Hôpital Charles LeMoyne |
2011 QCCLP 546 |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 21 août 2009, Hôpital Charles-Lemoyne (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en révision ou en révocation à l’encontre d’une décision rendue par le tribunal le 29 juillet 2009.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles rejette la requête de l’employeur, confirme la décision rendue le 8 janvier 2008 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative et déclare que l’employeur doit assumer la totalité du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par monsieur Alain Fortier (le travailleur) le 30 juillet 2004.
[3] L’employeur est représenté à l’audience tenue à Longueuil devant la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision, après quoi l’affaire est mise en délibéré.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] L’employeur invoque l’article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) et demande à la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision de réviser la décision rendue par le tribunal le 29 juillet 2009 au motif qu’elle contient un vice de fond de nature à l’invalider.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[5] La Commission des lésions professionnelles siégeant en révision doit décider s’il y a lieu de réviser ou de révoquer la décision rendue par le tribunal le 29 juillet 2009.
[6] Après avoir pris connaissance de la preuve, la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision conclut par l’affirmative. Cette conclusion repose sur les éléments suivants.
[7] Selon l’article 429.49 de la loi, les décisions de la Commission des lésions professionnelles sont finales et sans appel.
[8] Une décision peut toutefois être révisée ou révoquée sous certaines conditions prévues à l’article 429.56 de la loi.
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[9] Il appartient à la partie qui demande la révision ou la révocation d’une décision de démontrer au moyen d’une preuve prépondérante l’un des motifs prévus par le législateur à l’article 429.56 de la loi, en l’occurrence un vice de fond de nature à l’invalider.
[10] Depuis les décisions rendues dans les affaires Produits forestiers Donohue inc. et Franchellini[2], la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision interprète la notion de « vice de fond de nature à invalider la décision » comme faisant référence à une erreur manifeste en droit ou en fait qui a un effet déterminant sur le sort du litige. C’est donc dire que le pouvoir de révision ou de révocation est une procédure d’exception qui a une portée restreinte.
[11] D’ailleurs, la Cour d’Appel dans les arrêts Fontaine et Touloumi[3] a donné son aval à cette interprétation en disant qu’une requête en révision interne ne peut être accueillie que lorsque la décision rendue est entachée d’une erreur dont la gravité, l’évidence et le caractère déterminant ont été démontrés.
[12] Ainsi, il y a une erreur manifeste et déterminante lorsqu’une conclusion n’est pas supportée par la preuve et repose plutôt sur des hypothèses, lorsqu’une décision repose sur de fausses prémisses, fait une appréciation manifestement erronée de la preuve ou adopte une méthode qui crée une injustice certaine[4].
[13] Le premier juge administratif devait décider si l’employeur avait droit au partage de coûts prévu à l’article 329 de la loi dans le cas d’un travailleur déjà handicapé.
[14] Le premier juge administratif reproduit l’article 329 de la loi, constate que la demande de partage a été produite dans le délai qui y est prévu et se réfère à la définition de travailleur déjà handicapé retenue par le tribunal depuis la décision rendue dans l’affaire Municipalité Petite-Rivière-St-François[5], à savoir un travailleur qui présente une déficience physique ou psychique qui a entraîné des effets sur la production de la lésion professionnelle ou sur ses conséquences.
[15] Au paragraphe [13] de sa décision, le premier juge administratif rappelle que la déficience peut être congénitale ou acquise, qu’elle peut se traduire par une limitation des capacités et qu’elle peut également exister sans s’être manifestée avant la survenance de la lésion professionnelle. Il rappelle de plus qu’il faut faire une distinction entre un état personnel et une déficience, car ce ne sont pas tous les états personnels qui peuvent correspondre à cette notion de déficience.
[16] Au paragraphe suivant, le premier juge administratif expose les critères retenus par la jurisprudence pour évaluer la contribution de la déficience dans l’apparition de la lésion professionnelle.
[17] Ramenant ces principes au litige dont il est saisi, le premier juge administratif indique que le travailleur, âgé de 33 ans et technicien en radiologie pour le compte de l’employeur, subit une lésion professionnelle le 30 juillet 2004 : lors du transfert d’un patient d’une civière à la table d’examen, il ressent une douleur au bas du dos. Le diagnostic initial est une entorse lombaire. Par la suite, va apparaître le diagnostic de hernie discale lombaire, lequel diagnostic ne sera pas reconnu par la CSST, mais le sera à la suite d’un accord entériné par le tribunal, accord dont il sera question plus loin.
