[1] L'appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 7 mai 2014 par la Cour supérieure, district de Québec (l'honorable Alicia Soldevila), qui a rejeté son objection à la preuve fondée sur une immunité statutaire de divulgation en justice, a ordonné la communication de quatre documents non caviardés et a aussi ordonné la transmission de 57 autres documents non caviardés, sous réserve, dans ce dernier cas, du droit de l’appelante d’invoquer que certains des renseignements qu’ils contiennent ne sont pas pertinents au litige.
[2] Pour les motifs de la juge Bélanger, auxquels souscrit le juge Gagnon, LA COUR :
[3] REJETTE l’appel, avec dépens.
[4] Pour sa part, pour d’autres motifs, le juge Morin aurait accueilli l’appel et accueilli l’objection formulée par l’appelante relativement à la communication au MEDAC de renseignements contenus aux soixante-trois documents, le tout avec dépens contre MEDAC.
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MOTIFS DE LA JUGE BÉLANGER |
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[5] Le présent pourvoi soulève la question de décider si les articles 2 et 3 du Règlement sur les renseignements relatifs à la supervision des sociétés d’assurances[1] contiennent une interdiction de divulgation spécifique et absolue des renseignements de supervision ou n’énoncent-ils pas plutôt une simple obligation statutaire de confidentialité.
[6] La juge de première instance a décidé[2] que le Règlement renvoie à une simple obligation de confidentialité. Elle a en conséquence rejeté l’objection formulée par l’appelante et a ordonné la communication des documents en cause. Précisons dès maintenant que les parties ont déjà mis en place une entente de confidentialité à l’égard de cette information.
[7] La permission d’appeler de ce jugement a été accordée par le juge Claude C. Gagnon, lequel a estimé être en présence « d’un de ces cas très exceptionnels où un intérêt supérieur commande d’autoriser l’appel »[3].
[8] Le Procureur général du Canada (PGC), au droit du Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF), a été mis en cause. Permission d’intervenir a aussi été accordée à l’Association des banquiers canadiens (ABC), au Bureau d’assurance du Canada (BAC) et à l’Association canadienne des compagnies d’assurance de personnes du Canada (ACCAP).
[9] Les intimés, le Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires (MEDAC) et Marc Lamoureux, ont été autorisés à intenter un recours collectif contre l’appelante, Société Financière Manuvie, et certains de ses dirigeants[4]. Les intimés leur reprochent, d’une part, d’avoir contrevenu à leur obligation d’information continue prévue à l’article 73 de la Loi sur les valeurs mobilières[5] et au règlement en découlant[6], et, d’autre part, d’avoir fourni des informations inexactes, fausses, incomplètes ou trompeuses quant à ses produits garantis. Ils prétendent que ces fautes ont influencé défavorablement les investisseurs et la valeur ou le cours des actions de l’appelante.
[10] Dans le cadre des interrogatoires après défense, l’appelante a formulé une objection à la communication de 63 documents internes qui contiennent des renseignements relatifs à la supervision des sociétés d’assurances.
[11] L’objection est fondée sur les articles 2 et 3 du Règlement qui interdirait la communication de ces renseignements. J’y reviendrai.
[12] La juge estime que le débat sur la teneur des renseignements contenus aux documents demandés est hautement pertinent au litige[7].
[13] Son analyse sur la portée de la non-divulgation débute par un énoncé de principe déjà formulé par notre Cour en ces termes : « [d]ans un procès civil, les parties ont droit à la communication de documents, même confidentiels, lorsque ceux-ci sont pertinents au litige »[8]. Après avoir fait état du droit sur ce sujet, elle étudie les affaires Transamerica Life Insurance Co. of Canada v. Canada Life Assurance Co.[9] et Jeffery v. London Life Insurance Company[10]. Se disant d’accord avec ces jugements, la juge en conclut que les articles 2 et 3 du Règlement équivalent à une simple exigence de confidentialité de la part des sociétés, le surintendant étant par ailleurs déjà assujetti à une telle exigence en vertu des articles 672 L.s.a. et 22 de la Loi sur le Bureau du surintendant des institutions financières[11]. Elle note que l’article 39.1 L.B.s.i.f., adopté en 2012, ne vise que la non-assignation du surintendant à témoigner; le législateur n’ayant pas prévu dans le Règlement une telle interdiction pour les sociétés.
[14] Enfin, la juge examine l’échantillon des six documents non caviardés. Elle est d’avis que deux de ces documents, quoiqu’ils contiennent des renseignements protégés par les articles 2 et 3 du Règlement, ne sont pas pertinents au litige. Quant aux passages caviardés des quatre autres documents, la juge estime qu’ils renferment des renseignements visés par l’article 2 du Règlement et qu’ils paraissent pertinents. Elle en ordonne la communication. De même, selon les termes du protocole de confidentialité intervenu entre les parties, elle ordonne la transmission d’une version non caviardée des 57 autres documents, sous réserve d’un débat à venir quant à leur pertinence.
[15] Les articles 2 et 3 du Règlement constituent-ils une interdiction de divulgation spécifique et absolue des renseignements de supervision normalement destinés au BSIF ou plutôt une obligation statutaire de confidentialité?
[16] L’appelante soutient que les articles 2 et 3 du Règlement créent une « interdiction de divulgation spécifique et absolue » et non une simple obligation de confidentialité. La non-ambigüité du texte règlementaire ou sa lecture selon la méthode d’interprétation moderne, d’une part, et les objectifs d’intérêt public poursuivis par le législateur dans le domaine financier, d’autre part, confirmeraient ce postulat. À cet égard, l’appelante affirme que le jugement entrepris met en péril la qualité des échanges entre le surintendant et les sociétés, ébranlerait la confiance de ces sociétés à l’égard du régime de divulgation confidentiel prévu par la Loi et, ultimement, affecterait négativement l’efficacité du contrôle règlementaire du système financier canadien, contrôle qui a réussi à bien protéger le Canada des effets de la crise économique de 2008.
[17] L’appelante ajoute que dès que l’interdiction est jugée absolue, il n’est plus nécessaire d’analyser la pertinence des documents. Enfin, elle fait valoir que l’interdiction prévue aux articles 2 et 3 du Règlement doit recevoir une protection supérieure ou, à tout le moins, égale à celle des privilèges d’intérêts publics[12] et que tels privilèges s’appliquent ici.
