Décision

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Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel des) c. Bussières

2020 QCCDINF 18

 

CONSEIL DE DISCIPLINE

ORDRE DES INFIRMIÈRES ET INFIRMIERS DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N:

20-20-00785

 

DATE :

22 octobre 2020

______________________________________________________________________

 

LE CONSEIL :

Me MYRIAM GIROUX-DEL ZOTTO

Présidente

Mme ROXANNE L’ÉCUYER, infirmière

Membre

Mme SHELLEY COGLAND, infirmière

Membre

______________________________________________________________________

 

FRANCE DESROCHES, infirmière, en sa qualité de syndique adjointe de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec

Plaignante

c.

KIM BUSSIÈRES, infirmière, permis n214 0293

Intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE PLAINTE PORTÉE EN VERTU DE L’ARTICLE 149.1 DU CODE DES PROFESSIONS

______________________________________________________________________

CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE CONSEIL DE DISCIPLINE PRONONCE UNE ORDONNANCE INTERDISANT LA DIVULGATION, LA PUBLICATION ET LA DIFFUSION DU NOM DES PROPRIÉTAIRES DE L’ENTREPRISE VISÉE PAR L’INFRACTION CRIMINELLE INVOQUÉE DANS LA PLAINTE ET DONT IL EST QUESTION DANS LA PREUVE AINSI QUE DE TOUT RENSEIGNEMENT PERMETTANT DE LES IDENTIFIER, ET CE, POUR ASSURER LA PROTECTION DE LEUR VIE PRIVÉE ET DE LEUR RÉPUTATION.

CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE CONSEIL DE DISCIPLINE PRONONCE UNE ORDONNANCE INTERDISANT LA DIVULGATION, LA PUBLICATION ET LA DIFFUSION DU NOM DE L’AMI DE L’INTIMÉE LUI AYANT PERMIS D’OBTENIR L’EMPLOI AUPRÈS DE L’ENTREPRISE VISÉE PAR L’INFRACTION CRIMINELLE INVOQUÉE DANS LA PLAINTE ET DONT IL EST QUESTION DANS LA PREUVE AINSI QUE DE TOUT RENSEIGNEMENT PERMETTANT DE L’IDENTIFIER, ET CE, POUR ASSURER LA PROTECTION DE SA VIE PRIVÉE ET DE SA RÉPUTATION.

APERÇU

[1]           France Desroches (la plaignante), syndique adjointe de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (l’Ordre), saisit le Conseil de discipline par voie d’une plainte disciplinaire fondée sur l’article 149.1 C. prof. à la suite de la déclaration de culpabilité prononcée contre Kim Bussières (l’intimée) pour son crime d’avoir volé, pendant près de quatre ans, une somme d’argent d’une valeur dépassant 5 000 $ appartenant à l’entreprise d’impression numérique, auprès de laquelle elle est employée à cette période.

[2]           La plaignante est d’avis que cette infraction criminelle a un lien avec l’exercice de la profession infirmière. Elle estime qu’il est à propos de radier l’intimée trois mois et de la condamner au paiement des déboursés et des frais de la publication d’un avis de la présente décision dans un journal circulant dans le lieu où elle a son domicile professionnel.

[3]           D’entrée de jeu, l’intimée reconnaît que l’infraction criminelle dont elle est coupable est liée à l’exercice de sa profession, consent à purger les trois mois de radiation proposés par la plaignante et à acquitter les frais relatifs à l’instruction de la plainte et à la publication d’un avis de la présente décision.

[4]           Les parties conviennent qu’un délai de 12 à 18 mois doit être accordé à l’intimée pour lui permettre d’acquitter l’ensemble des frais qu’elle sera condamnée à payer.

[5]           Dès le début de l’instruction, le Conseil avise les parties de ses préoccupations quant au critère juridique applicable dans les circonstances puisque la plainte dont il est saisi est portée en vertu de l’article 149.1 C. prof.

[6]           Celles-ci n’ayant pas étudié la question préalablement à l’audience, le Conseil leur donne l’opportunité d’apprécier les considérations pertinentes concernant le point de droit soulevé et de plaider.

