Décision

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Cuisine Laurier et Pelchat

2010 QCCLP 8075

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Drummondville

5 novembre 2010

 

Région :

Mauricie-Centre-du-Québec

 

Dossier :

412859-04B-1006

 

Dossier CSST :

134297753

 

Commissaire :

Jacques Degré, juge administratif

 

Membres :

Jean-Guy Verreault, associations d’employeurs

 

Robert Goulet, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Cuisine Laurier

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Émilie Pelchat

 

Partie intéressée

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 8 juin 2010, Cuisine Laurier (l’employeur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste la décision rendue le 28 mai 2010 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST).

[2]           Par cette décision, le conciliateur-décideur de la CSST accueille la plainte de madame Émilie Pelchat (la travailleuse) en vertu de l’article 32 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) et déclare qu’elle a droit au salaire et avantages liés à son emploi pour la période comprise entre le 20 avril 2009 et le 20 août 2009.

[3]           Une audience se tient à Drummondville le 13 octobre 2010, audience à laquelle la travailleuse et l’employeur sont présents et représentés.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]           L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision rendue par le conciliateur-décideur de la CSST le 28 mai 2010 et de déclarer que la travailleuse n’a fait l’objet d’aucune sanction le 22 avril 2009 en raison de sa lésion professionnelle survenue le 12 novembre 2008.

[5]           Dès le début de l’audience du 13 octobre 2010, les procureurs des parties ont convenu de s’en remettre aux faits tels que rapportés dans la décision rendue par le conciliateur-décideur de la CSST en date du 28 mai 2010, les jugeant fidèles à la preuve. Le paragraphe [54] de cette décision n’a pas fait l’objet d’admissions et une courte preuve à cet égard fut administrée de part et d’autre, laquelle sera décrite ci-après. Il y a donc lieu dans un premier temps de reproduire les faits ayant fait l’objet d’admissions par les parties.

LES FAITS

[6]           L’employeur reconnaît d’emblée que madame Émilie Pelchat est une travailleuse au sens de la loi et que sa plainte, en date du 7 mai 2009, est déposée dans le délai prévu à la loi.

[7]           La travailleuse est au service de l’employeur depuis le 15 mai 2006 à titre de sableuse à l’établissement de Dosquet.

[8]           Le 12 novembre 2008, la travailleuse subit une lésion professionnelle.

[9]           Le 13 novembre 2008, la travailleuse débute une assignation temporaire de travail à l’établissement de Dosquet.

[10]        Le 3 décembre 2008, un incendie détruit l’établissement de Dosquet.

[11]        Au moment de l’incendie, vingt-et-un (21) employés travaillent à l’établissement de Dosquet. Treize (13) sont mis à pied, d’autres vont travailler à l’établissement de Laurier Station ou encore sont affectés à des tâches de ménage à l’établissement de Dosquet.

[12]        Au moment de l’incendie, l’employeur est dans l’obligation de réagir rapidement puisque des commandes sont en cours et il a procédé en fonction de ses besoins. Il manquait d’espace à l’établissement de Laurier Station et il y procède à l’ouverture d’un quart de travail de soir.

[13]        Le 3 décembre 2008, le médecin qui a charge de la travailleuse met fin à l’assignation temporaire de travail de cette dernière, jugeant trop long le trajet jusqu’à l’autre établissement de l’employeur situé à Laurier Station, compte tenu que le véhicule de la travailleuse est muni d’une transmission manuelle.

[14]        À la mi-février 2009, sur recommandation de son médecin, la travailleuse reprend l’assignation temporaire de travail à l’établissement de Laurier Station.

[15]        Le 30 mars 2009, le médecin qui a charge de la travailleuse émet un rapport médical final par lequel il consolide la lésion professionnelle de cette dernière en date du 20 avril 2009, et ce, sans séquelles permanentes. Dans l’intervalle, la travailleuse doit poursuivre ses traitements de physiothérapie ainsi que son assignation temporaire de travail.

[16]        La travailleuse remet copie du rapport médical final à madame Karina Lambert, responsable des dossiers d’accidents du travail chez l’employeur. Elle déclare à madame Lambert être apte au travail et prête à travailler sur n’importe lequel quart de travail, ce à quoi madame Lambert lui répond vouloir discuter avec madame Nathalie Bélanger, directrice des ressources humaines chez l’employeur, après quoi elle communiquera avec elle.

[17]        Au moment de remettre copie du rapport médical final à madame Lambert, la travailleuse constate que mesdames Jocelyne Fournier et Sophie Bergeron, lesquelles comptent toutes deux moins d’années de service continu qu’elle, travaillent à titre de sableuses.

[18]        Madame Lambert rappelle la travailleuse, l’informe qu’elle est mise à pied et dit ne pas vouloir mettre quelqu’un d’autre à pied. Il n’y a pas eu d’autres communications avec l’employeur depuis.

[19]        Madame Sophie Bergeron est au service de l'employeur depuis le 31 juillet 2006 à titre de sableuse à l’établissement de Dosquet et est affectée au quart de soir.

[20]        Madame Jocelyne Fournier est au service de l’employeur depuis le 25 septembre 2006 à titre de sableuse à l’établissement de Dosquet et est affectée au quart de jour.

[21]        Mesdames Bergeron et Fournier sont toutes deux mises à pied le 3 décembre 2008 en raison de l’incendie de l’établissement de Dosquet.