[18] Le mis en cause et les trois intervenants soutiennent essentiellement la même position que l’appelante. Le mis en cause souligne que la juge d’instance aurait omis de différencier les obligations en cause. Les intervenantes BAC et ACCAP font valoir que l’article 3 du Règlement ne comporte aucune exception du style « sauf lorsqu’exigé par la loi ou le tribunal », ce qui confirme le caractère absolu de l’interdiction de divulgation en justice. Enfin, l’intervenant ABC se penche sur l’applicabilité d’un privilège d’intérêt public à la présente affaire pour finalement conclure comme l’appelante.
[19] Les intimés avancent plutôt que les articles 2 et 3 du Règlement créent une simple obligation de confidentialité. Ils réitèrent l’importance, en droit civil québécois, du droit à la vérité et à la liberté de la preuve. Ils ajoutent que l’argument relatif aux privilèges d’intérêts publics n’a pas fait l’objet d’un débat en première instance ni même de la requête pour permission d’appeler et nécessiterait, au surplus, une preuve additionnelle.
[20] En principe, la règle de la pertinence gouverne la communication de « […] tout écrit se rapportant au litige »[13]. La détermination de la pertinence d’un document fait partie des devoirs dévolus aux juges de première instance qui, au premier chef, sont les mieux placés pour l’évaluer. Cela est d’autant plus vrai en matière de recours collectif où le juge, comme c’est le cas ici, gère, depuis les tout débuts, le dossier de façon particulière et en connaît donc tous les tenants et aboutissants.
[21] Encore récemment, dans l’arrêt de la Cour suprême Pétrolière Impériale c. Jacques[14], les juges LeBel et Wagner aux noms des juges majoritaires rappellent que la recherche et la découverte de la vérité, sous réserve des objectifs de la proportionnalité et de l’efficacité, « […] demeure[nt] le principe cardinal de la conduite de l’instance civile ». Ils réaffirment aussi le principe de la liberté de la preuve lors des interrogatoires préalables[15].
[22] Il est aussi reconnu depuis longtemps qu’au stade des interrogatoires préalables, il y a lieu de favoriser la divulgation la plus complète de la preuve[16]. Sur ce sujet, le juge Proulx, j.c.a., dans l’affaire Westinghouse, a établi les facteurs qui doivent gouverner la communication de la preuve :
1. qu'au stade de l'interrogatoire préalable, tant avant qu'après défense, il y a lieu de favoriser la divulgation la plus complète de la preuve;
2. qu'à ce stade, comme il s'agit d'une communication de la preuve, la preuve divulguée n'est ultimement produite au procès qu'au choix des parties;
3. que le défendeur doit satisfaire le tribunal non pas de la pertinence de la preuve, au sens traditionnel du mot pris dans le contexte d'un procès, mais que la communication de l'écrit est utile, appropriée, susceptible de faire progresser le débat, reposant sur un objectif acceptable qu'il cherche à atteindre dans le dossier, que l'écrit dont il recherche la communication se rapporte au litige;
4. que cette communication ne peut constituer une «recherche à l'aveuglette»;
5. que l'écrit soit susceptible de constituer une preuve en soi.
[23] Il demeure toutefois que « l’opposition à la communication peut […] reposer sur une immunité de divulgation de source légale ou prétorienne »[17].
[24] Je suis toutefois d’avis qu’une telle immunité de divulgation ne se retrouve pas au Règlement à l’étude. Voici pourquoi.
[25] En 1987, le législateur fédéral a mis sur pied le BSIF en lui donnant mandat d’assumer le rôle de surveillant à l’égard de toutes les institutions financières fédérales. L’objectif du législateur était d’accroître la confiance du public envers le système financier canadien[18]. Le mandat de supervision dévolu au surintendant prévoit qu’il s’assure de la bonne santé financière des sociétés assujetties et du respect des lois par celles-ci. Le BSIF doit donc aviser sans délai les institutions s’il estime qu’elles se retrouvent en mauvaise situation financière ou en défaut de respecter les lois qui leur sont applicables. Au besoin, il peut entreprendre des mesures pour les contraindre à corriger une situation[19].
[26] En 1991, dans le cadre de la réforme réglementaire des institutions financières, le législateur fédéral a adopté la Loi sur les assurances[20], dont l’article 672 contient une disposition similaire à l’article 22 L.B.s.i.f.
[27] Cette disposition prescrit le caractère confidentiel des renseignements obtenus par le surintendant dans le cadre de son mandat de supervision :
672. (1) Sous réserve de l’article 673, sont confidentiels et doivent être traités comme tels les renseignements concernant l’activité commerciale et les affaires internes de la société ou concernant une personne faisant affaire avec elle et obtenus par le surintendant ou par toute autre personne agissant sous ses ordres, dans le cadre de l’application d’une loi fédérale, de même que ceux qui sont tirés de tels renseignements. […] |
672. (1) Subject to section 673, all information regarding the business or affairs of a company, society, foreign company or provincial company, or regarding a person dealing with any of them, that is obtained by the Superintendent, or by any person acting under the direction of the Superintendent, as a result of the administration or enforcement of any Act of Parliament, and all information prepared from that information, is confidential and shall be treated accordingly. […]
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[28] En effet, dans le cadre de ses fonctions, le surintendant obtient de la société assujettie des « renseignements concernant l’activité commerciale et les affaires internes » que cette dernière doit fournir[21]. Ces renseignements, tout comme les renseignements qui en sont tirés, sont donc protégés par une obligation statutaire de confidentialité contenue au paragraphe 672(1) L.s.a.
[29] Toutefois, des exceptions à l’obligation de confidentialité du surintendant permettent la communication des renseignements, notamment à d’autres organismes de réglementation, s’il est convaincu que les renseignements seront considérés comme confidentiels[22], ou au grand public, lorsque le ministre des Finances le juge nécessaire[23].
[30] Dans une perspective de contrôle règlementaire qui, rappelons-le, vise à « accroître la confiance du public envers le système financier canadien », cette obligation de confidentialité favorise certainement les échanges entre le surintendant et les assujettis. Les renseignements qui sont tirés de ceux fournis par les sociétés assujetties constituent donc une variation de ceux-ci et sont aussi soumis au devoir de confidentialité.