[7]           À la reprise de l’instance, la plaignante présente des décisions récentes rendues en semblable matière par des conseils de discipline d’autres ordres professionnels. En s’appuyant sur celles-ci, elle conclut que les principes établis dans l’arrêt R. c. Anthony-Cook[1], de la Cour suprême du Canada, trouvent application en l’espèce.

[8]           La plaignante invite donc le Conseil à suivre la méthodologie élaborée dans cet arrêt pour apprécier la sanction recommandée dans le présent dossier.

[9]           L’intimée partage l’interprétation de la plaignante quant à l’application du critère de l’intérêt public en suivant le même raisonnement.

[10]        Au terme de la rencontre, par souci d’équité, le Conseil offre aux parties la possibilité de leur accorder un délai supplémentaire pour compléter leur recherche et leur permettre de formuler des observations additionnelles sur le droit applicable compte tenu des particularités du présent recours. Toutefois, elles refusent estimant avoir eu le temps nécessaire pour être en mesure de prendre position de façon satisfaisante.

PLAINTE

[11]        La plainte disciplinaire portée contre l’intimée est ainsi libellée :

1.          Le ou vers le 24 septembre 2019, a été déclarée coupable par l’Honorable Steve Magnan, j.c.q. (dossier 200-01-216574-180) de l’infraction criminelle suivante, ayant un lien avec l’exercice de la profession :

« Entre le 1 janvier 2011 et le 18 décembre 2015, à Québec, district de Québec, a volé de (…), une somme d’argent, d’une valeur dépassant 5000,00 $, commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 334 a) du Code criminel. »

se rendant ainsi passible des sanctions prévues à l’article 156 du Code des professions, comme prévu à l’article 149.1 du Code des professions, RLRQ, chapitre C-26.

[Transcription textuelle, sauf anonymisation]

QUESTIONS EN LITIGE

[12]        Les questions que soulève le présent recours s’énoncent ainsi :

1)    L’infraction criminelle de vol dont l’intimée est coupable a-t-elle un lien avec l’exercice de la profession d’infirmière?

2)    Dans l’affirmative, est-il à propos de prononcer contre elle une ou plusieurs des sanctions prévues à l’article 156 C. prof.?

3)    Si l’imposition d’une sanction à l’intimée est requise, la radiation de trois mois que les parties suggèrent constitue-t-elle une recommandation conjointe relative à la sanction au sens de l’arrêt Anthony-Cook?

4)    Dans l’affirmative, cette sanction est-elle susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou contraire à l’intérêt public?

5)    Dans la négative, s’agit-il d’une sanction juste et appropriée dans les circonstances?

[13]        Concernant les deux premières questions, le Conseil juge qu’il est requis de sanctionner l’intimée considérant le lien évident entre l’infraction criminelle de vol dont elle est coupable et l’exercice de la profession infirmière.

[14]        Quant à la troisième question, l’assimilation de la sanction proposée par les parties à une recommandation conjointe relative à la sanction au sens de l’arrêt Anthony-Cook constitue une erreur de principe en raison de la procédure disciplinaire singulière dont le Conseil est saisi, de sa prérogative en cette matière, de l’absence de négociations en échange d’un plaidoyer de culpabilité et de bénéfices réels tirés par le système disciplinaire dans ces circonstances.

[15]        Ce faisant, il n’y a pas lieu de se prononcer sur la quatrième question puisqu’elle devient sans objet.

[16]        Relativement à la cinquième question, pour les motifs exposés plus loin, le Conseil juge que l’imposition d’une radiation de sept mois répond au critère de la justesse eu égard à l’ensemble des éléments à considérer pour la détermination d’une sanction.

CONTEXTE

[17]        Le 12 octobre 2009[2], dès le début de ses études collégiales en soins infirmiers, l’intimée demande à l’Ordre de lui émettre un certificat d’immatriculation, pour être en mesure d’effectuer un stage dans un milieu clinique.

[18]        Le formulaire qu’elle remplit pour l’obtenir stipule que l’immatriculation d’un étudiant en soins infirmiers peut être révoquée par le Conseil d’administration de l’Ordre notamment s’il fait l’objet d’une condamnation criminelle.

