Décision

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Trudel c. Bell Canada

2011 QCCS 6750

COUR SUPÉRIEURE

Chambre des recours collectifs

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

 MONTRÉAL

 

 

 

N° :

500-06-000529-103

 

 

 

DATE :

Le 22 février 2012

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

LUCIE FOURNIER, J.C.S.

 

 

 

______________________________________________________________________

 

 

LOUIS (AKA) TRUDEL

Requérant

c.

BELL CANADA

et

BELL MOBILITÉ INC.

          Intimées

______________________________________________________________________

 

RECTIFICATION DE JUGEMENT

(ARTICLE 475 C.P.C.)

______________________________________________________________________

 

[1]   ATTENDU que le Tribunal a rendu jugement le 16 décembre 2011;

[2]   ATTENDU que dans son jugement, le Tribunal a omis d'identifier une conclusion à celles recherchées par le requérant, telles qu'elles étaient énoncées à la requête en autorisation;

[3]   CONSIDÉRANT que, par cette inadvertance manifeste, le Tribunal a omis de statuer sur une partie de la demande;

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

[4]   ORDONNE l'ajout à ce jugement de la conclusion suivante, à celles identifiées par le Tribunal :

« CONDAMNER les Intimées à payer au Requérant ainsi qu'à chacun des membres du Groupe une somme équivalente à la réduction du taux d'intérêt de 42,58% à 26,82% applicable sur les frais de retard payés à titre de dommages-intérêts pour le préjudice matériel, le tout avec intérêt au taux légal et l'indemnité additionnelle à compter de la date du paiement de ces sommes et ORDONNER le recouvrement individuel de ces sommes; »

[5]    LE TOUT, SANS FRAIS.

 

 

 

__________________________________

LUCIE FOURNIER, J.C.S.

 

 

 

 


Trudel c. Bell Canada

2011 QCCS 6750

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

 

 

N° :

500-06-000529-103

 

 

 

DATE :

Le 16 décembre 2011

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

LUCIE FOURNIER, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

LOUIS (AKA) TRUDEL

Requérant

c.

BELL CANADA

et

BELL MOBILITÉ INC.

Intimées

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

 1-     INTRODUCTION

[1]       Louis Aka-Trudel demande l'autorisation d'exercer un recours collectif contre Bell Canada (« Bell ») et Bell Mobilité inc. (« Bell Mobilité ») en raison de la hausse unilatérale du taux d'intérêt annuel facturé par ces dernières sur les soldes acquittés après la date d'échéance des factures.

 

2-      LA REQUÊTE EN AUTORISATION

[2]           Monsieur Aka-Trudel identifie comme suit le Groupe Principal pour le compte duquel il entend exercer le recours : 

« toutes les personnes physiques et toutes les personnes morales de droit privé, sociétés ou associations, comptant en tout temps au cours de la période de 12 mois qui précède le 28 octobre 2010 sous leur direction ou sous leur contrôle au plus 50 personnes liées à elles par contrat de travail, qui ont payé des intérêts sur le montant d'au moins une facture émise par au moins une des Intimées depuis le 1er juin 2010. »

ou tout autre sous-groupe que le Tribunal pourra déterminer (ci-après le « Groupe Principal »).

[3]           De ce groupe principal découle un sous-groupe qu'il nomme Groupe Consommateur et qui se décrit comme suit :

« toutes les personnes physiques, sauf un commerçant qui a conclu un contrat pour les fins de son commerce, qui ont payé des intérêts sur le montant d'au moins une facture émise par au moins une des Intimées depuis le 1er juin 2010. »

ou tout autre sous-groupe que le Tribunal pourra déterminer (ci-après le « Groupe Consommateur »).

[4]           Selon monsieur Aka-Trudel, Bell et Bell Mobilité lui ont causé des dommages en modifiant unilatéralement le taux d'intérêt applicable sur les soldes acquittés après la date d'échéance. Elles ont ainsi commis une faute et sont responsables des dommages subis conformément au Code civil du Québec.

[5]           Il ajoute que Bell et Bell Mobilité sont également responsables de ses dommages et de ceux des membres du Groupe Consommateur, selon la Loi sur la protection du consommateur[1] (« L.p.c. »).

