Décision

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Union des artistes c. Festival international de jazz de Montréal

2014 QCCA 1268

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-022731-129, 500-09-022732-127

(500-17-062503-100)

 

DATE :

 LE 19 JUIN 2014

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

FRANÇOIS DOYON, J.C.A.

JACQUES A. LÉGER, J.C.A.

MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.

 

 

No : 500-09-022731-129

 

UNION DES ARTISTES

APPELANTE - Demanderesse

c.

 

FESTIVAL INTERNATIONAL DE JAZZ DE MONTRÉAL

FRANCOFOLIES DE MONTRÉAL

COUP DE COEUR FRANCOPHONE

L’ASSOCIATION QUÉBÉCOISE DE L’INDUSTRIE DU DISQUE, DU SPECTACLE ET DE LA VIDÉO

THÉÂTRES UNIS ENFANCE JEUNESSE

INTIMÉS - Mis en cause

Et

COMMISSION DES RELATION DU TRAVAIL

MISE EN CAUSE - Défenderesse

Et

LA GUILDE DES MUSICIENS ET MUSICIENNES DU QUÉBEC

MISE EN CAUSE - Mise en cause

______________________________________________________________________

 

No : 500-09-022732-127

 

LA GUILDE DES MUSICIENS ET MUSICIENNES DU QUÉBEC

APPELANTE - Mise en cause

c.

FESTIVAL INTERNATIONAL DE JAZZ DE MONTRÉAL

FRANCOFOLIES DE MONTRÉAL

COUP DE COEUR FRANCOPHONE

L’ASSOCIATION QUÉBÉCOISE DE L’INDUSTRIE DU DISQUE, DU SPECTACLE ET DE LA VIDÉO

THÉÂTRES UNIS ENFANCE JEUNESSE

INTIMÉS - Mis en cause

et

COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL

MISE EN CAUSE - Défenderesse

et

UNION DES ARTISTES

MISE EN CAUSE - Demanderesse

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           Les appelantes se pourvoient contre un jugement prononcé le 26 avril 2012 par la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable David R. Collier), qui a rejeté la demande de révision judiciaire présentée par l’Union des artistes contre une décision rendue par la Commission des relations du travail le 8 novembre 2010.

[2]           Pour les motifs du juge Doyon, auxquels souscrivent les juges Léger et Vauclair, LA COUR :

[3]           REJETTE les deux appels, avec dépens.

 

 

 

 

FRANÇOIS DOYON, J.C.A.

 

 

 

 

 

JACQUES A. LÉGER, J.C.A.

 

 

 

 

 

MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.

 

Me Denis Lavoie

Melançon, Marceau, Grenier & Sciortino

Pour l’Union des artistes

 

Me Normand A. Dionne

Lavery, De Billy

Pour les intimés

 

Me Marie-Claude St-Amant

Melançon, Marceau, Grenier & Sciortino

Pour La Guilde des Musiciens et Musiciennes du Québec

 

Date d’audience :

27 février 2014



 

 

 MOTIFS DU JUGE DOYON

 

 

[4]           Le 18 mars 2008, Union des artistes (« l’UDA ») demande à la Commission de reconnaissance des associations d’artistes et des associations de producteurs (« CRAAAP ») de déclarer que Festival international de Jazz de Montréal (« le Festival de jazz »), Francofolies de Montréal (« les Francofolies ») et Coup de cœur francophone (« Coup de cœur »)[1] ont agi comme producteurs au sens de la Loi sur le statut professionnel et les conditions d’engagement des artistes de la scène, du disque et du cinéma[2] (« LSA ») à l’occasion de spectacles ou séries de spectacles présentés dans le cadre de leurs éditions 2006 et 2007. Une telle qualification forcerait les festivals notamment à se conformer aux termes de l’entente collective conclue entre l’UDA et L’Association québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo (« l’ADISQ »), entente qui accorde aux artistes des conditions minimales d’engagement.

[5]          Théâtres unis enfance jeunesse (« le TUEJ ») et La Guilde des musiciens et musiciennes du Québec (« la Guilde »), qui représente des musiciens et musiciennes se produisant à l’occasion de spectacles régis par des ententes entre l’UDA et l’ADISQ, interviennent alors au débat. L’ADISQ est mise en cause.

[6]           L’UDA est une association reconnue par la LSA pour représenter des artistes dans différents domaines artistiques, à l’exception des musiciens. L’ADISQ est, au sens de la LSA, une association de producteurs et d’entreprises connexes dont sont membres Le Festival de jazz, les Francofolies et Coup de cœur, qui présentent divers spectacles chaque année.

[7]          Le 1er juillet 2009, entre en vigueur la Loi modifiant la LSA[3] qui abolit la CRAAAP et transfère sa compétence à la Commission des relations du travail (« CRT »). C’est celle-ci qui rend la décision sur la demande de l’UDA le 8 novembre 2010.

[8]          Les parties conviennent devant la CRT que la décision ne devra porter que sur 26 spectacles ou séries de spectacles. Pour l’un d’eux, Coup de cœur admet avoir agi comme producteur, alors que l’UDA déclare ne pas avoir d’arguments à présenter à l’égard d’un autre. En somme, il restera à traiter de 24 spectacles ou séries de spectacles.

[9]          La CRT conclut que le Festival de jazz a agi comme producteur de seulement deux séries de spectacles et rejette la demande l’UDA pour tous les autres.

[10]       L'UDA demande ensuite à la Cour supérieure de réviser cette décision, demande qui est rejetée le 26 avril 2012 par le juge David R. Collier qui estime que « l’interprétation du terme producteur adoptée par la Commission est raisonnable ».

[11]       L’UDA et la Guilde sont ensuite autorisées à se pourvoir contre ce jugement. Comme nous le verrons, l’appel ne porte toutefois que sur 12 spectacles.

