de formuler une plainte à la CSST en vertu de l’article 32 de la loi.
[16] À l’audience, la travailleuse explique que les postes au bloc opératoire, tel le sien, sont des postes de jour. De plus, les infirmières du bloc opératoire doivent, à tour de rôle, être disponibles pour effectuer des heures supplémentaires lors des interventions qui surviennent d’urgence le soir et le week-end.
[17] Le représentant de la travailleuse dépose un extrait de la convention collective de travail qui s’applique au travail effectué en dehors des heures normales de travail. Les dispositions pertinentes à ce domaine se lisent ainsi :
« 19.07 Prime
La salariée en disponibilité après sa journée ou sa semaine régulière de travail reçoit, pour chaque période de huit (8) heures, une allocation équivalant à une heure à taux simple.
19.08 Disponibilité à tour de rôle
Lorsque les besoins d’un centre d’activité exigent du personnel en disponibilité, les salariées doivent s’y soumettre à tour de rôle à moins que :
a) un nombre suffisant de salariées se soient portées volontaires. Aux fins d’application du présent paragraphe, les salariées de l’équipe volante qui ont été appelées d’une manière fréquente à remplacer dans le centre d’activités peuvent se porter volontaires.
b) un nombre insuffisant de salariées se soient portées volontaires pour couvrir l’ensemble des besoins auquel cas les autres salariées ne sont appelées qu’à compléter les besoins. »
[18] Lors de son témoignage, la travailleuse déclare être de garde aux 15 jours et, depuis une période non précisée, aux trois semaines. Elle déclare aussi que son horaire normal est de 36 heures et quart par semaine et que, lors de ses semaines de garde, elle effectue en moyenne de 20 à 30 heures supplémentaires par semaine qui s’ajoutent à ses heures normales. Ces affirmations de la travailleuse ne sont pas contredites. Elle affirme d’ailleurs au cours de son témoignage : « Si j’avais pas été en accident du travail, j’aurais fait ces heures-là ». (sic)
[19] En réponse aux questions posées par le procureur de l’employeur, la travailleuse précise que le moment où elle effectue ces heures supplémentaires n’est pas prévu. En effet, lorsque la travailleuse commence son quart de travail normal le lundi matin, elle ne peut savoir quand elle effectuera des heures supplémentaires, puisque cela dépend des cas urgents qui doivent être traités au bloc opératoire. Cependant, la travailleuse réitère que les périodes de garde sont obligatoires et que, lorsqu’elle est appelée pendant ces périodes, elle doit obligatoirement faire des heures supplémentaires.
[20] Toujours en réponse aux questions posées par le procureur de l’employeur, la travailleuse explique que les tâches qu’elle effectue dans le cadre de son assignation temporaire sont celles de classer des documents, d’identifier des objets au bloc opératoire, de remplir des procédures et de travailler au magasin. Elle précise n’avoir aucune obligation de disponibilité pendant son assignation temporaire et n’effectuer aucune heure supplémentaire.
[21] Quant aux vacances, la travailleuse affirme avoir droit à 25 jours de vacances par année en raison de son ancienneté. Cet élément n’est pas contredit par l’employeur. Pendant la première année suivant son accident du travail, l’employeur lui a crédité 25 jours de vacances. C’est pendant la deuxième année qui a suivi son accident du travail que l’employeur a cessé de lui créditer des jours de vacances en raison d’une disposition de la convention collective de travail qui stipule ce qui suit :
« 23.42 À la fin de chaque mois de service rémunéré, on crédite à la salariée 0,8 jour ouvrable de congé-maladie. Aux fins du présent paragraphe, toute absence autorisée de plus de trente (30) jours interrompt l’accumulation des congés-maladie; toute absence autorisée de trente (30) jours ou moins n’interrompt pas cette accumulation.