[31] Dans le contexte de l’article 672 L.B.s.i.f., l’obligation de confidentialité est imposée au surintendant au bénéfice des assujettis qui ont transmis des documents qui peuvent contenir, il faut en convenir, des informations sensibles.
[32] En 1999, la L.s.a. et la L.B.s.i.f. sont modifiées pour y introduire un pouvoir d’interdire ou de restreindre, par règlement, la communication de renseignements relatifs à la supervision par les sociétés :
672.1 Le gouverneur en conseil peut, par règlement, interdire ou restreindre la communication par les sociétés des renseignements relatifs à la supervision exercée par le surintendant qui sont précisés par règlement.
(Mes soulignements)
[33] C’est donc par la mise en œuvre du Règlement qu’en 2001, les sociétés se sont vues imposer une interdiction et une restriction à la communication des renseignements relatifs à la supervision :
RENSEIGNEMENTS
2. (1) Pour l’application de l’article 672.1 de la Loi sur les sociétés d’assurances, les renseignements relatifs à la supervision ou toute partie de ceux-ci exercée par le surintendant à l’égard d’une société sont les suivants :
a) toute cote attribuée par le surintendant à la société pour évaluer sa situation financière ainsi que toute autre cote d’évaluation de sa situation financière fondée en grande partie sur des renseignements obtenus du surintendant;
b) tout niveau d’intervention attribué à la société :
(i) dans le cas d’une société d’assurance-vie, aux termes du Guide de surveillance s’appliquant aux sociétés d’assurance-vie assujetties à la réglementation fédérale, (ii) dans le cas d’une société d’assurances multirisques ou d’une société d’assurance maritime, aux termes du Guide de surveillance s’appliquant aux sociétés d’assurances assujetties à la réglementation fédérale;
c) toute ordonnance prise à l’égard de la société en vertu des paragraphes 515(3), 516(4), 608(4) ou 609(2) de la Loi sur les sociétés d’assurances, tout accord prudentiel conclu par elle aux termes de l’article 675.1 de cette loi et toute décision prise à son égard en vertu de l’article 676 de la même loi;
d) tout rapport établi par le surintendant ou à sa demande ou toute recommandation formulée par celui-ci au terme d’une inspection annuelle ou spéciale de la société ou de tout autre examen relatif à sa supervision, y compris la correspondance échangée à cet égard avec ses administrateurs ou ses dirigeants.
e) [Abrogé, DORS/2011-196, art. 20]
(2) […]
COMMUNICATION INTERDITE 3. Sous réserve des articles 4 et 5, il est interdit à toute société de communiquer à quiconque, directement ou indirectement, des renseignements visés à l’article 2.
COMMUNICATION RESTREINTE 4. La société peut communiquer les renseignements visés à l’article 2 aux entités de son groupe de même qu’à son actuaire et ses administrateurs, dirigeants, employés, vérificateurs, souscripteurs à forfait et conseillers juridiques, et à ceux des entités de son groupe, si elle veille à ce que les renseignements demeurent confidentiels.
5. La société ou une entité de son groupe peut communiquer les renseignements visés à l’alinéa 2(1)c) si elle conclut qu’ils comportent un fait ou changement important dont la communication est exigée par les lois sur les valeurs mobilières du territoire compétent.
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PRESCRIBED SUPERVISORY INFORMATION
2. (1) For the purposes of section 672.1 of the Insurance Companies Act, the following information or any component of that information is prescribed supervisory information in relation to a company:
(a) any rating assigned by the Superintendent to the company to assess its financial condition and any other such rating that is substantially based on information obtained from the Superintendent;
(b) any stage of intervention assigned to the company
(i) in the case of a life company, under the Supervisory Guide Applicable to Federally Regulated Life Insurance Companies, and (ii) in the case of a property and casualty company or a marine company, under the Supervisory Guide Applicable to Federally Regulated Insurance Companies;
(c) any order made in respect of the company under subsection 515(3), 516(4), 608(4) or 609(2) of the Insurance Companies Act, any prudential agreement entered into by the company under section 675.1 of that Act or any direction issued to it under section 676 of that Act; and
(d) any report prepared by or at the request of the Superintendent or any recommendation made by the Superintendent as a result of an annual or special examination or other supervisory review of the company, including any related correspondence to or from the directors or officers of the company.
(e) [Repealed, SOR/2011-196, s. 20]
(2) […]
PROHIBITED DISCLOSURE 3. Subject to sections 4 and 5, a company shall not, directly or indirectly, disclose information referred to in section 2.
LIMITED DISCLOSURE 4. A company may disclose information referred to in section 2 to its affiliates or to its directors, officers, employees, auditors, securities underwriters or legal advisors, or to those of its affiliates, if the company ensures that the information remains confidential.
5. A company or any of its affiliates may disclose information referred to in paragraph 2(1)(c) if the company or affiliate considers the information to contain a material fact or material change that is required by the securities laws of the relevant jurisdiction to be disclosed.
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[34] Ce Règlement crée pour l’assujetti une interdiction de communiquer les renseignements de supervision. Ces renseignements constituent en quelque sorte le dossier constitué par le surintendant à l’égard d’un assujetti et contiennent l’ensemble des décisions prises à son endroit. Rappelons que les renseignements de supervision sont constitués de la cote et du niveau d’intervention attribués aux sociétés assujetties, ainsi que des ordonnances, rapports ou recommandations émis à leur égard par le surintendant.
[35] Certaines exceptions sont cependant prévues au Règlement. Elles autorisent expressément la communication d’informations autrement confidentielles à un cercle restreint de personnes qui doivent, elles aussi, assurer leur confidentialité. De plus, il serait possible pour la société, sous réserve de certaines conditions, de révéler les informations à un éventuel acquéreur.
[36] Dans les grandes lignes, on comprend que l’interdiction de divulguer les renseignements relatifs à la supervision, dont la cote, le niveau d’intervention et toute ordonnance rendue par le BSIF à l’égard d’une société assujettie, vise un objectif précis :
Ø Favoriser la mise en œuvre du mandat de surveillance du surintendant en permettant un échange efficace d’informations entre les sociétés assujetties et ce dernier;
Ø Éviter les réactions négatives du public envers l’institution avant que les correctifs ne soient apportés, ce qui pourrait influer la stabilité du système financier dans son ensemble[24], et;
Ø Empêcher une société assujettie qui aurait reçu des rapports positifs de les utiliser à des fins promotionnelles.
