Villemaire c. L’Assomption (Ville de) |
2011 QCCS 1837 |
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JV00B9 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
JOLIETTE |
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No : |
705-36-000470-102 |
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DATE : |
15 avril 2011 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE ANDRÉ VINCENT, J.C.S. |
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BENOIT VILLEMAIRE |
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Appelant |
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c. |
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VILLE DE L'ASSOMPTION |
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Intimée |
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JUGEMENT |
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[1] L'appelant se porte en appel de la décision du juge de la Cour municipale de l'Assomption (l'Honorable Claude Lemire), le déclarant coupable de l'infraction d'avoir conduit un véhicule routier en faisant usage d'un appareil tenu en main muni d'une fonction téléphonique (article 439.1 du Code de la sécurité routière).
[2] Les faits dans la présente affaire sont relativement simples. Intercepté par un policier qui le voit discuter au téléphone, l'appelant indique qu'il avait effectivement une communication téléphonique avec un tiers.
[3] Il témoigne qu'il n'avait pas son appareil en main, celui-ci étant attaché à sa ceinture ou encore sur le tableau de bord. Il explique que son appareil téléphonique était relié par fil à un casque d'écoute. Il maintenait la position de ce casque sur sa tête lorsqu'il a été intercepté.
[4] Le juge de première instance semble retenir cette version des faits de l'appelant et applique, une décision de son collègue le juge, Jacques Laverdure, dans Ville de Mont-Tremblant c. André Parisien[1], pour conclure que le casque d'écoute fait partie de l'appareil téléphonique et comme l'appelant admet qu'il maintenait sa main sur ce casque, le déclare coupable de l'infraction.
[5] La prétention de l'appelant est que le juge de première instance a commis une erreur de droit en assimilant le dispositif d'écoute à l'appareil muni d'une fonction téléphonique. Dans son avis d'appel, il mentionne :
11 - L'appelant soumet respectueusement que, dès ce moment, l'honorable juge Lemire a commis une erreur importante parce que, pour commettre l'infraction, l'article 439.1 rend impératif le fait de tenir en main l'appareil muni d'une fonction téléphonique.
[6] L'intimée estime qu'un casque d'écoute avec micro fait partie intégrante de l'appareil. En conséquence, le fait de tenir le casque d'écoute doit être considéré comme tenant en main un appareil muni d'une fonction téléphonique. Il cite les décisions de différentes Cours municipales qui acceptent cette proposition, Mont-Tremblant c. Parisien précitée et Laval (ville) c. Esposito[2].
ANALYSE
[7] Le Tribunal reconnaît qu'il y a plusieurs décisions, souvent contradictoires, émanant de différentes Cours municipales sur la définition « d'appareil muni d'une fonction téléphonique ». Dans le cas présent cependant, il n'est pas contesté que l'appareil qu'utilisait l'appelant était un téléphone cellulaire.
[8] La question principale que pose le présent appel est de savoir, si d'avoir en main une des composantes de l'appareil, un casque d'écoute comme c'est le cas ici, est suffisant pour entraîner l'application de l'article 439.1 du Code de la sécurité routière.
[9] Le premier juge, aux paragraphes 9 et 10 de sa décision, accepte l'interprétation qu'en faisait le juge Laverdure dans Mont-Tremblant (ville) c. Parisien lorsqu'il écrivait :
[17] Le Tribunal, en vertu des règles d’interprétation, doit donc se référer au sens usuel et courant du mot « appareil ».
[18] Le Dictionnaire Le Petit Larousse, édition 2004 définit ainsi le mot appareil :
Appareil n.m. (du lat. apparare, préparer)
1. Objet, machine, dispositif formés d’un assemblage de pièces et destinés à produire un certain résultat. Les appareils ménagers, les appareils de sauvetage.
[19] Il ressort, en appliquant cette définition, qu’un appareil téléphonique est un dispositif formé d’un assemblage de pièces et destiné à permettre à deux individus de converser.
[20] L’écouteur et le microphone font parties du dispositif téléphonique permettant la conversation entre deux individus. Ils sont essentiels pour permettre cette conversation.
