Western Troy Capital Ressources inc. et Capitale Hélipro inc. |
2014 QCCLP 6370 |
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[1] Le 20 septembre 2013, Western Troy Capital Ressources inc. (l’employeur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles à l’encontre d’une décision rendue le 9 septembre 2013 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST, en révision administrative, confirme celle rendue le 16 juillet 2013 et déclare que l’imputation du coût des prestations, au dossier de l’employeur, demeure inchangée.
[3] Une audience est tenue à Québec le 23 avril 2014 à laquelle assiste la représentante de l’employeur.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles le transfert du coût des prestations reliées à l’accident du travail subi par le travailleur le 24 juin 2011 causant son décès, conformément au deuxième alinéa de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
LES FAITS
[5] Le 24 juin 2011, le travailleur est victime d’un accident du travail causant son décès. Cet accident survient lors de son transport en hélicoptère pour se rendre sur les lieux du travail.
[6] Dans la décision rendue en révision administrative le 29 février 2012, la CSST rapporte les faits pertinents à la présente, comme suit :
Monsieur André Lafontaine est né le […] 1954. Selon les documents au dossier, la conjointe de monsieur Lafontaine, habitait à la même adresse que monsieur Lafontaine et une enfant était née de cette union. Le 24 juin 2011, monsieur André Lafontaine était âgé de 56 ans, sa conjointe est âgée de 51 ans et leur fille est âgée de moins de 25 ans.
Monsieur André Lafontaine était au service de la Société de l’assurance-automobile du Québec (SAAQ) à titre d’analyste en informatique. Son revenu annuel était de 67 698,00 $, en date du 24 juin 2011. Toutefois, le 24 juin 2011, il était en vacances et par la suite, il bénéficiait d’un congé sans solde à durée déterminée.
Par ailleurs, il a obtenu un contrat de prospection de la Compagnie Western Troy Capital Ressources inc., une compagnie ontarienne détenant un établissement au Québec. Il s’agissait d’un contrat à durée déterminée de 2 mois, durant son congé sabbatique octroyé par la SAAQ, et devant débuter le 27 juin 2011.
Entretemps, toutefois, le 12 juin 2011, monsieur André Lafontaine envoie un message, à La Compagnie Western Troy Capital Ressources inc. Il demande l’autorisation de débuter son contrat le 24 juin 2011, plutôt que le 27 juin 2011. Une réponse affirmative lui est transmise par la Compagnie Western Troy Capital Ressources inc., tel qu’il appert des messages électroniques échangés apparaissant au dossier. De plus, l’entreprise autorise le remboursement d’un appareil de guidage par satellite (GPS).
Selon les informations au dossier, monsieur André Lafontaine prend place le 24 juin 2011, dans un hélicoptère de Capitale Hélicoptère inc., hélicoptère nolisé pour une période de 30 jours, avec un minimum garanti de 3 heures de vol par jour, par la Compagnie Western Troy Capital Ressources. Il est aussi fait mention que monsieur André Lafontaine se déplaçait vers les lieux de son travail, un camp de prospection localisé au Lac Deborah, situé à une centaine de kilomètres au nord-est de Schefferville, dans le Nord-du-Québec.
Un accident d’hélicoptère est survenu au nord de Schefferville, ce même jour.
Le 25 juin 2011, monsieur André Lafontaine décède, tel qu’il appert du Bulletin de décès du dossier. Selon les informations apparaissant au Bulletin de décès, les causes du décès sont attribuables à un accident, soit aux polytraumatismes subis lors de cet accident.
Le 4 juillet 2011, à la suite du décès de monsieur André Lafontaine, la succession présente une réclamation à la Commission.
Au dossier, apparaissent notamment les copies du permis d’absence relatif à un congé sans solde de la SAAQ, du contrat de travail entre monsieur Lafontaine et Western Troy Capital Ressources, des certificats de naissance de la conjointe et de la fille de monsieur André Lafontaine, leurs cartes d’assurance maladie et d’assurance sociale, les preuves de leurs domiciles au moment du décès de monsieur Lafontaine, un relevé de notes de la fille de monsieur Lafontaine pour la session hiver 2011 et une attestation d’inscription à la session automne 2011.
Le contrat de travail entre monsieur Lafontaine et Western Troy Capital Ressources inc., au dossier, stipule que le consultant ne peut déléguer l’accomplissement de ses tâches, sans autorisation préalable de l’entreprise. De plus, il est aussi fait mention du remboursement des frais de déplacement et de repas occasionnés pour le bénéfice de l’entreprise, après autorisation.
[7] Le 11 juin 2012, l’employeur demande un transfert d’imputation en raison de la responsabilité d’un tiers, dans la survenance de l’accident du travail et qu’il est injuste qu’il en supporte les coûts.
[8] À l’audience, la représentante de l’employeur dépose notamment des extraits d’articles de journaux. On y rapporte des informations non confirmées par les autorités chargées de l’enquête. Des témoins auraient vu une pièce se détacher de l’hélicoptère entraînant celui-ci dans une vrille avant de s’écraser et prendre feu. Au cours de son transport à l’hôpital, le pilote aurait mentionné aux policiers avoir perdu le contrôle de l’appareil. Ce sont les seules informations préliminaires dont dispose le tribunal, relativement aux circonstances entourant l’écrasement de l’hélicoptère.