[22]        Madame Bergeron est rappelée au travail le 16 février 2009 et madame Fournier le 23 février 2009, toutes deux à l’établissement de Laurier Station.

[23]        Mesdames Bergeron et Fournier sont toutes deux mises à pied le 27 février 2009.

[24]        Mesdames Bergeron et Fournier sont toutes deux rappelées au travail le 23 mars 2009 à l’établissement de Laurier Station.

[25]        Le 7 mai 2009, la travailleuse dépose une plainte en vertu de l’article 32 de la loi. Elle y indique que le 22 avril 2009, puisqu’elle a subi une lésion professionnelle le 12 novembre 2008, elle fut illégalement l’objet d’une « mise à pied temporaire pendant qu’il y a des gens avec moins d’ancienneté qui travaillent ». Elle réclame le retour à son poste de travail puisqu’elle est apte à reprendre ses fonctions à temps plein depuis le 20 avril 2009.

[26]        Madame Fournier quitte son emploi en juin 2009 et madame Bergeron, le 20 août 2009. Elles ne furent pas remplacées.

[27]        Il y a toujours des sableurs à l'emploi à l’établissement de Laurier Station, mais ils comptent tous plus d’années de service continu que la travailleuse. Il n’y a eu aucune nouvelle embauche depuis le 20 avril 2009.

[28]        Il n’y a pas de convention collective en vigueur chez l’employeur.

[29]        Le 28 mai 2010, le conciliateur-décideur de la CSST accueille la plainte de la travailleuse et déclare qu’elle a droit au salaire et avantages liés à son emploi pour la période comprise entre le 20 avril et le 20 août 2009.

[30]        Le 8 juin 2010, l’employeur conteste cette dernière décision devant la Commission des lésions professionnelles (dossier 412859-04B-1006 du tribunal).

[31]        Lors de l’audience du 13 octobre 2010, l’employeur fait entendre madame Nathalie Bélanger, directrice des ressources humaines pour le compte de l’employeur depuis l’année1997, relativement à la teneur du paragraphe [54] de la décision rendue le 28 mai 2010 par le conciliateur-décideur de la CSST. Ce paragraphe se lit ainsi :

[54]      Toutefois, le témoignage non contredit de la travailleuse, est à l’effet que lors d’une absence antérieure, l’employeur l’a réintégrée prioritairement lorsqu’elle est devenue apte au travail, procédant à la mise à pied d’un employé comptant moins d’ancienneté qu’elle.

 

 

[32]        Le témoin explique que l’absence antérieure à laquelle réfère la travailleuse au paragraphe [54] de la décision du 28 mai 2010 réfère à un événement du mois de juillet 2007. Après vérification, madame Bélanger affirme que la travailleuse est alors de retour au travail le 19 février 2008 et que la première mise à pied a lieu après son retour, soit le 28 février 2008.

[33]        Contre-interrogée, madame Bélanger déclare ne pas avoir fait parvenir de lettre de fin d’emploi à la travailleuse après le 20 avril 2009 et ne pas avoir procédé à l’embauche de sableurs entre le 20 août 2009, date du départ de Sophie Bergeron, et le mois de juin 2010.

[34]        Questionnée par le tribunal, madame Bélanger répond que la travailleuse n’effectue plus d’assignation temporaire de travail à l’établissement de Laurier Station après le 27 février 2009, date de mises à pied massives chez l’employeur.

[35]        Le relevé d’emploi de la travailleuse émis le 12 mai 2009 indique que la travailleuse fut mise à pied le 27 février 2009.

[36]        La travailleuse témoigne à son tour. Elle maintient que lors de son absence antérieure, elle se souvient d’une certaine Sylvie qui fut mise à pied au moment de son retour au travail, puisque cette dernière compte alors moins d’ancienneté qu’elle.

L’ARGUMENTATION DES PARTIES

[37]        L’employeur soutient qu’il n’a pas imposé de sanction ni agi de façon illégale envers la travailleuse le 22 avril 2009, moment où cette dernière fut mise à pied.

[38]        Il soumet tout d’abord qu’en l’absence de convention collective, son obligation se résume à agir selon le bon jugement et l’équité, ce qu’il prétend avoir fait. Ensuite, il précise qu’il existe deux établissements au sens de la loi et non un seul. Comme la preuve le révèle dit-il, il y a eu transfert d’un établissement à l’autre compte tenu de l’incendie du 3 décembre 2008. En fonction des besoins, l’employeur a alors mis à pied et rappelé mesdames Fournier et Bergeron, et ce, avant que la travailleuse ne redevienne capable d’occuper le poste de sableur le 20 avril 2009. Conséquemment, ce que la travailleuse réclame le 20 avril 2009 est un droit de déplacement dans un établissement différent de celui où elle travaillait lorsque s’est manifestée sa lésion, droit que la loi ne lui accorde pas. L'employeur soumet deux décisions au soutien de ses prétentions[2].

[39]        L’employeur en conclut donc que puisqu’au moment où il rappelle au travail mesdames Bergeron et Fournier la travailleuse n'est pas capable d’occuper l’emploi de sableur, il ne lui impose aucune sanction ni mesures de représailles, il ne fait que combler ses besoins ponctuels en personnel.

