Section des affaires sociales
En matière de régime des rentes
Référence neutre : 2015 QCTAQ 01701
Dossier : SAS-Q-195865-1310
LORRAINE BÉGIN
LISE BIBEAU
c.
[1] Le requérant (monsieur) conteste une décision rendue en révision par l’intimée, la Régie des rentes du Québec (la Régie) le 7 octobre 2013 refusant de le reconnaître invalide au sens de la Loi sur le régime de rentes du Québec[1].
[2] L’audience s’est tenue le 15 décembre 2014 et les parties ont été entendues.
Preuve documentaire et testimoniale
[3] Monsieur, né le […] 1953, achemine une demande de prestations d'invalidité à la Régie le 30 juillet 2012.
[4] Il y déclare avoir cessé de travailler le 1er janvier 2009 en raison de mise à pied par manque de travail.[2] À la section 8.1 du formulaire de demande, il ajoute ne pas pouvoir travailler depuis le 17 septembre 1909 (il s’agit évidemment d'une erreur, il s'agit plutôt de 2009) en raison d’une hernie discale. Il déclare utiliser la médication Advil et Tylénol.
[5] Au soutien de sa demande, il soumet un rapport médical complété par le Dr Bernard Frenette le 11 septembre 2012. Ce dernier retient les diagnostics suivants : lombalgie d’aspect mécanique sur dégénérescence discale L4-L5 et arthrose facettaire L3 - L4; radiculopathie L5 gauche avec pied tombant gauche; dyspepsie haute sur hernie hiatale; prostatisme léger.
[6] Il est d’avis que son patient ne pourrait reprendre son travail habituel ni tout autre travail en raison de limitations fonctionnelles qu’il résume ainsi : éviter de soulever, porter, pousser ou tirer des charges de plus de 15 kilos de façon répétitive; éviter les mouvements répétitifs au niveau du tronc (flexion, extension, rotation, torsion); éviter de monter fréquemment ou descendre des escaliers.
[7] Par ailleurs, la preuve documentaire composée de 87 pages comprend quelques rapports d’examens et consultations, notamment une investigation en gastroentérologie remontant à 1989 et qui démontre un problème de reflux gastro-œsophagien, une consultation en neurologie auprès du Dr Albert Lamontagne en avril 2000 en raison de douleur lombaire irradiant au niveau de la fesse gauche, pour laquelle le médecin requiert une imagerie par résonance magnétique de la colonne lombaire effectuée le 16 juin 2000 et qui démontre de légers phénomènes de dégénérescence discale en L3-L4, L4-L5 et L5-S1 sans hernie discale focale.
[8] Toutefois, une tomodensitométrie axiale lombaire effectuée le 28 décembre 2010 démontre un bombement discal à base large avec protrusion localisée en foraminal gauche semblant comprimer sélectivement la racine L4 gauche sans autre anomalie significative démontrée.
[9] Le neurologue Albert Lamontagne a revu monsieur en août 2011 et effectué une étude électromyographique, laquelle a mis en évidence des changements neurogènes chroniques non équivoques intéressant le territoire de L5 gauche. À l’examen clinique, le Dr Lamontagne identifiait une faiblesse modérée de l’extenseur du gros orteil et du tibial antérieur et postérieur du côté gauche. Il concluait alors à une radiculopathie L5 gauche.
[10] Le 23 octobre 2012, la Régie refuse la demande de rente d’invalidité de monsieur au motif que sa situation médicale n’est pas suffisamment grave pour l’empêcher d’occuper tout emploi rémunérateur.
[11] Monsieur conteste cette décision, contestation reçue à la Régie des rentes le 4 janvier 2013.
[12] Par la suite, la Régie requiert une expertise médicale en chirurgie orthopédique auprès du Dr Gilles Lamoureux. Cet examen est effectué le 2 juillet 2013.