[18] Le premier juge administratif retient que dès le 2 août 2004, le médecin traitant note la présence d’une sciatalgie gauche et qu’une tomodensitométrie passée le 22 octobre 2004 confirme la présence d’une hernie discale au niveau L5-S1 gauche qui ne comprime cependant pas les racines, qu’il n’y a pas non plus de sténose et que les autres niveaux sont dans les limites de la normale, sans arthrose facettaire.
[19] De même, le premier juge administratif fait mention du résultat d’une résonance magnétique passée le 28 octobre 2004 qui met en évidence des signes de dégénérescence discale L5-S1 avec une perte de l’hyper signal discal de même qu’une légère hernie discale médiane à large rayon de courbure, sans évidence franche de compression du sac dural ou radiculaire. Les autres niveaux sont décrits comme étant normaux.
[20] Le premier juge administratif retient également que le travailleur, qui a été référé en neurochirurgie, se voit recommander divers traitements, soit des épidurales, de la physiothérapie et un arrêt de travail jusqu’au 9 février 2005, date à laquelle le docteur Demers, neurochirurgien, recommande un retour progressif avec des limitations fonctionnelles de classe 3 à titre préventif.
[21] Aux paragraphes [22] et [23] de sa décision, le premier juge administratif écrit que :
« [22] Le 16 février 2005, le docteur Jacques Desnoyers, chirurgien orthopédiste, examine le travailleur à la demande de l’employeur. Il retient le diagnostic d’entorse lombaire consolidée le 31 août 2004, puisqu’à ce moment apparaît le diagnostic de lombosciatalgie d’allure discogénique. Le médecin reconnaît par ailleurs que le travailleur a ressenti au travail la manifestation d’un état personnel de dégénérescence discale L5-S1. Il juge que cette lésion n’est pas consolidée. Il est d’avis qu’il est inhabituel chez un travailleur de cet âge de retrouver des dégénérescences discales. Il est d’avis qu’il n’y a pas eu de mécanisme traumatique qui aurait pu générer une telle symptomatologie d’une aussi longue durée.
[23] Il estime qu’une entorse lombaire qui n’aurait pas été greffée sur une dégénérescence discale aurait dû être consolidée beaucoup plus tôt. Elle aurait dû s’améliorer avec la physiothérapie alors que dans le cas du travailleur cette physiothérapie n’a donné aucun résultat. L’amélioration de son état rapportée par le travailleur l’a été à la suite des épidurales. Or, il est d’avis que ces traitements ne sont pas en relation avec une entorse lombaire. Il est d’avis que le délai de consolidation est en lien avec la dégénérescence discale. Si l’entorse est reconnue, il estime que seules les six premières semaines devraient être imputées à l’employeur. »
[22] Le premier juge administratif constate ensuite que le rapport final est daté du 18 mai 2005 en regard d’un diagnostic de hernie discale L5-S1, cela sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles et que le travailleur présente une récidive de ses douleurs lombaires le 21 novembre 2005 à la suite d’un effort fait à son domicile.
[23] Une autre résonance magnétique passée ce jour-là met en évidence un début de dégénérescence discale au niveau L4-L5, un minime bombement discal circonférentiel à ce niveau. Au niveau L5-S1, des phénomènes de dégénérescence discale sont observés de même qu’une petite hernie discale postérieure à large rayon de courbure indentant de façon minime la face antérieure du sac thécal et présentant un contact avec la portion supérieure de la racine émergente S1, sans signe de compression radiculaire.
[24] Le premier juge administratif fait ensuite état d’une entente entérinée par la Commission des lésions professionnelles le 28 février 2004 déclarant que l’événement du 30 juillet 2004 a rendu symptomatique une condition personnelle préexistante et asymptomatique de hernie discale L5-S1.