LE CONTEXTE ET LE POINT DE VUE DES PARTIES

[12]        Trois catégories de spectacles étaient initialement en cause : les festivals ont transigé soit avec 1) l’artiste ou un membre du groupe, 2) la société commerciale de l’artiste ou 3) une maison de production de spectacles qui a déjà conclu une entente avec l’artiste et négocié les divers aspects de la représentation artistique.

[13]        En ce qui a trait à la troisième catégorie, qui comprend dix spectacles, la CRT estime que les festivals n’ont pas agi comme producteurs en ce qu’ils ont tout simplement acheté des spectacles « clés en main ». L’UDA a d’ailleurs reconnu devant la CRT que les festivals ne pouvaient être considérés comme des producteurs en ce qui a trait à cette catégorie, au motif que leur participation n’était pas le facteur le plus déterminant dans la représentation publique du spectacle.

[14]        En conséquence, sur les 24 initialement visés, il ne restait que 14 spectacles à examiner, tous dans les catégories 1 ou 2. La CRT est d’avis que le Festival de jazz a été producteur de deux d’entre eux, mais que, pour les autres, les festivals ont agi de la même manière que pour les spectacles de la catégorie 1, c’est-à-dire qu’ils ont acquis des spectacles déjà créés, sans intervenir dans leur élaboration, et ont tout simplement agi comme le ferait un diffuseur.

[15]        Les appelantes reconnaissent que la norme de contrôle en Cour supérieure était celle de la décision raisonnable. C’est d’ailleurs celle qui a été retenue par le juge de première instance. La compétence spécialisée de la CRT, protégée par une clause privative complète, est indicatrice d’une norme de contrôle qui n’est pas celle de la décision correcte. En somme, ce n’est pas la norme identifiée par le juge de première instance qui est contestée, mais bien son application.

[16]        Les appelantes plaident que la décision de la CRT est déraisonnable parce qu’elle stérilise la LSA en donnant une interprétation trop restrictive de la notion de producteur, alors qu’il faut lui donner une interprétation plus large pour lui permettre d’atteindre ses objectifs, notamment la protection adéquate des droits des artistes dits « émergents ». Le déséquilibre économique entre leur situation et celle des festivals, par exemple, milite en faveur d’une interprétation large qui permette de protéger les droits d’artistes qui sont, à cet égard, dans une situation de vulnérabilité. Toute interprétation de la LSA qui va à l’encontre de cet objectif est déraisonnable.

[17]        Toujours selon les appelantes, pour bien interpréter la disposition législative, il faut s’en remettre aux circonstances de l’espèce et déterminer si les festivals étaient la partie déterminante dans la rétention de services pour la représentation publique des spectacles.

[18]        Elles reprochent aussi à la CRT d’avoir indûment refusé de donner plein effet aux deux segments de la définition de « producteur » et indûment utilisé la notion de diffuseur pour restreindre celle de producteur. L'interprétation retenue ne respecte pas le sens ordinaire des mots et ignore l'intention du législateur, intention démontrée par les débats parlementaires qui ont précédé l'adoption de la LSA. Ainsi, est un producteur, non seulement la personne qui retient les services d'artistes en vue de produire une œuvre artistique dans un domaine identifié par la LSA, mais aussi celle qui les retient en vue de représenter en public une telle œuvre, ce qu’ont fait les festivals. C’est ce que prévoient les articles 1 et 2 de la LSA :

1. La présente loi s'applique aux artistes et aux producteurs qui retiennent leurs services professionnels dans les domaines de production artistique suivants: la scène y compris le théâtre, le théâtre lyrique, la musique, la danse et les variétés, le multimédia, le film, le disque et les autres modes d'enregistrement du son, le doublage et l'enregistrement d'annonces publicitaires.

1. This Act applies to artists and to producers who retain their professional services in the following fields of artistic endeavour: the stage, including the theatre, the opera, music, dance and variety entertainment, multimedia, the making of films, the recording of discs and other modes of sound recording, dubbing, and the recording of commercial advertisements.

 

1.1. Pour l'application de la présente loi, un artiste s'entend d'une personne physique qui pratique un art à son propre compte et qui offre ses services, moyennant rémunération, à titre de créateur ou d'interprète, dans un domaine visé à l'article 1.

1.1. For the purposes of this Act, an artist is a natural person who practises an art on his own account and offers his services, for remuneration, as a creator or performer in a field of artistic endeavour referred to in section 1.

 

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:

«producteur»: une personne ou une société qui retient les services d'artistes en vue de produire ou de représenter en public une oeuvre artistique dans un domaine visé à l'article 1.

2. In this Act, unless the context indicates a different meaning,

“producer” means a person or partnership who or which retains the services of artists in view of producing or presenting to the public an artistic work in a field of endeavour contemplated in section 1.

 

[19]        Il peut donc y avoir deux producteurs pour le même spectacle : un pour produire l’œuvre, un autre pour la représenter en public.

[20]        Pour les appelantes, la Cour supérieure devait en conséquence accueillir leur demande de révision judiciaire et a erré en ne posant pas la bonne question lorsqu’elle écrit que les festivals ne pouvaient être producteurs au motif que les artistes contrôlaient eux-mêmes, dans une large mesure, leurs conditions de travail, de sorte que la protection de la LSA n’était pas requise. Il fallait plutôt décider « qui était le plus déterminant dans la rétention de services », d’autant que l’artiste aura toujours un certain contrôle sur sa création.