[6]           Si l'autorisation d'exercer le recours collectif est accordée, il demandera par  jugement final :

Ø  des dommages-intérêts équivalents à la réduction du taux d'intérêt de 42,58 % à 26,82 % sur les frais de retard;

Ø  des dommages-intérêts pour des troubles et inconvénients de 100 $ pour lui-même et pour chacun des membres du Groupe Principal;

Ø  des dommages punitifs de 200 $ pour lui-même et pour chacun des membres du Groupe Consommateur.

[7]           Bell et Bell Mobilité ne contestent pas l'autorisation demandée par monsieur Aka-Trudel d'exercer un recours collectif, sous réserve de leurs représentations sur la composition du groupe et sur les questions de droit ou de fait à être soumises.

3-      LES FAITS

[8]           Bell et Bell Mobilité font partie d'un groupe de compagnies contrôlées par BCE inc. Cette dernière a réalisé au cours des cinq dernières années des revenus moyens de 17 milliards de dollars et un bénéfice net moyen de plus de 2 milliards de dollars par année au cours de la même période[2].

[9]           Bell est un fournisseur de :

Ø  services et produits de télécommunications filaires résidentiels et commerciaux aux termes des contrats suivants :

o   modalités des services non réglementés de téléphonie locale - marché consommateur[3];

o   modalités des services non réglementés - services voix et Internet, de services Internet pour des clients résidentiels[4] et commerciaux[5].

[10]        Bell Mobilité est un fournisseur de :

Ø  services de voix, données et autres services sans fil fournis par Bell ou par son entreprise[6];

Ø  services de télécommunications sans fil[7].

[11]        Jusqu'au 1er juin 2010, Bell et Bell Mobilité appliquaient un taux d'intérêt de 26,82 % sur les soldes acquittés après la date d'échéance de facturation. Depuis le 1er juin 2010, elles ont modifié ce taux d'intérêt et appliquent dorénavant un taux d'intérêt annuel de 42,58 %, soit un taux d'intérêt mensuel de 3 %, composé quotidiennement sur les soldes acquittés après la date d'échéance de facturation.

[12]        Monsieur Aka-Trudel fait partie du Groupe Principal et du Groupe Consommateur pour lesquels il souhaite exercer un recours collectif.

[13]        Il est technicien audio et réside à Montréal.

[14]        Sa relation avec Bell et Bell Mobilité est la suivante :

Ø  il est client de Bell qui lui fournit un service Internet;

Ø  il est client de Bell Mobilité aux termes d'un contrat de service de téléphonie cellulaire.

[15]        Le 26 mai 2010, la facture[8] de Bell à monsieur Aka-Trudel porte la mention suivante :

Frais de retard : les frais de 3 % par mois (42,58 % par année) s'appliquent à compter de la date de facturation si le paiement n'est pas reçu avant votre prochaine date de facturation.

[16]        Les factures de Bell des 26 juin 2010[9], 26 juillet 2010[10] et 26 septembre 2010[11] comprennent des « frais de retard non réglementés » au taux de 42,58 % l'an.

[17]        En ce qui concerne Bell Mobilité, la facture datée du 1er mai 2010 reçue par monsieur Aka-Trudel comprend la mention suivante[12] :

Avis important : À compter de juin 2010, les suppléments de retard applicables au compte Bell Mobilité en souffrance seront augmentés à 3 % par mois (42,58 %). Pour obtenir de plus amples renseignements, rendez-vous à l'adresse Bell.ca/changements.

[18]        Le 1er juillet 2010, Bell Mobilité facture à monsieur Aka-Trudel un « supplément de retard » de 1,69 $, en plus des autres frais courants[13].

[19]        Ainsi, à compter du 1er juin 2010, le taux d'intérêt annuel de Bell et Bell Mobilité  passe de 26,82 % à 42,58 %, alors que ses concurrents auraient des taux d'intérêt annuels variant entre 19,56 % et 26,82 %.

[20]        Selon monsieur Aka-Trudel, cette hausse a été imposée unilatéralement par Bell et Bell Mobilité. 


