Dufour c. Mercury Marine Limited |
2018 QCCQ 9100 |
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COUR DU QUÉBEC |
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« Division des petites créances » |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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« Chambre civile » |
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N° : |
500-32-155714-175 |
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DATE : |
Le 11 décembre 2018 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
MARIE-JULIE CROTEAU, J.C.Q. |
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SERGE DUFOUR |
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Demandeur |
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c. |
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MERCURY MARINE LIMITED |
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Défenderesse |
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JUGEMENT |
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[1] M. Serge Dufour réclame 4 647,62 $ au fabricant Mercury Marine Limited (Mercury Marine) en remboursement des frais qu’il a encourus pour réparer le moteur de son bateau à la suite de sa détérioration prématurée, de même que pour les dommages qu’il allègue avoir subis.
[2] En défense, Mercury Marine plaide que la mauvaise utilisation du bateau par M. Dufour, combinée à son entretien inadéquat, ont causé la détérioration prématurée du moteur pour laquelle il se plaint. Plus précisément, elle soutient que le système de carburant a été exposé et entreposé pendant des périodes prolongées avec de l’essence contenant de l’alcool, causant ainsi sa dégradation.
QUESTIONS EN LITIGE
[3] a) Mercury Marine s’est-elle déchargée du fardeau qui lui incombe de démontrer la mauvaise utilisation du bateau par M. Dufour et son entretien inadéquat?
b) M. Dufour s’est-il déchargé du fardeau qui lui incombe de prouver les dommages qu’il réclame?
CONTEXTE
[4] Le 11 décembre 2010, M. Dufour se rend chez Drummondville Marine, un concessionnaire autorisé de Mercury Marine. Il y achète un bateau neuf de marque Harbercraft muni d’un moteur 200 Optimax Mercury, garanti pour deux ans[1].
[5] Il importe de souligner que M. Dufour n’en est pas à ses premières armes en matière de bateau. En effet, depuis 1975, il a été propriétaire de cinq autres bateaux et il s’agit de la seconde fois qu’il achète un modèle doté d’un moteur 200 Optimax Mercury.
[6] Le 27 mai 2011, M. Dufour prend livraison du bateau[2]. Il remplit le réservoir avec de l’essence régulière à partir d’une station d’essence terrestre. Il commence aussitôt à l’utiliser pour se rendre à son chalet situé sur une île du fleuve Saint-Laurent (trajet qu’il évalue à 10 minutes aller-retour). Il se sert également de son bateau pour des randonnées sur le fleuve, ou encore pour aller pêcher. En tout temps, il s’assure de laisser le réservoir d’essence rempli à la moitié de sa capacité.
[7] Lorsqu’il entrepose son bateau pour l’hiver, M. Dufour laisse l’essence dans le moteur, comme le lui ont recommandé les représentants de Drummondville Marine. De plus, afin de préserver la qualité de l’essence pendant la période de remisage, il prend soin d’y ajouter un stabilisateur.
[8] Vers la fin du mois de septembre ou d’octobre 2014, M. Dufour commence à éprouver des problèmes avec le moteur de son bateau. Essentiellement, il soutient que lorsque le moteur atteint 4 200 tours par minute, la révolution diminue instantanément à 3 900 tours par minute, ce qui entraîne un freinage brusque.
[9] Le 31 octobre 2014, M. Dufour se rend chez Thomas Marine, dépositaire de Mercury Marine. Les mécaniciens changent l’huile dans la turbine, sans toutefois découvrir la cause des problèmes dont se plaint M. Dufour[3]:
Changer l’huile dans turbine.
À partir de 4200 tours il manque, le client a mis du stabilisateur, rendu à 4700 tour et coupe, le client avec du conditionneur monte à 5200, mais le moteur coupe toujours. peut-être filtre
Le idle un peu vite…
(reproduction intégrale)
(soulignements ajoutés)
[10] En 2015, la même problématique survient.
[11] Ainsi, le 3 juin 2015, M. Dufour se rend au Centre Nautique Lachine. À nouveau, les mécaniciens n’arrivent pas à identifier la cause du problème. Ils suggèrent donc un «test à l’eau»[4] :
Idle vite?
Filtre?
Gaz?
Filtreur à gaz (amoché)
Pas de trouble au centre Nautique
Il faut un test à l’eau
(reproduction intégrale)
(soulignements ajoutés)
[12] Par ailleurs, faute de disponibilité de la part du Centre Nautique Lachine, aucun test à l’eau n’est fait durant l’été 2015.