[21]        Pour les intimés, la décision de la CRT est raisonnable. Il s’agit d’un tribunal spécialisé qui a rendu une décision de 60 pages à la suite d’une audience qui a duré quelque 20 jours. La conclusion de la CRT relève d’une question mixte de droit et de fait qui constitue une issue raisonnable : les intimés n’avaient pas le contrôle du contenu de la prestation artistique ou des conditions de travail et n’ont donc pas produit les spectacles en cause, sauf en ce qui a trait à deux d’entre eux.

[22]        Cette conclusion est fondée sur la preuve retenue par la CRT et démontre non seulement qu’elle a analysé la preuve avec sérieux, mais aussi que la décision ne stérilise aucunement la LSA de ses effets. L’achat de spectacles « clés en main » est une réalité et la CRT pouvait en tenir compte, tout comme d’ailleurs du concept de « diffuseur », même si la LSA n’emploie pas le terme. Par ailleurs, le simple paiement de la rémunération, même sans intermédiaire, ne peut suffire pour être qualifié de producteur. Affirmer le contraire consiste à nier l’existence de l’autoproduction, qui est pourtant reconnue.

[23]        Enfin, pour les intimés, les deux parties de la définition de « producteur » ne peuvent être distinguées comme le voudraient les appelantes; chaque partie décrit plutôt un type de production. L’une (la production d’une œuvre) est associée à la production d’œuvres enregistrées sur un support, comme le film ou le disque, alors que l’autre (la représentation d’une œuvre en public) se rattache à une production en vue d’une représentation sur scène, et il ne peut donc pas y avoir deux producteurs pour le même spectacle.

[24]        Comme en l’espèce il s’agissait d’œuvres relevant du domaine de la scène, la CRT devait se demander si les festivals ont agi comme producteur, selon le second volet de la définition, en retenant les services d’artistes en vue de représenter en public une œuvre artistique. C’est ce qu’elle a fait et, de toute façon, même s’il fallait se demander si les festivals ont retenu les services d’un artiste en vue de produire une œuvre, le résultat serait le même.

LA DÉCISION DE LA CRT

[25]        Après avoir minutieusement décrit et examiné toute la preuve, la CRT circonscrit la notion de « producteur » et en vient à la conclusion que les festivals n’ont pas agi comme tel.

[26]        Elle souligne que la rétention des services d’un artiste est un élément essentiel, au cœur de la définition. En somme, une entente avec un artiste ne suffit pas; cette entente doit porter sur une rétention de services et le propriétaire du lieu où se produit un artiste n’a pas nécessairement passé une entente de ce type avec l’artiste. De plus, la rétention de services ne se limite pas aux services rendus pendant le spectacle. La CRT donne l’exemple du concepteur d’éclairage qui peut rendre ses services bien avant la représentation, même si sa conception est, de fait, utilisée pendant le spectacle. On ne peut donc isoler la rétention de services au seul moment de la représentation publique.

[27]        Citant le jugement 2623-3494 Québec inc. (Café Sarajevo) c. Commission de reconnaissance des associations d’artistes et des associations de producteurs[4] et certaines décisions antérieures de la CRAAAP, la CRT retient, au chapitre des facteurs à prendre en compte pour identifier une rétention de services, l’engagement respectif du producteur et de l’artiste moyennant rémunération, l’assignation des tâches, la détermination de la durée des services, le risque financier, la mise en circulation du spectacle, la supervision et le contrôle de même que la publicité, tout en précisant que chacun n’est pas toujours pertinent, selon les circonstances. Une approche globale doit être privilégiée.

[28]        Ainsi, un certain contrôle sur la prestation de services peut aussi être exercé par un diffuseur qui achète un spectacle, sans nécessairement devenir un producteur. La personne qui retient les services de l’artiste est donc celle qui, globalement et en fonction des facteurs décrits précédemment, exerce le plus grand contrôle sur la prestation des services, de la conception à la représentation, et sur les conditions de travail. À cet égard, rien n’empêche une personne de jouer plusieurs rôles : producteur, diffuseur, gérant, etc. Il arrive aussi que l’artiste soit également le producteur parce qu’il conserve le contrôle de sa création artistique. Or, dans cette dernière hypothèse, la LSA ne s’applique pas à la personne qui achète le spectacle, puisqu’il n’y a pas de rétention de services.

[29]        Quant à la finalité de cette rétention de services, qui peut être soit de produire une œuvre artistique, soit de la représenter en public, elle constitue elle aussi un élément essentiel.

[30]        La CRT rejette l’argument de l’UDA selon lequel il s’agit de deux situations distinctes et successives et est d’avis que les débats parlementaires précédant l’ajout du deuxième volet de la définition ne supportent pas l’argument. Elle écrit :

[260]  Cela dit, l’ajout des termes « ou de représenter en public » à cette définition n’apparaît pas suffisant pour conclure à l’intention du législateur d’étendre la notion de producteur aux personnes qui achètent des représentations de spectacles déjà existants comme l’ont fait les Festivals, pour la seule raison que ces spectacles sont représentés en public.

 

[261]  Au surplus, ces travaux parlementaires sont loin de refléter clairement l’intention du législateur d’inclure, dans la définition de producteur, des personnes qui achètent « clés en main » des représentations de spectacles comme l’ont fait les Festivals en la présente instance selon la preuve versée au dossier. Tous ces propos sont ceux tenus par les représentants de l’UDA, lors de la Commission parlementaire. Ce ne sont pas des énoncés du gouvernement. Ils reflètent tout au plus la position de l’UDA présentée en Commission parlementaire.