[13] Le Dr Lamoureux révise l’ensemble du dossier et réfère notamment à une visite chez le Dr Lamontagne le 5 mars 2013 où celui-ci notait une douleur lombaire accompagnée d’engourdissement en projection de la fesse et de la cuisse du côté droit avec mêmes symptômes à gauche. Il identifiait une légère hypoesthésie au rebord latéral de la jambe jusqu’à la cheville avec douleur sous forme de brûlement au premier orteil ainsi qu’une légère faiblesse du tibial antérieur de l’extenseur hallucis et probablement du tibial postérieur à gauche avec atrophie de l’extensor digitorum brevis. Il concluait à des changements neurogènes chroniques intéressant le territoire L4-L5 gauche.
[14] Au questionnaire, Dr Lamoureux identifie que monsieur demeure seul dans une maison et s’occupe de ses repas, de son entretien ménager, de l’entretien extérieur de plates-bandes, il tond la pelouse avec un tracteur 15 minutes à la fois. Il aurait une tolérance à la marche de 10 minutes limitée par la douleur lombaire et au membre inférieur gauche irradiant aux troisième et quatrième orteils gauches. La tolérance à la conduite automobile est de l’ordre de 30 minutes. Monsieur habite sur une fermette de 104 acres, dont 10 de type prairie. Il possède quatre bœufs et cinq poules.
[15] Le patient lui décrit une sensation de brûlure en barre à la région lombo-sacrée, irradiant bilatéralement au niveau de la fesse gauche et droite.
[16] À l’examen, il présente une boiterie antalgique favorisant le membre inférieur droit; les mouvements de la colonne lombo-sacrée sont diminués particulièrement en flexion. Il constate la préservation des réflexes ostéotendineux aux membres inférieurs, mais ne consigne pas d’examen des forces musculaires aux membres inférieurs.
[17] Docteur Lamoureux conclut à un diagnostic de lombalgie mécanique chronique associée à la discopathie dégénérative multi-étagée, notamment au niveau de L3-L4, L4-L5 et L5-S1 avec changements neurogènes chroniques dans le territoire de la racine L5 gauche. Il estime la condition stabilisée.
[18] Il est d’avis que monsieur est en mesure d’occuper régulièrement un emploi à temps plein respectant les limitations fonctionnelles permanentes suivantes, soit d’éviter les activités qui impliquent de :
- soulever, porter, pousser, tirer de façon répétitive ou fréquente des charges de plus de 5 kilos;
- effectuer des mouvements répétitifs ou fréquents de flexion, d’extension, de torsion de la colonne lombaire même de faible amplitude;
- monter fréquemment plusieurs escaliers;
- marcher en terrain accidenté ou glissant;
- subir des vibrations de basse fréquence ou contrecoup à la colonne vertébrale comme celle provoquée par du matériel roulant sans suspension.
[19] En révision, le refus est maintenu par la Régie le 7 octobre 2013. D’où le présent litige.
[20] En témoignage, monsieur confirme avoir cessé de travailler le 1er janvier 2009. Il occupait un emploi d’opérateur de chariot élévateur et était, et est toujours d’ailleurs, propriétaire d’une petite fermette, qui ne lui procure que quelques centaines de dollars de revenus annuels.
[21] Il explique que lors de son arrêt de travail en janvier 2009, il a eu opportunité de prendre sa retraite à 55 ans, car il détenait beaucoup d’ancienneté. Il n’a pas retravaillé depuis, s’en disant incapable en raison de ses douleurs au niveau de la région lombaire et de la jambe gauche et droite accompagnées d’engourdissements.
[22] Il ne porte pas d’orthèse au niveau du membre inférieur gauche pour la faiblesse légère notée à ce niveau.
[23] Comme médication pour cette condition, il utilise des anti-inflammatoires.
[24] Par ailleurs, il admet que sa force aux membres supérieurs est tout à fait adéquate.