4-      LE DROIT APPLICABLE

[21]        C'est à l'article 1003 du Code de procédure civile que sont énoncées les conditions permettant au Tribunal d'autoriser l'exercice d'un recours collectif :

1003. Le tribunal autorise l'exercice du recours collectif et attribue le statut de représentant au membre qu'il désigne s'il est d'avis que:

 a) les recours des membres soulèvent des questions de droit ou de fait identiques, similaires ou connexes;

 b) les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées;

 c) la composition du groupe rend difficile ou peu pratique l'application des articles 59 ou 67; et que

 d) le membre auquel il entend attribuer le statut de représentant est en mesure d'assurer une représentation adéquate des membres.

[22]        Au stade de l'autorisation du recours collectif, les principes devant guider le  Tribunal sont bien connus et circonscrits par la jurisprudence[14]. Les principaux sont les suivants :

Ø  l'objectif visé par l'autorisation est d'éviter les demandes frivoles et mal fondées; il s'agit essentiellement d'un mécanisme de filtrage et de vérification, sans plus;

Ø  le Tribunal doit tenir pour avérés les faits allégués;

Ø  le rôle du Tribunal et l'exercice de sa discrétion se limitent à vérifier si les conditions de l'article 1003 du Code de procédure civile sont remplies; lorsqu'elles le sont, le Tribunal doit accorder l'autorisation;

Ø  toutes les conditions doivent être remplies; le défaut de satisfaire à l'une d'elles entraîne le refus d'autorisation d'exercer le recours collectif;

[23]        Si le Tribunal fait droit à la requête[15] :

Ø  il décrit le groupe dont les membres seront liés par tout jugement;

Ø  il identifie les questions à être traitées collectivement et les conclusions s'y rattachant;

Ø il ordonne la publication d'un avis aux membres.

5-      LES CONDITIONS D'AUTORISATION SONT-ELLES REMPLIES ?

5.1.      Le recours soulève-t-il des questions de droit et de fait identiques, similaires ou connexes ?[16]

[24]        Les questions communes soulevées par monsieur Aka-Trudel sont les suivantes[17] :

Ø  les Intimées ont-elles commis une ou des fautes génératrice(s) de responsabilité ?

Ø  les agissements reprochés aux Intimées ont-ils causé des dommages aux membres du Groupe ?

Ø  les Intimées sont-elles responsables des dommages subis par le Requérant et les membres du Groupe en vertu du Code civil du Québec, L.R.Q., c. C-1991 (ci-après « Code civil » ) ?

Ø  les Intimées sont-elles responsables des dommages subis par le Requérant et les membres du Groupe Consommateur en vertu de la L.p.c. ?

Ø  le Requérant et les membres du Groupe Consommateur ont-ils droit à des dommages punitifs en vertu de la L.p.c. ?

[25]        Monsieur Aka-Trudel plaide que ces questions sont identiques, similaires ou connexes, car tous les membres du groupe sont soumis à des contrats contenant le même taux d'intérêt et sujets à la même hausse. Ainsi, le Tribunal pourra disposer collectivement de la question de la faute sur la base d'une preuve commune puisque les faits générateurs de responsabilité relèvent dans tous les cas d'une même preuve.

[26]        Bell et Bell Mobilité ne contestent pas cet énoncé de faits. Cependant, selon elles, seul le recours en lésion objective prévu à la L.p.c. peut constituer une question commune aux membres du Groupe Consommateur. Le recours en lésion subjective ne peut être considéré comme une question commune au sens de l'article 1003 a) du Code de procédure civile.

[27]        Monsieur Aka-Trudel précise que son recours ne vise que la lésion objective prévue à l'article 8 de la L.p.c., lequel se lit ainsi :

8.  Le consommateur peut demander la nullité du contrat ou la réduction des obligations qui en découlent lorsque la disproportion entre les prestations respectives des parties est tellement considérable qu'elle équivaut à de l'exploitation du consommateur, ou que l'obligation du consommateur est excessive, abusive ou exorbitante.

[28]        La Cour d'appel dans l'arrêt Riendeau c. Compagnie de la Baie d'Hudson[18] mentionne ce qui suit à cet égard :

[27]  Dans l’arrêt de principe Gareau Auto c. Banque canadienne impériale de commerce et Guy Carbonneau, [1989] R.J.Q. 1091 , le juge Chevalier, au nom de notre Cour, a établi une distinction claire entre les recours en lésion objective et ceux en lésion subjective (p. 1096): 

        L’article 8 prévoit deux hypothèses où le consommateur peut invoquer la qualité de victime d’une lésion et utiliser les recours alternatifs de la nullité de la convention ou de la réduction des obligations qui en découlent.

