Décision

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[Texte de la décision]

Section des affaires sociales

En matière de régime des rentes

 

 

Date : 14 mars 2016

Référence neutre : 2016 QCTAQ 02243

Dossier  : SAS-Q-190245-1303

Devant les juges administratifs :

STELLA PHANEUF

KATHYA GAGNON

 

M... B...

Partie requérante

c.

RETRAITE QUÉBEC

Partie intimée

 

 


DÉCISION



 


[1]              La requérante conteste une décision rendue en révision le 18 février 2013 par l’intimée, Retraite Québec[1], maintenant le refus de la reconnaître invalide au sens de l'article 95 de la Loi sur le régime de rentes du Québec[2] (ci - après « la Loi »).

[2]              À l’audience, tenue le 15 décembre 2015, la requérante est présente et est représentée par procureure. L’intimée est représentée par procureur.

Les faits

[3]              De l’ensemble de la preuve soumise, le Tribunal retient les éléments pertinents suivants.

[4]              Née en juin 1977, la requérante est âgée de 34 ans lorsqu'elle dépose une demande de prestations d’invalidité à l’intimée en décembre 2011. Elle y déclare avoir cessé de travailler le 17 novembre 2006 en raison de son état de santé. Elle occupait,  depuis novembre 2003, un emploi de gérante de rayon dans un magasin à grande surface[3].

[5]              Au soutien de sa demande, elle dépose un rapport médical complété par Dre Lucie Côté le 16 décembre 2011. Cette dernière retient le diagnostic de fibromyalgie et rapporte la présence de séquelles douloureuses d’une hernie discale L5-S1 gauche. Elle qualifie de modéré le pronostic pour ces deux conditions.

[6]              À l’examen, Dre Côté constate une surcharge pondérale (206 livres), et note la présence de spasmes avec douleur à la palpation et limitation des mouvements au niveau lombaire. Sur le plan thérapeutique, elle signale que la requérante a fait de la physiothérapie et de l’ergothérapie, et qu’elle prend régulièrement du Flexeril, du Voltaren, de l’Élavil, du Lyrica et des Tylénol. Elle prend aussi du Dilaudid au besoin. À son avis, sa patiente est inapte au travail depuis novembre 2006, étant non fonctionnelle dans la réalisation de ses activités de la vie quotidienne.

[7]              De l’ensemble de la documentation médicale déposée au dossier, incluant le suivi clinique de Dre Côté, plusieurs consultations médiales spécialisées en neurochirurgie et en physiatrie, ainsi que la documentation transmise par un assureur, dans laquelle on retrouve deux expertises en physiatrie, le Tribunal retient essentiellement ce qui suit :

-        Novembre 2006 : hospitalisation de quelques jours en lien avec une hernie discale L5-S1 gauche. Au cours de l’année subséquente, la requérante bénéficie de traitements de physiothérapie. Des infiltrations n’apporteront aucun soulagement. La recommandation de s’activer est constante dans le suivi clinique.

-        Septembre 2008 : Dr Éric Truffer, neurochirurgien, procède à une laminotomie L5-S1 gauche.

-        Février 2009 : Dr Truffer constate le peu d’amélioration par rapport à l’état préopératoire. Des traitements de physiothérapie sont prescrits, lesquels se poursuivront jusqu’en septembre 2009, pour un total de 30 traitements.

-        Avril 2009 : hospitalisation de quelques jours pour une sciatalgie aiguë. Dr Truffer  constate une disproportion importante entre les symptômes et le tableau clinique. Il ne retrouve aucune explication organique pour expliquer les plaintes de la requérante, et se questionne sur la possibilité de gains secondaires.

-        Septembre 2009 : Dr Truffer rapporte la persistance de sciatalgie, recommande des infiltrations et ne compte revoir la requérante qu’au besoin.