[13] Le 3 mai 2016, M. Dufour se rend chez Drummondville Marine afin que des tests additionnels soient effectués[5].
[14] Selon le propriétaire, M. André Côté, les variations de régime de moteur sont souvent reliées à l’essence. Pour cette raison, les mécaniciens vérifient d’abord la qualité de l’essence. Cet examen permet d’établir que celle laissée dans le réservoir du bateau de M. Dufour ne contient pas d’eau, pas plus que le filtre à essence, qui a également été vérifié. Par ailleurs, les mécaniciens constatent que les pompes d’alimentation d’essence sont si rouillées qu’elles doivent être remplacées.
[15] Malgré plusieurs tests, Drummondville Marine ne peut expliquer la présence aussi importante de rouille, et ce, alors que le bateau de M. Dufour n’a environ que 52 heures d’usage. À ce sujet, M. Côté confirme qu’un tel nombre d’heures d’utilisation n’est pas atypique pour ce type de bateau. De plus, alors qu’il vend environ cinq à six bateaux comme celui de M. Dufour par année, c’est la première fois qu’il constate une telle problématique au niveau des pompes d’alimentation. Dans ce contexte particulier, plusieurs appels sont faits pour tenter de convaincre Mercury Marine d’accepter de couvrir en tout ou en partie les réparations rendues nécessaires, mais sans succès.
[16] M. Dufour acquitte donc les frais de 3 647,62 $ pour le remplacement des pompes d’alimentation d’essence et le nettoyage des injecteurs.
[17] Par la suite, après trois autres épisodes de variation de régime que M. Dufour qualifie de mineurs, le moteur fonctionne normalement.
[18] Le 14 septembre 2016, M. Dufour transmet une mise en demeure à Mercury Marine par laquelle il lui réclame le remboursement des frais de 3 647,62 $, de même que 1 000 $ en dommages «pour insécurité lors de l’usage du bateau ne sachant pas quel comportement le moteur aurait et pour perte de jouissance du chalet depuis 2014 pour différentes périodes de temps»[6].
[19] Le 23 septembre 2016, Mercury Marine transmet sa réponse dans laquelle elle nie toute responsabilité[7] :
Nous avons étudié votre demande et l’information que vous nous avez fournie sur les réparations complétées. Les pièces changées et le travail effectués sont reliés au système de carburant du moteur qui peut subir des dégradations dues à l’usage et l’entreposage du moteur.
Je vous réfère au livre du propriétaire pour le Mercury Sport Jet 200 DFI (page 25) sur le carburant et l’huile par rapport au moteur. Tel qu’indiqué, une corrosion interne peut se produire causée par l’essence laissée dans le réservoir. Une démixtion de l’essence se produit et peut causer des dommages tels que la corrosion, la détérioration des pièces et des anomalies de fonctionnement.
Nous concluons donc que les réparations n’étaient pas causées par des pièces défectueuses, mais par l’usage/l’usure du moteur qui a été mis en service en mai 2011.
(soulignements ajoutés)
[20] Le 20 février 2017, M. Dufour dépose sa Demande à la Division des petites créances.
ANALYSE
Le droit applicable
[21] La vente du bateau s’inscrit dans le contexte d’un contrat de consommation.
[22]
Ainsi, la Loi sur la protection du consommateur (LPC)[
· Le vendeur est tenu de garantir la qualité du bien qu’il vend, de façon assurer à l’acheteur la pleine utilité du bien vendu, de même que sa durabilité[10]. Le fabricant et le distributeur sont tenus à la même garantie[11].
o Le bien vendu doit donc pouvoir servir à un usage normal pendant une durée raisonnable, et ce, eu égard à trois critères[12] :
§ son prix;
§ ses conditions d’utilisation;
§ les dispositions du contrat.
o Le vendeur a l’obligation d’informer l’acheteur des moyens ou précautions à prendre pour utiliser correctement le bien acheté et en tirer la pleine jouissance.
· En cas de vente par un vendeur professionnel, le mauvais fonctionnement du bien ou sa détérioration prématurée fait naître une présomption en faveur de l’acheteur[13].
o Pour repousser cette présomption, le vendeur a le fardeau de démontrer la mauvaise utilisation du bien par l’acheteur, ou son défaut d’entretien.