[25] En référence à la demande de partage de coûts déposée par l’employeur, le premier juge administratif tient compte d’une opinion sur dossier préparée par le docteur Michel Hurtubise le 15 juillet 2009. Il écrit que dans ce document :
« […] le médecin s’appuie sur l’expertise du docteur Desnoyers pour affirmer que la lésion du 30 juillet 2004 n’est en fait que la manifestation d’une dégénérescence discale L5-S1 en expliquant que l’effort fait par le travailleur ne correspond pas à la définition d’une entorse lombaire. Il estime que les constatations faites à la résonance magnétique ne résultent pas d’un processus normal de vieillissement à l’âge de 33 ans. Il s’exprime comme suit :
[…] Quoiqu’on puisse commencer à voir certains signes de dégénérescence discale à la résonance magnétique dans la trentaine, ce qui est hors norme ici sont la hernie discale et l’évolution rapide de la pathologie à différents niveaux qui témoignent d’une maladie dégénérative active qui était déjà présente avant l’événement et qui continue d’évoluer rapidement. […]
En médecine, la clinique prime toujours sur l’imagerie. D’un état asymptomatique, la maladie se déclare un jour et devient objective. Le patient est devenu symptomatique d’une discopathie et d’une hernie L5-S1. La hernie est directement tributaire de la maladie discale dégénérative. Nul ne se fait une hernie sur un disque sain. La hernie discale L5-S1 s’est cliniquement manifestée le 30 juillet 2004 sous forme de lombalgie suivie quelques jours plus tard d’une sciatalgie. Les symptômes duremériens relèvent de la discopathie et non d’une entorse. N’eut été de cette maladie discale lombaire, en l’absence d’un événement susceptible de causer une entorse tel que déjà discuté, il n’y aurait point eu d’incident le 30 juillet. Ainsi, en plus d’être responsable de la survenance de l’incident, la maladie discale a très clairement prolongé la consolidation au-delà des quatre à six semaines habituelles pour une entorse lombaire.
[…] Les épidurales, qui ont soulagé le patient, sont des traitements invasifs pour la discopathie et non pas pour l’entorse lombaire. […]
CONCLUSION :
La maladie discale dégénérative lombaire était préexistante à l’événement. C’est confirmé par la symptomatologie précoce de la hernie discale et corroborée par la résonance magnétique. D’ailleurs, le 28 février 2007, la CLP a reconnu sagement que la hernie discale L5-S1 est devenue symptomatique le 30 juillet 2004.
Cette maladie discale dégénérative lombaire est hors norme parce qu’elle présente une hernie discale précoce et elle est multi étagée. Cette condition personnelle est responsable et de la survenance de l’événement et de la prolongation de la consolidation au-delà des six semaines habituelles. Les traitements étaient pour la discopathie et non pour l’entorse lombaire.
Cette discopathie a donc joué un rôle prépondérant dans la survenance de l’incident et elle est aussi responsable des frais de traitements et de réparation au-delà des quatre à six semaines habituelles. Votre demande de partage de 90/10 est médicalement justifiée. »
[26] Puis, des paragraphes [34] à [44], le premier juge administratif rapporte les arguments du procureur de l’employeur.
[27] Le premier juge administratif en vient à la conclusion que l’employeur ne lui a pas démontré l’existence d’un handicap avant la survenance de la lésion professionnelle et il explique ses motifs du paragraphe [35] au paragraphe [70].
[28] Le premier juge administratif retient d’abord que la lésion professionnelle reconnue est une hernie discale rendue symptomatique par l’événement survenu au travail le 30 juillet 2004. Il rappelle ensuite au paragraphe [47] de sa décision que l’employeur prétend que puisque cette hernie discale a été rendue symptomatique par l’événement, elle témoigne d’un état personnel de dégénérescence discale qui a joué un rôle dans la survenance de cette lésion professionnelle en s’appuyant sur les propos du docteur Hurtubise.
[29] Il écrit ensuite qu’il estime ne pas être lié par le libellé d’une entente de conciliation aux fins du litige dont il est saisi et qu’il lui appartient d’apprécier l’existence d’une déficience au sens de la définition donnée précédemment. Il réfère à deux décisions du tribunal[6] à l’effet que le libellé d’une entente en conciliation entérinée par le tribunal dans le cadre de l’admissibilité d’une lésion professionnelle ne doit pas avoir pour effet de diminuer le fardeau de preuve qui incombe à l’employeur dans la démonstration de l’existence d’un handicap avant la survenance de la lésion professionnelle.