[262]  Les termes « ou de représenter en public » contenus à l’article 2 de la LSA doivent être lus avec l’autre élément introduit à la définition de producteur par le biais de l’amendement en question, c’est-à-dire l’exigence selon laquelle un producteur doit retenir les services d’un artiste en vue de la production ou de la représentation en public d’une œuvre artistique. Ces ajouts font de la rétention de services la pierre angulaire de la détermination d’un producteur au sens de la LSA.[5]

 

[31]        Citant deux décisions de la CRAAAP[6], la CRT retient que la LSA ne régit que les situations où il y a rétention des services d’un artiste, ce qui n’est pas le cas lorsqu’il y a achat de spectacles « clés en main ». Elle conclut que, selon la preuve retenue, il n’y a pas eu rétention de services au sens de la LSA, sauf pour deux cas présentés lors du Festival de jazz[7]. Dans les autres cas, les festivals ont agi comme diffuseur, avec des obligations qui s’apparentent à celle d’une salle de spectacles où l’on présente tout simplement une prestation. Elle précise que « [h]ormis la durée de la représentation, et, parfois, le nombre de musiciens sur scène, les Festivals ne contrôlent aucunement la prestation des services des artistes », avant de conclure comme suit :

[281]  Or dans le cas de ces spectacles, l’artiste vedette lui-même, ou son représentant sans lien avec les Festivals, a fait et assumé ce que les tierces compagnies ont fait dans le cas des dix spectacles cités plus haut. Selon la preuve, le rôle des Festivals est demeuré identique dans les deux cas de figure. Ainsi, ils ont négocié les conditions relatives à la présentation de spectacles déjà créés et ne sont pas intervenus dans leur élaboration et leur préparation. Ils ont accueilli les artistes, les groupes et leurs équipes, comme le font tous les diffuseurs au Québec. Ils n’ont pas sélectionné, négocié ni contracté avec des créateurs pour la conception d’éclairage, la sonorisation et la mise en scène, ni avec les musiciens et artisans ayant participé à la préparation et à la présentation de ces spectacles. Ils n’ont pas supervisé les aspects artistiques de la prestation des artistes ni organisé des répétitions, ni même demandé à ce qu’il y en ait. Ils n’ont enfin jamais eu le droit de distribuer et de vendre ces spectacles.

[282]  La situation est cependant différente en ce qui concerne les spectacles « La petite école du jazz » ainsi que « La parade de la Louisiane». À leur égard, la preuve révèle que non seulement le Festival de Jazz a exercé un grand contrôle sur le contenu des prestations artistiques des artistes qui y ont performé (il a notamment participé à la création des spectacles, a sélectionné leurs créateurs et leurs interprètes, a organisé des répétitions et s’est occupé des décors et des costumes), mais aussi sur les conditions de travail de ceux-ci. Les représentants du Festival de Jazz ont eux-mêmes négocié les conditions d’engagement de ces créateurs et interprètes. Ce n’est qu’une fois l’entente conclue que la signature et l’administration des contrats, incluant le paiement des artistes, ont été transférées à Spectra. Ces tâches ne font pas de Spectra le producteur de ces spectacles. Elle agit plutôt comme mandataire du Festival de Jazz à ce moment.

 

[32]        Bref, sauf dans deux cas, il n’y a pas eu rétention de services, selon les facteurs précédemment décrits, mais tout simplement achat et diffusion de spectacles.

LE JUGEMENT DE LA COUR SUPÉRIEURE

[33]        Selon le juge de la Cour supérieure, la définition de producteur retenue par la CRT est tout à fait raisonnable et respecte à la fois le sens ordinaire des mots et l’esprit de même que les objets de la LSA. Voici comment il s’exprime :

[56]  De l'avis du Tribunal, l'interprétation du terme "producteur" adoptée par la Commission donne un sens ordinaire et grammatical aux mots utilisés dans la définition.

[57]  De la même façon, la conclusion à l'effet que les mots "ou de représenter en public une oeuvre artistique" réfèrent aux prestations artistiques sur scène, par opposition à l'enregistrement de prestations sur un support, ne constituent pas une entorse au sens ordinaire de l'article 2 LSA.

[58]  L'interprétation de la Commission prend acte également du contexte global dans lequel la LSA a été adoptée. Ainsi, la Commission a reconnu qu'au Québec, il existe des artistes-producteurs qui transigent avec des diffuseurs de spectacles qui n'ont aucune participation dans les activités de production. L'interprétation de la Commission reflète ce constat factuel important.

[59]  L'interprétation de la Commission s'accorde également avec l'esprit et l'objet de la LSA, qui est de rétablir un équilibre de forces lors de la négociation des conditions de travail des artistes. La décision que le "producteur" est la personne "qui, globalement, exerce le plus grand contrôle sur la prestation des services artistiques de l'artiste"28 est cohérente avec l'objectif de la LSA de pallier aux effets pervers de ce contrôle.

[60]  Par contre, l'interprétation que l'UDA veut donner au terme "producteur" aurait pour effet de désigner deux producteurs (la personne qui contrôle la prestation artistique et le diffuseur de spectacle) lorsqu'il y a une représentation en public d'une oeuvre artistique. Ceci entraînerait une confusion dans l'application de la LSA et n'est pas une solution à retenir.

[61]  De l'avis du Tribunal, il est faux de prétendre que la décision de la Commission rend la LSA stérile : dans le cas de 14 des 26 spectacles examinés par la Commission, elle a pu identifier un producteur qui devait respecter les conditions minimales de travail stipulées dans les ententes collectives. Dans le cas des 12 autres spectacles, puisque les artistes contrôlaient eux-mêmes, dans une large mesure, leurs conditions de travail, ils n'avaient pas besoin des protections de la LSA.

[Références omises.]

L’ANALYSE

[34]        La CRT rappelle que la notion de producteur au sens de l'article 2 de la LSA recèle deux composantes : 1) la rétention des services d'un artiste 2) en vue de produire ou de représenter en public une œuvre artistique dans un domaine de production visé par la LSA. Cette interprétation est conforme à la jurisprudence[8] et n'est pas remise en question.