§ Afin de déterminer s’il y a eu mauvaise utilisation du bien, le Tribunal peut prendre en considération l’information donnée à l’acheteur au moment de la vente quant à l’utilisation ordinaire du bien, de même que sa destination usuelle et commune[14].
a) Mercury Marine s’est-elle déchargée du fardeau qui lui incombe de démontrer la mauvaise utilisation du bateau par M. Dufour et son entretien inadéquat?
[23] Selon Mercury Marine, la durée de vie d’un moteur 200 Optimax Mercury est d’environ 5 000 heures d’utilisation. Or, la preuve démontre que seulement cinq ans après l’achat et quelque 52 heures d’usage, M. Dufour est forcé de procéder au remplacement des pompes d’alimentation d’essence en raison de la présence importante de rouille. Force est donc de constater que le moteur acquis par M. Dufour s’est détérioré prématurément. Toutefois, Mercury Marine en fait porter le blâme à M. Dufour à qui elle reproche à la fois un mauvais usage et un entretien inadéquat du bateau.
[24] Plus particulièrement, Mercury Marine plaide que la corrosion interne du moteur a été causée par la combinaison de deux facteurs : d’une part, l’utilisation par M. Dufour d’essence régulière contenant de l’alcool et, d’autre part, l’usage peu fréquent de son bateau qu’elle assimile à des périodes d’entreposage prolongées.
[25] À cet égard, Mercury Marine souligne qu’à la section carburant et huile du Manuel du propriétaire (Manuel), elle met spécifiquement ses clients en garde contre les problèmes potentiels qui peuvent être causés par l’humidité accumulée dans l’essence[15] :
Les composants du circuit de carburant du moteur Mercury Marine peuvent supporter un maximum de 10 % d’alcool dans l’essence. La résistance maximale du circuit d’alimentation en carburant du bateau n’est pas connue. Contacter le constructeur du bateau pour obtenir des recommandations spécifiques sur les composants du circuit du carburant du bateau (réservoirs de carburant, tuyauteries d’essence et raccords). Les essences contenant de l’alcool peuvent accroître :
· La corrosion des pièces métallique;
· La détérioration des pièces en caoutchouc ou en plastique;
· La perméation du carburant par des tuyauteries d’essence en caoutchouc; et
· Les difficultés au démarrage et les anomalies de fonctionnement.
[…]
À cause des effets néfastes de l’alcool contenu dans l’essence, n’utiliser que de l’essence sans alcool, quand cela est possible. Si le seul carburant disponible contient de l’alcool ou si la présence d’alcool est inconnue, il est nécessaire d’inspecter le circuit du carburant plus fréquemment à la recherche de toute fuite ou anomalie.
IMPORTANT : Lorsque le moteur Mercury Marine fonctionne avec de l’essence contenant de l’alcool, éviter de laisser de l’essence dans le réservoir de carburant pendant des périodes prolongées. Les périodes d’entreposage prolongées, courantes dans le cas des bateaux, créent des problèmes particuliers. Dans le cas des voitures, les carburants contenant de l’alcool sont généralement consommés avant de pouvoir absorber suffisamment d’humidité pour poser des problèmes, mais les bateaux sont souvent entreposés pendant des durées suffisantes pour que la démixtion se produise. En outre, une corrosion interne risque de se produire en cours d’entreposage si l’alcool a éliminé les pellicules protectrices d’huile des organes internes.
(reproduction intégrale)
(soulignements ajoutés)
[26] Pour les motifs exposés ci-après, le Tribunal conclut que Mercury Marine ne s’est pas déchargée du fardeau qui lui incombait de prouver, par une preuve prépondérante, que les problèmes rencontrés par M. Dufour résultent d’une mauvaise utilisation du bateau de sa part, ou encore d’un défaut d’entretien.
[27] Tout d’abord, le Manuel ne proscrit aucunement l’utilisation d’essence dite régulière pour ce type de moteur, ce que reconnaît d’ailleurs le représentant de Mercury Marine au procès. Qui plus est, la preuve démontre que M. Dufour s’est approvisionné à même une station terrestre, ce qui, selon Drummondville Marine, assure une meilleure qualité d’essence.
[28] En outre, bien qu’il soit permis d’utiliser de l’essence régulière pour ce type de moteur, Mercury Marine soutient qu’il faut en contrepartie que le bateau serve régulièrement, et ce, pour éviter que l’essence ne stagne dans le moteur et que le phénomène de démixtion ne se produise, ce qui entraine ensuite la présence d’eau et d’humidité à l’intérieur du moteur.