[30] Ainsi donc, écrit le premier juge administratif, même si l’entente reconnaît que la hernie discale s’est manifestée le 30 juillet 2004, cela ne constitue pas une démonstration d’un handicap au sens de l’article 329 de la loi.
[31] Au paragraphe [54], il ajoute que l’on sait que la hernie existe à partir de l’événement, mais que « rien dans la preuve avancée par l’employeur ne vient confirmer que cette hernie discale L5-S1 était déjà présente avant l’événement. » Il écrit que le docteur Hurtubise n’apporte aucune preuve de la préexistence de cette hernie et qu’il se fie plutôt au libellé de la décision du tribunal entérinant une entente.
[32] Le premier juge administratif poursuit son raisonnement aux paragraphes [56] et suivants en disant que le docteur Hurtubise affirme qu’une hernie ne peut se produire que sur un disque qui n’est pas sain, qu’il n’est pas inhabituel de retrouver des signes de dégénérescence discale même chez les travailleurs de l’âge du travailleur, que ce qui est anormal selon lui, c’est la hernie discale. Or, poursuit le premier juge administratif, c’est précisément cette hernie discale qui a été reconnue à titre de lésion professionnelle. Il ne retient donc pas l’opinion du docteur Hurtubise pour qui, si le travailleur a présenté une hernie discale le 30 juillet 2004, c’est qu’elle était déjà présente avant.
[33] Puis, au paragraphe [61] de sa décision, le premier juge administratif écrit ce qui suit :
[61] Tout au plus, pouvons-nous affirmer que le travailleur pouvait présenter une certaine dégénérescence discale qui, lors de l’effort avec mouvement de torsion du tronc, effectué le 30 juillet 2004, a culminé en causant les douleurs immédiates avec limitations d’amplitude articulaire et amenant une sciatalgie qui s’est manifestée ensuite rapidement, témoignant d’une irritation radiculaire. La hernie ne fait pas de compression de la racine, mais est tout de même en contact avec le sac dural, selon le rapport de la résonance magnétique. D’ailleurs à ce propos, le tribunal note que la résonance magnétique de novembre 2004 fait mention de signes de dégénérescence au seul niveau L5-S1 alors que le docteur Hurtubise mentionne qu’elle est multi étagée.
[34] Au paragraphe [62] de la décision, le premier juge administratif écrit qu’on ne peut envisager que la lésion professionnelle reconnue soit considérée comme un handicap au sens de l’article 329 puisque cela équivaudrait à faire en sorte qu’une lésion professionnelle reconnue n’aurait pas dû l’être.
[35] Il poursuit son raisonnement en disant que si le travailleur était porteur d’une hernie discale avant l’événement, la preuve offerte ne le démontre pas et que puisque la hernie s’est manifestée à ce moment-là, c’est que le geste accompli par le travailleur lui a permis de se manifester.
[36] Le premier juge administratif ajoute que tout le tableau clinique au dossier ne témoigne pas de l’existence d’une hernie discale avant l’événement puisque le travailleur accomplissait son travail sans difficulté selon les informations au dossier et que les signes cliniques sont apparus à la suite de l’effort fait au travail et dans un délai si court qu’il devient improbable que ce ne soit pas l’effort qui ait permis à la hernie de se produire ou de se manifester.
[37] De plus, estime-t-il, si comme le prétend l’employeur l’effort accompli par le travailleur n’était pas de nature à causer la hernie discale, il eût fallu qu’il conteste l’admissibilité de la réclamation du travailleur, mais qu’à partir du moment où le diagnostic de hernie discale a été reconnu comme une lésion professionnelle, il devient difficile de le faire reconnaître comme un handicap ou une déficience au sens de l’article 329 de la loi.
[38] Enfin, le premier juge administratif ajoute au paragraphe [69] de sa décision « qu’il ne croit pas que les termes d’une entente de conciliation faite dans le cadre de l’admissibilité d’une réclamation aient un caractère liant en regard de la question de la déficience ou du handicap, et ce, même si le libellé est plus nuancé que simplement parler de la préexistence d’un état personnel ».