Toute période d’invalidité continue de plus de douze (12) mois interrompt l’accumulation des jours de congé annuel et ce indépendamment de la période de référence prévue au paragraphe 21.01. »
[22] La travailleuse déclare que la période d’affichage des vacances se situe entre le 1er et le 15 mars. C’est pendant cette période de l’année 2001 qu’elle a pris connaissance du fait que l’employeur ne lui avait pas crédité 8,4 jours de vacances. Elle a donc porté plainte à la CSST le 20 mars suivant.
[23] Le représentant de la travailleuse soutient, en s’appuyant sur l’article 242 de la loi, qu’à la suite de sa lésion professionnelle, c’est-à-dire au moment de son retour, celle-ci avait droit de bénéficier du même nombre de jours de vacances que si elle avait continué à travailler pendant son absence résultant de sa lésion professionnelle.
[24] Le procureur de l’employeur est plutôt d’avis que la travailleuse n’a pas été victime d’une sanction au sens de l’article 32 de la loi, parce qu’elle aurait été traitée de la même manière si elle avait été absente pour une maladie personnelle, la convention collective ne faisant pas de distinction, aux fins de l’accumulation des journées de vacances, entre une absence causée par une lésion professionnelle et une absence consécutive à une maladie personnelle. Il soutient également que l’article 242 de la loi ne peut avoir d’effet rétroactif et que la situation de la travailleuse est prévue à l’article 235 de la loi. En vertu de cette dernière disposition, la travailleuse continue d’accumuler de l’ancienneté et du service continu pendant son absence en rapport avec une lésion professionnelle, mais pas de jours de vacances.
[25] La Commission des lésions professionnelles doit d’abord décider de la recevabilité de la plainte que la travailleuse a présentée le 22 décembre 2000.
[26] L’article 253[2] de la loi prévoit qu’une plainte formulée en vertu de l’article 32[3] de la loi doit être faite par écrit dans les 30 jours de la connaissance de l’acte, de la sanction ou de la mesure dont le travailleur se plaint. Par ailleurs, l’article 352[4] de la loi permet à la CSST de prolonger un délai que la loi accorde pour l’exercice d’un droit ou de relever une personne des conséquences de son défaut de l’avoir respecté, lorsque cette personne démontre un motif raisonnable pour expliquer son retard.
[27] Dans le présent dossier, la preuve révèle que la travailleuse a été informée par une agente de la CSST, le 22 juin 1999, qu’elle recevrait son salaire normal pendant ses périodes d’assignation temporaire et qu’aucune prime de disponibilité ni aucune rémunération ne lui serait versée en rapport avec des heures supplémentaires. Vers la même période, la travailleuse recevait sa première paie couvrant les heures travaillées dans le cadre de son assignation temporaire.
[28] Le tribunal constate que la plainte présentée par la travailleuse, le 22 décembre 2000, l’a été après l’expiration du délai de 30 jours prévu à l’article 253 de la loi. Cependant, il estime qu’il doit la relever des conséquences de son défaut d’avoir respecter ce délai, car il retient de son témoignage qu’elle a fait confiance à l’agente de la CSST et que cette dernière l’a mal informé alors qu’elle n’aurait pas dû se montrer aussi catégorique quant au fait qu’elle n’avait pas droit au paiement de primes de disponibilité ou d’heures supplémentaires, compte tenu du caractère obligatoire de la disponibilité requise de la part de la travailleuse et de sa situation factuelle quant aux heures supplémentaires qu’elle a réellement effectuées dans le passé et quant à celles qu’elle aurait normalement dû effectuer au bloc opératoire n’eut été de sa lésion professionnelle.
[29] L’employeur prétend que l’ignorance de la loi ne constitue pas un motif raisonnable pour être relevé des conséquences du défaut de respecter le délai ici en cause. Le tribunal est plutôt d’avis qu’il y a une distinction à faire entre ignorer la loi et recevoir une information erronée de la part d’une agente de la CSST, cette dernière situation étant celle qui prévaut en l’espèce.
