Section des affaires sociales
Désignée comme étant une commission d'examen au sens des
articles
Référence neutre : 2015 QCTAQ 0810
Dossier : SAS-M-231436-1411
SYLVAIN BOURASSA
MARIE-LUCE QUINTAL
GERTRUDE ROCHELIN
DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES
[1] L’accusée (madame B.) fait l’objet d’un verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux rendu le 14 novembre 2014. Les accusations suivantes avaient été portées contre elle :
1. Le ou vers le 26 août 2013, à Sainte-Catherine, district de Longueuil, s'est livrée à des voies de fait contre D.-L., agent de la paix, alors qu'elle portait, utilisait ou menaçait d'utiliser une arme ou une imitation d'arme, commettant ainsi l’infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité prévue à l'article 270.01(1)a)(2)b) du Code criminel.
2. Le ou vers le 26 août 2013, à Sainte-Catherine, district de Longueuil, a volontairement entravé J.-M., mat. (no.) et D.-L., des agents de la paix agissant dans l'exécution de leurs fonctions, commettant ainsi l'infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité prévue à l'article 129a)e) du Code criminel.
3. Le ou vers le 26 août 2013, à Sainte-Catherine, district de Longueuil, a conduit un véhicule à moteur d'une façon dangereuse pour le public compte tenu de toutes les circonstances, commettant ainsi l'infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité prévue à l'article 249(1)a)(2)b) du Code criminel.
4. Le ou vers le 26 août 2013, à Sainte-Catherine, district de Longueuil, conduisant un véhicule à moteur, alors qu'il était poursuivi par un agent de la paix conduisant un véhicule à moteur, dans le but de fuir, a omis d'arrêter son véhicule dès que les circonstances l'ont permis, commettant ainsi l'infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité prévue à l'article 249.1(1)(2)b) du Code criminel.
Raisons de la présente audience[1]
[2] Madame B. en est à sa 1re comparution devant le Tribunal administratif du Québec, siégeant en Commission d’examen des troubles mentaux (la Commission).
[3] À l’audience l’accusée est présente et représentée par son procureur.
Antécédents criminels
[4] Outre les événements qui l’ont menée sous la juridiction de la Commission, aucun antécédent criminel à l’âge adulte n’est connu relativement à l’accusée.
Éléments de l’historique social et psychiatrique de l'accusée, de son évolution et de sa condition clinique actuelle
[5] À l’audience, docteur Hervé Brunet, psychiatre, lit et dépose son rapport. La Commission entend également l’accusée. De ce rapport et des divers témoignages, la Commission retient les éléments suivants.
[6] Au moment de l’audience, madame B. est âgée de 56 ans. Elle est divorcée et mère de trois enfants. Madame B. habite seule présentement dans son propre appartement. Elle travaille à temps plein dans le domaine de la vente de produits naturels. Elle est suivie à la clinique externe de ville A. suite à une hospitalisation en juin 2013.
[7] Cette hospitalisation fait suite aux accusations qui l’ont menée sous la juridiction de la Commission. Évaluée à l’urgence du CHAL, on diagnostique un trouble psychotique paranoïde. Il s’agit d’idées paranoïdes de référence. À ce moment, elle présente aussi une insomnie qui perdure depuis plusieurs mois. À titre d’exemple, elle affirme que quelqu’un est rentré chez elle et qu’elle éprouve des céphalées en rapport avec le modem de son fils qui n’habite plus avec elle. Elle demeure aussi convaincue que des policiers de ville B. sont contre elle pour avoir contesté des contraventions.
[8] Depuis cette arrestation, madame B. ne prend aucun traitement neuroleptique malgré les propositions faites par l’équipe médicale. Elle croit ne pas en avoir besoin. Par contre, elle vient à ses rendez-vous sans en avoir manqué un seul.
[9] Docteur Brunet note comme impressions diagnostiques et recommandations ce qui suit:
« En entrevue, la patiente se présente de façon adéquate. L’activité psychomotrice est normale. L’affect est mobilisable, syntone. Le cours et le contenu du discours sont, à première vue, normaux et exempts de toute préoccupation délirante. Elle m’explique qu’elle a retrouvé rapidement du travail dans le domaine où elle travaillait auparavant soit la vente de produits naturels. Elle n’a pas de trouble perceptuel, auditif ou visuel. Elle n’a pas d’idée suicidaire ni homicidaire.