[39] Le procureur de l’employeur soumet à la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision que le premier juge administratif a commis, dans son analyse de la preuve et des faits, plusieurs erreurs qu’il estime déterminantes quant à l’issue du litige.
[40] D’abord, il considère que le premier juge administratif n’avait pas à remettre en question le dispositif de l’accord intervenu entre les parties puisque ce n’est pas de cela dont il était saisi. Il devait simplement lui donner effet et décider si la condition personnelle de hernie discale L5-S1, devenue symptomatique à l’occasion de l’événement, dépassait la norme biomédicale.
[41] Certes, une entente intervenue dans le cadre de l’admissibilité d’un diagnostic ne lie pas le premier juge administratif lorsque vient le temps pour celui-ci de se prononcer sur une demande de partage de coûts. Cependant, le procureur était partie à cette entente et il est d’avis que le dispositif de celle-ci est le reflet de ce que démontrait la preuve médicale, à savoir que le travailleur présentait déjà au moment de l’apparition de la lésion professionnelle une hernie discale qui était asymptomatique.
[42] Il reproche également au premier juge administratif d’avoir utilisé le dispositif de l’entente pour conclure que puisque la hernie discale L5-S1 a été reconnue à titre de lésion professionnelle, elle ne peut constituer un handicap. L'entente est plutôt à l’effet que l’événement a rendu symptomatique une condition personnelle préexistante de hernie discale L5-S1. Or, selon la définition d’un travailleur déjà handicapé retenue par le tribunal, une déficience peut être asymptomatique.
[43] Autre erreur déterminante à son avis, c’est que le docteur Desnoyers, lors de son examen, a demandé au travailleur de lui décrire les circonstances de son accident. Or, le docteur Desnoyers écrit que le travailleur s’est penché et a tiré sur un patient pour tenter de le soulever, qu’il s’agit d’un geste habituel qui n’a été accompagné d’aucun incident en particulier. Cependant, au paragraphe [61] de la décision, le premier juge administratif parle d’un mouvement de torsion du tronc. Le procureur se demande où le premier juge administratif a pu voir dans la preuve au dossier ce mouvement de torsion puisqu’il n’est mentionné à nulle part.
[44] Le procureur poursuit en disant que la prépondérance de preuve médicale, en particulier les opinions des docteurs Desnoyers et Hurtubise, va dans le même sens, à savoir que le travailleur était porteur d’une déficience qui dévie de la norme biomédicale avant la survenance de l’événement, de sorte qu’il faut dire pourquoi l’on écarte leurs opinions.
[45] La Commission des lésions professionnelles siégeant en révision considère que l'employeur a rencontré son fardeau de démontrer un vice de fond de nature à invalider la décision rendue par le tribunal.
[46] L’hypothèse du premier juge administratif exposée au paragraphe [61] de la décision, dans lequel il est question d’un mouvement de torsion du tronc, est certes une erreur puisque rien de tel n’apparaît dans la preuve.
[47] Cependant, la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision est d'avis que cette erreur n’est pas déterminante quant à l’issue du litige. Elle aurait pu l’être si le litige avait consisté à décider de l’admissibilité d’une lésion professionnelle parce qu’alors, cette affirmation aurait eu pour effet de dénaturer la preuve au sujet du fait accidentel. Mais, tel que déjà dit, le tribunal devait se prononcer sur un partage de coûts.
[48] Puisque le premier juge administratif était saisi d’un recours déposé par l’employeur à l'encontre d’une décision rendue par la CSST à la suite d’une révision administrative qui déclarait qu’il n’avait pas droit au partage du coût des prestations dans le cas d’un travailleur déjà handicapé, c’est là-dessus qu’il devait se prononcer.
[49] Dans l’affaire soumise au premier juge administratif, il est en preuve que le travailleur a contesté jusque devant le tribunal les décisions de la CSST refusant de reconnaître la relation entre le diagnostic de hernie discale L5-S1 et la lésion professionnelle du 30 juillet 2004. Et c’est dans le contexte de cette contestation de la part du travailleur qu’est intervenu un accord entériné par le tribunal.