         La première est celle où la preuve établit que, en contrepartie de ce qu’il a reçu, on a exigé de lui une prestation nettement disproportionnée. La disproportion est une conclusion qui résulte des faits soumis, la preuve qui s’y rapporte consistant en une comparaison entre ce que l’on reçoit et ce que l’on donne.  Dans ce contexte, j’opine que la personnalité des contractants et les circonstances dans lesquelles ils peuvent se trouver au moment où ils s’engagent ne sont pas matière à examen judiciaire.  Le Tribunal n’a qu’à se demander : 1) s’il y a disproportion; 2) si cette disproportion est considérable au point de léser gravement le consommateur.  Dès que le juge répond affirmativement à ces deux questions en se fondant sur les faits dont il a discrétion pour évaluer la valeur probante, il doit tirer la conclusion logique, savoir qu’il y a eu exploitation du consommateur.  Dans un tel cas, il me paraît qu’il s’agit d’une lésion objective, que la présomption d’exploitation qui en est la conséquence juridique est irréfragable et que l’un ou l’autre des recours invoqués sont applicables.  J’opine également qu’en pareille circonstance la notion du déséquilibre résultant de la position potentiellement inférieure du consommateur par rapport à celle supérieure du commerçant ne joue pas ou, en tout cas, ne constitue pas une considération déterminante de la décision à prendre.  Enfin, j’estime que, saisi d’un litige portant sur un tel cas, le Tribunal n’est pas soumis à la règle de l’article 9, dont il sera question dans la suite de cette opinion.

        […]

        La seconde forme de lésion, celle dont l’intimé dit avoir été victime, est la conséquence d’une situation qui n’a plus trait exclusivement à l’objet lui-même de la convention, mais également aux obligations que cette convention comporte à l’égard du consommateur.  Le fardeau qui lui incombe est de prouver qu’elles sont ou excessives, ou abusives, ou exorbitantes.

        Je ne crois pas que l’on puisse sérieusement contester le fait que c’est là une situation différente de la précédente.  S’il en était autrement, je ne vois vraiment pas pourquoi le législateur aurait jugé à propos d’utiliser, entre les deux parties de l’article 8, la disjonctive « ou ».  J’y trouve de même motif à conclure que c’est à cette seconde hypothèse qu’il faut appliquer, dans son sens le plus libéral et sous réserve de quelques commentaires ultérieurs, la règle de l’article 9.

       Le caractère éminemment subjectif de cette catégorie de lésion me paraît également s’imposer.  La phraséologie de l’article 9 est d’une clarté qui ne laisse aucun doute à ce sujet.

[28]      Les recours en lésion objective et subjective n’obéissent donc pas aux mêmes règles juridiques.  Si, comme le prétend l’intimée, ce sont les règles propres aux recours en lésion subjective qui gouvernent l’appelante, sa demande d’autorisation d’exercer un recours collectif est vouée à l’échec puisque le tribunal a l’obligation d’examiner les circonstances propres à chaque cas.  Par contre, si elle peut intenter un recours collectif en lésion objective, il est possible qu’elle satisfasse la première condition posée par l’article 1003 C.p.c.

(nos soulignements)

[29]        Le Tribunal est également de cet avis. Seul le recours en lésion objective, tel que prévu à la L.p.c., soulève des questions identiques, similaires ou connexes pour tous les membres du Groupe Consommateur.

[30]        Or, l'article 8 de la L.p.c. prévoit également un recours fondé sur la lésion subjective.

[31]        En conséquence, cette condition est remplie mais la quatrième question devra être modifiée pour se lire comme suit :

Ø  Les Intimées sont-elles responsables des dommages subis par le Requérant et les membres du Groupe Consommateur en vertu de la  lésion objective prévue à la L.p.c. ?

5.2       Les faits allégués paraissent-ils justifier les conclusions recherchées[19] ?

[32]        Tel que mentionné précédemment, le Tribunal tient pour avérés les faits allégués dans la requête et les pièces produites. Il doit évaluer si les conclusions recherchées sont justifiées par ces faits, sans se prononcer sur le bien-fondé des conclusions recherchées.