[35]        La première composante a toujours été au cœur de la reconnaissance du statut de producteur[9]. C'est d'ailleurs ce que souligne le juge Senécal, de la Cour supérieure, dans 2623-3494 Québec inc. (Café Sarajevo) c. Commission de reconnaissance des associations d'artistes et des associations de producteurs, lorsqu’il écrit que « [l]a rétention de services est donc au cœur de la relation producteur-artiste. Celle-ci ne peut exister sans celle-là[10] ».

[36]        Cette rétention de services renvoie à la notion de contrôle :

Selon cette définition, un producteur doit être assimilé à un maître d'oeuvre, c'est-à-dire à la personne qui assume la direction et le contrôle d'une production musicale ou, plus précisément, à celle qui voit à l'élaboration du projet et à sa réalisation. Dans cette optique, le producteur est notamment responsable du choix des musiciens et du financement du spectacle, ce qui inclut la rémunération des musiciens et tous les risques financiers liés à la production du spectacle.[11]

 

[37]        C’est dans les termes suivants que la CRAAAP distingue les cas où c’est la LSA qui s’applique par rapport à ceux où c’est plutôt la Loi sur le statut professionnel des artistes des arts visuels, des métiers d'art et de la littérature et sur leurs contrats avec les diffuseurs[12] :

Les extraits précités de la Loi 90 [la LSA] démontrent clairement que la rétention par des producteurs, de services professionnels d'artistes dans certains domaines de production artistique constitue un élément essentiel de cette loi. Dans le contexte de cette loi, c'est le producteur qui retient les services de l'artiste en raison de son talent en vue de créer une oeuvre avec lui ; ainsi, au moment où le producteur retient les services de l'artiste, il n'existe pas d'oeuvre puisque celle-ci prendra forme au fur et à mesure que diverses prestations de service seront complétées.

D'autre part, les dispositions citées de la Loi 78 [Loi sur le statut professionnel des artistes des arts visuels, des métiers d'art et de la littérature et sur leurs contrats avec les diffuseurs] démontrent que cette loi s'applique à l'artiste qui crée son oeuvre de sa propre initiative. Dans ce cas, les services de l'artiste ne sont pas retenus, celui-ci ayant agi pour son propre compte et de sa seule initiative. Une fois l'oeuvre terminée, l'artiste peut s'adresser à un diffuseur pour que ce dernier se charge entre autres d'exposer, d'éditer, de publier, de représenter en public ou de vendre l'oeuvre qu'il a créée. C'est l'artiste qui contracte avec un diffuseur afin d'exploiter son oeuvre et de la mettre en marché. Il s'agit d'une relation de nature commerciale où la notion de prestation de services est complètement absente. Or la lettre et l'esprit de la Loi 78 excluent la notion de prestation de services.

C'est donc cette notion de rétention de services qui déterminera laquelle des deux Lois 90 ou 78 trouvera application selon les circonstances. Ainsi, dans le cas où une pratique artistique, de par sa nature même, pourrait appartenir au champ d'application de ces deux lois, c'est la nature de la relation existante entre l'artiste et l'autre partie qui sera déterminante. Ce n'est pas seulement le type d'oeuvre qui déterminera laquelle des deux lois s'applique mais aussi la nature des relations entre les parties[13].

[Je souligne.]

 

[38]        La seconde composante, celle de la finalité, implique que la rétention de services ne suffit pas. Encore faut-il que cela soit fait en vue de produire une œuvre ou de la représenter en public[14].

[39]        Or, pour les appelantes, la CRT rend une décision déraisonnable en rejetant leur prétention selon laquelle le texte même de la finalité, en utilisant le mot « ou », recoupe deux situations distinctes, de sorte qu’il peut y avoir deux producteurs différents pour une même œuvre : l’un pour la production, l’autre pour la représentation en public, quoique, parfois, ce soit la même personne. En vendant des spectacles en salle et en faisant la publicité qui s’impose, les festivals ont retenu les services d’artistes en vue de représenter une œuvre en public et étaient en conséquence des producteurs.

[40]        L’interprétation proposée par les appelantes n’est pas dénuée d’intérêt. Par contre, j’estime que ce n’est pas la seule interprétation possible et que celle retenue par la CRT est tout aussi fondée. Nous sommes au cœur de la compétence spécialisée de la CRT et la norme de la raisonnabilité ne permet pas de réviser la décision, puisqu’elle fait partie des issues possibles en tenant compte de la preuve et du droit applicable.

[41]        Comme mentionné précédemment, la CRT est d’avis que les deux segments de la finalité cherchent à distinguer, non pas le type de producteur ou l’étape de production, mais bien les œuvres artistiques selon qu’il s’agit du domaine de la scène (la représentation en public) ou d’œuvres qui supposent un enregistrement (la production). Contrairement à ce que plaident les appelantes, je suis d’avis que la décision Provigo Distributions inc. et Guilde des musiciens du Québec[15], rendue par la CRAAAP, est pertinente et pouvait être considérée par la CRT pour soutenir son analyse.