[40]        La travailleuse, de son côté, soumet qu’au moment où elle reprend le travail en assignation temporaire à la mi-février 2009, elle le fait à l’établissement de Laurier Station, ce qui, dit-elle, ne semble pas être un empêchement à ce moment. Pourquoi en irait-il autrement le 20 avril 2009? Elle affirme qu’au moment où elle peut exercer son droit de retour au travail, le 20 avril 2009, elle en informe aussitôt l'employeur. La preuve démontre selon elle que l’employeur ne l’y autorise pas simplement parce qu'il refuse de mettre quelqu’un d’autre à pied, ce qui est illégal puisqu’elle détient un droit de réintégration prioritaire à son emploi. Qu’il existe ou non une convention collective, son droit de retour au travail à son emploi de façon prioritaire existe au moment où elle peut l’exercer, soit le 20 avril 2009, et l’employeur l’en a privée sans motif valable.

L’AVIS DES MEMBRES

[41]        Le membre issu des associations syndicales est d'avis de rejeter la contestation de l'employeur. Il estime que ce dernier n’a fait valoir aucune autre cause juste et suffisante pour expliquer le maintien de la mise à pied de la travailleuse à la suite de l’exercice de son droit au retour au travail le 20 avril 2009. Le membre croit plutôt que la preuve non contestée démontre que l’employeur refuse purement et simplement de mettre à pied une autre employée affectée au poste de sablage en lieu et place de la travailleuse, qui a pourtant le droit de réintégrer prioritairement son emploi à l’établissement de Laurier Station, puisque son emploi y fut transféré à la suite de l’incendie de l’établissement de Dosquet.

[42]        Le membre issu des associations employeurs, après avoir pris connaissance du raisonnement développé par le juge administratif, se dit en accord avec ses conclusions.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[43]        La Commission des lésions professionnelles doit décider si la plainte logée par la travailleuse le 7 mai 2009 en vertu de l’article 32 de la loi est fondée. Plus précisément, si le 22 avril 2009, l’employeur l’a illégalement mise à pied en raison de sa lésion professionnelle du 12 novembre 2008.

[44]        Les articles suivants de la loi sont nécessaires à la solution du litige qui oppose les parties :

1. La présente loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour les bénéficiaires.

 

Le processus de réparation des lésions professionnelles comprend la fourniture des soins nécessaires à la consolidation d'une lésion, la réadaptation physique, sociale et professionnelle du travailleur victime d'une lésion, le paiement d'indemnités de remplacement du revenu, d'indemnités pour préjudice corporel et, le cas échéant, d'indemnités de décès.

 

La présente loi confère en outre, dans les limites prévues au chapitre VII, le droit au retour au travail du travailleur victime d'une lésion professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 1; 1999, c. 40, a. 4.

 

 

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:

 

«établissement»: un établissement au sens de la Loi sur la santé et la sécurité du travail;

 

«emploi convenable»: un emploi approprié qui permet au travailleur victime d'une lésion professionnelle d'utiliser sa capacité résiduelle et ses qualifications professionnelles, qui présente une possibilité raisonnable d'embauche et dont les conditions d'exercice ne comportent pas de danger pour la santé, la sécurité ou l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion;

 

«emploi équivalent»: un emploi qui possède des caractéristiques semblables à celles de l'emploi qu'occupait le travailleur au moment de sa lésion professionnelle relativement aux qualifications professionnelles requises, au salaire, aux avantages sociaux, à la durée et aux conditions d'exercice;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.

 

4. La présente loi est d'ordre public.

 

Cependant, une convention ou une entente ou un décret qui y donne effet peut prévoir pour un travailleur des dispositions plus avantageuses que celles que prévoit la présente loi.

__________

1985, c. 6, a. 4.

 

32. L'employeur ne peut congédier, suspendre ou déplacer un travailleur, exercer à son endroit des mesures discriminatoires ou de représailles ou lui imposer toute autre sanction parce qu'il a été victime d'une lésion professionnelle ou à cause de l'exercice d'un droit que lui confère la présente loi.

 

Le travailleur qui croit avoir été l'objet d'une sanction ou d'une mesure visée dans le premier alinéa peut, à son choix, recourir à la procédure de griefs prévue par la convention collective qui lui est applicable ou soumettre une plainte à la Commission conformément à l'article 253.

__________

1985, c. 6, a. 32.

 

255. S'il est établi à la satisfaction de la Commission que le travailleur a été l'objet d'une sanction ou d'une mesure visée dans l'article 32 dans les six mois de la date où il a été victime d'une lésion professionnelle ou de la date où il a exercé un droit que lui confère la présente loi, il y a présomption en faveur du travailleur que la sanction lui a été imposée ou que la mesure a été prise contre lui parce qu'il a été victime d'une lésion professionnelle ou à cause de l'exercice de ce droit.

 

Dans ce cas, il incombe à l'employeur de prouver qu'il a pris cette sanction ou cette mesure à l'égard du travailleur pour une autre cause juste et suffisante.

__________

1985, c. 6, a. 255.

 

 

235. Le travailleur qui s'absente de son travail en raison de sa lésion professionnelle:

 

 1° continue d'accumuler de l'ancienneté au sens de la convention collective qui lui est applicable et du service continu au sens de cette convention et au sens de la Loi sur les normes du travail (chapitre N-1.1);

 

 2° continue de participer aux régimes de retraite et d'assurances offerts dans l'établissement, pourvu qu'il paie sa part des cotisations exigibles, s'il y a lieu, auquel cas son employeur assume la sienne.

 

Le présent article s'applique au travailleur jusqu'à l'expiration du délai prévu par le paragraphe 1° ou 2°, selon le cas, du premier alinéa de l'article 240.

