Décision

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Dentons Canada, l.l.p. c. Bazinet

2016 QCCA 1700

COUR D'APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE MONTRÉAL

 

No :

500-09-026071-167

 

(500-11-050029-160)

 

 

PROCÈS-VERBAL D'AUDIENCE

 

 

DATE :

Le 7 octobre 2016

 

CORAM : LES HONORABLES

FRANÇOIS PELLETIER, J.C.A.

LORNE GIROUX, J.C.A.

JEAN BOUCHARD, J.C.A.

 

APPELANTE

AVOCATS

 

DENTONS CANADA LLP

 

 

me Douglas Mitchell

Me DAVID ÉTHIER

(Irving Mitchell Kalichman)

 

INTIMÉ

AVOCATE

 

MICHEL BAZINET

 

Me CÉLINE TESSIER

(Séguin Racine, avocats ltée)

 

MIS EN CAUSE

AVOCATE

 

REPLICOR INC.

 

 

 

 

 

LÉO BAZINET

 

ANDREW VAILLANT

 

 

Me NINA VANDA FERNANDEZ

(FNC avocats)

 

ROBERT JENNINGS

 

 

 

SÉGUIN RACINE AVOCATS LTÉE

 

 

 

En appel d'un jugement rendu le 3 mai 2016 par l'honorable Stephen W. Hamilton, de la Cour supérieure, district de Montréal.

 

NATURE DE L'APPEL :

Jugement rendu en cours d’instance - inhabilité d’un cabinet d’avocats.
 

 

Greffière d’audience : Marcelle Desmarais

Salle : Antonio-Lamer

 

 

 

AUDITION

 

 

9 h 30

Argumentation par Me Douglas Mitchell.

9 h 57

Suspension de la séance

10 h 04

Reprise de la séance.

10 h 04

Argumentation par Me Céline Tessier.

10 h 19

Réplique par Me Douglas Mitchell.

10 h 21

Fin de l’argumentation de part et d’autre.

 

Suspension de la séance.

10 h 27

Reprise de la séance.

 

Arrêt unanime prononcé par l’honorable François Pelletier, J.C.A. - voir page 3.

 

Marcelle Desmarais

Greffière d’audience

 


PAR LA COUR

 

 

ARRÊT

 

[1]           Pour des motifs qui seront déposés dans les jours à venir, la Cour rejette l’appel  avec frais de justice.

 

 

 

FRANÇOIS PELLETIER,     J.C.A.

 

 

 

LORNE GIROUX,     J.C.A.

 

 

 

JEAN BOUCHARD,     J.C.A.

 


Dentons Canada, l.l.p. c. Bazinet

2016 QCCA 1700

COUR D’APPEL

 

CANADA

 

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-026071-167

(500-11-050029-160)

 

DATE DE L’ARRÊT :        7 octobre 2016

DÉPÔT DES MOTIFS :    18 octobre 2016

 

 

CORAM 

LES HONORABLES :

     FRANÇOIS PELLETIER, J.C.A.

     LORNE GIROUX, J.C.A.

     JEAN BOUCHARD, J.C.A.

 

 

DENTONS CANADA LLP

APPELANTE - Procureurs du demandeur

c.

 

MICHEL BAZINET

INTIMÉ - Défendeur

et

LÉO BAZINET

ANDREW VAILLANT

MIS EN CAUSE - Défendeurs 

et

ROBERT JENNINGS

            MIS EN CAUSE - Demandeur

et

REPLICOR INC.

SÉGUIN RACINE AVOCATS LTÉE

MIS EN CAUSE - Mis en cause

 

 

MOTIFS D’UN ARRÊT RENDU SÉANCE TENANTE

 

 

[1]           L’appelant se pourvoit contre un jugement rendu le 3 mai 2016 par la Cour supérieure du district de Montréal (l’honorable Stephen W. Hamilton), qui l’a déclaré inhabile à occuper pour M. Robert Jennings dans un litige commercial opposant ce dernier à l’intimé[1].

[2]           Après un entretien téléphonique du 11 décembre 2015, l’intimé, le 17 décembre suivant, rencontre M. Pierre Lortie, un ingénieur de formation portant le titre de « Conseiller principal, Affaires » au sein du cabinet appelant aux bureaux duquel la rencontre a d’ailleurs lieu. Dans le contexte d’un conflit entre administrateurs et actionnaires d’une société dans laquelle l’intimé est président et chef de la direction, il discute avec M. Lortie de la possibilité pour ce dernier d’entrer au conseil d’administration de la société en crise. À la suite de cette rencontre, M. Lortie n’ouvre aucun dossier et ne dresse aucune note d’honoraires.