[42]        Il est vrai que, dans cette décision, il fallait trancher l’argument de Provigo selon lequel les musiciens qui ont pour fonction d’interpréter de la musique d’ambiance dans un commerce ne se produisent pas sur une véritable scène, de sorte que la LSA n’est pas applicable. La CRAAAP a rejeté l’argument en précisant qu’une scène physique n’était pas nécessaire pour qu’il y ait représentation en public d’une œuvre artistique dans le domaine de la musique. La situation était donc différente de celle du présent dossier. En revanche, cela ne signifie pas que les extraits auxquels renvoie la CRT ne peuvent lui être utiles. Au contraire, l’extrait qu’elle cite démontre le lien à faire entre le domaine de la scène et l’expression « représenter en public une œuvre artistique », un lien qui n’est pas limité à la situation de la décision Provigo et qui permet de qualifier les deux segments de la définition en fonction du domaine artistique dont il s’agit plutôt qu’en fonction d’étapes de production. Voici comment la CRT renvoie à cet extrait de la décision Provigo :

[266]  Dans l’affaire Provigo précitée, la CRAAAP traite des notions de « production » et de « représentation» d’une oeuvre artistique. Plus précisément, elle distingue le domaine de la scène, qui implique une telle représentation, des autres domaines qui supposent la production d’un enregistrement, comme le film, le disque et les autres modes d’enregistrement du son, le doublage et l’enregistrement d’annonces publicitaires :

[59]  La Commission rappelle qu’au fil de ses décisions, notamment, celle de la Guilde des musiciens du Québec c. Ville de Montréal (service de la culture), elle utilise de façon constante l’expression « représenter en public une oeuvre artistique » lorsque vient le moment de désigner une production artistique à la scène. Comme le souligne Me André Matteau dans sa sentence arbitrale de janvier 2001 :

« […] la Commission, appelée à se prononcer sur des litiges relatifs à des productions sur scène, a toujours utilisé les termes « représenter en public une oeuvre artistique ».

[60]  S’agissant de la scène, les articles 1 et 2 doivent se lire ensemble aux fins de la compréhension et de l’interprétation du texte. La Commission confirme que ce que le législateur a voulu couvrir n’est autre chose que :

« la représentation en public d’une oeuvre artistique »

dans le domaine de :

« la scène y compris le théâtre, le théâtre lyrique, la musique, la danse et les variétés […]. » [C’est la CRAAAP qui souligne.]

[61]  Dans ce contexte, l’interprétation du mot scène ne peut qu’être large et ne reflète qu’un ordonnancement des domaines en distinguant, par famille, ceux qui impliquent la représentation publique de ceux qui supposent un enregistrement, comme le film, le disque et les autres modes d’enregistrement du son, le doublage et l’enregistrement d’annonces publicitaires. 

 

[43]        À mon avis, la CRT pouvait utiliser cet extrait comme elle l’a fait.

[44]        Je ne retiens pas non plus le reproche formulé par les appelantes en ce qui a trait à l’utilisation des travaux parlementaires. Voici pourquoi.

[45]        La CRT ne refuse pas de tenir compte de ces travaux parlementaires dans son interprétation. Elle estime que ces travaux n'ont pas la portée que lui confèrent les appelantes :

[256]      L’UDA soumet que les travaux parlementaires entourant l’adoption de la LSA confirment l’existence d’une segmentation de la définition de producteur en deux situations distinctes et successives : celle où la rétention de services intervient pour la production de l’œuvre artistique et celle où la rétention se fait pour sa représentation en public.

[257]      Ainsi, l’UDA insiste sur des extraits de ces travaux parlementaires qui concernent l’évolution de la définition de « producteur ». À l’origine, le projet de loi prévoyait que le producteur était « une personne ou une société chargée de produire une œuvre artistique dans un domaine visé à l’article 1 ». Lors de la Commission parlementaire chargée de l’étude du projet de loi, l’UDA a proposé une modification à cette définition de manière à ce qu’elle corresponde à celle qui existe présentement dans la LSA. Voici ce qu’expliquait Serge Turgeon, président de l’UDA à l’époque, en présentant cette proposition :

À la définition de « producteur » nous proposons une personne, une compagnie, au sens de la Loi sur les compagnies, du Canada ou du Québec, et/ou une société qui retient les services professionnels d’un artiste dans le but de produire et/ou de présenter une œuvre artistique. Encore là, il faut comprendre que la définition de producteur dans le projet nous apparaît trop restrictive. Nous désirons plutôt y voir inscrire toutes les formes de constitution juridique sous lesquelles on retrouve les producteurs qui requièrent les services de nos membres. Quant à la distinction de « produire » et de « présenter » une œuvre artistique, on veut particulièrement se référer ici au secteur de la variété. C’est très important parce que, très souvent, en régions un propriétaire de salle décide de faire venir un artiste avec ses musiciens et on pense que, dans nombre de cas, ils sont plus que de simples locateur de salle. Nous souhaitons que la loi le stipule.

(Reproduit tel quel.)

[258]      Plus loin dans la transcription de ces débats, l’UDA précise ce qu’elle entend par son souhait de viser les personnes qui sont « plus que de simples locateurs de salle ». Ainsi, l’objectif recherché par l’amendement est d’éviter qu’un producteur, sous le couvert de la « location de salle », se soustrait à ses responsabilités en vertu de la LSA lorsqu’il retient les services d’artistes qui n’ont aucun « contrôle ni sur l’organisation du spectacle, ni sur la publicité qui est faite autour, ni même, dans certains cas, le mode de présentation du même spectacle ». Voici les propos tenus à ce sujet par Serge Demers, alors directeur général de l’UDA :

Il y a, je pense, une différence entre celui qui loue une salle… On a des troupes de théâtre qui vont en tournée, par exemple. Disons que le Théâtre du rideau vert décide de se déplacer, ou La cie Jean Duceppe, et il s’en va en tournée, il est évident pour nous que la relation du producteur, si on prend l’exemple de La cie Jean Duceppe, avec nos membres est très claire : le producteur, c’est La Cie Jean Duceppe; il s’en va en province, il va louer des salles et, dans ce cas-là, il n’y a pas de problème. Les problèmes commencent à se poser surtout dans le domaine de la variété. Dans le domaine du théâtre, c’est moins vrai, mais, dans le domaine de la variété, on monte un spectacle, c’est-à-dire on fait venir un ou deux artistes dans une région, dans une salle, et on fait la promotion; on ne fait pas que louer sa salle, on fait la promotion du spectacle, soit qu’on fasse imprimer des affiches, qu’on achète du temps d’antenne. Donc, on présente un spectacle. On ne fait pas que louer notre salle. En même temps, on se départit de notre responsabilité de producteur car, à ce moment-là, si on organise la compagne publicitaire, on perd soit les revenus du « box office », etc., on est en fait celui qui a la responsabilité du spectacle. On ne voudrait pas que l’artiste, et surtout dans le domaine de la variété, j’y reviens, se trouve à s’assumer lui-même, alors qu’il n’a aucun contrôle ni sur l’organisation du spectacle, ni sur la publicité qui est faite autour, ni même, dans certains cas, le mode de présentation du même spectacle.