__________

1985, c. 6, a. 235.

 

 

236. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle qui redevient capable d'exercer son emploi a droit de réintégrer prioritairement son emploi dans l'établissement où il travaillait lorsque s'est manifestée sa lésion ou de réintégrer un emploi équivalent dans cet établissement ou dans un autre établissement de son employeur.

__________

1985, c. 6, a. 236.

 

 

237. Le travailleur qui, à la date où il est victime d'une lésion professionnelle, est lié par un contrat de travail à durée déterminée et qui redevient capable d'exercer son emploi avant la date d'expiration de son contrat, a droit de réintégrer son emploi et de l'occuper jusqu'à cette date.

__________

1985, c. 6, a. 237.

 

 

238. Lorsqu'un employeur lié par une convention collective ne réintègre pas un travailleur qui est redevenu capable d'exercer son emploi pour le motif que ce travailleur aurait été déplacé, suspendu, licencié, congédié ou qu'il aurait autrement perdu son emploi s'il avait été au travail, les dispositions pertinentes de la convention collective s'appliquent comme si ce travailleur avait été au travail lors de ce déplacement, de cette suspension, de ce licenciement, de ce congédiement ou de cette perte d'emploi.

__________

1985, c. 6, a. 238.

 

239. Le travailleur qui demeure incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion professionnelle et qui devient capable d'exercer un emploi convenable a droit d'occuper le premier emploi convenable qui devient disponible dans un établissement de son employeur.

 

Le droit conféré par le premier alinéa s'exerce sous réserve des règles relatives à l'ancienneté prévues par la convention collective applicable au travailleur.

__________

1985, c. 6, a. 239.

 

 

240. Les droits conférés par les articles 236 à 239 peuvent être exercés:

 

 1° dans l'année suivant le début de la période d'absence continue du travailleur en raison de sa lésion professionnelle, s'il occupait un emploi dans un établissement comptant 20 travailleurs ou moins au début de cette période; ou

 

 2° dans les deux ans suivant le début de la période d'absence continue du travailleur en raison de sa lésion professionnelle, s'il occupait un emploi dans un établissement comptant plus de 20 travailleurs au début de cette période.

 

Le retour au travail d'un travailleur à la suite d'un avis médical n'interrompt pas la période d'absence continue du travailleur si son état de santé relatif à sa lésion l'oblige à abandonner son travail dans la journée du retour.

__________

1985, c. 6, a. 240.

 

 

242. Le travailleur qui réintègre son emploi ou un emploi équivalent a droit de recevoir le salaire et les avantages aux mêmes taux et conditions que ceux dont il bénéficierait s'il avait continué à exercer son emploi pendant son absence.

 

Le travailleur qui occupe un emploi convenable a droit de recevoir le salaire et les avantages liés à cet emploi, en tenant compte de l'ancienneté et du service continu qu'il a accumulés.

__________

1985, c. 6, a. 242.

 

 

[45]        De plus, puisque la définition d’établissement que prévoit la loi renvoie à la définition que renferme la Loi sur la santé et la sécurité du travail[3], il est nécessaire d’en reproduire la définition :

1. Dans la présente loi et les règlements, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:

 

«établissement»: l'ensemble des installations et de l'équipement groupés sur un même site et organisés sous l'autorité d'une même personne ou de personnes liées, en vue de la production ou de la distribution de biens ou de services, à l'exception d'un chantier de construction; ce mot comprend notamment une école, une entreprise de construction ainsi que les locaux mis par l'employeur à la disposition du travailleur à des fins d'hébergement, d'alimentation ou de loisirs, à l'exception cependant des locaux privés à usage d'habitation;

__________

1979, c. 63, a. 1; 1985, c. 6, a. 477, a. 521; 1986, c. 89, a. 50; 1988, c. 61, a. 1; 1992, c. 21, a. 300; 1992, c. 68, a. 157; 1994, c. 23, a. 23; 1997, c. 27, a. 34; 1998, c. 39, a. 188; 1999, c. 40, a. 261; 2002, c. 38, a. 10; 2001, c. 26, a. 168; 2002, c. 76, a. 1; 2005, c. 32, a. 308.

 

 

[46]        Les faits à l’origine de la présente affaire sont relativement simples et admis en majeure partie. Ils peuvent se résumer comme suit.

[47]        La travailleuse, une sableuse, subit une lésion professionnelle le 12 novembre 2008 à l’établissement de l’employeur sis à Dosquet et débute une assignation temporaire de travail dès le lendemain. Le 3 décembre, l’établissement de Dosquet est la proie des flammes et l’employeur y effectue des mises à pied ainsi que des transferts de main-d'œuvre vers son établissement de Laurier Station. La travailleuse cesse simultanément son assignation temporaire de travail à l’établissement de Dosquet sur les recommandations de son médecin. Elle reprend son assignation temporaire de travail à l’établissement de Laurier Station sur la recommandation de son médecin de la mi-février au 27 février 2009, date à laquelle des mises à pied massives sont effectuées par l’employeur à l’établissement de Laurier Station. Des rappels au travail, notamment à des postes de sableurs, s’effectuent le 23 mars 2009, mais la travailleuse n'en fait pas partie puisque son médecin maintient toujours à ce moment l’assignation temporaire de travail. Ce dernier consolide la lésion professionnelle de la travailleuse le 20 avril 2009 sans séquelles permanentes. La travailleuse manifeste alors à l'employeur son intention de reprendre son travail de sableuse à l’établissement de Laurier Station, mais celui-ci refuse puisque d’une part, tous ses besoins en main-d’œuvre sont comblés à la suite des rappels au travail effectués le 23 mars 2009 et d’autre part, parce que l’établissement de Laurier Station n’est pas l’établissement où se manifeste la lésion professionnelle de la travailleuse le 12 novembre 2008.