[19]        En 2011, l’intimée est embauchée auprès d’une entreprise de la région québécoise spécialisée dans l’impression numérique (l’Entreprise).

[20]        Elle obtient cet emploi grâce à un ami dont la mère est l’un des propriétaires de l’Entreprise. De plus, l’intimée est connue de la famille de cet ami.

[21]        À cette période, les dirigeants de l’Entreprise constatent que les revenus tirés des services offerts aux clients sont insuffisants et non rentables. Ils prennent donc les moyens pour relancer les activités de l’Entreprise en vue d’améliorer sa situation financière.

[22]        Dans le cadre de son emploi à l’Entreprise, l’intimée est appelée à effectuer diverses tâches en fonction du poste à combler.

[23]        En raison de la relation privilégiée établie avec son ami et la famille de celui-ci, les propriétaires de l’Entreprise lui font entièrement confiance. Elle est rapidement assignée aux caisses et bénéficie d’une grande liberté dans l’exécution de son travail.

[24]        Le 23 avril 2012[3], l’intimée demande à l’Ordre de lui délivrer une attestation d’exercice à titre de candidate à l’exercice de la profession d’infirmière (CEPI) pour occuper un emploi à temps complet auprès de l’Hôpital Saint-François d’Assise, situé à Québec (l’Hôpital Saint-François d’Assise).

[25]        Dans le formulaire qu’elle remplit à cet effet, elle déclare qu’elle exercera dans le domaine des soins médicaux et/ou chirurgicaux (généraux et spécialisés) et qu’elle n’a pas fait l’objet d’une décision judiciaire, disciplinaire ou pénale.

[26]        À la troisième section du formulaire, il est indiqué qu’elle a l’obligation d’informer la secrétaire générale de l’Ordre si elle est déclarée coupable d’une infraction criminelle, disciplinaire ou pénale au Canada ou à l’étranger.

[27]        En 2013, en dépit des mesures de redressement mises en place en 2011, la situation financière de l’Entreprise prend de l’ampleur obligeant ses dirigeants à devoir la placer sous la protection de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité[4].

[28]        Le 23 janvier 2014[5], l’intimée soumet à l’Ordre une demande d’inscription à l’examen professionnel et de permis. Elle répond par la négative à la question visant à savoir si elle a été déclarée coupable d’une infraction criminelle au Canada ou à l’étranger.

[29]        Au moment de remplir le formulaire prévu à cette fin, l’intimée est invitée à lire attentivement plusieurs informations dont, entre autres, celle lui rappelant de déclarer à l’Ordre si elle a fait l’objet d’une décision d’un tribunal canadien la déclarant coupable d’une infraction criminelle.

[30]        Le 2 mai 2014, l’Ordre délivre un permis d’exercice à l’intimée et le 14 mai suivant, elle s’inscrit au tableau de l’Ordre à titre de membre[6].

[31]        Lors de cette inscription[7], l’intimée déclare suivre la formation universitaire de baccalauréat en sciences infirmières DEC-BAC, perfectionnement, cumul de trois certificats en sciences infirmières. Elle indique l’Hôpital Saint-François d’Assise comme lieu de pratique et précise ne pas avoir exercé d’activités professionnelles pendant l’année 2013.

[32]        En remplissant son formulaire d’inscription annuelle, l’intimée est avisée que toute infirmière est tenue d’informer la secrétaire générale de l’Ordre si elle a été déclarée coupable d’une infraction criminelle.

[33]        En 2015, l’Entreprise fait appel à des professionnels comptables pour effectuer les vérifications appropriées en vue d’identifier la source de ses problèmes financiers.

[34]        Ceux-ci mènent une enquête interne et réalisent le manque d’importantes sommes d’argent. La comptabilité de l’Entreprise ne concorde pas avec l’ensemble des informations financières recueillies et particulièrement avec celles provenant des reçus de caisses imprimés lors de transactions avec les clients, celles-ci étant inconciliables avec les montants versés en contrepartie des services rendus.