En d’autres termes, il faut vraiment s’assurer que les locateurs de salle en soient véritablement et, à ce moment-là, il n’y a pas de problème, mais que cela ne devienne pas une façon d’évacuer les responsabilités et de déguiser le véritable producteur en locateur de salle. Là, il y a toujours eu une ambiguïté et c’est celle-là qu’on voudrait voir dissiper. C’est pour cela qu’on dit « et » et « ou » et je pense que la commission, avec des cas types, finira par développer une jurisprudence sur la base des faits qui lui seront présentés. »

(Nos soulignements.)

[259]      La définition de « producteur » a été modifiée le 10 décembre 1987 lors de l’étude détaillée du projet de loi, à la suite de la proposition d’amendement de l’UDA. Cette définition a alors été remplacée par celle que l’on retrouve encore dans la LSA aujourd’hui, soit :

Une personne ou une société qui retient les services d’artistes en vue de produire ou de représenter en public une œuvre artistique dans un domaine visé à l’article 1.

(Les amendements sont soulignés.)

[260]      Cela dit, l’ajout des termes « ou de représenter en public » à cette définition n’apparaît pas suffisant pour conclure à l’intention du législateur d’étendre la notion de producteur aux personnes qui achètent des représentations de spectacles déjà existants comme l’ont fait les Festivals, pour la seule raison que ces spectacles sont représentés en public.

[261]      Au surplus, ces travaux parlementaires sont loin de refléter clairement l’intention du législateur d’inclure, dans la définition de producteur, des personnes qui achètent « clés en main » des représentations de spectacles comme l’ont fait les Festivals en la présente instance selon la preuve versée au dossier. Tous ces propos sont ceux tenus par les représentants de l’UDA, lors de la Commission parlementaire. Ce ne sont pas des énoncés du gouvernement. Ils reflètent tout au plus la position de l’UDA présentée en Commission parlementaire. 

[262]      Les termes « ou de représenter en public » contenus à l’article 2 de la LSA doivent être lus avec l’autre élément introduit à la définition de producteur par le biais de l’amendement en question, c’est-à-dire l’exigence selon laquelle un producteur doit retenir les services d’un artiste en vue de la production ou de la représentation en public d’une œuvre artistique. Ces ajouts font de la rétention de services la pierre angulaire de la détermination d’un producteur au sens de la LSA.[16]

[Références omises.]

[46]        En somme, si le point de vue de l’UDA a été exprimé lors des travaux parlementaires, cela ne signifie pas que l’ajout des mots « ou de représenter en public » reflète le vœu du législateur de considérer l’achat « clés en main » comme une forme de production, d’autant que cela doit être lu à la lumière de l’autre ajout, c’est-à-dire que, pour être producteur, il faut « retenir les services d’un artiste », un élément qui, selon la CRT, devient la pierre angulaire de la définition.

[47]        En conséquence, selon cette interprétation, même si les appelantes avaient raison en ce qui a trait aux deux segments de la finalité, l’absence de rétention de services constituerait une fin de non-recevoir à leur demande. Or, il n’est certes pas déraisonnable de croire que l’amendement au projet de loi n’avait pas pour but de transformer le locateur de salles en producteur. Comme le disent MM. Turgeon et Demers, ce n’était pas le but de la proposition, son objet étant plutôt de démasquer les producteurs qui, sous le couvert d’une location de salle, voudraient se libérer indûment de leurs obligations. Bref, un locateur demeure un locateur et il ne devient producteur que s’il exerce un contrôle véritable sur la prestation artistique et, dans cet esprit, l’achat d’un spectacle « clés en main » (ou déjà existants) ne transforme pas l’acheteur en producteur sous prétexte qu’il présentera le spectacle.

[48]        La Cour supérieure conclut dans le même sens : sans contrôle véritable, il n’y a pas de producteur :

[62]      Une lecture des transcriptions des travaux parlementaires qui ont mené à l'adoption de la LSA démontre que les représentants de l'UDA n'exigeaient pas que le terme « producteur » s'applique aux personnes n'exerçant aucun ou peu de contrôle sur les conditions de travail des artistes.  Les propos de monsieur Serge Demers sont éloquents à ce sujet : UDA voulait que la définition de « producteur » soit étendue à ceux qui exerçaient un véritable contrôle sur l'organisation et la présentation du spectacle, mais qui « se déguisaient » en simple locateur de salle afin d'échapper à l'application de la LSA.  Par ses propositions d'amendement, UDA reconnaissait la distinction entre le producteur et le locateur de salle, et elle acceptait que la LSA ne s'applique pas aux diffuseurs de spectacles qui ne contrôlent pas la prestation de l'artiste.

[Références omises]

[49]        Je ne vois pas d’erreur dans ce constat.

[50]        Les appelantes reprochent également à la CRT d'avoir fait appel à des notions étrangères à la LSA, notamment les concepts de diffuseur et de spectacles « clés en main ».