[48]        La travailleuse, de son côté, se plaint du fait que le 20 avril 2009, date à laquelle elle est redevenue capable d’occuper son emploi de sableuse, l’employeur ne la réintègre pas prioritairement alors que deux travailleuses dont la date d’embauche est postérieure à la sienne occupent un poste de sableuse. La travailleuse ne réclame ni plus ni moins que l’application de l’article 236 de la loi et soumet qu’elle est en droit de réclamer le retour à son poste de travail.

[49]        Les textes respectifs des articles 236 et 239 de la loi laissent clairement voir l’intention première du législateur eu égard au droit au retour au travail. En vertu de l’article 236 de la loi, cette intention se traduit par le désir de voir le travailleur réintégrer prioritairement son emploi ou à défaut, un emploi équivalent. Dans le cas où le travailleur demeure incapable d’exercer son emploi en raison de sa lésion professionnelle, l’article 239 de la loi prévoit alors que ce dernier a le droit d’occuper le premier emploi convenable qui devient disponible. Il est aisé de constater compte tenu des termes utilisés que la nature ainsi que la primauté du droit au retour au travail dont bénéficie un travailleur est différente en fonction de sa capacité ou non à exercer son emploi. C'est aussi le constat que pose le tribunal dans l’étude du cas Raymond[4] :

[34]      Le fait qu’un travailleur occupe « son emploi » ou un « emploi convenable » est déterminant dans le chapitre du droit du retour au travail prévu à la Loi.

 

 

[50]        L’article 236 de la loi prévoit donc que le travailleur qui redevient capable d’exercer son emploi a droit de réintégrer prioritairement celui-ci.

[51]        L’utilisation de l’expression « réintégrer prioritairement » à l’article 236 de la loi revêt tout son sens lorsque l’on constate que le texte de l’article 239 de la loi prévoit non pas le droit de réintégrer prioritairement, mais plutôt le droit d’occuper le premier emploi convenable qui devient disponible, et ce, sous réserve des règles relatives à l’ancienneté, prévues le cas échéant par la convention collective applicable.

[52]        Contrairement au texte de l’article 239 de la loi, celui de l’article 236 n’impose pas au travailleur que son emploi soit disponible ni qu’il doive se soumettre à quelques règles que ce soit relatif à l’ancienneté pour être en mesure de le réintégrer, ceci pour deux raisons. Premièrement, il détient un droit prioritaire de réintégration et deuxièmement, les règles relatives à l’ancienneté ou au service continu le cas échéant, ne peuvent de toute manière poser problème puisque l’article 235 de la loi prévoit que le travailleur qui s’absente de son travail en raison de sa lésion professionnelle continue notamment d’accumuler de l’ancienneté au sens de la convention collective applicable ou du service continu selon cette même convention ou encore en vertu de la Loi sur les normes du travail[5].

[53]        De l’avis du tribunal, le choix des termes dans la version anglaise de l’article 236 de la loi fait ressortir encore davantage la priorité que détient le travailleur qui requiert de réintégrer son emploi dans le cadre de l’exercice de son droit au retour au travail. L’article 236 de la loi se lit ainsi dans sa version anglaise :

236.  A worker who has suffered an employment injury and again become able to carry on his employment is entitled to be reinstated by preference to others in his employment in the establishment where he was working when the employment injury appeared or reassigned to equivalent employment in that establishment or in another establishment of his employer.

[notre soulignement]

 

 

[54]        Le législateur reconnaît un droit de préférence au travailleur sur ses collègues de travail lorsque vient le temps de réintégrer son emploi ou un emploi équivalent à la suite d’une lésion professionnelle.

[55]        Pour le présent tribunal, il est manifeste que lorsqu’un travailleur fait valoir son droit au retour au travail à son employeur et requiert d’occuper son emploi, dans la mesure où il en a la capacité, il ne bénéficie pas d’un droit de déplacement, mais du droit de récupérer son emploi, lequel fut tout simplement dépourvu de son titulaire légitime temporairement, soit depuis la survenance de sa lésion professionnelle. Sinon l’utilisation de l’adverbe prioritairement accolé au verbe réintégrer devient vide de sens puisqu’il signifie ce que le Petit Robert (édition 1991) définit comme « avoir priorité, qualité de ce qui passe en premier, dans le temps. Actions de priorité, qui donnent certains avantages à leurs titulaires. Droit de passer le premier. »

[56]        Ceci dit avec égards, le présent tribunal est d’opinion que les deux décisions que fait valoir le savant procureur de l'employeur pour étayer sa position lorsqu’il affirme que la travailleuse recherche à faire valoir un droit de déplacement que la loi ne lui reconnaît pas ne visent tout simplement pas la même situation qu’en l’espèce. En effet, les décisions Therrien et Foyer de Rimouski réfèrent à des cas de postes de remplacement devant être comblés par le biais d’une liste d’appels pendant l’absence d’un travailleur en raison d’une lésion professionnelle. C’est ce que prend d'ailleurs la peine de spécifier la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Therrien :

[44]      Au surplus, les motifs sur lesquels s’appuie la Commission des lésions professionnelles dans sa décision du 10 septembre 2002, font référence à des décisions de la Commission d’appel et à des décisions arbitrales pour justifier son interprétation, à l’effet que le droit réclamé par le travailleur, celui d’effectuer le remplacement, était déchu pendant son absence.