[50] Le dispositif de la décision du 28 février 2007 qui entérine l’accord intervenu entre le travailleur et l’employeur est à l’effet que l'événement du 30 juillet 2004 a rendu symptomatique une condition personnelle préexistante et asymptomatique de hernie discale L5-S1. Aux fins de la discussion, il importe de reproduire le dispositif de cet accord :
DOSSIER 260001-62-0504
ACCUEILLE la requête de monsieur Alain Fortier, le travailleur;
IINFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail, rendue le 30 mars 2005 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que l’événement du 30 juillet 2004 a rendu symptomatique une condition personnelle préexistante et asymptomatique de hernie discale L5-S1;
DÉCLARE que le travailleur a droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, pour la condition préexistante et asymptomatique de hernie discale L5-S1, rendue symptomatique suite à l’événement du 30 juillet 2004.
[51] Il est vrai comme le souligne le premier juge administratif que la jurisprudence[7] de la Commission des lésions professionnelles est à l’effet que celle-ci, dans le cadre de l’analyse d’une demande de partage de coûts, n’est pas liée par le libellé d’une entente en conciliation intervenue lors d’un litige concernant l’admissibilité d’une lésion professionnelle. L’admissibilité d’une lésion professionnelle est une chose et la démonstration d’un handicap en est une autre.
[52] L’affirmation de ce principe par le premier juge administratif n’est donc pas erronée puisqu’elle repose sur la jurisprudence élaborée par le tribunal.
[53] Cependant, il apparaît au tribunal siégeant en révision qu’en l’espèce, il est difficile de ne pas retenir que selon la décision précédente du tribunal, qui n’a pas été révoquée, qui est devenue finale et qui doit produire ses effets, l’événement a rendu symptomatique une condition personnelle préexistante et asymptomatique de hernie discale L5-S1.
[54] La Commission des lésions professionnelles siégeant en révision estime en effet que la décision précédente du tribunal, non révoquée et qui a acquis un caractère final doit avoir des effets juridiques. L'un de ces effets est de reconnaître l'existence d’une condition personnelle préexistante et asymptomatique de hernie discale L5-S1.
[55] Dans ces circonstances et compte tenu que le premier juge administratif devait se prononcer sur une demande de partage de coûts, la démarche qu’il devait suivre ne consistait pas à remettre en question les termes de la décision précédente du tribunal entérinant un accord.
[56] Le premier juge administratif ne pouvait pas affirmer, comme il le fait au paragraphe [54] de sa décision, que « rien dans la preuve ne vient confirmer que cette hernie discale L5-S1 était déjà présente avant l’événement » puisque la décision du tribunal entérinant un accord déclarait au contraire « que l’événement du 30 juillet 2004 a rendu symptomatique une condition personnelle préexistante et asymptomatique de hernie discale L5-S1 ».
[57] Il devait plutôt se demander si la condition personnelle de hernie discale L5-S1 devenue symptomatique à la suite de la lésion professionnelle, comme l’a reconnu la Commission des lésions professionnelles dans la décision entérinant l’accord, constitue une déficience qui dévie de la norme biomédicale et si oui, si elle a eu une influence sur la survenance de la lésion professionnelle ou sur ses conséquences.
[58] Or, en l’espèce, ce n’est pas cette démarche intellectuelle qui a été adoptée. Le premier juge administratif a plutôt discuté du bien-fondé de la décision précédente du tribunal entérinant un accord dans un contexte d’admissibilité d’une lésion professionnelle alors que ce qu’il devait décider, c’est si le travailleur présentait une déficience physique qui dévie de la norme biomédicale et constitue un handicap.
[59] En cela, la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision est d’avis que le tribunal a commis une erreur de droit en se prononçant sur une question déjà réglée par une décision précédente du tribunal, qu’il n’avait pas à remettre en question et qu’il ne pouvait non plus ignorer.
[60] Dans les circonstances particulières du présent cas et compte tenu du libellé du dispositif de la décision entérinant un accord, la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision est d’avis que le premier juge administratif a commis une erreur manifeste et déterminante ayant un effet sur le sort du litige dont il devait disposer.