[3]           Une autre rencontre est prévue entre les deux hommes, mais elle n’a jamais lieu. En effet, les 19 et 20 janvier 2016, l’intimé apprend que le cabinet appelant agit pour le compte de M. Jennings, un ancien président du conseil de la même société, dans le cadre d’un recours en oppression à être intenté contre trois administrateurs actuels, dont l’intimé. Alors que ce dernier est en voyage en Asie, il communique immédiatement avec M. Lortie à qui il laisse un message vocal en plus de lui faire parvenir un courriel dont la teneur reflète sa grande anxiété. Dès le 25 janvier suivant, il demande par requête une déclaration d’inhabilité du cabinet appelant à occuper pour M. Jennings.

[4]           En appel, la question de la confidentialité des échanges entre M. Pierre Lortie et l’intimé n’est plus en litige. Le juge de première instance a déterminé que la mise en place d’un écran déontologique (Muraille de Chine) entre M. Lortie et les employés appelés à travailler avec lui et les autres membres du cabinet était suffisante et faite avec assez de diligence pour pallier les risques de divulgation de renseignements confidentiels.

[5]           L’appelant conteste cependant la décision du juge voulant que la déclaration de son inhabilité, à la demande de l’intimé, était justifiée à cause de l’existence d’un conflit de loyauté à l’égard de l’intimé.

[6]           L’appelant plaide d’abord qu’il ne pouvait y avoir de conflit de loyauté en l’espèce étant donné qu’il n’existait pas d’entente de service entre M. Lortie, un professionnel non-avocat, ou le cabinet et l’intimé.

[7]           Il s’agit d’une question de fait et l’analyse qu’en fait le juge de première instance ainsi que sa conclusion qu’une relation professionnelle s’est établie entre l’intimé et le cabinet appelant[2] trouvent un solide appui dans la preuve administrée devant lui.

[8]           Au surplus, la grande précision du contenu de l’agenda convenu entre l’intimé et M. Lortie pour une seconde rencontre fait bien voir que ces sujets ont été au moins ciblés lors de leur première rencontre[3]. Elle démontre également que l’intimé avait  « des motifs raisonnables de croire »[4] qu’une relation de client à cabinet d’avocats s’était établie entre lui et le cabinet appelant.

[9]           L’appelant fait ensuite valoir que, si un conflit de loyauté existe, le remède de la déclaration d’inhabilité est trop radical puisque la mise en place de l’écran déontologique est suffisante pour remédier au problème.

[10]        Le juge détermine, au contraire, que, bien qu’un écran déontologique puisse pallier la transmission d’informations confidentielles obtenues d’un client, ce n’est pas suffisant en l’espèce pour régler le problème du conflit de loyauté.

[11]        S’appuyant sur la notion de « conflit d’intérêts » telle que définie à l’article 72 du Code et sur l’arrêt de la Cour suprême R. c. Neil[5], le juge de première instance postule la règle de principe alors applicable. Selon cette règle, si un cabinet décide de poursuivre un client, il doit obtenir son consentement, soit à l’avance, soit, comme en l’espèce, dès que la question surgit.

[12]        Pour décider si une déclaration d’inhabilité s’impose, le juge applique ensuite les critères de l’article 74 du Code :

74.       Pour décider de toute question relative à un conflit d’intérêts, il est tenu compte de l’intérêt supérieur de la justice, du consentement explicite ou implicite des parties, de l’étendue du préjudice pour chacune des parties, du laps de temps écoulé depuis la naissance de la situation pouvant constituer ce conflit ainsi que de la bonne foi des parties.

[13]        Le juge conclut que le critère déterminant ici est celui de l’intérêt supérieur de la justice et que ce critère requiert que le cabinet appelant soit déclaré inhabile à occuper contre l’intimé :

[80]      The overriding factor in this case and in most cases is the higher interests of justice. In the present matter, the Court considers that the higher interests of justice require that Dentons be disqualified. If the Court allows Dentons to continue to act despite the existing relationship with Bazinet at the time that Dentons instituted proceedings against him on behalf of another client in exactly the same matter, the reputation of lawyers and of the legal system itself in the eyes of the reasonable person will be hurt.