[21] Le Tribunal conclut que la preuve a démontré, hors de tout doute raisonnable, que le défendeur a conduit un véhicule routier en faisant usage d’un appareil tenu en main muni d’une fonction téléphonique.
[10] La présente affaire ne pose aucune question de crédibilité, le premier juge semblant accepter que l'appelant n'avait pas en main son téléphone, mais bien le casque d'écoute. Telle est l'interprétation que l'intimée indique dans son mémoire à la page 6 lorsqu'il dit : ...il s'agit de déterminer si le fait de tenir l'écouteur et le microphone parce qu'il « tient mal » et ainsi s'assurer du bon fonctionnement peut être considéré comme tenant en main un appareil muni d'une fonction téléphonique.
[11] L'article 439.1 du Code de la sécurité routière énonce :
« Téléphone cellulaire.
439.1. Une personne ne peut, pendant qu'elle conduit un véhicule routier, faire usage d'un appareil tenu en main muni d'une fonction téléphonique.
Présomption.
Pour l'application du présent article, le conducteur qui tient en main un appareil muni d'une fonction téléphonique est présumé en faire usage.
Exception.
Cette interdiction ne s'applique pas au conducteur d'un véhicule d'urgence dans l'exercice de ses fonctions.
2007, c. 40, a. 58. »
[12] Les éléments essentiels de l'infraction sont :
1) être à la conduite d'un véhicule routier;
2) avoir en main;
3) un appareil muni d'une fonction téléphonique;
4) de faire usage dudit appareil muni d'une fonction téléphonique.
[13] Il est indéniable que l'appelant était à la conduite de son véhicule lorsqu'il a été intercepté par le policier. Il a également admis qu'il utilisait un téléphone cellulaire dans les instants précédant son interception. Il maintient cependant qu'il n'avait pas en main ce téléphone.
[14] L'intimée plaide que l'intention du législateur est qu'un conducteur ne soit pas distrait dans sa conduite par la manipulation d'un appareil tenu en main muni d'une fonction téléphonique. Elle ajoute que le fait de maintenir en place avec sa main un casque d'écoute va à l'encontre même d'un « système mains libres[3]. »
[15] S'il est exact de dire que l'intention du législateur est de s'assurer qu'un conducteur d'un véhicule routier demeure concentré sur sa conduite et ne soit pas distrait par une conversation téléphonique avec un tiers, il n'est pas allé aussi loin que l'adage « d'avoir les deux mains sur le volant. »
[16] L'article 439.1 du Code de la sécurité routière est de droit nouveau dont l'entrée en vigueur est le 1er avril 2008. L'adoption de ces nouvelles dispositions est le fruit de plusieurs consultations et constitue un compromis entre l'interdiction complète de l'utilisation d'un appareil muni d'une fonction téléphonique et une interdiction partielle.
[17] La ministre des Transports de l'époque, Mme Julie Boulet, mentionnait lors des débats de la Commission des transports et de l'environnement lors de la séance du 13 décembre 2007 :
Mme Boulet : Merci. Alors, l'institut... En fait, c'était une recommandation de la table. En fait, c'était même une recommandation de la commission à l'époque, qui avait dit de légiférer sur le cellulaire, le combiné seulement. 50 pays à travers le monde ont légiféré dans ce sens-là, et 48 d'entre eux ont légiféré pour interdire le combiné seulement, et le Brésil et la Grèce qui ont interdit les deux.
On sait, selon l'Institut de santé publique, et on le reconnaît, on est d'accord avec cette donnée-là, que, peu importe que ce soit une conversation téléphonique au combiné ou au mains libres, elle dérange la concentration du conducteur, et ça, on en convient tous, on est d'accord avec cet élément-là, et c'est dans ce contexte-là qu'on dit qu'on va continuer à faire de la sensibilisation et à dire aux gens que d'avoir une conversation téléphonique, c'est dommageable à la concentration. Une personne qui parle au cellulaire a 40 % de chances de plus d'être impliquée dans un accident. Quelqu'un qui est un grand utilisateur, ça peut être encore deux fois plus important en termes de risque.