-        Octobre 2009 : Dr Denis Jobin, physiatre, produit un rapport d’expertise. Le physiatre-rhumatologue ne peut mettre en évidence de pathologie musculo-squelettique évolutive pouvant expliquer la symptomatologie de la requérante. Il recommande une réduction de poids et la reprise de l’activité physique. Aucune limitation fonctionnelle n’est émise et le physiatre considère la requérante apte au travail, suggérant un retour progressif considérant la longue absence du marché du travail.

-        Décembre 2009 : Dre Mélanie Boulet, physiatre, voit la requérante en consultation, et retient la présence d’une lombalgie chronique avec persistance de symptômes de radiculopathie S1 gauche. Elle recommande aussi un programme d’exercices de renforcement, la perte de poids, ainsi que la reprise des activités. Dre Boulet ajoute que puisque la requérante a promis de faire ses exercices, elle lui a prescrit un corset lombo-sacré avec partie postérieure moulée, qu’elle pourra porter lorsqu’elle doit absolument se déplacer. Elle se dit d’avis qu’il est trop tôt pour envisager un retour au travail progressif à ce stade.  

-        Février 2010 : Dre Boulet qualifie l’amélioration de légère à modérée. La requérante porte surtout son corset pour les déplacements en voiture. La physiatre encourage le sevrage progressif du corset, la poursuite des exercices de renforcement et un reconditionnement progressif à la marche pour se préparer à un éventuel retour au travail.

-        Avril 2010 : la requérante rapporte une exacerbation significative de la douleur avec la reprise des activités. Dre Boulet réitère ses recommandations, encourageant l'encadrement de la requérante par une équipe multidisciplinaire spécialisée dans la douleur, touchant à la fois le volet physique et psychologique.

-        Mai 2010 : Dre Côté signale que la requérante porte son corset en tout temps.

-        Été 2010 : prise en charge en physiothérapie, puis en ergothérapie.

-        Mars 2011 : Dre Claudine Morand procède à une expertise à la demande de la procureure de la requérante. La physiatre retient les diagnostics de lombo-sciatalgie gauche avec déconditionnement important, de surcharge pondérale et de fibromyalgie (diagnostic posé selon l’étendue des symptômes douloureux, la recherche de points douloureux, le tout étant associé à un sommeil non réparateur, de la fatigue, des paresthésies).

Dre Morand soumet qu’il n’y a pas eu d’évaluation formelle des capacités fonctionnelles de la requérante, mais que les notes d’ergothérapie donnent un aperçu de son niveau fonctionnel, tout comme le test d’Owestry, assez similaire en janvier et en mars 2011, révélant une incapacité de niveau modéré à sévère.

À son avis, il est trop tard pour un programme de réadaptation visant à augmenter les capacités fonctionnelles de la requérante et éventuellement permettre un retour sur le marché du travail. Considérant l’arrêt de travail depuis 2006, elle se dit d’avis que le pronostic de retour au travail est très faible. La requérante serait inemployable compte tenu de sa condition physique, de son faible niveau de scolarité et de ses expériences de travail antérieures (travail manuel). À l’instar de Dr Truffer, Dre Morand signale qu’on peut se questionner sur la recherche de gains secondaires. Elle ne retrouve toutefois aucun indice orientant dans ce sens. 

-        Juin 2011 : On met fin aux interventions en ergothérapie. La douleur demeure constante à 8/10 malgré le corset et la médication. La requérante a besoin d’un reconditionnement général et devrait poursuivre ses exercices et s’astreindre à un programme plus soutenu, par exemple dans un gymnase. Elle devra aussi continuer à enlever son corset.

-        Juin 2011 : Dre Côté souligne que les traitements d’ergothérapie ont été bénéfiques. La requérante est maintenant capable de se laver les cheveux. La douleur demeure cependant toujours là.

-        Novembre 2011 : Dre Côté note que l’état de santé de la requérante est à peu près toujours le même. La douleur est entre 7 et 8 sur 10. La requérante est limitée +++ dans les AVQ/AVD[4] .

-        Décembre 2011 : Dre Côté consigne que la requérante a passé quatre jours au lit, la douleur lombaire étant très sévère.  