[35]        L’enquête permet d’associer la disparition d’une partie des recettes de l’Entreprise à l’intimée puisque les irrégularités constatées coïncident presque totalement avec les périodes où elle est responsable des caisses. Les dirigeants et propriétaires de l’Entreprise sont consternés par la nouvelle. Refusant d’admettre que l’intimée en est responsable, ils souhaitent obtenir d’autres éléments de preuve pour le confirmer.

[36]        Les démarches additionnelles réalisées pendant la poursuite de l’enquête attestent que l’intimée est effectivement l’auteure des manques à gagner identifiés. Les vérificateurs sont de plus en mesure de comprendre comment elle s’y est prise pour arriver à ses fins.

[37]        Ils constatent qu’elle procède de trois différentes façons pour s’approprier l’argent, raffine sa méthode avec le temps et manipule un nombre élevé de transactions réalisées lorsque les clients de l’Entreprise paient en argent comptant.

[38]        Les stratagèmes employés par l’intimée pour commettre les vols se résument ainsi :

·        Elle utilise un code d’employé pour annuler la transaction et s’approprie l’argent comptant versé par le client;

·        Elle retient mécaniquement la rotation du reçu de caisse de manière à maintenir l’impression de la transaction au même endroit afin de ne pas être en mesure de décoder l’opération réalisée. Par cette intervention, l’intimée freine l’impression des données à l’origine de la transaction effectuée et une ligne d’encre épaisse apparaît à la place des chiffres et autres symboles;

·        Elle manipule le règlement des acomptes lorsque les clients versent à l’Entreprise une partie ou la totalité des frais associés à leur commande. En fabriquant de fausses factures, elle camoufle l’appropriation qu’elle fait de ces sommes d’argent.

[39]        Aux termes de l’enquête, l’intimée est rencontrée par deux dirigeants de l’Entreprise. Niant d’abord les faits, elle finit par les admettre, une fois confrontée à la preuve qui lui est présentée.

[40]        L’intimée tente de s’entendre avec les dirigeants et propriétaires de l’Entreprise sur le montant d’argent à rembourser, mais leurs négociations échouent et une plainte est finalement déposée contre elle au Service de police de la Ville de Québec (le Service de police).

[41]        Les éléments de preuve recueillis lors de l’enquête menée par l’Entreprise sont également remis au Service de police.

[42]        Le 25 mars 2015[8], l’intimée procède à son inscription annuelle au tableau de l’Ordre. Elle déclare qu’en 2014 elle a travaillé environ 16 heures auprès de l’agence de placement infirmier Premiers soins dans le domaine de la santé physique-Soins en gériatrie et gérontologie.

[43]        De plus, à la section lui rappelant l’obligation déontologique qui incombe à une infirmière de déclarer à l’Ordre si elle a fait l’objet d’une condamnation criminelle, l’intimée répond par la négative.

[44]        Elle renouvelle ensuite son inscription au tableau de l’Ordre pour les années 2016, 2017 et 2018 en répondant à des questions similaires.

[45]        Le 12 janvier 2018, l’intimée est formellement accusée d’avoir commis les infractions fondées sur les articles 334 a) et 380 (1) a) C. cr. Elle est sommée de se présenter au Service de police de la Ville de Québec, le 13 février 2018, et au Tribunal, le 23 février suivant.

[46]        Le 10 avril 2018, l’intimée communique avec l’Ordre pour déclarer l’acte d’accusations criminelles portées contre elle[9].

[47]        Le 24 septembre 2019, le juge Steve Magnan, j.c.q., reçoit son plaidoyer de culpabilité à l’infraction en lien avec l’article 334 C. cr., la déclare coupable de celle-ci séance tenante et prononce l’arrêt des procédures concernant l’infraction fondée sur l’article 380 (1) a) C. cr.

[48]        Le même jour, il souscrit à la peine recommandée par les parties consistant à imposer à l’intimée un emprisonnement de 12 mois à purger dans la collectivité, le remboursement d’une somme de 90 000 $ aux trois propriétaires de l’Entreprise, et ce, dans un délai de 20 ans et en respectant les modalités de paiement suivantes :

·        Le versement au greffe de la Cour du Québec d’un montant de 2 500 $, le 2 septembre 2019;

·        Le versement au greffe de la Cour du Québec de la somme de 4 375 $ par année commençant le 24 septembre 2019 pour la première année et ainsi de suite pour les années subséquentes.