[33]        La faute reprochée est celle d'avoir modifié unilatéralement et de façon abusive le taux d'intérêt annuel sur les soldes acquittés après la date d'échéance de facturation.

[34]        Pour monsieur Aka-Trudel, cette faute découle de l'article 1437 du Code civil du Québec qui se lit comme suit :  

1437.  La clause abusive d'un contrat de consommation ou d'adhésion est nulle ou l'obligation qui en découle, réductible.

Est abusive toute clause qui désavantage le consommateur ou l'adhérent d'une manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l'encontre de ce qu'exige la bonne foi; est abusive, notamment, la clause si éloignée des obligations essentielles qui découlent des règles gouvernant habituellement le contrat qu'elle dénature celui-ci.

[35]        En ce qui concerne le Groupe Consommateur, tel que mentionné précédemment, il s'agit du recours prévu à l'article 8 de la L.p.c. pour la lésion objective.

[36]        L'article 272 de la L.p.c. prévoit, en cas de manquement à une obligation qui y est prévue, la possibilité pour le consommateur de demander des dommages punitifs, en plus de ses autres recours.

[37]        Sous réserve des représentations qu'elles entendent faire sur la composition du groupe, Bell et Bell Mobilité ne contestent pas cette condition.

[38]        Le Tribunal est d'avis que cette condition est remplie, compte tenu des allégations de la requête en autorisation.

5.3       La composition du groupe rend-elle difficile ou peu pratique l'application des articles 59 et 67 du Code de procédure civile[20] ? 

[39]        Bell et Bell Mobilité ne contestent pas que cette condition soit satisfaite.

[40]        En l'espèce, la requête allègue que plusieurs centaines de milliers de personnes sont ou ont été clientes de Bell ou Bell Mobilité depuis le 1er juin 2010.

[41]        Monsieur Aka-Trudel ajoute que les noms et adresses des personnes pouvant composer le groupe lui sont inconnus.

[42]        Bien que le recours individuel soit toujours possible, il n'apparaît pas dans l'intérêt de la justice de favoriser cette approche aux dépens du recours collectif. Cette condition est donc remplie.

5.4       Monsieur Aka-Trudel est-il en mesure d'assurer une représentation adéquate des membres[21] ?

[43]        Pour que cette condition soit remplie, le membre doit satisfaire à trois exigences :

Ø  il doit posséder un intérêt personnel dans les conclusions recherchées;

Ø  il doit être compétent;

Ø  il ne doit pas exister des conflits entre ses propres intérêts et ceux des membres du groupe.

[44]        Enfin, la Cour d'appel[22] enseigne que cet exercice n'est pas une recherche du représentant idéal ou du meilleur candidat, mais plutôt un exercice visant à s'assurer que le représentant agisse de bonne foi, au meilleur de ses capacités et dans l'intérêt du groupe.

[45]        Bell et Bell Mobilité ne remettent pas en question la qualité de représentant de monsieur Aka-Trudel, sous réserve, encore une fois, de leurs représentations quant à la composition du Groupe.

[46]        Tenant compte des allégations de la requête, monsieur Aka-Trudel apparaît apte à assurer une représentation adéquate des membres. Cette dernière condition est également remplie.

6.       LA DESCRIPTION DU GROUPE

[47]        Les conditions de l'article 1003 du Code de procédure civile étant remplies, l'autorisation d'exercer le recours collectif doit être accordée.

[48]        Tel que prévu à l'article 1005 du Code de procédure civile, le Tribunal doit décrire le groupe pour le rendre conforme à la preuve faite à ce stade.[23]

[49]        D'entrée de jeu, monsieur Aka-Trudel précise qu'il n'entend pas exercer son recours pour des personnes résidant hors du Québec. Il ajoute qu'il y a aussi lieu de préciser les services rendus par Bell et Bell Mobilité et visés par le recours.