[8]              Le 1er mars 2012, Dre Kim Anh Do, médecin évaluateur à l’emploi de l’intimée, retient de son analyse du dossier que l’invalidité est encore « temporaire », prévoit une amélioration probable avec une prise en charge par une équipe multidisciplinaire, qui serait suffisante pour permettre à la requérante de retourner sur le marché du travail à un emploi respectant ses limitations fonctionnelles.

[9]              Cette même journée, l’intimée refuse la demande de rente d’invalidité :

« […]

Compte tenu des exigences mentionnées précédemment et selon les renseignements obtenus, la Régie ne peut pas vous déclarer invalide, car votre condition médicale fait toujours l’objet d’un traitement actif visant à améliorer votre état de santé. Par conséquent, la Régie ne peut pas statuer sur la gravité ni sur la permanence de votre condition médicale.

[…] »

(Transcription conforme)

[10]           La requérante demande la révision de cette décision.

[11]           En août 2012, Dr Pierre Lacoste, physiatre, procède à une expertise à la demande de l’intimée.

[12]           À l’examen, le physiatre rapporte la présence de nombreux signes de non-organicité ainsi qu’une composante d’amplification. Il signale notamment la présence de problèmes sensitifs inexplicables[5].

[13]           Au terme de son évaluation, il conclut à des séquelles de laminectomie L5-S1 gauche avec radiculopathie S1 ancienne. À son avis, en ce qui a trait au système locomoteur, cette condition justifie l’émission de restrictions fonctionnelles (classe II de l’IRSST[6]). Il conclut que la requérante demeure apte à occuper un emploi respectant les restrictions fonctionnelles émises.

[14]           Au niveau thérapeutique, il suggère un programme aérobique approprié et recommande une évaluation en neuropsychologie. Les modalités thérapeutiques devront être en fonction des recommandations du neuropsychologue.

[15]           C’est dans ce contexte que le 22 janvier 2013, madame Geneviève Boulard, neuropsychologue, réalise une expertise à la demande de l’intimée.

[16]           La requérante offre une bonne collaboration et la neuropsychologue n’observe aucun signe clinique en lien avec une simulation ou une exagération de la symptomatologie.

[17]           Au questionnaire, la requérante rapporte ce qui suit :

«       […] qu'elle est apte à faire les soins personnels sauf le lavage de ses pieds et cheveux, lesquels nécessitent l'aide d'un proche ou une visite hebdomadaire chez la coiffeuse, pour ce qui est des cheveux. Elle dit être en mesure de préparer les repas. Elle ferait les différentes activités domiciliaires, sauf la balayeuse et les tâches de ménage lourd (ex : transporter un panier rempli de vêtements humides, à mettre sur la corde à longe, etc.) qui seraient sous la responsabilité de son conjoint. Les commissions et l'épicerie seraient effectuées la fin de semaine, en famille. Mme aurait un permis de conduire valide et elle conduirait assez régulièrement sur de courtes distances, soit à proximité de son domicile. Mme ne travaille plus depuis 2006. 

Au quotidien, elle dit se lever pour sa fille vers 7h00. Elle aurait l'habitude de se recoucher de 7h45 à 11h00 ou 12h00. Sa fille resterait à l'école sur l'heure du midi. Elle ferait une autre sieste entre 14h00 et 15h00 environ. Sa fille serait de retour un peu dépassé 15h00. Elle se coucherait pour la nuit vers 22h-22h30. Durant les périodes où elle ne dort pas, Mme aurait l'habitude de lire, de naviguer sur l'ordinateur, prendre une courte marche à tous les jours autant que possible et selon la température, dit-elle. Le sommeil serait caractérisé par des réveils en lien avec la douleur. Madame décrit une humeur généralement euthymique. Elle ne perçoit pas de changement ou difficulté en ce qui a trait à l'appétit, lequel est décrit comme étant normal. […] »

(Transcription conforme)