[29] Ainsi, compte tenu que M. Dufour ne se servait de son bateau qu’environ dix heures par année, Mercury Marine soutient qu’il n’aurait pas dû utiliser de l’essence régulière et aurait dû opter pour de l’essence avec une concentration moindre en alcool.
[30] Pourtant, le Manuel ne contient aucune telle recommandation ou mise en garde, et ce, bien qu’il appartient à Mercury Marine d’informer clairement et spécifiquement tout propriétaire de bateau des moyens ou précautions à prendre pour utiliser correctement le bien acheté et en tirer la pleine jouissance.
[31] En effet, une lecture attentive du Manuel permet aisément de comprendre que les expressions «périodes prolongées», «périodes d’entreposage prolongées, courantes dans le cas des bateaux» ou «entreposés pendant des durées suffisantes» ne réfèrent pas à un usage «peu fréquent» tel que le suggère Mercury Marine, mais bien plutôt aux périodes durant lesquelles le bateau reste inutilisé puisqu’entreposé, voire remisé. D’ailleurs, compte tenu que ces périodes sont propices à la démixtion, Mercury Marine recommande, dans une autre section du Manuel, d’ajouter un stabilisateur à l’essence avant le remisage du bateau pour l’hiver, ce que M. Dufour a toujours fait.
[32] Ainsi, contrairement aux prétentions de Mercury Marine, le Manuel ne fait aucunement référence à des conditions d’utilisation spécifiques que le propriétaire doit respecter en cas d’usage «peu fréquent» de son bateau. Qui plus est, le Manuel est silencieux quant à la fréquence et au nombre d’heures d’utilisation préconisés par Mercury Marine, empêchant ainsi le propriétaire de déterminer si l’usage qu’il fait de son bateau est conforme aux recommandations de Mercury Marine à cet égard.
[33] Dans un tel contexte, Mercury Marine ne peut valablement opposer à M. Dufour une mauvaise utilisation de son bateau, pas plus qu’un entretien inadéquat.
b) M. Dufour s’est-il déchargé du fardeau qui lui incombe de prouver les dommages qu’il réclame?
[34] Le Tribunal conclut que Mercury Marine doit rembourser à M. Dufour les frais de 3 647,62 $ qu’il a dû assumer pour le remplacement des pompes d’alimentation d’essence et le nettoyage des injecteurs rendus nécessaires par la dégradation prématurée du moteur.
[35] Par ailleurs, le Tribunal n’accorde aucun montant pour les inconvénients allégués par M. Dufour. Le simple fait pour un consommateur de devoir faire effectuer des réparations sur un bien défectueux ne suffit pas, en l’absence de toute autre preuve, à démontrer l’existence d’un préjudice susceptible d’indemnisation. Qui plus est, la preuve démontre que malgré les difficultés rencontrées avec son bateau, M. Dufour a pu continuer à l’utiliser, notamment pour se rendre à son chalet.
[36] Le Tribunal conclut donc que M. Dufour ne s’est pas déchargé du fardeau qui lui incombait de prouver les dommages moraux qu’il réclame par une preuve prépondérante. Par conséquent, aucune somme n’est accordée à ce chapitre.
POUR CES MOTIFS, le Tribunal :
ACCUEILLE en partie la demande de M. Serge Dufour à l’encontre de Mercury Marine Limited;
CONDAMNE Mercury Marine Limited à
payer 3 647,62 $ à M. Serge Dufour, avec les intérêts
calculés au taux de 5% l’an et l’indemnité additionnelle prévue à l’article
LE TOUT, avec les frais de justice au montant de 100,00 $.
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__________________________________ MARIE-JULIE CROTEAU, J.C.Q. |
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Date d’audience : |
13 août 2018 |
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[1] Pièce P-1.
[2] Pièce D-1.
[3] Pièce P-3.
[4] Pièce P-4.
[5] Pièce P-5.
[6] Pièce P-6.
[7] Pièce P-7.
[8] RLRQ, c. P-40.1.
[9]
Jeffrey EDWARDS,
[10]
Article
[11]
Article
[12]
Articles
[13]
Article
[14]
Garage Jean-Guy Viger inc. c. Morissette & Vaillancourt (1993)
inc.,
[15] Pièce D-2.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.