[30] Le tribunal constate, en outre, que la travailleuse n’a pas été négligente dans sa démarche pour présenter une plainte puisque, dès qu’elle apprend de la part d’un collègue que celui-ci se verra payer des primes de disponibilité et des heures supplémentaires, elle se renseigne auprès de l’employeur et de son syndicat. Le délai qui découle du temps que prendront les personnes concernées pour répondre à la travailleuse ne peut être imputable à celle-ci qui dépose sa plainte huit jours seulement après avoir reçu une réponse de leur part.
[31] Par conséquent, le tribunal juge que la travailleuse fait valoir un motif raisonnable lui permettant d’être relevée des conséquences de son défaut d’avoir respecté le délai pour présenter sa plainte.
[32] La Commission des lésions professionnelles doit maintenant décider si la travailleuse a droit au paiement de primes de disponibilité et d’heures supplémentaires pendant ses périodes d’assignation temporaire. La disposition suivante de la loi prévoit la façon de traiter un travailleur à qui l’employeur assigne temporairement un travail :
« 180. L'employeur verse au travailleur qui fait le travail qu'il lui assigne temporairement le salaire et les avantages liés à l'emploi que ce travailleur occupait lorsque s'est manifestée sa lésion professionnelle et dont il bénéficierait s'il avait continué à l'exercer. »
[33] Le tribunal doit choisir entre deux courants jurisprudentiels en ce qui concerne l’interprétation qu’il faut donner à cet article. Pour ce faire, il estime opportun de se référer à la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Shell[5], car cette décision fait le point sur l’état actuel de la jurisprudence; quant au premier courant, elle en dit notamment ceci :
[80] Selon un premier courant jurisprudentiel, le travailleur n’a pas le droit de recevoir le salaire pour les heures supplémentaires lorsqu’il en assignation temporaire que si les heures étaient prévues avant la survenance de la lésion professionnelle et si le travailleur avait accepté de les faire15.
(…)
[104] Avec respect, la soussignée considère que c’est un peu comme si le tribunal exigeait un degré de certitude dans la preuve. Autrement dit, avant de payer des heures supplémentaires, le tribunal exigerait une preuve démontrant de manière certaine que le travailleur aurait effectivement travaillé les heures alors que le standard requis de la preuve est celui de la prépondérance. » (références omises)
[34] À propos du second courant jurisprudentiel, elle s’exprime ainsi :
[87] Quant au second courant jurisprudentiel, la jurisprudence reconnaît que le travailleur peut recevoir une compensation pour des heures supplémentaires durant son assignation temporaire19. Il convient d’en voir les principaux motifs invoqués sans les reprendre tous.
[88] Dans l’affaire Sobey’s inc. c. Parent20, la Commission des lésions professionnelles se rallie au second courant jurisprudentiel voulant que le but de l’article 180 de la loi soit de protéger la réalité des gains du travailleur. La Commission des lésions professionnelles conclut « qu’il est équitable que le travailleur reçoive dans le cadre d’une assignation temporaire une somme correspondant à la proportion du temps supplémentaire travaillé durant les mois précédant la période d’assignation temporaire suite à la survenance d’une lésion professionnelle. » Toutefois, la Commission des lésions professionnelles ajoute le commentaire pertinent suivant :
[45] La Commission des lésions professionnelles est d’avis que c’est une question de faits que celle de déterminer si un travailleur aurait effectué un tel travail en temps supplémentaire n’eut été de sa lésion professionnelle. La CALP dans l’affaire Girard et Sico inc. énonçait qu’un travailleur pouvait bénéficier d’une indemnité pour le temps supplémentaire lorsque cette possibilité devient une probabilité dont est privé le travailleur. Cette question de la probabilité qu’un travailleur effectue du temps supplémentaire alors qu’il est en assignation temporaire, est une question purement factuelle. La preuve de cet état pourra varier selon la nature des dossiers et selon les circonstances particulières soumises à l’attention du tribunal.