[50]        À l'audience, il suggère que la description du Groupe Principal et du sous-groupe, le Groupe  Consommateur, soit la suivante[24] :

Groupe Principal :

1.          Le Requérant désire exercer un recours collectif contre les Intimées pour le compte de toutes les personnes physiques, personnes morales de droit privé, sociétés ou associations formant le groupe ci-après décrit, soit :

« toutes les personnes physiques et toutes les personnes morales de droit privé, sociétés ou associations, comptant en tout temps au cours de la période de 12 mois qui précède le 28 octobre 2010 sous leur direction ou sous leur contrôle au plus 50 personnes liées à elles par contrat de travail, résidant ou ayant résidé au Québec et qui ont payé depuis le 1er juin 2010 des intérêts au taux annuel de 42,58 % sur le montant d'au moins une facture émise par l'une ou l'autre des Intimées ou par les deux Intimées pour le service Internet et/ou le service de ligne terrestre de l'Intimée Bell Canada et/ou le service de téléphonie cellulaire de l'Intimée Bell Mobilité. »

ou tout autre sous-groupe que le Tribunal pourra déterminer (ci-après le « Groupe Principal »);

Groupe Consommateur :

2.         Le Requérant désire également exercer un recours collectif contre les Intimées fondé sur les dispositions de la Loi sur la protection du consommateur, L.R.Q., c. P-40.1 (ci-après la « L.p.c. ») pour le compte du sous-groupe ci-après décrit, soit :

« toutes les personnes physiques, sauf un commerçant qui a conclu un contrat pour les fins de son commerce, résidant ou ayant résidé au Québec et qui ont payé depuis le 1er juin 2010 des intérêts au taux annuel de 42,58 % sur le montant d'au moins une facture émise par l'une ou l'autre des Intimées pour le service Internet et/ou le service de ligne terrestre de l'Intimée Bell Canada et/ou le service de téléphonie cellulaire de l'Intimée Bell Mobilité. »

ou tout autre sous-groupe que le Tribunal pourra déterminer (ci-après le « Groupe Consommateur »);

[51]        Bell et Bell Mobilité qui entendaient soulever le défaut d'intérêt de monsieur Aka-Trudel de représenter des membres résidant dans d'autres juridictions que le Québec, consentent à la nouvelle description du groupe, en autant qu'elle soit limitée aux personnes qui sont ou ont été des clients de Bell et Bell Mobilité et qui sont abonnés aux mêmes services que monsieur Aka-Trudel, c'est-à-dire au service Internet de Bell et au service de téléphonie cellulaire de Bell Mobilité.

[52]        Bell et Bell Mobilité expliquent que les contrats de service produits à l'appui de la requête en autorisation[25] concernent, non seulement les services auxquels monsieur Aka-Trudel est abonné, mais également d'autres services pour lesquels il ne l'est pas. Selon elles, le groupe devrait se limiter aux personnes abonnées aux mêmes services que monsieur Aka-Trudel.

[53]        Subsidiairement, Bell et Bell Mobilité suggèrent que le groupe vise les abonnés de tous les services dont les contrats sont produits et que la description du groupe soit la suivante :  

« Toute personne physique ou personne morale de droit privé, société ou association comptant en tout temps au cours de la période de 12 mois précédant le 28 octobre 2010 sous leur direction ou leur contrôle au plus 50 personnes liées à elle par contrat de travail, qui réside au Québec et qui a payé depuis le 1er juin 2010 des intérêts au taux annuel de 42,58 % sur un solde acquitté après la date d'échéance d'une facture émise par les Intimées en vertu de l'un des contrats suivants : Modalités des services non réglementés de téléphonie locale - marché consommateurs; Modalités des services non réglementés - services voix et internet (clients d'affaires); Contrat de service Internet résidentiel; et Modalités de service de Bell Mobilité. »

[54]        Le Tribunal peut modifier la description proposée[26] s'il le juge approprié pour tenir compte de la preuve faite. À cet égard, la Cour d'appel mentionne dans l'arrêt Fournier c. Banque de Nouvelle-Écosse[27] :

[51]       Il revenait à l'appelante, en vertu de l'article  1002  C.p.c., de démontrer que le groupe qu'elle propose n'est pas inutilement large. Elle a failli à cette tâche. Tel que libellé, le groupe comprend non seulement les personnes ayant signé un contrat de vente à tempérament avec un concessionnaire automobile, mais d'autres types de contrat de financement (ex. contrats d'hypothèques mobilières, contrats de location à long terme, contrats de crédit-bail), sans qu'aucun élément de preuve ne permette de conclure, même prima facie, qu'il comporte les mêmes caractéristiques que celles relevées par l'appelante dans le Contrat.