[9] En argumentation, la représentante de l’employeur soumet que les circonstances précises et concrètes de l’événement sont empreintes d’un caractère suffisamment exceptionnel, rare et inusité pour conclure qu’il serait injuste d’en imputer les coûts à l’employeur, justifiant ainsi le transfert aux autres employeurs. Elle souligne que les manœuvres du pilote d’hélicoptère sont assimilables à un piège d’autant que le travailleur ne pouvait faire quoique ce soit pour pallier à cet écrasement. Elle insiste de plus sur les circonstances exceptionnelles de cet accident puisqu’il est rare qu’un hélicoptère soit impliqué dans un écrasement, selon les statistiques en matière de transport aérien dont elle dépose une copie.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[10] La Commission des lésions professionnelles doit décider si l’employeur a droit au transfert du coût des prestations en vertu du deuxième alinéa de l’article 326 de la loi. Cet article se lit comme suit :
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.
L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.
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1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
[11] L’article 326 de la loi prévoit à son premier alinéa, le principe général voulant que l’employeur est imputé du coût des prestations reliées à un accident du travail, survenu à un travailleur, alors qu’il était à son emploi. Toutefois, selon certaines conditions prévues à la loi, la CSST peut procéder à une imputation différente.
[12] La demande logée par l’employeur le 11 juin 2012 concerne un transfert d’imputation en vertu de l’exception prévue au second alinéa de l’article 326 de la loi.
[13] Tel que le décide la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Ministère des transports et C.S.S.T.[2], pour se prévaloir de cette exception, l’employeur doit démontrer que l’accident du travail dont est victime le travailleur est attribuable à un tiers et qu’il est injuste de lui faire supporter le coût des prestations qui en découle.
[14] D’emblée, la CSST reconnaît la présence d’un tiers ayant contribué, de façon majoritaire, à la survenance de l’événement. L’employeur ne conteste pas cette partie de la décision.
[15] Reste à déterminer s’il est injuste pour l’employeur d’être imputé du coût des prestations découlant de l’accident ayant causé le décès du travailleur.
[16] Dans l’affaire précitée, la formation de trois commissaires suggère certains critères pouvant être considérés aux fins de déterminer si l’imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à l’employeur, le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail attribuable à un tiers. Selon l’espèce, un seul ou plusieurs de ces facteurs seront applicables et les faits particuliers à chaque cas déterminent la pertinence ainsi que l’importance relative à donner à chacun de ceux-ci :
- les risques inhérents à l’ensemble des activités de l’employeur, les premiers s’appréciant en regard du risque assuré alors que les seconds doivent être considérés, en autres, à la lumière de la description de l’unité de classification à laquelle il appartient;
- les circonstances ayant joué un rôle déterminant dans la survenance du fait accidentel, en fonction de leurs caractères extraordinaires, inusités, rares et/ou exceptionnels, comme par exemple les cas de guet-apens, de pièges, d’actes criminels ou autres contraventions à une règle législative, réglementaire ou de l’art;
- les probabilités qu’un semblable accident survienne, compte tenu du contexte particulier circonscrit par les tâches du travailleur et les conditions d’exercice de l’emploi.
[17] En l’instance, l’accident dont le travailleur est victime survient lors de son transport, par voie aérienne, pour se rendre au site de prospection de l’entreprise dont l’activité principale est l’exploration minière.
[18] Or, le tribunal considère que le déplacement du travailleur, par voie aérienne, est une activité accessoire à l’activité principale de l’employeur qui consiste à rechercher de nouveaux gisements de minerais à des fins d’exploitation. À cet égard, rappelons que le travailleur engagé à contrat à titre de prospecteur devait se rendre à cette fin, à plus de 100 kilomètres au nord-est de Schefferville dans le Nord-du-Québec. Par ailleurs, il ressort des informations colligées par la CSST qu’un hélicoptère avait été nolisé par l’employeur pour une période de 30 jours, avec un minimum garanti de 3 heures de vol par jour pour répondre aux besoins de ses activités.
[19] En outre, la preuve révèle que le déplacement du travailleur en hélicoptère est autorisé par l’employeur et, de ce fait, il consentait à ce que le travailleur l’utilise comme moyen de transport.
[20] D’autre part, le fait qu’il arrive peu souvent qu’un hélicoptère soit impliqué dans un accident, tel que le soumet la représentante de l’employeur, ne permet pas en soi d’établir qu’il s’agit de circonstances qui sont inusitées, rares ou exceptionnelles ou qu’elles puissent être assimilées à un pièce ou un guet-apens.
[21] En effet, la Commission des lésions professionnelles ne dispose d’aucune information voulant que l’événement a été occasionné par de mauvaises conditions climatiques ou encore qu’un acte criminel ou même qu’une infraction particulière soit à l’origine de cet accident.
[22] Ainsi, les faits dans la présente affaire se distinguent des quelques décisions déposées par la représentante de l’employeur[3] au soutien de son argumentation.
[23] Par conséquent, la Commission des lésions professionnelles conclut que l’employeur doit assumer la totalité du coût découlant de l’accident survenu le 24 juin 2011.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de Western Troy Capital Ressources inc.
CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 9 septembre 2013 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que Western Troy Capital Ressources inc. doit assumer la totalité du coût des prestations découlant de l’accident du travail qu’a subi le travailleur causant son décès le 24 juin 2011.
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HÉLÈNE THÉRIAULT |
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Me Valérie Gareau-Dalgé |
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FASKEN, MARTINEAU, DUMOULIN, AVOCATS |
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Représentante de la partie requérante |
[1] RLRQ, c. A-3.001.
[2] C.L.P. 288809-03B-0605, 28 mars 2008, J.-F. Clément, D. Lajoie et J.-F. Martel.
[3] Centre Jeunesse Mauricie et Centre du Québec et Air Tamarac, C.L.P. 299991-04-0610, 10 mars 2009, D. Lajoie; Ministère des Ressources Naturelles & Faune et Grondin, C.L.P. 332873-31-0411 et 333166-31-0711, 30 novembre 2011, G. Tardif; L.J.L. Mécanique inc., C.L.P. 467737-08-1204, 17 mai 2013, F. Aubé.
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