Maintenant, dans un premier temps, on a pensé faire comme l'ensemble de la grande majorité des pays qui ont légiféré sur le cellulaire : on est allés avec l'interdiction du combiné seulement. Maintenant, il y avait deux éléments qui nous ont fait également pencher vers cette option-là, c'est que plusieurs industries, notamment le taxi, le camionnage, les véhicules d'urgence, sont exemptées. Mais l'industrie du taxi et du camionnage, elle, a besoin d'un outil, se sert régulièrement de cet outil de travail là. Donc, de permettre le mains libres, dans un premier temps, ça permet une transition, là, pour ces gens-là qui en ont besoin pour leur travail, pour communiquer avec les gens qui travaillent pour eux.
Et l'autre élément, c'est que les policiers qui étaient membres de la Table québécoise de la sécurité routière, tous les corps policiers, d'ailleurs, sont venus nous le dire lors de la commission parlementaire, l'application d'une interdiction du mains libres est extrêmement difficile pour les policiers. Alors, on ne sait pas si la personne a une conversation avec quelqu'un d'autre dans le véhicule, on ne sait pas si elle est en train de chanter, ou, peu importe, là, on peut avoir toutes les figures de style, qui peuvent même être très comiques, mais c'est que, pour un policier, d'intervenir et de dire : Vous étiez en train d'avoir une conversation téléphonique, il n'est pas capable d'en faire la démonstration et la preuve. Donc, c'est difficilement applicable. Alors, on pense que, si, dans un premier temps, on est capable de retirer une bonne partie des utilisateurs de cellulaire, on aura un gain en termes de sécurité routière. C'est dans ce contexte-là[4].
(Mes soulignés)
[18] L'intention manifeste du législateur est donc de permettre une certaine utilisation d'un appareil muni d'une fonction téléphonique; ce qui est interdit est d'avoir cet appareil en main. C'est d'ailleurs au cours de ces débats de la Commission que la présomption d'usage a été créée lorsque le conducteur a en main l'appareil.
[19] Avec égards, le Tribunal considère que le premier juge commet une erreur dominante et manifeste en considérant que l'accessoire, le casque d'écoute, suit le principal, le téléphone cellulaire. La règle Accessorium sequitur principale ne doit pas recevoir ici application.
[20] En instance, l'objectif avoué du législateur est l'interdiction d'avoir en main l'appareil muni d'une fonction téléphonique (ici le téléphone cellulaire) et non toutes ses composantes fussent-elles reliées à ce dernier par un fil ou sans fil (bluetooth). Toute autre interprétation signifie, à toutes fins, que l'utilisation d'un mains libres (sans avoir l'appareil en main) serait interdite.
[21] D'ailleurs, le texte anglais de la disposition législative est beaucoup plus clair que le texte français et traduit plus fidèlement l'intention du législateur :
Hand-held telephones.
439.1. No person may, while driving a road vehicle, use hand-held telephones.
Presumption.
For the purposes of this section, a driver who is holding a hand-held device that includes a telephone function is presumed to be using the device.
Exception.
This prohibition does not apply to drivers of emergency vehicles in the performance of their duties.
« 2007, c. 40, s. 58. »
[22] Le fait qu'en l'espèce l'appelant ait pu ajuster son casque d'écoute sur sa tête, ne fait pas en sorte qu'il avait en main son appareil, mais plutôt qu'il utilisait une fonction mains libres pour avoir une conversation téléphonique.
[23] En assimilant le casque d'écoute à l'appareil lui-même, le premier juge commet donc une erreur permettant l'intervention du Tribunal.
[24] Comme un des éléments essentiels d'avoir en main l'appareil muni d'une fonction téléphonique n'est pas prouvé, l'appelant doit en conséquence être acquitté de l'infraction reprochée.
[25] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[26] ACCUEILLE l'Appel;
[27] CASSE le verdict de culpabilité prononcé le 18 mai 2010;
[28] SUBSTITUE un verdict d'acquittement;
[29] LE TOUT sans frais.
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__________________________________ ANDRÉ VINCENT, J.C.S. |
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Me Sylvain Fréchette |
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Procureur de l'appelant |
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Me Suzanne Dubé |
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Procureure de l'intimée |
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Date d’audience : |
18 janvier 2011 |
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AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.