[51]        En fait, la CRT utilise ces concepts, non pas pour interpréter la LSA, mais pour décrire une situation qui ne concorde pas avec les exigences de la définition de producteur. Elle ne rejette pas la demande de l’UDA pour la seule raison que les festivals ont fait des achats « clés en main » et étaient diffuseurs, mais parce qu’ils n’ont pas retenu les services d’un artiste en vue de produire une œuvre ou de la représenter en public. Si les concepts de diffuseur et d’achat « clés en main » ne sont pas décrits ou définis dans la LSA, il n’en demeure pas moins qu’ils existent, comme le démontre la CRT, et que leur utilisation permet de décrire de manière concrète une situation qui ne concorde pas avec les exigences de la LSA en ce qui concerne les producteurs.

[52]        Ainsi, la CRT ne dit pas que la LSA est exclue dès qu’une personne allègue avoir acheté un spectacle « clés en main ». L’analyse se fera au cas par cas, comme en l’espèce, où elle conclut que le Festival de jazz a été producteur de deux spectacles. D’ailleurs, cette conclusion démontre aussi que la décision de la CRT ne stérilise pas la LSA, comme le prétendent les appelantes.

[53]        De plus, il vaut de rappeler que la sentence de l’arbitre André Matteau, du 16 septembre 2002, qui a déterminé le contenu de l’entente collective entre la Guilde et l’ADISQ, retient le concept de diffuseur.

[54]        Par ailleurs, l’argument voulant que le simple paiement du cachet requis par l’artiste pour représenter son œuvre publiquement suffise pour que le payeur devienne un producteur ne peut être retenu. Comme le soulignent les intimés, d’une part, il n’y a pas nécessairement de rétention de services professionnels au sens de la LSA lorsqu’il y a paiement; d’autre part, cet argument nie l’existence de l’autoproduction, l’artiste devenant lui-même producteur avec les obligations que cela engendre, alors que son existence est pourtant reconnue, notamment par la CRT dans une décision récente[17].

[55]        En dernier lieu, je suis d’avis que l’interprétation donnée par la CRT ne nie pas la nécessité de protéger les droits de tous les artistes, notamment ceux en situation de vulnérabilité économique face aux festivals. La CRT a tenu compte du sens des mots, de l’historique de la disposition, de l’ensemble de la LSA, de ses objectifs et de la preuve présentée par les parties à l’égard des divers spectacles en cause. On ne peut lui reprocher de ne pas avoir tout considéré et il n’est pas de son ressort de protéger les droits des artistes au-delà de ce que prévoit la LSA.

[56]        En résumé, dans les 12 cas où elle rejette la demande de l’UDA, la CRT conclut, d’un côté, que les artistes ont agi essentiellement comme l’ont fait les maisons de production des spectacles de la catégorie 1 et ont conservé le contrôle de leurs œuvres et, d’un autre côté, que les festivals n’ont pas retenu leurs services professionnels au sens de la LSA, même s’ils ont présenté des spectacles existants après avoir négocié les conditions de représentation sans toutefois avoir quelque contrôle sur l’élaboration ou la préparation de l’œuvre. Les festivals ne pouvaient donc être considérés comme des producteurs. Ce faisant, à mon avis, la CRT rend une décision qui ne peut être qualifiée de déraisonnable et la Cour supérieure était justifiée de ne pas intervenir.

[57]        Pour ces motifs, je propose de rejeter les deux pourvois, avec dépens.

 

 

 

 

FRANÇOIS DOYON, J.C.A.

 



[1] Pour alléger le texte, j’utiliserai le terme « les festivals » lorsqu’il sera question de ces trois intimés.

[2] RLRQ, c. S-32.1.

[3] LQ 2009, c. 32.

[4] J.E. 2004-606, D.T.E. 2004T-265.

[5] Union des artistes c. Festival international de Jazz de Montréal inc., 2010 QCCRT 523, paragr. 260-262.

[6] Association Théâtres associés inc. c. Association québécoise des auteurs dramatiques, D.T.E. 95T-         1083, [1995] C.R.A.A. 571; Guilde des musiciens du Québec c. Montréal (Service de la culture de la Ville de), D.T.E. 95T-1344, [1995] C.R.A.A. 583.

[7] La petite école du jazz  et La parade de la Louisiane.

 

[8] Union des artistes (UDA) c. Louis-Philippe Métail, faisant affaire sous le nom
« Animation d'Autrefois »
, 2010 QCCRT 0134, D.T.E. 2010T-428, paragr. 93.

[9]     Ibid., paragr. 97-99.

[10] 2623-3494 Québec inc. (Café Sarajevo) c. Commission de reconnaissance des associations d'artistes et des associations de producteurs, précité, note 4, paragr. 57.

[11] Guilde des musiciens du Québec c. Chacra, D.T.E. 2001T-346.

[12] Loi sur le statut professionnel des artistes des arts visuels, des métiers d'art et de la littérature et sur leurs contrats avec les diffuseurs, RLRQ, c. S-32.01.

[13] Association Théâtres associés inc. c. Association québécoise des auteurs dramatiques, précité, note 6.

[14] Guilde des musiciens du Québec c. Centre Molson inc., [2004] R.J.D.T. 1629, D.T.E. 2004T-1159, paragr. 46-48. Voir aussi: Productions France Corbeil inc. c. Association des professionnels de la vidéo du Québec, [1999] R.J.D.T. 1754, D.T.E. 99T-1175.

[15] D.T.E. 2002T-458.

[16] Union des artistes c. Festival international de Jazz de Montréal inc., 2010 QCCRT 523, paragr. 256-262.

[17] Union des artistes c. APFTQ, ADISQ, ACTRA, APC, RQD, ARRQ, 2010 QCCRT 0203, D.T.E. 2010T-469.

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