[37] Malgré l’établissement de ce canal de communication privilégié entre les assujettis et le surintendant, certains éléments portent à croire que nous ne sommes pas en présence d’une interdiction absolue de divulgation pour les sociétés assujetties.
[38] C’est d’ailleurs la détermination à laquelle en sont arrivés les tribunaux ontariens dans l’affaire Jeffery. Toutefois, il est utile de souligner que, dans cette affaire, la demande de communication de documents était transmise au surintendant lui-même qui s’opposait, en vertu du principe du délibéré, à produire lesdits documents.
[39] Cela dit, la juge Soldevila a eu raison d’affirmer que ce n’est pas parce qu’une disposition statutaire met en place un régime de confidentialité que l’on doit en conclure que le législateur a voulu pour autant imposer une interdiction absolue de divulgation, y compris une divulgation en justice[25].
[40] En 2012, le législateur est intervenu à nouveau, cette fois pour créer une réelle immunité de divulgation en faveur du surintendant et des membres de son personnel par l’adoption de l’article 39.1 L.B.s.i.f.[26] :
39.1. Le surintendant, les surintendants adjoints, les dirigeants et employés du Bureau, de même que les personnes agissant sous les ordres du surintendant, ne sont pas des témoins contraignables dans le cadre de toute procédure civile en ce qui touche les questions venues à leur connaissance dans l’exercice des attributions que leur confère la présente loi ou toute loi mentionnée à l’annexe. |
39.1. The Superintendent, any Deputy Superintendent, any officer or employee of the Office or any person acting under the direction of the Superintendent, is not a compellable witness in any civil proceedings in respect of any matter coming to their knowledge as a result of exercising any of their powers or performing any of their duties or functions under this Act or the Acts listed in the schedule.
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[41] Cet amendement législatif est survenu à la suite de l’affaire Jeffery[27], dans laquelle l’interrogatoire de membres du BSIF a été autorisé en première instance, conclusion confirmée pour l’essentiel par la Cour d’appel de l’Ontario[28]. On se souviendra que la Cour d’appel de l’Ontario a confirmé que deux personnes du BSIF étaient des témoins contraignables, rejetant sur ce point la prétention du Procureur général du Canada. La Cour a alors spécifié que les témoins pouvaient être interrogés sur les faits de la cause, sans toutefois que le secret du délibéré soit révélé.
[42] Cette nouvelle immunité de divulgation s’ajoute donc à l’obligation statutaire de confidentialité qui est imposée au surintendant depuis 2001. Il est utile de préciser qu’avant 2001, le BSIF ne communiquait pas ses cotes de rendement aux sociétés assujetties. À la suite d’une recommandation du vérificateur général du Canada, le BSFI a commencé à divulguer aux institutions assujetties les cotes leur ayant été attribuées, et ce, afin de leur indiquer comment elles étaient perçues par l’organisme de réglementation.
[43] La modification législative de 2012 n’a pas eu pour effet de transformer l’obligation de confidentialité imposée aux sociétés assujetties en une interdiction absolue de divulgation. Si telle avait été l’intention du législateur, il l’aurait affirmé clairement. Tout porte plutôt à croire que le législateur est intervenu dans le seul et unique but d’éviter l’assignation en justice du surintendant et des membres de son personnel.
[44] Cependant, rien ne fait voir que l’immunité accordée au surintendant et aux membres de son personnel peut être attribuée aux sociétés assujetties.
[45] Or, si le législateur avait voulu mettre en place une interdiction absolue, il aurait spécifié que toute communication, « même en justice », est interdite. C’est d’ailleurs une technique rédactionnelle similaire qu’il a utilisée dans d’autres lois. Comme le souligne la juge Soldevila et à titre d’exemple, dans la Loi sur les statistiques[29], le législateur a prévu que certains documents « […] sont protégés et ne peuvent servir de preuve dans aucune procédure quelle qu’elle soit ».
[46] En terminant sur ce point, je souligne l’opinion émise par les professeurs Ducharme et Panaccio qui estiment avec justesse que « [L]orsqu’une loi se limite à déclarer qu’un document est confidentiel, il faut […] présumer que cette confidentialité s’applique uniquement dans un contexte extrajudiciaire comme devoir de discrétion, sauf s’il est manifeste que l’intention du législateur est de lui conférer une immunité de divulgation en justice »[30].
[47] J’estime ne pas être en présence de l’un de ces rares cas où il est manifeste que le législateur a voulu conférer une immunité de divulgation, même en justice.
[48] En principe, la règle de la pertinence fait en sorte que lorsqu’une partie est en possession de documents pertinents au litige, hormis les cas prévus à l’article 2858 du Code civil du Québec, elle doit les communiquer à la partie adverse. S’il apparaît que ces documents sont confidentiels, non seulement les parties sont-elles soumises à une obligation de confidentialité pour tout ce qui concerne les documents de cette nature obtenus à l’étape des interrogatoires au préalable[31], mais elles peuvent aussi mettre en place des mesures de protection supplémentaires pour en assurer la confidentialité, pratique devenue courante devant les différentes instances judiciaires du Québec.
[49] À ce chapitre, les parties ont d’ailleurs mis en place une telle entente de confidentialité à l’égard des informations en cause et rien ne laisse voir que ces mesures sont insuffisantes pour maintenir la confidentialité recherchée. Par exemple, il y est prévu que seuls quatre avocats nommés, leurs experts et le représentant du MEDAC auront accès aux documents. Ces personnes se sont engagées à la plus grande confidentialité. Par ailleurs, ils ne peuvent reproduire les documents sans le consentement de l’appelante ou de la Cour. Également, si le MEDAC désire utiliser les documents confidentiels dans le cours du dossier, il s’engage à donner à l’appelante un avis de trente jours, délai qui lui permettrait d’entreprendre des mesures de protection supplémentaires, si nécessaire. Finalement, le MEDAC et ses procureurs s’engagent, une fois le litige terminé, à retourner toutes les copies des documents confidentiels aux procureurs de l’appelante.
[50] Je mentionne au passage qu’aucune des parties n’a allégué que ces mesures étaient insuffisantes à l’égard de l’objectif de confidentialité qu’elles poursuivent.