Par contre, la critique des événements de juin 2013 demeure insatisfaisante et elle a tendance à éviter le sujet. Elle demeure convaincue qu’elle a fait l’objet d’une surveillance dans sa boutique, qu’on s’y est introduit, qu’on a modifié du filage probablement pour la surveiller. Sa conviction, quant au déroulement des événements, demeure inchangée.
L’impression diagnostique demeure un trouble délirant résiduel.
Elle refuse tout traitement pharmacologique, mais ne présente pas d’agressivité pour elle-même ni envers les autres. Nous ne demanderons donc pas de traitement contre le gré, mais nous recommandons qu’elle poursuive un suivi en clinique externe afin d’évaluer la stabilité de l’état clinique et l’absence de dangerosité. »
[10] À l’audience, docteur Brunet, précise sa recommandation comme étant une demande de libération conditionnelle.
[11] Docteur Brunet confirme qu’à sa sortie de l’hôpital en 2013, l’accusée s’est vue remettre une ordonnance de médicaments à prendre au besoin. Rappelons que madame B. refuse tout traitement pharmacologique. Il confirme également que la présente situation psychiatrique de madame B. est demeurée la même que celle qui existait au moment où elle a reçu son congé de l’hôpital. Rien ne s’est détérioré.
[12] Il note que les préoccupations de l’accusée sont encore présentes, mais qu’il n’y a aucune idée délirante. Il souhaite traiter l’anxiété de madame B. Selon docteur B., si délire il y a, il est bien encapsulé.
[13] Madame B. fonctionne bien. Elle n’agit pas en fonction d’idées délirantes. À une question d’un membre de la Commission, docteur Brunet précise que Madame B. donne une bonne ouverture au contenu de son état mental, mais pas aux événements déclencheurs des accusations qui l’ont menée sous la juridiction de la Commission.
[14] Selon docteur Brunet, l’accusée ne présente pas de danger immédiat. Il note toutefois que si l’accusée connaissait à nouveau des problèmes éventuels d’insomnie ou financiers, ces situations pourraient potentiellement entraîner un danger. Il ajoute qu’en l’absence d’éléments stresseurs comme des problèmes financiers, une augmentation trop importante des heures de travail, une dépression non soignée ou des problèmes avec ses enfants ou le père de ces derniers, l’accusée fonctionne bien.
[15] Il précise que malgré une bonne fidélité à ses rendez-vous, il ignore si madame B. se présenterait à ceux-ci sans obligation de la Commission.
[16] Docteur Brunet sait que l’accusée travaille présentement et que son horaire de travail est plus stable qu’avant les événements alors qu’elle était propriétaire de sa propre entreprise. Il sait également que sa situation financière est meilleure. Au plan social, elle a de bons contacts avec sa famille et ne présente pas de problème de sociabilisassions. Elle travaille d’ailleurs avec sa sœur et sa nièce. Madame B. souhaite également se rapprocher de ses enfants qui habitent la région C.
[17] Madame B. témoigne à l’audience avec beaucoup d’aplomb, de transparence et d’honnêteté. Son témoignage est crédible.
[18] Elle relate qu’en juillet 2013, elle est très fatiguée et que son commerce lui cause de gros problèmes financiers. Ayant tout investi son indemnité de départ de chez (employeur de madame B.), elle réalise qu’elle s’est endettée pour une somme dépassant 200 000 $.
[19] Réalisant qu’elle a besoin de repos, elle quitte la région pour aller se reposer et prendre du recul chez sa sœur. Au retour, elle vend sa maison qui constitue également une source de problème.
[20] Elle relate aux membres de la Commission les événements qui l’ont amenée sous notre juridiction avec détails. Le jour des événements, à 2 h du matin, madame B. souffre d’un mal de tête. Elle souhaite quitter la maison pour aller prendre de l’air sur le bord de l’eau. Elle ne réalise pas qu’à cette heure de la nuit, elle ne peut rester dans le parc. Au moment où les policiers viennent l’aviser qu’elle ne peut demeurer à cet endroit, elle croit que le policier qui lui parle veut l’hospitaliser. Ayant été violée dans sa jeunesse dans une automobile et constatant que le policier tente d’entrer dans l’habitacle du véhicule, elle panique. Elle démarre le véhicule et quitte le parc, blessant au passage le policier. Elle s’enfuit et passe les deux jours de la fin de semaine cachée dans son véhicule, car madame B. souhaite consulter un avocat dès le lundi matin.