[81]      The Court therefore concludes that Dentons must be disqualified from acting for Jennings.

[14]        La Cour est d’avis que cette conclusion est conforme à la règle de droit et justifiée par la preuve.

[15]        Cette conclusion est également celle que la Cour suprême reconnaît comme justifiée dans le cas d’un manquement au devoir de loyauté d’un avocat envers son client dans l’arrêt Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. McKercher LLP[6]. Bien qu’il s’agisse d’une affaire ayant son origine en Saskatchewan, la Cour énonce le principe que les tribunaux investis d’une compétence inhérente disposent du pouvoir de surveiller la conduite des litiges dont ils sont saisis, ce qui inclut celui de trancher les questions soulevées par la représentation d’un client en particulier par un avocat. De façon générale, l’objectif des tribunaux est alors d’éviter tout préjudice au client et de préserver la considération dont jouit l’administration de la justice[7].

[16]        Selon la Cour suprême, l’avocat et, par extension, le cabinet d’avocats, ont envers leurs clients un devoir de loyauté qui comporte trois aspects : le devoir d’éviter les conflits d’intérêts, le devoir de dévouement à la cause du client et le devoir de franchise[8]. Elle reconnaît de plus que la préservation de l’intégrité et de la considération dont jouit l’administration de la justice est un motif susceptible, à lui seul, de rendre nécessaire une déclaration d’inhabilité dans le cas de violation de ce devoir de loyauté envers un client[9].

[17]        Les enseignements de la Cour suprême rejoignent les dispositions de l’article 74 du Code que le juge de première instance a appliquées aux faits de l’affaire. De plus, tout comme le recommande le plus haut tribunal du pays[10], le juge a tenu compte de toutes les circonstances pertinentes pour déterminer si la déclaration d’inhabilité s’imposait afin de protéger l’intérêt supérieur de la justice, selon le Code, ou l’intégrité et la considération dont jouit l’administration de la justice, selon la Cour suprême.

[18]        La Cour fait siens les motifs pour lesquels le juge de première instance a jugé que, dans les circonstances de l’espèce, la déclaration d’inhabilité s’avérait nécessaire. C’est le cas en particulier de la gravité du manquement au devoir de loyauté lorsque l’intimé est poursuivi par le cabinet appelant dans le même dossier que celui pour lequel il est devenu le client de ce cabinet. Il en est de même de la diligence avec laquelle, ayant été informé de la situation de conflit d’intérêts, l’intimé a demandé le retrait du cabinet appelant.

C’est pour ces motifs qu’à l’audience la Cour a rejeté l’appel, avec les frais de justice.

 

 

 

 

            FRANÇOIS PELLETIER, J.C.A.

 

 

 

 

 

            LORNE GIROUX, J.C.A.

 

 

 

 

 

            JEAN BOUCHARD, J.C.A.

 

Me Douglas Mitchell

Me David Éthier

Irving Mitchell Kalichman

Pour l’appelante

 

Me Céline Tessier

Séguin Racine, avocats ltée

Pour l’intimé

 

Me Nina Vanda Fernandez

FNC avocats

Pour Léo Bazinet et Andrew Vaillant

 

Date d’audience :

7 octobre 2016

 



[1]     Jennings c. Bazinet, 2016 QCCS 2067, J.E. 2016-1393.

[2]     Id., paragr. 17-48.

[3]     Déclaration sous serment de M. Pierre Lortie, 8 février 2016, paragr. 13.

[4]     Le Code de déontologie des avocats, LRLQ, c. B-1, r. 3.1 [ci-après cité : Code] définit ainsi la notion de « client » :

3.   Aux fins du présent code : 1° « client » inclut toute personne ou, le cas échéant, toute organisation à qui l’avocat rend ou s’engage à rendre des services professionnels; ce terme s’entend aussi d’une personne qui consulte un avocat et qui a des motifs raisonnables de croire qu’une relation entre avocat et client existe.

[5]     R. c. Neil, [2002] 3 R.C.S. 631, 2002 CSC 70, paragr. 29, p. 649.

[6]     Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. McKercher LLP, [2013] 2 R.C.S. 649, 2013 CSC 39.

[7]     Id., paragr. 13, p. 657.

[8]     R. c. Neil, supra, note 5, paragr. 19, p. 645-646; McKercher, supra, note 6, paragr. 19, p. 659.

[9]     McKercher, supra, note 6, paragr. 64-65, p. 675-676.

[10]    Id.

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