 

[45]      La Commission des lésions professionnelles ne voit aucune erreur manifeste et déterminante dans le fait que la Commission des lésions professionnelles souligne que rien dans la loi ne prévoit le droit d’un travailleur d’intégrer un poste en remplacement. Par ailleurs, les décisions de Foyer de Rimouski et Landry et Centre de santé Lebel et Plamondon vont dans le même sens.

[nos soulignements]

 

 

[57]        Dans le cas présent, la travailleuse fait valoir son droit au retour au travail pour réintégrer prioritairement son emploi et non pour revendiquer le droit d’intégrer un poste en remplacement.

[58]        Les faits en l’espèce s’apparentent beaucoup plus à ceux en cause lors de l’étude du litige opposant Pinkerton du Québec ltée et Cossette et CSST[6]. La Commission d’appel en matière de lésions professionnelles s’exprimait de la façon suivante dans le cadre du dépôt d’une plainte en vertu de l’article 32 de la loi et l’application de l’article 236 :

Dans la présente cause, l'emploi occupé par le travailleur lorsque s'est manifestée sa lésion existait encore au moment où il est redevenu capable de l'exercer. La preuve prépondérante est à l'effet que le travailleur possédait les qualifications professionnelles requises pour réintégrer son emploi. Devant ces faits, la Commission d'appel est d'avis que l'employeur avait l'obligation de réintégrer le travailleur prioritairement à son emploi, même si cet emploi avait été comblé pendant l'absence du travailleur. La Commission d'appel ne retient pas les prétentions de l'employeur à l'effet qu'il lui appartient de décider à quel emploi il réintégrera le travailleur. Si tel avait été le cas, le législateur n'aurait pas créé un droit de réintégration prioritaire à son emploi pour le travailleur.

 

 

[59]        Somme toute, à compter du moment où un travailleur redevient capable d’exercer son emploi à l’intérieur du délai légal prévu pour ce faire par l’article 240 de la loi, qu’il en informe son employeur et que son emploi existe toujours à ce moment, l’employeur n’a d’autres choix que de réintégrer prioritairement le travailleur dans son emploi, et ce, indépendamment de la disponibilité de cet emploi.

[60]        Dans l’éventualité où, pour des raisons étrangères à sa lésion professionnelle, son emploi n’est plus disponible parce que par exemple il n’existe plus lors de l’exercice de son droit au retour au travail, le travailleur conserve par ailleurs le même droit, soit celui de réintégrer prioritairement un emploi équivalent. Dans l’affaire Allard et Jules Henri Couvreurs ltée[7], la Commission des lésions professionnelles tenait les propos suivants :

[35]      Dans l'affaire Gougeon et Canadian Tire3, la commissaire a bien indiqué que l'emploi équivalent vise les situations où le travailleur redevient capable d'exercer son emploi sans cependant pouvoir le réintégrer en raison de circonstances étrangères à la lésion professionnelle comme l'abolition du poste de travail pré-lésionnel.

 

3           Gougeon et Canadian Tire, C.L.P. 111011-61-9902, 22 novembre 1999, G. Morin.

 

 

[61]        Encore une fois, prétendre qu’un travailleur qui redevient capable d’exercer son emploi à la suite d’une lésion professionnelle ne peut réintégrer celui-ci prioritairement lors de l’exercice de son droit au retour au travail parce qu’un autre travailleur l’occupe depuis son absence revient à stériliser complètement l’expression « réintégrer prioritairement » ou « by preference to others » et faire abstraction des termes de l’article 239 de la loi qui rendent conditionnel le droit d’occuper un emploi convenable à la disponibilité de celui-ci ainsi qu’aux règles relatives à l’ancienneté le cas échéant, conditions que le législateur n’impose pas au travailleur qui redevient capable d’exercer son emploi.

[62]        Le tribunal reconnaît qu’en l’absence de convention collective, les obligations de l'employeur, entre autres en cas de mises à pied et de rappels au travail, sont soumises aux critères généraux de bonne foi, d’équité et de non-discrimination. Quoi qu'il en soit, convention collective ou non, les règles prévues notamment aux articles 235 à 240 de la loi sont complètes en elles-mêmes et disposent de la question. C’est au surplus la position du tribunal dans l’affaire Therrien précitée :

[40]      Bien au contraire, il faut comprendre des dispositions des autres articles qu’elles visent plutôt à préciser les situations qui s’avéreraient conflictuelles et ce, en raison des dispositions de la loi.  De plus, la Commission des lésions professionnelles constate que l’on n’aurait pas fait référence dans la convention collective aux articles 12.08, 12.10, 12.11, 20.04 aux exceptions pour accidents du travail et maladies professionnelles, que cela n’aurait rien changé au texte même de ces articles et à l’interprétation que l’on doit en donner, puisque, en particulier, les articles 234 à 244 prévoient les modalités du droit de retour au travail.

 

 

[63]        C'est pourquoi le tribunal n’entend pas s’étendre plus longtemps sur le fait que lors d’un événement antérieur, la travailleuse aurait réintégré son emploi provoquant ainsi la mise à pied d’une autre travailleuse. Cet épisode n’a pas, de l’avis du tribunal, d’impact sur l’issue du présent litige.