[51] Cela dit, il se pourrait qu’en « […] présence de raisons […] justifiant de s’y opposer »[32], un juge refuse la communication des renseignements de supervision, étant donné l’importance accordée par le législateur au devoir de confidentialité. Par exemple, dans les cas où l’intérêt public à préserver la confidentialité des renseignements est plus grand que l’importance de la divulgation pour l’administration de la justice.
[52] Tout comme il a été décidé dans l’affaire Globe and Mail[33], les tribunaux et les juges québécois ont, en vertu de l’article 46 du Code de procédure civile, tous les pouvoirs nécessaires à l’exercice de leur compétence, y compris celui d’empêcher la communication de documents pertinents, parce que leur communication, dans un cas particulier ou exceptionnel, pourrait heurter les objectifs du législateur.
[53] Comme rien ne démontre que ce soit le cas dans la présente affaire, d’autant plus que les renseignements concernés datent de plusieurs années (2004 à 2009), la juge était bien fondée à ordonner leur communication.
[54] Rappelons également que quoique la communication des renseignements puisse être ordonnée au stade préliminaire, il demeure toujours possible, quoiqu’exceptionnel, qu’à l’étape du procès, le tribunal puisse maintenir le secret partiel ou complet de ces informations, soit au moyen d’une ordonnance de huis clos ou encore d’une ordonnance de non-publication[34].
[55] Je propose donc le rejet de l’appel, avec dépens.
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DOMINIQUE BÉLANGER, J.C.A. |
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MOTIFS DU JUGE MORIN |
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[56] J’ai pris connaissances des motifs de ma collègue, la juge Bélanger, et, avec égards, je ne peux me rallier à son opinion.
[57] Comme le souligne avec justesse ma collègue, le Règlement sur les renseignements relatifs à la supervision des sociétés d’assurances[35] (Règlement) a été adopté en vertu de l’article 672.1 de la Loi sur les sociétés d’assurances[36]. Cet article est rédigé de la façon suivante :
672.1 Le gouverneur en conseil peut, par règlement, interdire ou restreindre la communication par les sociétés des renseignements relatifs à la supervision exercée par le surintendant qui sont précisés par règlement. |
672.1 The Governor in Council may make regulations prohibiting, limiting or restricting the disclosure by companies, societies, foreign companies or provincial companies of prescribed supervisory information. |
[58] Cet article dont la constitutionnalité n’est pas attaquée accorde clairement au gouvernement le pouvoir d’édicter des règlements interdisant la communication par les sociétés d’assurances des renseignements qui y sont précisés.
[59] Il y a lieu de noter que le texte français contient les mots « interdire ou restreindre », alors que le texte anglais utilise les mots « prohibiting, limiting or restricting ». Il en ressort que le législateur distingue ainsi les règlements interdisant la communication de renseignements de ceux restreignant seulement une telle communication.
[60] Je ne vois rien dans l’article 672.1 permettant de qualifier de relative plutôt que d’absolue l’interdiction de communiquer les renseignements qui y sont visés.
[61] On peut soutenir qu’il s’agit d’une interdiction relative en ce sens qu’elle ne vise que les renseignements relatifs à la supervision du surintendant des institutions financières qui sont précisés par règlement (prescribed supervisory information). Mais il s’agit d’une interdiction pure et simple à l’égard de tels renseignements.
[62] Quels sont ces renseignements? En l’espèce, il s’agit de ceux visés au paragraphe 2(1) du Règlement :
2. (1) Pour l’application de l’article 672.1 de la Loi sur les sociétés d’assurances, les renseignements relatifs à la supervision ou toute partie de ceux-ci exercée par le surintendant à l’égard d’une société sont les suivants :
a) toute cote attribuée par le surintendant à la société pour évaluer sa situation financière ainsi que toute autre cote d’évaluation de sa situation financière fondée en grande partie sur des renseignements obtenus du surintendant;
b) tout niveau d’intervention attribué à la société :
(i) dans le cas d’une société d’assurance-vie, aux termes du Guide de surveillance s’appliquant aux sociétés d’assurance-vie assujetties à la réglementation fédérale,
(ii) dans le cas d’une société d’assurances multirisques ou d’une société d’assurance maritime, aux termes du Guide de surveillance s’appliquant aux sociétés d’assurances assujetties à la réglementation fédérale;
c) toute ordonnance prise à l’égard de la société en vertu des paragraphes 515(3), 516(4), 608(4) ou 609(2) de la Loi sur les sociétés d’assurances, tout accord prudentiel conclu par elle aux termes de l’article 675.1 de cette loi et toute décision prise à son égard en vertu de l’article 676 de la même loi;
d) tout rapport établi par le surintendant ou à sa demande ou toute recommandation formulée par celui-ci au terme d’une inspection annuelle ou spéciale de la société ou de tout autre examen relatif à sa supervision, y compris la correspondance échangée à cet égard avec ses administrateurs ou ses dirigeants. |
2. (1) For the purposes of section 672.1 of the Insurance Companies Act, the following information or any component of that information is prescribed supervisory information in relation to a company:
(a) any rating assigned by the Superintendent to the company to assess its financial condition and any other such rating that is substantially based on information obtained from the Superintendent;
(b) any stage of intervention assigned to the company
(i) in the case of a life company, under the Supervisory Guide Applicable to Federally Regulated Life Insurance Companies, and
(ii) in the case of a property and casualty company or a marine company, under the Supervisory Guide Applicable to Federally Regulated Insurance Companies;
(c) any order made in respect of the company under subsection 515(3), 516(4), 608(4) or 609(2) of the Insurance Companies Act, any prudential agreement entered into by the company under section 675.1 of that Act or any direction issued to it under section 676 of that Act; and
(d) any report prepared by or at the request of the Superintendent or any recommendation made by the Superintendent as a result of an annual or special examination or other supervisory review of the company, including any related correspondence to or from the directors or officers of the company. |
[63] Les articles 3 à 5 du Règlement précisent, par ailleurs, comment doivent être traités ces renseignements :
3. Sous réserve des articles 4 et 5, il est interdit à toute société de communiquer à quiconque, directement ou indirectement, des renseignements visés à l’article 2.
4. La société peut communiquer les renseignements visés à l’article 2 aux entités de son groupe de même qu’à son actuaire et ses administrateurs, dirigeants, employés, vérificateurs, souscripteurs à forfait et conseillers juridiques, et à ceux des entités de son groupe, si elle veille à ce que les renseignements demeurent confidentiels.