[21] Après avoir consulté un procureur, elle communique avec son fils afin qu’il vienne chercher ses effets chez elle. S’ensuivent par la suite les accusations.
[22] Elle constate aujourd’hui que ses souvenirs du viol l’ont fait paniquer devant l’agressivité du policier. Elle se décrit à ce moment comme étant très fatiguée, stressée et inquiète. Tout ce qu’elle souhaitait, c’était de vendre sa maison et de se départir de son commerce qu’elle considère être les deux sources principales de ses problèmes.
[23] Elle s’emploie donc, à la sortie de l’hôpital de vendre sa maison et son commerce ainsi que de prendre du temps pour elle. Elle visite son frère dans la province A, passe voir sa famille qui habite la région C. Elle en profite aussi pour revoir son fils et tente de reprendre contact avec lui.
[24] Madame B. se retrouve rapidement du travail. Elle vend des produits naturels dans une boutique spécialisée. Elle travaille à temps partiel avec sa sœur et sa nièce dans une autre entreprise. Elle souhaite s’occuper et amasser suffisamment d’argent pour éponger ses dettes. Avec la vente de sa maison et ce qu’elle a économisé, l’accusée affirme ne devoir que 20 000 $ sur ses dettes originales qui dépassaient les 200 000 $. Elle réalise toutefois que les deux emplois lui demandent beaucoup d’heures, si bien qu’elle donne, deux semaines avant l’audience, sa démission à l’emploi qu’elle occupait à temps partiel que pour se consacrer à son emploi dans l’entreprise de vente de produit naturel.
[25] L’accusée se dit très heureuse dans son travail et affirme s’y amuser. Elle est au service à la clientèle.
[26] Elle admet toutefois que l’année 2013 constitue une période où elle était plus fragile. Elle identifie très bien ce qui n’était pas normal chez elle : les menaces de mort et l’histoire du modem de son fils.
[27] Lorsqu’elle rencontre docteur Brunet, tous deux rigolent. Si elle avait des inquiétudes relativement à sa santé mentale, elle lui en parlerait. Elle dit avoir appris à s’écouter et à penser à elle. Lorsqu’elle est maussade, elle en parle à sa sœur. Lorsqu’elle ressent trop de fatigue, elle se repose ce qu’elle ne pouvait pas faire avant compte tenu de sa situation financière fragile. Si elle revivait des problèmes de sommeil, elle prendrait immédiatement rendez-vous avec son médecin. Les gens qui l’entourent, sa famille et ses collègues de travail, savent les problèmes qu’elle a vécus et si l’un d’eux s’inquiétait pour elle, elle consulterait rapidement.
[28] Questionnée sur l’importance de continuer à voir docteur Brunet, elle est d’accord et tenterait d’arranger son horaire pour perdre le moins de journées de travail possible.
[29] Présentement, elle affirme vivre dans l’instant présent.
[30] Le procureur de l’accusée plaide qu’il n’y a pas de preuve de risque pour la sécurité du public dans le dossier de sa cliente et ce faisant, elle devrait être libérée inconditionnellement.
[31] Tant docteur Brunet que docteur Sanches, lors de son évaluation de dangerosité à l’Institut A, notent qu’il n’y a pas de dangerosité pour l’accusée ni pour autrui. Sa cliente a éliminé ses stresseurs et a tourné la page sur ses idées délirantes. Il affirme que sa cliente est rayonnante, qu’elle possède un excellent réseau, elle s’amuse au travail et consulterait, sinon son psychiatre, le CLSC au moindre signe avant coureur de rechute.
[32] Il ajoute que si le but de la recommandation de docteur Brunet est de s’assurer de la stabilité de l’état mental de sa cliente, il croit que cette stabilité est assurée par le réseau qui entoure l’accusée et les connaissances de cette dernière des symptômes de sa maladie et de ce qu’il faut faire en pareilles circonstances.
[33] Notant que des améliorations dans la situation, il plaide finalement les principes de la Cour suprême dans l’arrêt Winko.
Analyse de la preuve et décision par la Commission.