[25] Il a peu d’activités physiques, notamment l’hiver où il ne fait pas grand-chose excepté pelleter sa petite galerie au besoin. L’été, il s’occupe de son parterre et d’un petit jardin de 8 X 8 pieds. Il peut conduire sa voiture une heure consécutive et doit par la suite se dégourdir.
[26] Il ne s’intéresse pas à Internet qui n’est pas disponible à sa résidence. Par ailleurs, il est en mesure de faire sa comptabilité et de gérer ses affaires ainsi que de s’occuper de l’entretien quotidien léger à la maison, son épouse travaillant à l’extérieur.
[27] Il a peu de loisirs, considérant ses faibles revenus, constitués de la rente de retraite de la Régie des rentes.
[28] Il a complété une scolarité de secondaire 1.
[29] Aucun employeur ne le prendrait à son emploi termine-t-il, considérant les limitations fonctionnelles avec lesquelles il doit vivre.
Décision et motifs
[30] Le Tribunal est appelé à déterminer si la décision en révision rendue par la Régie le 7 octobre 2013 est bien fondée en fait et en droit ou si elle doit être modifiée ou infirmée.
[31] Il s’agit ici de l’application de l’article 95 de la Loi sur le régime de rentes du Québec[3].
95. Une personne n'est considérée comme invalide que si la Régie la déclare atteinte d'une invalidité physique ou mentale grave et prolongée.
Une invalidité n'est grave que si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.
En outre, dans le cas d'une personne âgée de 60 ans ou plus, une invalidité est grave si elle rend cette personne régulièrement incapable d'exercer l'occupation habituelle rémunérée qu'elle détient au moment où elle cesse de travailler en raison de son invalidité.
Une invalidité n'est prolongée que si elle doit vraisemblablement entraîner le décès ou durer indéfiniment.
La Régie publie périodiquement ses directives en matière d'évaluation médicale de l'invalidité.
(Les soulignements sont du Tribunal)
[32] Tel que précisé par le procureur de la Régie, au moment où la Régie a rendu sa décision en révision, monsieur avait déjà atteint l’âge de 60 ans.
[33] Pouvait-il être considéré invalide avant l’âge de 60 ans selon la preuve médicale prépondérante?
[34] Le Tribunal est d’avis que tel n’est pas le cas. En effet, le Dr Frenette, médecin de famille, stipule que son patient est incapable d’occuper tout emploi et émet des limitations fonctionnelles dans son rapport, lesquelles ne justifient pas une incapacité à tout emploi (voir paragraphe 6). En effet, elles correspondent à des limitations de classe de gravité 2 de l’IRSST[4], qui constituent des limitations modérées.
[35] Par la suite, monsieur est évalué en orthopédie par le Dr Lamoureux, lequel arrive au même diagnostic de lombalgie mécanique avec radiculopathie L5 gauche justifiant quant à lui la recommandation de limitations fonctionnelles permanentes de classe 3 de l’IRSST, plus sévères.
[36] Ces limitations sont certes significatives, mais pas suffisamment graves pour reconnaître monsieur inapte à tout emploi rémunérateur, notamment de type sédentaire.
[37] Par ailleurs, de par la considération des caractéristiques socioprofessionnelles intrinsèques qu’il est opportun d’analyser en présence de limitations sévères, ce qui est le cas de monsieur, le Tribunal constate qu’il possède des expériences de travail dans quelques domaines. Au surplus, il n’a entrepris aucune démarche pour se recycler, se réadapter ou se trouver un travail adapté à son état. Il n'a pas fait la démonstration de son faible potentiel d'employabilité.
[38] Son témoignage ne permet pas d’arriver à d’autres conclusions, malgré son pessimisme quant à son employabilité.
[39] Il utilise une faible médication selon Dr Lamoureux (Naproxen 3-4 fois/semaine), et selon son médecin traitant.