[18]           Au terme de son évaluation, la neuropsychologue conclut comme suit

«       Nos impressions cliniques pourraient se résumer ainsi : Il s'agit ici d'une dame relativement jeune, âgée de 35 ans, aux prises avec des douleurs chroniques, recevant plusieurs médicaments psychotropes et ayant cessé de travailler depuis novembre 2006. On ne retrouve pas chez elle une atteinte significative des fonctions cognitives ni une psychopathologie particulière affectant le fonctionnement quotidien. Par ailleurs, il s'agit d'une dame peu scolarisée, de pensée concrète, ayant connu des difficultés scolaires au long cours, qui entretient probablement plusieurs pensées de peur en lien avec le phénomène douloureux. Elle accuse un surpoids, porte un corset de façon permanente ou presque, et se trouve particulièrement déconditonnée et peu stimulée. »

(Transcription conforme)

[19]           À l’instar de la majorité des intervenants, madame Boulard recommande fortement une prise en charge par une équipe interdisciplinaire spécialisée dans le domaine de la douleur chronique, incluant les services psychologiques visant notamment à modifier les pensées de peur que la requérante entretient. Elle ajoute que compte tenu du nombre d’années sans travail, du surpoids, du déconditionnement général et des habitudes de vie ancrées, il est très possible d’envisager un processus thérapeutique long et difficile, et de comprendre que la requérante aura tout un défi à relever nécessitant une forte motivation et de la persévérance. Sur le plan médicamenteux, elle note que plusieurs des molécules prescrites s’associant à des effets indésirables et non anodins (trouble de concentration, de mémoire, fatigue, manque d’énergie, faiblesse…). Aussi, elle laisse le soin aux médecins de juger de la pertinence de maintenir toute cette pharmacopée.

[20]           Le pronostic de récupération fonctionnelle lui apparaît limité par différents facteurs, dont le long délai depuis la cessation d’emploi, la dimension chronique de la problématique douloureuse, le déconditionnement général, le surpoids, de même que certains aspects inhérents aux ressources personnelles de la requérante, tels son niveau de scolarité et ses capacités d’adaptation.

[21]           Si la neuropsychologue retient que la requérante ne présente pas de limitation fonctionnelle permanente sur le plan psychologique l’empêchant d’occuper régulièrement un emploi, elle ajoute qu’il y a lieu de croire qu’avant de pouvoir travailler, cette dame nécessite des soins, lesquels ne se feront probablement pas sur du court terme.

[22]           Le 18 février 2013, l’intimée maintient, en révision, le refus de reconnaître la requérante invalide :

« Nous en sommes venus à la conclusion que votre incapacité n'est pas grave au point de vous empêcher d'occuper, de façon régulière, tout type de travail rémunérateur, condition essentielle pour avoir droit à la rente d'invalidité avant l'âge de 60 ans, et à cet égard, nous sommes d'avis que vous êtes apte à occuper de façon régulière un travail respectant les limitations fonctionnelles identifiées par le Dr Pierre Lacoste. »

(Transcription conforme)

[23]           D’où le présent recours.

[24]           Au soutien de son recours, la requérante a déposé divers documents incluant le suivi clinique auprès de Dre Côté, le dossier médical du CSSS et le dossier pharmaceutique.

[25]           On y apprend notamment que la requérante a été dirigée à la clinique de la douleur en juin 2013[7], qu’elle a été hospitalisée trois jours en novembre 2013 en raison d’une lombalgie aiguë secondaire à une chute, et qu’un nouveau corset lombo-sacré lui est prescrit en janvier 2014 par un orthopédiste. Par ailleurs, un nouveau diagnostic s’est ajouté, à savoir une hémochromatose, condition justifiant un suivi médical spécialisé et pour laquelle la requérante doit subir régulièrement des phlébotomies. Le suivi fait aussi mention de la présence de cervicalgie et d’une narcodépendance.