[34]
La Commission doit déterminer si l'accusée représente, en raison de son
état mental, un risque important pour la sécurité du public, et s'il y a lieu,
décider des mesures qui doivent être prises pour contrôler ce risque et
permettre la réinsertion de l'accusée. Elle doit rendre une décision en
considérant d’abord la sécurité du public et d’autres facteurs propres à
l’accusé, tel que le prescrivent les dispositions de l'article
« 672.54 Dans le cas où une décision est rendue au titre du paragraphe 672.45(2), de l’article 672.47, du paragraphe 672.64(3) ou des articles 672.83 ou 672.84, le tribunal ou la commission d’examen rend, en prenant en considération, d’une part, la sécurité du public qui est le facteur prépondérant et, d’autre part, l’état mental de l’accusée, sa réinsertion sociale et ses autres besoins, celle des décisions ci-après qui est nécessaire et indiquée dans les circonstances :
a) lorsqu’un verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux a été rendu à l’égard de l’accusée, une décision portant libération inconditionnelle de celui-ci si le tribunal ou la commission est d’avis qu’il ne représente pas un risque important pour la sécurité du public;
b) une décision portant libération de l’accusée sous réserve des modalités que le tribunal ou la commission juge indiquées;
c) une décision portant détention de l’accusée dans un hôpital sous réserve des modalités que le tribunal ou la commission juge indiquées. »
[35] Il est vrai qu’il peut paraître un peu tôt pour envisager une libération inconditionnelle. Docteur Brunet souhaite avoir une année de plus de recul avant de recommander une libération inconditionnelle. Les événements remontent à l’été 2013. Mais tel n’est pas l’unique critère pour en arriver à libérer inconditionnellement l’accusée. En soi, l’écoulement du temps n’est pas un critère prépondérant sur l’ensemble des autres critères.
[36] Si l’accusée présente toujours des signes de sa maladie, ils demeurent bien encapsulés par l’accusé. Cette dernière ne tient rien pour acquis et demeure vigilante quant à d’éventuels signes précurseurs d’une rechute. Elle sait les identifier et prend les moyens pour éliminer les éléments stressants de sa vie.
[37] Il est à noter qu’en ce sens, la proximité et la présence de la famille de l’accusée dans sa vie, les collègues de travail au fait de ses problèmes, constitue un filet de sécurité quant à la protection de la sécurité du public.
[38] La preuve démontre que madame B. présente une bonne autocritique face à sa maladie, aux gestes posés qu’elle discute en toute honnêteté à l’audience et sait reconnaître les signes précurseurs d’une décompensation de son état.
[39] Elle a vendu sa maison, s’est départie de son commerce et est sur le point de régler ses dettes, vit bien dans son appartement, réalise bien ses activités quotidiennes, travaille à temps plein et occupe un emploi qui l’a comble. Elle a des projets.
[40] Appliquant les critères énoncés par la Cour suprême dans l’arrêt Winko c. Colombie-Britannique (Forensic Psychiatric Institut)[2] , la Commission doit s’assurer que madame B. ne représente plus un danger pour la sécurité du public. La Commission, de par la preuve entendue, en arrive à cette conclusion.
[41] La Commission estime que madame B. ne représente pas un risque important pour la sécurité du public en raison de son état mental. Elle doit donc être libérée inconditionnellement.
PAR CES MOTIFS, la Commission :
· LIBÈRE inconditionnellement l’accusée.
Cette décision, rendue à l’unanimité le 25 mars 2015, a été communiquée aux parties séance tenante à l’audience.
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SYLVAIN BOURASSA, j.a.t.a.q. Président délégué |
Me Guillaume Grignon Lemieux
Procureur de la partie accusée
[1] La Loi modifiant l’organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux notamment par l’abolition des agences régionales (L.Q., 2015, chapitre 1), entrée en vigueur le 1er avril 2015, apporte des modifications à l’identification de plusieurs établissements désignés à l’Arrêté AM 2012-004 du ministre de la Santé et des Services sociaux du 18 avril 2012. Ainsi, à compter du 1er avril 2015, l’établissement identifié au procès-verbal de l’audience tenue le 25 mars 2015 sous CSSS A est maintenant identifié sous CISSS A. Les présents motifs au soutien de la décision rendue le 25 mars 2015 tiennent compte des adaptations nécessaires à cette nouvelle situation juridique.
[2]