(…)
[105] Si le travailleur a droit au paiement des heures supplémentaires qu’il aurait probablement faites, n’eût été de sa lésion professionnelle, c’est principalement en raison de l’utilisation des termes : « et dont il bénéficierait s’il avait continué à l’exercer » employés à l’article 180 de la loi. L’utilisation de ces termes réfère à la situation réelle d’emploi du travailleur, n’eût été de sa lésion professionnelle, tel que l’a expliqué la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Centre d’accueil Louis Riel et Boivin (…)
[107] Avec respect, la soussignée préfère une interprétation qui s’en tient aux termes prévus par l’article 180 de la loi. Or, le salaire et les avantages que le travailleur a droit de recevoir pendant qu’il est en assignation temporaire comprend, outre le salaire rattaché à l’emploi qu’il occupait n’eût été de sa lésion professionnelle, le paiement des heures supplémentaires qu’il aurait fait n’eût été de sa lésion professionnelle. La question est de savoir s’il aurait fait des heures supplémentaires n’eût été de sa lésion professionnelle et, si oui, combien d’heures aurait-il faites? Il s’agit essentiellement d’une question de preuve qui doit tenir compte du contexte de chaque cas et dont le degré de certitude requis est celui de la prépondérance de preuve comme toute autre question à décider (…) » (sic)
[35] Le tribunal se range du côté du second courant jurisprudentiel qui, soit dit en passant, est nettement majoritaire, car il considère que le but de l’article 180 de la loi est de protéger la réalité des gains d’un travailleur et qu’il est équitable que celui-ci reçoive, dans le cadre d’une assignation temporaire, une rémunération qui tienne compte des heures supplémentaires qu’il aurait vraisemblablement travaillées n’eut été de sa lésion professionnelle. Le tribunal signale que la Commission des lésions professionnelles a tranché dans ce sens dans l’affaire Goodyear[6] et que la Cour supérieure et la Cour d’appel du Québec ont récemment jugé qu’il n’y avait pas lieu de réviser cette décision.
[36] En l’espèce, la Commission des lésions professionnelles retient l’affirmation non contredite de la travailleuse selon laquelle elle aurait, n’eut été de sa lésion professionnelle, travaillé entre 20 et 30 heures supplémentaires à chaque période de deux semaines, puisque ce sont les heures supplémentaires qu’elle effectuait régulièrement avant la survenance de sa lésion professionnelle. Ce nombre d’heures devra être ajusté en fonction d’une période de trois semaines selon la réalité vécue par les autres travailleuses au bloc opératoire comme l’a mentionné la travailleuse. Le caractère obligatoire de ces heures supplémentaires au bloc opératoire est également un élément important qui milite en faveur de la reconnaissance du fait que, n’eut été de sa lésion professionnelle, la travailleuse aurait effectué les heures supplémentaires qu’elle réclame.
[37] Il en est de même en ce qui concerne la question relative à la disponibilité qu’elle doit normalement assurer et aux primes qui y sont rattachées. D’ailleurs, l’employeur et le syndicat de la travailleuse se sont montrés d’accord à ce propos, sauf qu’ils ont émis une opinion voulant que le paiement de ces primes ne pouvaient débuter avant le 10 avril 2000 compte tenu du délai que la travailleuse a mis à présenter une demande à cet effet.
[38] Or, le tribunal a décidé plus tôt qu’il y a lieu de relever celle-ci des conséquences de son défaut d’avoir respecté le délai prévu à la loi pour présenter sa plainte à la CSST. Par conséquent, le tribunal estime que la travailleuse a droit au paiement de la prime de disponibilité pendant ses périodes d’assignation temporaire, et ce, à partir du 1er juin 1999.