[26]           La requérante a également déposé le rapport d’une seconde expertise effectuée par Dre Morand, en date du 6 décembre 2013. Le rapport est daté du 21 mai 2014.

[27]           Dre Morand souligne l’augmentation de la médication multimodale[8] avec puissants narcotiques, note qu’un plafond a été atteint en physiothérapie et en ergothérapie et ajoute que le tout est associé à une prise de poids progressive. La requérante est incapable de fonctionner sans son corset dorso-lombaire. Elle a aussi acheté une canne pour être plus sécuritaire et éviter les chutes par dérobades.

[28]           Après avoir revu le dossier, questionné et examiné la requérante, Dre Morand retient la présence d’une lombo-sciatalgie gauche rebelle et confirme le diagnostic de fibromyalgie, ajoutant qu’aucun indice n’est observé en lien avec une simulation ou une exagération de la symptomatologie selon la neuropsychologue.

[29]           Dre Morand réitère que la requérante est inemployable considérant sa condition physique et sa scolarité, pour tout type de travail sédentaire à cause de l’intensité des douleurs et la médication nécessaire pour la soulager partiellement. Le pronostic est très pauvre, moins de 5 %.

Témoignages

·        Témoignage de la requérante

[30]           À l’audience, la requérante relate sa formation (2e secondaire non complété), ses expériences professionnelles, et explique l’évolution de sa condition depuis l’arrêt de travail de novembre 2006.

[31]           Elle décrit une détérioration progressive depuis 2006. La symptomatologie douloureuse est mieux contrôlée avec les derniers ajustements de la médication, mais elle perdure. La fibromyalgie se manifeste par de la fatigue, de la tension. Elle a des problèmes de mémoire et de concentration.

[32]           Elle s’est soumise à tous les traitements qui lui ont été prescrits (infiltrations, chirurgie, médication, ergothérapie, physiothérapie, massothérapie) et continue à faire des exercices quotidiennement (vélo stationnaire, tapis roulant). Elle porte son corset lombo-sacré qu’elle n’enlève que pour dormir et se laver.

[33]           Au niveau de la réalisation des activités, elle recoupe, pour l’essentiel, ce qui a été rapporté par madame Boulard[9]. La requérante précise que pour la préparation des repas, elle ne manipule que ce qui est à sa hauteur. La marche est limitée à 20-30 minutes, de même que la conduite automobile, qui est facilitée par le fait que le dossier de son siège est incliné.

[34]           Elle n’a fait aucune tentative de retour au travail depuis 2006. Elle ne pense pas être en mesure de travailler, car elle n’aurait pas la capacité de se lever le matin pour y aller. Elle ne saurait se projeter dans l’avenir.

·        Témoignage de Y. M., conjoint de la requérante

[35]           Monsieur M. corrobore les propos tenus par la requérante relatifs à ses activités et à la symptomatologie alléguée.

·        Témoignage de Dre Claudine Morand

[36]           La physiatre a réalisé deux expertises, la première en 2011 et la seconde en 2013. Elle décrit l’évolution défavorable entre ses deux expertises, la fibromyalgie ayant pris le dessus, soulignant entre autres éléments une augmentation de la médication, ainsi que le fait que la requérante ait pris 38 livres, son poids passant de 179 à 216 livres. Le problème de poids constitue un facteur d’entretien de la douleur.

[37]           La requérante ne peut fonctionner sans son corset, qui agit comme un plâtre et limite de beaucoup ses capacités de se mobiliser. Elle a perdu toute sa musculature, a perdu sa proprioception, ce qui est susceptible d’entraîner des dérobades. C’est catastrophique.

[38]           Commentant l’expertise de Dr Lacoste, elle souligne notamment que le phénomène d’hypersensibilité que ce dernier a soulevé comme étant un signe de non-organicité est une des composantes de la fibromyalgie[10]. Elle ajoute que l’expertise en neuropsychologie a permis d’écarter tout phénomène d’exagération ou d’amplification.