5. La société ou une entité de son groupe peut communiquer les renseignements visés à l’alinéa 2(1)c) si elle conclut qu’ils comportent un fait ou changement important dont la communication est exigée par les lois sur les valeurs mobilières du territoire compétent. |
3. Subject to sections 4 and 5, a company shall not, directly or indirectly, disclose information referred to in section 2.
4. A company may disclose information referred to in section 2 to its affiliates or to its directors, officers, employees, auditors, securities underwriters or legal advisors, or to those of its affiliates, if the company ensures that the information remains confidential.
5. A company or any of its affiliates may disclose information referred to in paragraph 2(1)(c) if the company or affiliate considers the information to contain a material fact or material change that is required by the securities laws of the relevant jurisdiction to be disclosed |
[64] L’article 3 édicte une interdiction pure et simple de communiquer des renseignements visés à l’article 2, en spécifiant que cette interdiction s’applique à des communications tant directes qu’indirectes.
[65] Je souligne que l’interprétation de cet article doit être faite en tenant compte de l’article 11 de la Loi d’interprétation[37] :
11. L’obligation s’exprime essentiellement par l’indicatif présent du verbe porteur de sens principal et, à l’occasion, par des verbes ou expressions comportant cette notion. L’octroi de pouvoirs, de droits, d’autorisations ou de facultés s’exprime essentiellement par le verbe « pouvoir » et, à l’occasion, par des expressions comportant ces notions. |
11. The expression “shall” is to be construed as imperative and the expression “may” as permissive. |
[66] Ni le texte français ni le texte anglais de cet article 11 ne permettent selon moi d’atténuer l’interdiction édictée à l’article 3 du Règlement.
[67] L’article 4, pour sa part, formule une exception à l’interdiction en précisant que les renseignements visés à l’article 2 peuvent être communiqués à certaines entités ou personnes qui y sont énumérées. Marc Lamoureux et le Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires (MEDAC) ne font pas partie de ces entités ou personnes.
[68] Quant à l’article 5, il concerne une situation qui n’est pas visée dans les documents dont la communication est demandée par Marc Lamoureux et le MEDAC en première instance.
[69] Au paragraphe 30 de son jugement, la juge de première instance s’appuie notamment sur l’affaire Transamerica Life Insurance Company of Canada v. The Canada Life Assurance Company[38]. Or, il y a lieu de souligner que ce jugement a été rendu le 15 décembre 1995, alors que n’existaient ni l’article 672.1 de la Loi sur les sociétés d’assurances ni le Règlement, qui ont été adoptés par la suite en vue de contrer l’effet de ce jugement.
[70] Par ailleurs, toujours au paragraphe 30, la juge cite un extrait du jugement rendu par la Cour supérieure de l’Ontario, le 13 octobre 2009, dans l’affaire Jeffery v. London Life Insurance Company[39]. Or, il n’est pas question dans ce jugement de l’article 672.1 de la Loi sur les sociétés d’assurances ni du Règlement.
[71] Pour comprendre le contexte dans lequel ce jugement a été rendu, il me semble approprié d’en citer ici les paragraphes 1, 2, 27 et 60 :
[1] The Attorney General of Canada (a non party to this class action) has brought a motion seeking an order quashing the following:
(i) summons to Witness pursuant to Rule 53.07 (Calling an Adverse Party as Witness) issued on July 13th, 2009 by the plaintiffs on the Superintendent of Financial Institutions, Julie Dickson;
(ii) summons to Witness pursuant to Rule 53.07 (Calling an Adverse Party as Witness) issued on July 13th, 2009 by the plaintiffs on a current employee of the Office of the Superintendent of Financial Institutions (“OSFI”), Jean-Guy Lapointe; and
(iii) Summons to Witness served by the defendants on or about August 10th, 2009 on the former Superintendent of Financial Institutions, Nick Le Pan;
(iv) In the alternative, pursuant to section 37 of the Canada Evidence Act, R.S.C. 1985, c. C-5 an order that the individuals under summons be prohibited, in the public interest, from providing either through oral evidence or documentary disclosure any evidence respecting any “advice or recommendations to government” or other deliberations made in respect to the acquisition of the London Insurance Group Inc., including the approval to acquire a significant interest granted by the Secretary of State (International Financial Institutions) on November 4th, 1997.
[2] Section 37 of the Canada Evidence Act, R.C.S. 1985, c. C-5 permits the Government of Canada to object to the disclosure of information based on a specified public interest. Once an objection is made (as it is made here), the Court must ensure that the information sought to be disclosed does not encroach on the specified public interest and if so, whether the public interest in disclosure outweighs in importance the specified public interest.
[…]
[27] OSFI, in its amended Notice of Motion, takes the position that s. 672(1) of the Insurance Companies Act [ICA] and s. 22(1) of the Office of the Superintendent of Financial Institutions Act [OSFIA] prevent the Crown from disclosing confidential information. The plaintiffs take the opposite position. They point to s. 672(2) of the ICA and s. 22(2) of the OSFIA that specifically permit disclosure. Further, the plaintiffs assert that even if this court finds that the ICA imposes confidentiality on the information sought, such a finding does not preclude OFSI from giving testimony in the common issues trial.
[…]
[60] I am persuaded that the plaintiffs’ position should prevail. Trial fairness and the transparency of the administration of justice is at the foundation of our justice system. Further, to borrow the terminology of the Supreme Court in Carey, the interest sought to be protected is one regarding information of a “purely commercial transaction” - obviously different from matters of national security.
[72] De fait, le débat engagé dans cette affaire concernait essentiellement l’application des paragraphes 37(1) et 37(5) de la Loi sur la preuve au Canada[40] :
37. (1) Sous réserve des articles 38 à 38.16, tout ministre fédéral ou tout fonctionnaire peut s’opposer à la divulgation de renseignements auprès d’un tribunal, d’un organisme ou d’une personne ayant le pouvoir de contraindre à la production de renseignements, en attestant verbalement ou par écrit devant eux que, pour des raisons d’intérêt public déterminées, ces renseignements ne devraient pas être divulgués.