[40] La Régie reconnaît par ailleurs que monsieur serait inapte à occuper son emploi habituel d’opérateur de chariot élévateur. Malheureusement, il ne peut être reconnu invalide entre l’âge de 60 et 65 ans en raison de nouvelles dispositions législatives en vigueur depuis janvier 2013 qui nécessitent que monsieur ait cotisé quatre des six dernières années pour pouvoir en bénéficier tel que le prévoit l’article 106 de la Loi sur le régime de rentes du Québec[5].
106. Un cotisant n'est admissible à une rente d'invalidité que s'il est âgé de moins de 65 ans, est invalide et a versé des cotisations pour l'un des groupes d'années suivants:
a) deux des trois dernières années comprises entièrement ou partiellement dans sa période cotisable ou deux années, si cette période ne comprend que deux années;
b) cinq des 10 dernières années comprises entièrement ou partiellement dans sa période cotisable;
c) la moitié du nombre total des années comprises entièrement ou partiellement dans sa période cotisable, mais au moins deux années.
Toutefois, un cotisant âgé de 60 ans ou plus visé au troisième alinéa de l'article 95 n'est admissible à une rente d'invalidité que s'il a versé des cotisations pour au moins quatre des six dernières années comprises entièrement ou partiellement dans sa période cotisable.
Pour l'application du présent article, la période cotisable du cotisant se termine à la fin du mois où il est devenu invalide.
(Les soulignements sont du Tribunal)
[41] À ce sujet, monsieur invoque qu’il a fait sa demande en 2012 et que les changements législatifs n’étaient donc pas encore en vigueur à ce moment.
[42] Toutefois, et comme l’a également fait valoir le procureur de la partie intimée, l’ouverture du droit à l’invalidité dans le cas de monsieur s’est faite à compter du 22 août 2013, date où il a atteint l’âge de 60 ans.
[43] La loi était en vigueur à ce moment.
[44] Puisque monsieur devenait en août 2013 âgé de 60 ans, sa période cotisable prenait donc fin le 1er septembre 2013, tel que prévu à l’article 96 de la loi. En effet, on y prévoit ce qui suit :
96. La Régie fixe, en fonction de la preuve présentée, la date à laquelle une personne est devenue invalide ou cesse de l'être.
Toutefois, la date du début de l'invalidité d'une personne, aux fins de la rente d'invalidité ou du montant additionnel pour invalidité après la retraite, ne peut être fixée avant la dernière des dates suivantes:
a) le premier jour du douzième mois qui précède la date à laquelle la demande de prestation a été faite;
b) (paragraphe abrogé);
c) la date du soixantième anniversaire de naissance du cotisant, si ce dernier est déclaré invalide aux termes du troisième alinéa de l'article 95;
d) (paragraphe abrogé);
e) la date de la demande de partage prévue aux articles 102.5 ou 102.10.7, si le cotisant est admissible aux termes des articles 106 ou 106.1, uniquement en raison de gains admissibles non ajustés qui lui ont été attribués.
Le bénéficiaire de la rente d'invalidité ou du montant additionnel pour invalidité après la retraite est réputé régulièrement capable d'exercer une occupation véritablement rémunératrice et, de ce fait, avoir cessé d'être invalide dès qu'il exerce une telle occupation depuis trois mois.
1965 (1re sess.), c. 24, a. 110; 1974, c. 16, a. 16; 1983, c. 12, a. 6; 1985, c. 4, a. 6; 1989, c. 55, a. 36; 1993, c. 15, a. 20; 1997, c. 73, a. 22; 2011, c. 36, a. 4.
(Les soulignements sont du Tribunal)
[45] Ayant cessé de travailler en janvier 2009, il appert qu’il n’a pas cotisé pour la période minimale prévue par la loi. Au surplus, à ce moment, il n’a pas cessé le travail en raison de son invalidité, mais bien suite à une mise à pied par manque de travail, tel qu’admis par monsieur, ce qui ne répond pas au critère du 3e alinéa de l’article 95.
POUR CES MOTIFS, le Tribunal :
- REJETTE le présent recours.
Me Michel Bélanger
Procureur de la partie intimée
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.