[39]           À son avis, la requérante a des restrictions fonctionnelles de classe IV et est inapte à tout emploi de façon permanente, et ce, malgré son jeune âge. Même si des interventions auprès d’une équipe multidisciplinaire étaient mises en place, le pronostic de récupération, ou d’une récupération suffisante pour lui permettre de reprendre un emploi, est très pauvre. 

Analyse et motifs

[40]           Disposant du présent litige, le Tribunal rappelle qu’il appartient à la requérante de démontrer, par une preuve prépondérante, le bien-fondé de ses prétentions.

[41]           Le Tribunal tient à souligner que son rôle se limite à décider si, au moment de la décision de février 2013, la requérante doit être considérée invalide au sens de l’article 95 de la Loi sur le régime de rentes du Québec, lequel se lit comme suit :

95. Une personne n'est considérée comme invalide que si la Régie la déclare atteinte d'une invalidité physique ou mentale grave et prolongée.

Une invalidité n'est grave que si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.

En outre, dans le cas d'une personne âgée de 60 ans ou plus, une invalidité est grave si elle rend cette personne régulièrement incapable d'exercer l'occupation habituelle rémunérée qu'elle détient au moment où elle cesse de travailler en raison de son invalidité.

Une invalidité n'est prolongée que si elle doit vraisemblablement entraîner le décès ou durer indéfiniment.

[…]

[42]           Les critères requis par l'article 95 de la Loi sont exigeants. Considérant son âge, la requérante doit démontrer qu’elle était régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice, et ce, indéfiniment.

[43]           Qu’en est-il?

[44]           Outre le médecin traitant de la requérante, Dre Côté, plusieurs spécialistes ont eu, au fil des ans, à se prononcer sur la capacité de travail de la requérante.

[45]           Dans un premier temps, force est de constater que l’opinion médicale relative à la capacité de la requérante de reprendre son occupation habituelle de gérante de magasin à grande surface est unanime : cette dernière n’en a pas la capacité, considérant les exigences de l’emploi.

[46]           Quant à sa capacité d’occuper tout emploi dans la période concernée, seuls Drs Jobin (2009) et Lacoste (2012), considèrent la requérante apte au travail. En 2009, Dr Jobin n’émet aucune restriction fonctionnelle, alors qu’en 2012, Dr Lacoste reconnaît la présence de restrictions fonctionnelles de classe II. Ces spécialistes ne retiennent toutefois que les difficultés secondaires à la hernie discale L5-S1 gauche.

[47]           De leur côté, Dre Côté ainsi que Dres Boulet (2010) et Morand (2011 et 2013), physiatres, considèrent la requérante inapte à tout emploi. Leur opinion est bien motivée. En 2011, Dre Morand ajoute au diagnostic de lombo-sciatalgie gauche celui de fibromyalgie, diagnostic qui n’a pas été contesté. Ajoutons que dans une note du 1er mars 2012, Dre Kim Anh Do, médecin à l’emploi de l’intimée, retenait également de son analyse du dossier, que la requérante était alors invalide.

[48]           Ceci dit, le Tribunal ne peut occulter le fait que plusieurs spécialistes, incluant Drs Truffer, Morand et Lacoste, devant un tableau clinique quelque peu atypique, se sont interrogés sur la recherche de gains secondaires.

[49]           Or, une évaluation en neuropsychologie effectuée en janvier 2013 a permis d’éluder cet aspect. Le Tribunal ne dispose donc d’aucune preuve permettant de conclure que la requérante tente d’amplifier ou d’exagérer ses difficultés.

[50]           Aussi, le Tribunal en arrive à la conclusion que la preuve prépondérante révèle qu’au moment où l’intimée a rendu sa décision, la requérante était inapte à tout emploi. Sa condition répond au critère de gravité prévu par la Loi.


[51]           Quant au critère de pérennité de la condition, le Tribunal ne peut passer sous silence que de façon constante, et ce, depuis l’arrêt de travail en 2006, tous les intervenants insistent sur l’importance de l’activation, du reconditionnement, d’une prise en charge multidisciplinaire.