[61] La Commission des lésions professionnelles siégeant en révision rappelle que la reconnaissance d’une condition personnelle préexistante et asymptomatique dans une décision entérinant un accord n’a pas systématiquement pour effet qu’un partage de coûts sera accordé. D’ailleurs, c’est ce qui s’est produit dans les affaires Camille Mailloux R.D.L. inc. et Supermarché Marquis inc.[8] citées par le premier juge administratif.
[62] Dans l’affaire Camille Mailloux R.D.L. inc., un accord avait pris acte d’une « admission des parties concernant la condition personnelle de douleur du coccyx » chez le travailleur. Le juge administratif, saisi d'une demande de partage de coûts, avait refusé la demande en indiquant que l'admission des parties ne pouvait constituer à elle seule une preuve que cette condition constitue un handicap.
[63] Dans l’affaire Supermarché Marquis inc., un accord avait conduit à la reconnaissance d’un accident du travail « sur un portrait de condition personnelle préexistante de maladie discale dégénérative » et le juge administratif a écrit que l’admission des parties n’entraîne pas que l’on doive nécessairement conclure à l’existence d’un handicap préexistant puisqu’il s’agit là de deux concepts bien distincts.
[64] En l’espèce, puisque la décision rendue par le premier juge administratif comporte un vice de fond de nature à l’invalider, il y a lieu de la réviser.
[65] L’employeur demande un partage de coûts tel que prévu à l’article 329 de la loi :
329. Dans le cas d'un travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle, la Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer tout ou partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités.
L'employeur qui présente une demande en vertu du premier alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien avant l'expiration de la troisième année qui suit l'année de la lésion professionnelle.
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1985, c. 6, a. 329; 1996, c. 70, a. 35.
[66] Dans le cas du travailleur, la lésion professionnelle est survenue le 30 juillet 2004 et la demande de partage a été produite le 13 mars 2007. Elle se trouve donc à être produite dans le délai prévu à l’article 329 de la loi.
[67] Un travailleur déjà handicapé au sens de l’article 329 de la loi est un travailleur qui présente une déficience avant la survenance de la lésion professionnelle. Cette déficience peut consister en un amoindrissement d’une substance, d’une structure ou d’une fonction psychologique, physiologique ou anatomique qui correspond à une déviation par rapport à une norme biomédicale. Elle peut être congénitale ou acquise, latente ou apparente. De plus, il doit être démontré que cette déficience a eu un rôle à jouer, que ce soit dans la survenance de la lésion professionnelle ou sur ses conséquences[9].
[68] Au sujet de la démonstration d’une déficience, le tribunal retient aux termes d’un accord intervenu entre les parties que le travailleur présente une condition personnelle préexistante de hernie discale L5-S1, devenue symptomatique à la suite de la lésion professionnelle.
[69] La question se pose de savoir si cette condition personnelle de hernie discale L5-S1 équivaut à une déficience physique qui dévie de la norme biomédicale et si elle a eu un rôle à jouer dans l’apparition de la lésion professionnelle ou sur ses conséquences.
[70] À cet égard, il y a lieu de retenir que le travailleur était âgé de 33 ans au moment de la survenance de la lésion professionnelle le 30 juillet 2004. Technicien en radiologie, à cette date, il ressent une douleur au bas du dos en transférant un patient de la civière à la table d’examen. C’est ce qui est indiqué dans le formulaire Avis de l'employeur et demande de remboursement.
[71] Dans son expertise du 14 février 2005, le docteur Desnoyers s’est prononcé sur la question d’une déficience chez le travailleur en disant que sa condition est inhabituelle pour un individu de 33 ans et qu’elle déborde de la norme biomédicale.
[72] Le docteur Michel Hurtubise, médecin-conseil en santé et sécurité du travail s’est aussi prononcé sur cette question. Après avoir passé le dossier en revue, il écrit que les docteurs Kassad et Desnoyers n’ont pas retrouvé de signes compatibles avec une entorse lombaire tels un spasme, une déviation ou une contracture. D’ailleurs, pour s’infliger une entorse, il faut l’intervention d’un événement extrinsèque soudain et imprévu avec force et violence pour outrepasser les capacités de résistance des structures impliquées.