[64]        En l’espèce, il n’est pas contesté que le 20 avril 2009, la travailleuse redevient capable d’exercer son emploi de sableuse et que cet emploi existe toujours. Elle en informe alors l'employeur et désire exercer à ce moment son droit au retour au travail, c'est-à-dire, son droit de réintégrer prioritairement son emploi de sableuse, ce que l'employeur lui refuse.

[65]        En considération de ce qui précède, le tribunal est d’avis que le 20 avril 2009, la travailleuse a fait l’objet d’une mesure visée à l’article 32 de la loi, en l’occurrence un déplacement, et ce, dans les six mois de la date où elle fut victime d’une lésion professionnelle, soit le 12 novembre 2008. En conséquence, conformément aux termes de l’article 255 de la loi, il y a présomption en faveur de cette dernière que le déplacement imposé par l’employeur l’a été parce qu’elle fut victime d’une lésion professionnelle. Il revient donc à ce dernier de prouver qu’il a imposé ce déplacement à la travailleuse pour une autre cause juste et suffisante.

[66]        Or, dans les circonstances, l’employeur ne peut invoquer, à titre de cause juste et suffisante, le fait qu’au moment des rappels au travail le 23 mars 2009, la travailleuse est dans l’incapacité d’exercer son emploi (en l’occurrence en assignation temporaire de travail), pour la priver de son droit au retour au travail le 20 avril 2009 puisqu’elle possède à ce moment, conformément aux termes de l’article 236 de la loi, le droit de réintégrer prioritairement son emploi, lequel existe toujours.

[67]        L’autre moyen mis de l’avant par l’employeur à titre de cause juste et suffisante pour renverser l’application de la présomption prévue à l’article 255 de la loi est le fait qu’un travailleur qui désire réintégrer son emploi dans le cadre de l’exercice de son droit au retour au travail prévu à l’article 236 de la loi, doit le faire dans l’établissement où il travaillait lorsque s’est manifestée sa lésion. Or, argue l’employeur, cet établissement est celui de Dosquet et non celui de Laurier Station. En conséquence, l'employeur prétend n’avoir aucunement l’obligation de réintégrer prioritairement la travailleuse dans son emploi puisque l’établissement de Dosquet n’existe plus. Le tribunal ne partage pas l’opinion de l'employeur pour deux motifs.

[68]        D’abord, la preuve non contestée démontre qu’il y a eu transfert de main-d’œuvre de l’établissement de Dosquet à celui de Laurier Station. Ceci est particulièrement évident lorsque l’on considère le cas des travailleuses Bergeron et Fournier, toutes deux sableuses et affectées originalement à l’établissement de Dosquet. Il est aussi admis que la travailleuse effectue une assignation temporaire de travail à l’établissement de Laurier Station entre la mi-février et le 27 février 2009, ce que révèle d’ailleurs son relevé d’emploi. Il est en preuve qu’un quart de travail additionnel y fut ouvert pour répondre aux besoins engendrés par l’incendie de l’établissement de Dosquet. La preuve factuelle à laquelle les parties ont convenu de référer et tenue pour avérée démontre de plus qu’au moment où la travailleuse manifeste l’intention d’exercer son droit au retour au travail à l’établissement de Laurier Station, il n’a jamais été question de ne pouvoir le faire en raison de la situation physique de l’établissement ou de quelconques contraintes y étant reliées, mais plutôt parce que la responsable d’alors des dossiers d’accident du travail, madame Lambert, après consultation avec la directrice des ressources humaines, madame Bélanger, ne désire pas mettre quelqu’un d’autre en mise à pied.

[69]        Cette séquence d’événements renferme suffisamment d’indices graves, précis et concordants pour amener le tribunal à conclure que dans les faits, l’établissement de Laurier Station est devenu par la force des choses, l’établissement d’origine de la travailleuse, c'est-à-dire l’établissement où elle travaillait lorsque s’est manifestée sa lésion. Comment conclure autrement quand la preuve révèle notamment que des emplois de sableuses y furent transférés et que l’ouverture d’un nouveau quart de travail fut rendue nécessaire, et ce, en lien direct avec l’incendie de l’établissement de Dosquet.

[70]        Utiliser l’incendie de l’établissement de Dosquet en faisant abstraction totale des conséquences qui en résultent pour conclure que l’établissement où elle travaillait lorsque s’est manifestée sa lésion n’existe plus et par le fait même rendre impossible (ou empêcher) l’exercice par la travailleuse de son droit au retour au travail, constitue une interprétation littérale, stricte et rigide, laquelle cadre certes avec la lettre, mais d’aucune façon avec l’esprit de l’article 236 de la loi, lequel renferme l’intention clairement exprimée du législateur de voir un travailleur réintégrer prioritairement son emploi lorsqu’il redevient capable de l’exercer. Comme le tribunal l’a maintes fois répété, une loi d’ordre public, réparatrice et à caractère social telle la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles doit recevoir une interprétation souple et libérale de manière à en favoriser les effets et la réalisation de ses objectifs, plutôt qu’une interprétation trop restrictive qui en restreint la portée.