(nos soulignements)

[55]         En l'espèce, bien que monsieur Aka-Trudel ne soit pas abonné à tous les services de Bell et Bell Mobilité, on retrouve aux différents contrats produits les mêmes clauses que celles apparaissant aux contrats de services auxquels il est abonné.

[56]        En conséquence, le Tribunal est d'avis que la preuve faite, à ce stade, permet d'inclure les abonnés de tous les services dont les contrats ont été produits par monsieur Aka-Trudel au soutien de sa requête en autorisation, compte tenu des allégations de la requête et des pièces produites.

[57]        Le Tribunal modifiera donc le groupe en conséquence afin qu'il comprenne les contrats tels qu'ils sont décrits aux pièces produites.

7-      AVIS AUX MEMBRES

[58]        Les modalités de publication et le contenu de cet avis devront être déterminés ultérieurement après les représentations des parties à cet effet.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[59]        ACCUEILLE la requête pour obtenir l'autorisation d'exercer un recours collectif;

[60]        AUTORISE l'exercice du recours collectif sous la forme d'une requête introductive d'instance en dommages contre Bell Canada et Bell Mobilité inc.;

[61]        ATTRIBUE à Louis Aka-Trudel le statut de représentant aux fins de l'exercice du recours collectif dans le dossier 500-06-000529-103 pour le compte de Groupe Principal décrit comme suit :

« toutes les personnes physiques et toutes les personnes morales de droit privé, sociétés ou associations, comptant en tout temps au cours de la période de 12 mois qui précède le 28 octobre 2010 sous leur direction ou sous leur contrôle au plus 50 personnes liées à elles par contrat de travail, résidant ou ayant résidé au Québec et qui ont payé depuis le 1er juin 2010 des intérêts au taux annuel de 42,58 % sur le montant d'au moins une facture émise par l'une ou l'autre des Intimées ou par les deux Intimées en vertu de l'un des contrats suivants : Modalités des services non réglementés de téléphonie locale - marché consommateurs; Modalités des services non réglementés - services voix et internet (clients d'affaires); Contrat de service Internet résidentiel; et Modalités de service de Bell Mobilité. »

et du sous-groupe qui en découle, soit le Groupe Consommateur décrit comme suit :

 

« toutes les personnes physiques, sauf un commerçant qui a conclu un contrat pour les fins de son commerce, résidant ou ayant résidé au Québec et qui ont payé depuis le 1er juin 2010 des intérêts au taux annuel de 42,58% sur le montant d'au moins une facture émise par l'une ou l'autre des Intimées ou par les deux Intimées en vertu de l'un des contrats suivants : Modalités des services non réglementés de téléphonie locale - marché consommateurs; Modalités des services non réglementés - services voix et internet (clients d'affaires); Contrat de service Internet résidentiel; et Modalités de service de Bell Mobilité. »

[62]        IDENTIFIE comme suit les principales questions qui seront traitées collectivement :

Ø  les Intimées ont-elles commis une ou des fautes génératrice(s) de responsabilité ?

Ø  les agissements reprochés aux Intimées ont-ils causé des dommages aux membres du Groupe ?

Ø  les Intimées sont-elles responsables des dommages subis par le Requérant et les membres du Groupe en vertu du Code civil du Québec, L.R.Q., c. C-1991 (ci-après « Code civil » ) ?

Ø  les Intimées sont-elles responsables des dommages subis par le Requérant et les membres du Groupe Consommateur en raison de la lésion objective prévue à la L.p.c. ?

Ø  le Requérant et les membres du Groupe Consommateur ont-ils droit à des dommages punitifs en vertu de la L.p.c. ?