[73] Faisant référence à l’imagerie médicale, le docteur Hurtubise est d’avis que bien que l’on puisse commencer à voir certains signes de dégénérescence à la résonance magnétique chez un individu dans la trentaine, ce qui est hors norme dans le cas du travailleur âgé de 33 ans, c’est la hernie L5-S1 et l’évolution rapide de la pathologie à différents niveaux qui témoigne d’une maladie dégénérative active qui était déjà présente avant l’événement et qui continue à évoluer par la suite.
[74] Le docteur Hurtubise est d’opinion que le patient est devenu symptomatique d’une hernie discale L5-S1 déjà présente, que la hernie est directement tributaire de la maladie discale dégénérative et que la hernie discale L5-S1 s’est cliniquement manifestée sous forme de lombalgie suivie quelques jours plus tard d’une sciatalgie. Les symptômes duremériens présentés par le travailleur relèvent de la discopathie et non d’une entorse. N’eût été de cette hernie discale L5-S1 préexistante et en l’absence d’un événement susceptible de causer une entorse, il n’y aurait pas eu d’incident le 30 juillet 2004. Ainsi, en plus d’être responsable de la survenance de l’incident, la hernie discale L5-S1 a très clairement prolongé la consolidation au-delà des quatre à six semaines habituelles requises pour une entorse lombaire. Les épidurales qui ont soulagé le travailleur sont des traitements invasifs pour la discopathie et non pour une entorse lombaire.
[75] La Commission des lésions professionnelles retient les opinions des docteurs Desnoyers et Hurtubise selon lesquelles la hernie discale L5-S1 que présente le travailleur, âgé de 33 ans au moment de l’apparition de la lésion professionnelle, est une déficience physique qui dévie de la norme biomédicale et qui a eu une influence dans l’apparition de la lésion professionnelle et sur ses conséquences.
[76] Les opinions des docteurs Desnoyers et Hurtubise et les termes de l’accord entériné par le tribunal démontrent de façon prépondérante que la condition personnelle de hernie discale L5-S1 qui était asymptomatique avant l’événement l’est alors devenue. Aux dires des deux médecins, cette hernie discale L5-S1 constitue une déficience qui dévie de la norme biomédicale, étant donné que le travailleur n’était âgé que de 33 ans au moment de la survenance de la lésion professionnelle. Compte tenu de ceci, il est permis d’affirmer que la déficience a eu un rôle à jouer dans l’apparition de la lésion professionnelle.
[77] Les deux médecins sont également d’avis que la déficience a eu un rôle à jouer sur les conséquences de la lésion professionnelle. Leurs opinions non contredites démontrent que les traitements reçus l’ont été en regard de la dégénérescence discale et la période de consolidation dépasse largement ce que l’on retrouve habituellement en pareil cas.
[78] Vu ce qui précède, il y a lieu d’accorder à l'employeur un partage de coûts de l’ordre de 5 % à son dossier, le 95 % restant devant être assumé par les employeurs de toutes les unités.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête en révision déposée le 21 août 2009 par Hôpital Charles-Lemoyne, l’employeur;
RÉVISE la décision rendue le 29 juillet 2009 par le tribunal;
ACCUEILLE la requête de l’employeur;
INFIRME la décision rendue le 8 janvier 2008 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que l’employeur a droit à un partage de coûts de l’ordre de 5 % à son dossier en relation avec la lésion professionnelle subie par monsieur Alain Fortier le 30 juillet 2004, le 95 % restant devant être assumé par les employeurs de toutes les unités.
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Lise Collin |
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Me Jean-Guy Payette |
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Grégoire, Payette & Rhéaume |
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Représentant de la partie requérante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Produits Forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733 ; Franchenelli et Sousa, [1998] C.L.P. 783 .
[3] CSST et Fontaine, [2005] C.L.P. 626 ; CSST et Touloumi, [2005] C.L.P. 921 (C.A.).
[4] Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733 .
[5] [1999] C.L.P. 779 .
[6] Camille Mailloux R.D.L. inc., C.L.P. 340416-01A-0802, 9 décembre 2008, M. Racine; Supermarché Marquis inc., C.L.P. 364831-63-0812, 16 juillet 2009, J.-P. Arsenault.
[7] Précitée, note 6.
[8] Précitée, note 6.
[9] Municipalité Petite-Rivière-St-François et CSST, [1999] C.L.P. 779 .
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