[…]
(5) Si le tribunal saisi conclut que la divulgation des renseignements qui ont fait l’objet d’une opposition au titre du paragraphe (1) est préjudiciable au regard des raisons d’intérêt public déterminées, mais que les raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation l’emportent sur les raisons d’intérêt public déterminées, il peut par ordonnance, compte tenu des raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation ainsi que de la forme et des conditions de divulgation les plus susceptibles de limiter le préjudice au regard des raisons d’intérêt public déterminées, autoriser, sous réserve des conditions qu’il estime indiquées, la divulgation de tout ou partie des renseignements, d’un résumé de ceux-ci ou d’un aveu écrit des faits qui y sont liés. |
37. (1) Subject to sections 38 to 38.16, a Minister of the Crown in right of Canada or other official may object to the disclosure of information before a court, person or body with jurisdiction to compel the production of information by certifying orally or in writing to the court, person or body that the information should not be disclosed on the grounds of a specified public interest.
[…]
(5) If the court having jurisdiction to hear the application concludes that the disclosure of the information to which the objection was made under subsection (1) would encroach upon a specified public interest, but that the public interest in disclosure outweighs in importance the specified public interest, the court may, by order, after considering both the public interest in disclosure and the form of and conditions to disclosure that are most likely to limit any encroachment upon the specified public interest resulting from disclosure, authorize the disclosure, subject to any conditions that the court considers appropriate, of all of the information, a part or summary of the information, or a written admission of facts relating to the information. |
[73] La juge de la Cour supérieure de l’Ontario faisait, par ailleurs, mention de l’article 672 de la Loi sur les sociétés d’assurances, mais non de l’article 672.1 ni du Règlement.
[74] Or, ce jugement a fait l’objet d’un appel qui a donné lieu à un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario[41], où on peut lire ce qui suit :
[1] The Attorney General of Canada seeks to set aside paragraphs three to five of the trial judge’s order dated October 13, 2009 (the “Order”) on the grounds that the two witnesses in question - Messrs. Lapointe and Le Pan - are not compellable witnesses under the summons issued by the parties and, further, that the trial judge erred by concluding that the public interest in disclosure of the information to which the Attorney objected outweighed deliberative secrecy relating to that information.
[…]
[5] We do not agree with the trial judge’s conclusion, expressed in paragraph five of her Order, that “the public interest in disclosure outweighs in importance the specified public interest”, that is, deliberative secrecy, in respect of the information to which objection was made by the Attorney.
[…]
[9] In the result, the appeal is allowed in part, paragraph five of the Order is set aside and an Order in accordance with these reasons is substituted in its stead. This is not an appropriate case for an award of costs.
[75] Toute comme en Cour supérieure, l’application de l’article 672.1 de la Loi sur les sociétés d’assurances et du Règlement n’avait pas été soulevée devant la Cour d’appel de l’Ontario, qui a néanmoins infirmé en partie le jugement de la Cour supérieure.
[76] En définitive, je suis d’avis que les jugements de la Cour supérieure de l’Ontario rendus les 15 décembre 1995 et le 13 octobre 2009 ne constituent pas une assise jurisprudentielle sur laquelle peut reposer le jugement de première instance rendu le 7 mai 2014.
[77] Enfin, comme le souligne la juge Bélanger, à la suite du jugement rendu le 13 octobre 2009 dans l’affaire Jeffery, le Parlement du Canada a modifié la Loi sur le Bureau du surintendant des institutions financières[42], pour y insérer l’article 39.1 :
39.1 Le surintendant, les surintendants adjoints, les dirigeants et employés du Bureau, de même que les personnes agissant sous les ordres du surintendant, ne sont pas des témoins contraignables dans le cadre de toute procédure civile en ce qui touche les questions venues à leur connaissance dans l’exercice des attributions que leur confère la présente loi ou toute loi mentionnée à l’annexe. |
39.1 The Superintendent, any Deputy Superintendent, any officer or employee of the Office or any person acting under the direction of the Superintendent, is not a compellable witness in any civil proceedings in respect of any matter coming to their knowledge as a result of exercising any of their powers or performing any of their duties or functions under this Act or the Acts listed in the schedule |
[78] Ma collègue semble voir dans l’adoption de cet article une démonstration a contrario que les représentants des sociétés d’assurances ne pourraient invoquer l’article 672.1 de la Loi sur les sociétés d’assurances et le Règlement pour refuser de fournir devant un tribunal des renseignements visés au paragraphe 2 du Règlement. Je ne suis pas d’accord avec une telle proposition.
[79] Tout d’abord, je souligne que le jugement rendu par la Cour supérieure de l’Ontario le 13 octobre 2009 concernait la possibilité d’assigner comme témoin le surintendant des institutions financières ou un de ses employés et non un représentant d’une société d’assurances. Or, le surintendant et ses employés ne bénéficiaient pas de dispositions comme l’article 672.1 de la Loi sur les sociétés d’assurances et le Règlement pour justifier un refus de témoigner de leur part. De fait, l’article 672 de la Loi sur les sociétés d’assurances et l’article 22 de la Loi sur le Bureau du surintendant des institutions financières consacraient simplement le caractère confidentiel de certains renseignements détenus par le Bureau, sans pour autant assujettir le surintendant et ses employés à une interdiction de communication de ces renseignements.
[80] Par ailleurs, il est difficile d’imaginer comment une disposition de même nature que l’article 39.1 de la Loi sur le Bureau du surintendant des institutions financières pourrait s’appliquer aux représentants des sociétés d’assurances en les rendant non contraignables dans le cadre de toute procédure civile touchant des questions venues à leur connaissance dans l’exercice de leurs fonctions.
[81] Finalement, selon le raisonnement suivi par la juge de première instance, l’article 39.1 de la Loi sur le Bureau du surintendant des institutions financières serait vidé de tout effet pratique. Il suffirait, en effet, d’assigner comme témoin le représentant d’une société d’assurances pour obtenir les renseignements dont l’article 39.1 visait précisément à empêcher la divulgation.
[82] Une telle interprétation va à l’encontre du principe de la cohérence des lois entre elles au sujet duquel le professeur Pierre-André Côté écrit ce qui suit[43] :
1269. On suppose qu’il règne, entre les divers textes législatifs adoptés par une même autorité, la même harmonie que celle que l’on trouve entre les divers éléments d’une loi : l’ensemble des lois est censé former un tout cohérent. L’interprète doit donc favoriser l’harmonisation des lois entre elles plutôt que leur contradiction, car le sens de la loi qui produit l’harmonie avec les autres lois est réputé représenter plus fidèlement la pensée de son auteur que celui qui produit des antinomies.