[71]        La Cour d’appel le rappelait encore récemment[8] dans le cadre de l’interprétation de l’article 57 de la loi relatif au droit du travailleur à l’indemnité de remplacement du revenu :

[49]      Les règles relatives au droit du travailleur victime d'une lésion professionnelle à l'indemnité de remplacement du revenu, et à l'extinction de ce droit, sont une chose, les règles relatives au paiement de l'indemnité par la CSST en sont une autre, sans pour autant nier le lien étroit qui les unit puisque la CSST ne verse que l'indemnité « à laquelle [le travailleur] a droit » (article 124 LATMP) et qu'elle doit recouvrer celle qu'il a reçue « sans droit » (article 133 LATMP). La solution retenue par la CLP découle non pas d'une quelconque confusion entre ces règles mais plutôt de la nécessité d'interpréter le paragraphe 1o de l'article 57 LATMP d'une façon souple et nuancée, dans le respect de l'économie générale de la loi et de l'objectif visé par la mise en place du régime d'indemnité de remplacement du revenu.

[notre soulignement]

 

 

[72]        L’objectif premier de la loi est la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour les bénéficiaires (article1). Dans les circonstances très particulières de la présente affaire, considérer l’établissement de Laurier Station comme étant l’établissement où elle travaillait lorsque s’est manifestée sa lésion de façon à permettre à la travailleuse d’exercer son droit au retour au travail, constitue aux yeux de ce tribunal une interprétation souple et nuancée de la loi qui en permet la réalisation et l’exercice des droits, et ce, dans le respect de ses grands objectifs.

[73]        À titre de second motif, et dans l’hypothèse où l’on doive considérer que l’établissement de Dosquet n’existe plus, et donc que la travailleuse est alors dans l’impossibilité de réintégrer prioritairement son emploi dans l’établissement où elle travaillait lorsque s’est manifestée sa lésion, il n'en demeure pas moins qu’en vertu des termes de l’article 236 de la loi, celle-ci conserve le droit prioritaire de réintégrer un emploi équivalent dans un autre établissement de l’employeur. Et ce, toujours indépendamment de la disponibilité ou des règles relatives à l’ancienneté le cas échéant ou du service continu. Droit que l'employeur lui refuse aussi le 20 avril 2009 à l’établissement de Laurier Station.


[74]        Le tribunal est donc d’opinion que dans les circonstances précises de la présente affaire révélées par la preuve, l’employeur ne peut faire valoir non plus à titre de cause juste et suffisante le fait que l’établissement de Dosquet fut la proie des flammes le 3 décembre 2008 pour priver la travailleuse de son droit au retour au travail le 20 avril 2009 à l’établissement de Laurier Station, soit le droit d’y réintégrer prioritairement son emploi de sableuse.

[75]        La Commission des lésions professionnelles juge donc que le 20 avril 2009, la travailleuse a été l’objet d’une mesure visée dans l’article 32 de la loi, plus précisément un déplacement, et ce, dans les six mois de la date à laquelle elle fut victime d’une lésion professionnelle, en l’occurrence le 12 novembre 2008. En conséquence, la travailleuse bénéficie de l’application de la présomption de l’article 255 de la loi, présomption que l’employeur n’a pas été en mesure de renverser en démontrant une autre cause juste et suffisante à l’origine de ce déplacement.

[76]        La Commission des lésions professionnelles juge que la travailleuse a donc droit de recevoir, à compter de sa réintégration, le 20 avril 2009, le salaire et les avantages aux mêmes taux et conditions que ceux dont elle aurait bénéficié si elle avait continué à exercer son emploi pendant son absence, le tout en conformité avec les dispositions de l’article 242 de la loi. Puisqu’il est admis qu’aucune embauche ne fut effectuée après le 20 août 2009, date du départ de madame Sophie Bergeron, et que la travailleuse aurait pu exercer son emploi de sableuse jusqu’à cette date, elle a donc droit de recevoir lesdits salaire et avantages jusqu’au 20 août 2009.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la contestation déposée le 8 juin 2010 de Cuisine Laurier, l’employeur;

CONFIRME la décision rendue en date du 28 mai 2010 par le conciliateur-décideur de la Commission de la santé et de la sécurité du travail;

ACCUEILLE la plainte déposée en date du 7 mai 2009 par madame Émilie Pelchat, la travailleuse;


DÉCLARE que la travailleuse a droit de recevoir le salaire et les avantages aux mêmes taux et conditions que ceux dont elle aurait bénéficié si elle avait continué à exercer son emploi de sableuse chez l’employeur, et ce, pour toute la période du 20 avril au 20 août 2009.

                                                                                 

 

__________________________________

 

Jacques Degré

 

 

 

 

Me Bernard Cliche

Langlois, Kronström, Desjardins

Représentant de la partie requérante

 

 

Me Jean Gagné

Gagné, Bélanger, avocats

Représentant de la partie intéressée

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           Therrien et Centre Jeunesse de Montréal, C.L.P. 180602-62-0203, 10 septembre 2002, H. Marchand; Foyer de Rimouski inc. et Landry, C.A.L.P. 70191-01A-9506, 3 juin 1996, P. Brazeau.

[3]           L.R.Q., c. S-2.1.

[4]           Raymond et Commission scolaire New Frontiers, C.L.P. 368755-62C-0901, 23 novembre 2009, P. Perron, accueillant la requête en révision.

[5]          L.R.Q., c. N-1.1.

[6]           C.A.L.P. 4209-60-8708, 3 mars 1989, J.M. Dubois.

[7]           C.L.P. 221855-71-0311, 14 juillet 2004, F. Juteau.

[8]           Société canadienne des postes c. Morisette, 705-17-002365-078, C.A. jjj Chamberland, Doyon, Kasirer, 16 février 2010.

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