[63]        IDENTIFIE les conclusions recherchées, telles qu'énoncées à la requête en autorisation :

ACCUEILLIR la requête du Requérant;

ACCUEILLIR le recours collectif pour tous les membres du Groupe;

CONDAMNER les Intimées à payer au Requérant ainsi qu'à chacun des membres du Groupe une somme de 100,00 $ à titre de dommages-intérêts pour troubles, tracas et inconvénients, sauf à parfaire, le tout avec intérêt au taux légal et l'indemnité additionnelle à compter de l'institution du présent recours et ORDONNER le recouvrement individuel de ces sommes;

CONDAMNER les Intimées à payer au Requérant ainsi qu'à chacun des membres du Groupe une somme de 200,00 $ à titre de dommages punitifs, sauf à parfaire, le tout avec intérêt au taux légal et l'indemnité additionnelle à compter du jugement à être prononcé et ORDONNER le recouvrement individuel de ces sommes;

LE TOUT avec les entiers dépens incluant les frais d'expertise et les frais de publication des avis aux membres.

[64]        ORDONNE la publication d'un avis aux membres, selon les modalités et le contenu à être déterminés ultérieurement par le Tribunal et, pour ce faire :

·        ORDONNE à Louis Aka-Trudel de soumettre des projets d'avis et des modalités de publication au Tribunal au plus tard le 20 janvier 2012;

·        AUTORISE Bell Canada et Bell Mobilité inc. à transmettre leurs représentations écrites sur le projet d'avis et les modalités de publication au Tribunal au plus tard le 3 février 2012;

[65]        DÉCLARE qu'à moins d'exclusion, les membres du Groupe Principal et du Groupe Consommateur seront liés par tout jugement à intervenir sur le recours collectif, de la manière prévue par la Loi;

[66]        FIXE le délai d'exclusion à 60 jours de l'avis aux membres, délai à l'expiration duquel les membres du Groupe Principal et du Groupe Consommateur qui ne se seront pas prévalus des moyens d'exclusion seront liés par tout jugement à intervenir;

[67]        RÉFÈRE le dossier au juge en chef pour déterminer le district dans lequel le recours collectif sera exercé et désigner le juge pour l'entendre;

[68]        AVEC DÉPENS.

 

 

__________________________________

LUCIE FOURNIER, J.C.S.

 

Me Guy Paquette

Me Vanessa O'Connell Chrétien

Me Mathieu Charest-Beaudry

PAQUETTE GADLER INC.

Avocats du requérant

 

Me Christine Carron

Me Frédéric Wilson

Me Mylaine Desrosiers-Harvey

NORTON ROSE

Avocats des intimées

Date d’audience :

Le 22 juin 2011

 



[1]     L.R.Q., chapitre P-40.1.

[2]     Pièce R-3.

[3]     Pièce R-4.

[4]     Pièce R-6.

[5]     Pièce R-5

[6]     Pièce R-8.

[7]     Pièce R-7.

[8]     Pièce R-8a.

[9]     Pièce R-8b.

[10]    Pièce R-8c.

[11]    Pièce R-8e.

[12]    Pièce R-9a.

[13]    Pièce R-9c.

[14]    Le juge Clément Gascon en fait la revue détaillée dans deux jugements rendus le 1er novembre 2006 : Option Consommateurs c. Banque de Montréal, (C.S., 2006-11-01) 2006 QCCS 5353 et Bibaud c. Banque National du Canada (C.S. 2006-11-01), 2006 QCCS 5352 .

[15]    Article 1005 , Code de procédure civile.

[16]    Article 1003 a) du Code de procédure civile.

[17]    « Requête pour autorisation d'exercer un recours collectif et pour être représentant », aux paragraphes 35, 36, 37, 38 et 39.

[18]    J.E. 2000-641 (C.A.), AZ-50069972 .

[19]    Article 1003 b) du Code de procédure civile.

[20]    Article 1003 c) du Code de procédure civile.

[21]    Article 1003 d) du Code de procédure civile.

[22]    Bouchard c. Agropur Coopérative, 2006 QCCA 1342 ; Comptois c. Telus Mobilité (C.A., 2010-03-29), 2010 QCCA 596 .

[23]    Fournier c. Banque de Nouvelle-Écosse, 2011 QCCA 1459 .

[24]    Le Tribunal souligne les ajouts qui ne paraissaient pas à la Requête en autorisation.

[25]    Pièces R-3, R-4 et R-5.

[26]    Citoyens pour une qualité de vie/Citizens for a Quality of Life c. Aéroports de Montréal, [2007] R.J.Q. 2362 .

[27]    Voir note 23.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.