1270. Plus concrètement, la présomption de cohérence des lois entre elles se manifeste avec d’autant plus d’intensité que les lois en question portent sur la même manière, sont « in pari materia », comme on a l’habitude de dire. D’autre part, il peut apparaître certains conflits entre différentes lois, conflits que l’interprète devra résoudre de manière à rétablir l’harmonie.
[83] Pour ces motifs, je suis d’avis d’accueillir l’appel et d’accueillir l’objection formulée par l’appelante relativement à la communication au MEDAC de renseignements contenus aux soixante-trois documents en litige dans le dossier nº 200 - 06-000117-096, le tout avec dépens payables par le MEDAC tant en première instance qu’en appel.
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BENOÎT MORIN, J.C.A. |
[1] Règlement sur les renseignements relatifs à la supervision des sociétés d’assurances, DORS/2001-56 (« Règlement »). Ce règlement est adopté en vertu de l’art. 672.1 de la Loi sur les sociétés d’assurances (L.C. 1991, ch. 47) (« L.s.a. »).
[2] Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires (MEDAC) c. Société financière Manuvie, 2014 QCCA 2001, AZ-51072812 (C.S.).
[3] Société financière Manuvie c. Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires (MEDAC), 2014 QCCA 1172, AZ-51080868 (C.A.).
[4] Comité syndical national de retraite Bâtirente inc. c. Société financière Manuvie, 2011 QCCS 3446, J.E. 2011-1330 (C.S.).
[5] Loi sur les valeurs mobilières, RLRQ, c. V-1.1.
[6] Règlement 51-102 sur les obligations d’information continue, RLRQ, c. V-1.1, r. 24.
[7] Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires (MEDAC) c. Société financière Manuvie, supra, note 2, paragr. 24.
[8] Tate & Lyle North American Sugars c. Somavrac inc., 2005 QCCA 458, J.E. 2005-993 (C.A.), paragr. 2.
[9] Transamerica Life Insurance Co. of Canada v. Canada Life Assurance Co., [1995] O.J. No. 3886, 1995 CanLII 7258 (ON SC), j. Sharpe de l’ancienne Cour de l’Ontario (Division générale).
[10] Jeffery v. London Life Insurance Company, [2009] O.J. No. 4343, 2009 CanLII 55709 (ON SC), j. Morissette de l’actuelle Cour supérieure de justice de l’Ontario; Jeffery v. London Life Insurance Company, 2009 ONCA 819, AZ-50584873.
[11] Loi sur le Bureau du surintendant des institutions financières, L.R.C. (1985), ch. 18 (3e supp.) (« L.B.s.i.f. »).
[12] Globe and Mail c. Canada (Procureur général), [2010] 2 R.C.S. 592, 2010 CSC 41.
[13] Art. 398 C.p.c.
[14] Pétrolière Impériale c. Jacques, 2014 CSC 66, J.E. 2014-1833 (CSC), paragr. 24.
[15] Ibid., paragr. 28.
[16] Westinghouse Canada inc. c. Arkwright Boston Manufacturers Mutual Insurance Co., [1993] R.J.Q. 2735 (C.A.), J.E. 93-1868; Lac d’Amiante du Québec Ltée c. 2858-0702 Québec Inc., [2001] 2 R.C.S. 743 (CSC), 2001 CSC 51, paragr. 60; Frenette c. Metropolitaire (La), cie d’assurance-vie, [1992] 1 R.C.S. 647, p. 680; Montréal (Communauté urbaine de) c. Chubb du Canada, compagnie d’assurances, [1998] R.J.Q. 759, J.E. 98-582 (C.A.), p. 764 s.
[17] Pétrolière Impériale c. Jacques, supra, note 14, paragr. 33.
[18] Loi sur le Bureau du surintendant des institutions financières, supra, note 11, art. 3.1.
[19] Ibid., art. 4 (2) a), b) et c).
[20] L.s.a., supra, note 1.
[21] Ibid., art. 664.
[22] Ibid., art. 672(2).
[23] Ibid., art. 673; L’obligation statutaire de confidentialité du surintendant sous la Loi sur le Bureau du surintendant des institutions financières est essentiellement la même que sous la Loi sur les sociétés d’assurances. Au lieu de référer aux « sociétés », les dispositions réfèrent aux « institutions financières ». L’obligation est énoncée au paragraphe 22(1) L.B.s.i.f.; les exceptions figurent aux paragraphes 22(1.1), (2) et (3) L.B.s.i.f.
[24] Étude de l’étude d’impact de la réglementation.
[25] Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires (MEDAC) c. Société financière Manuvie, supra, note 2, paragr. 29 et 30.
[26] Il va de soi que le surintendant et les membres de son personnel seraient des témoins contraignables dans certaines circonstances (art. 39 L.B.s.i.f.).
[27] Jeffery v. London Life Insurance Company, supra, note 10.
[28] Ibid., paragr. 3 et 4.
[29] Loi sur les statistiques, L.R.C. (1985) c. F-19.
[30] Léo Ducharme et Charles-Maxime Panaccio, L’administration de la preuve, 4e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2010, paragr. 494-495.
[31] Lac d’Amiante du Québec Ltée c. 2858-0702 Québec Inc., supra, note 16.
[32] Pétrolière Impériale c. Jacques, supra, note 14, paragr. 76.
[33] Globe and Mail c. Canada (Procureur général), supra, note 12, paragr. 53 et 54.
[34] Lac d’Amiante du Québec Ltée c. 2858-0702 Québec Inc., supra, note 16, paragr. 43.
[35] DORS/2001-56.
[36] L.C. 1991, ch. 47.
[37] L.R.C. (1985), ch. I-21.
[38] 1995 CanLII 7258 (ON SC).
[39] 2009 CanLII 55709 (ON SC).
[40] L.R.C. (1985), ch. C-5.
[41] Jeffery v. London Life Insurance Company, 2009 ONCA 819.
[42] L.R.C. (1985), ch. 18 (3e suppl.).
[43] Pierre-André Côté, Interprétation des lois, 4e éd., Montréal, Les Éditions Thémis, 2009, p. 395, nos 1269 et 1270.
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