[52]           À cet égard, malgré tous les efforts consentis par la requérante, l’on ne peut que constater un échec. Certes, il n’y a pas eu de prise en charge formelle en clinique de la douleur, la requérante étant d’ailleurs toujours en attente d’un premier rendez-vous, mais la preuve révèle un suivi constant au niveau des mesures thérapeutiques, et ce, pendant de nombreuses années, incluant pendant plusieurs mois en 2010 et 2011 des efforts concertés en physiothérapie et en ergothérapie.

[53]           Le Tribunal est conscient que chez une personne de cet âge, il faut être extrêmement prudent avant de se prononcer sur un état d’invalidité. Néanmoins, dans les circonstances particulières du présent dossier, la preuve prépondérante dont le Tribunal dispose milite en faveur d’un très faible pronostic de récupération fonctionnelle, et, s’il en était, à long terme uniquement.

[54]           À cet égard, l’opinion de Dre Morand est corroborée par la neuropsychologue, madame Boulard, qui retient que si la requérante ne présente pas de limitation fonctionnelle permanente sur le plan psychologique l’empêchant d’occuper régulièrement un emploi, « [i]l y a lieu de croire toutefois qu’avant de pouvoir travailler réellement, cette dame nécessite des soins, lesquels ne se feront probablement pas sur du court terme »[11].

[55]           Aussi, se prononçant selon la prépondérance de la preuve qui lui est soumise, le Tribunal retient qu’il est difficile d’envisager, dans un avenir prévisible, que la requérante puisse retourner sur le marché du travail dans un emploi véritablement rémunérateur. Son incapacité rencontre donc le caractère de « durer indéfiniment ».

[56]           Le Tribunal rappelle néanmoins que compte tenu du jeune âge de la requérante, des avancements des connaissances et des développements possibles dans les années à venir, l’intimée pourra procéder à de nouvelles vérifications au fil des ans, si jugé pertinent.


POUR CES MOTIFS, le Tribunal :

-        ACCUEILLE le recours,

-        INFIRME la décision en révision du 18 février 2013;

-        DÉCLARE la requérante invalide au sens de la Loi.


 

STELLA PHANEUF, j.a.t.a.q.

 

 

KATHYA GAGNON, j.a.t.a.q.


 

Samson, Côtes, Gardner

Me Fannie Côtes

Procureure de la partie requérante

 

Arav Robillard & Laniel

Me Michel Bélanger

Procureur de la partie intimée


 



[1] Retraite Québec est l’entité légale qui remplace la Régie des rentes du Québec depuis le 1er janvier 2016.

[2] RLRQ, chapitre R-9.

[3] Les expériences de travail antérieures de la requérante incluent un emploi d’ouvrière serricole de 1995 à 2003, de responsable de l’emballage dans une entreprise de confection de 2000 à 2003 et d’aide-cuisinière/ménagère de 1993 à 1995.

[4] Activités de la vie quotidienne et activités de la vie domestique.

[5] À cet égard, l’expert note une hémi-hypoesthésie et une hypoalgésie occupant l’hémicorps gauche. Il indique toutefois que la palpation est perçue comme excessivement douloureuse.

[6] Les restrictions fonctionnelles sont décrites à la page 285 du dossier.

[7] Selon son témoignage, la requérante est toujours en attente d’un rendez-vous.

[8] Dre Morand constate une augmentation de la dose d’Élavil et de Flexeril, et signale l'ajout d’Effexor, médication prescrite pour le contrôle de la douleur (en remplacement du Cymbalta que la requérante prenait depuis quelques mois, mais qui n’est pas remboursé par la RAMQ). Le Dilaudid est pris de façon régulière.

[9] Voir paragraphe [17] de la présente décision.

[10] Notons que Dr Jobin en 2009 avait également fait état d’un problème d’allodynie (hypersensibilité au toucher).

[11] Page 301 du dossier.

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