[39] En ce qui a trait au paiement de ses vacances, le tribunal considère que la travailleuse a droit, au moment de son retour au travail à la suite de sa lésion professionnelle, à la totalité de ses crédits de vacances conformément à ce que prévoit l’article 242 de la loi qui se lit ainsi :
« 242. Le travailleur qui réintègre son emploi ou un emploi équivalent a droit de recevoir le salaire et les avantages aux mêmes taux et conditions que ceux dont il bénéficierait s'il avait continué à exercer son emploi pendant son absence.»
[40] À cet égard, le tribunal s’en remet à la décision de la Cour d’appel dans l’affaire Marin[7] selon laquelle est « rationnelle et fondée sur les textes pertinents la décision dont l’effet est de considérer parmi les avantages visés par l’article 242 de la loi l’indemnité calculée en incluant les heures d’absence en raison d’une lésion professionnelle. » Le tribunal juge que l’employeur n’est pas justifié de ne pas créditer à la travailleuse la totalité de ses crédits de vacances en raison des termes de la convention collective, puisque celle-ci ne peut octroyer aux travailleurs des avantages moindres que ceux prévus à la loi qui est d’ordre public : en effet, l’article 4 de la loi dispose ainsi :
« 4. La présente loi est d'ordre public.
Cependant, une convention ou une entente ou un décret qui y donne effet peut prévoir pour un travailleur des dispositions plus avantageuses que celles que prévoit la présente loi. »
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
Dossier n° 201865-09-0303
ACCUEILLE la requête de madame Clermonde Watts;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue, le 10 mars 2003, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que madame Watts a droit au paiement de 25 heures supplémentaires à raison d’une semaine sur deux, ou d’une semaine sur trois selon l’époque, pendant les périodes où elle a été en assignation temporaire à la suite de sa lésion professionnelle du 26 avril 1999;
DÉCLARE que madame Watts a droit au paiement de primes de disponibilité pendant les périodes où elle a été en assignation temporaire à la suite de sa lésion professionnelle du 26 avril 1999;
ORDONNE auCentre hospitalier régional de Baie-Comeau de lui payer ces heures supplémentaires et ces primes de disponibilité.
Dossier n° 205791-09-0304
REJETTE la requête du Centre hospitalier régional de Baie-Comeau;
CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue, le 20 mars 2003, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que madame Clermonde Watts a droit au paiement de 8,4 jours de vacances en sus des 16,6 jours qui lui ont déjà été payés à la suite de sa lésion professionnelle du 26 avril 1999;
ORDONNE au Centre hospitalier régional de Baie-Comeau de lui payer ces jours additionnels de vacances.
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Jean-Maurice Laliberté |
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Commissaire |
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M. Valois Pelletier |
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C.S.N. |
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Représentant de la travailleuse |
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Me François Boisjoli |
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SAVARD, NADEAU et ASSOCIÉS |
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Représentant de l’employeur |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] « 253. Une plainte en vertu de l'article 32 doit être faite par écrit dans les 30 jours de la connaissance de l'acte, de la sanction ou de la mesure dont le travailleur se plaint. »
[3] « 32. L'employeur ne peut congédier, suspendre ou déplacer un travailleur, exercer à son endroit des mesures discriminatoires ou de représailles ou lui imposer toute autre sanction parce qu'il a été victime d'une lésion professionnelle ou à cause de l'exercice d'un droit que lui confère la présente loi.
Le travailleur qui croit avoir été l'objet d'une sanction ou d'une mesure visée dans le premier alinéa peut, à son choix, recourir à la procédure de griefs prévue par la convention collective qui lui est applicable ou soumettre une plainte à la Commission conformément à l'article 253. »
[4] « 352. La Commission prolonge un délai que la présente loi accorde pour l'exercice d'un droit ou relève une personne des conséquences de son défaut de le respecter, lorsque la personne démontre un motif raisonnable pour expliquer son retard. »
[5] Shell Canada ltée et Perron, [2004] C.L.P. 517 .
[6] Goodyear Canada inc. et Pucacco, C.L.P. 188675-62C-0208, 26 mars
[7] [1996] C.A.L.P. 1339 .
AVIS :
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