[49]        Une ordonnance de sursis est également prononcée contre elle l’obligeant à se conformer à certaines conditions, dont les suivantes :

·        Être présente à son domicile 24 heures sur 24  durant les 6 premiers mois, sauf pour exercer un travail légitime et rémunéré; pour rencontrer son agent de probation ou tout autre intervenant désigné par celui-ci; pour des raisons médicales ou d’urgence de santé pour elle-même ou sa famille immédiate; pour l’achat de nourriture ou de biens ou de services nécessaires pour elle-même ou un membre de sa famille immédiate, pour une période de 5 heures, une fois par semaine, tel que convenu avec l’agent de probation;

·        Durant les 6 derniers mois, être présente à son domicile entre 23 heures et 7 heures sauf pour exercer un travail légitime et rémunéré ou pour des raisons médicales ou d’urgence de santé pour elle-même ou sa famille immédiate.

ANALYSE

[50]        Pour être en mesure de se prononcer sur les points de droit soulevés par la présente instance, il est opportun de reproduire le texte intégral de l’article 149.1 C. prof., soit la disposition donnant lieu au dépôt de la plainte devant le Conseil :

149.1    Un syndic peut saisir le conseil de discipline, par voie de plainte :

1° de toute décision d’un tribunal canadien déclarant un professionnel coupable d’une infraction criminelle;

2° de toute décision rendue au Québec le déclarant coupable d’une infraction visée à l’article 188 ou d’une infraction à une disposition d’une loi du Québec ou d’une loi fédérale;

3° de toute décision rendue hors Québec le déclarant coupable d’une infraction qui, si elle avait été commise au Québec, aurait pu faire l’objet d’une poursuite pénale en vertu de l’article 188 ou d’une poursuite pénale en vertu d’une disposition d’une loi du Québec ou d’une loi fédérale.

La décision visée au premier alinéa doit, de l’avis du syndic, avoir un lien avec l’exercice de la profession.

Une copie dûment certifiée de la décision judiciaire fait preuve devant le conseil de discipline de la perpétration de l’infraction et, le cas échéant, des faits qui y sont rapportés. Le conseil de discipline prononce alors contre le professionnel, s’il le juge à propos, une ou plusieurs des sanctions prévues à l’article 156.

[51]        Faut-il le rappeler, la nature particulière de la procédure utilisée par la partie plaignante pour instituer le recours disciplinaire suscite des préoccupations au sujet des principes de droit applicables pour l’appréciation de la sanction proposée par les parties.

[52]        Par ailleurs, puisque les deux premières questions sur lesquelles le Conseil doit se prononcer concernent les éléments énoncés aux alinéas 2 et 3 de l’article 149.1 C. prof., et que leur sort détermine la nécessité de statuer sur la sanction, le Conseil entend les examiner en premier lieu.

[53]        Les autres questions seront abordées dans un second temps et individuellement.

Le lien entre l’infraction criminelle commise par l’intimée et l’exercice de la profession infirmière

[54]        Suivant l’affaire Thivierge[10], la détermination de l’existence d’un lien entre la commission d’infractions criminelles et l’exercice d’une profession requiert l’examen de la nature de l’infraction dont le professionnel est reconnu coupable, la gravité de même que les circonstances entourant la commission du crime, et ce, en relation avec les qualités essentielles à l’exercice de la profession en cause.

[55]        Si le Conseil conclut à l’absence de lien, son intervention s’arrête à cette première étape.

[56]        D’entrée de jeu, l’intimée reconnaît le lien entre son crime et l’exercice de la profession infirmière.

[57]        Qu’en est-il?

[58]        Rappelons que l’infraction criminelle dont elle est coupable est celle d’avoir volé une somme d’argent dépassant 5 000 $. Plus spécifiquement, au procès criminel[11], elle admet avoir dérobé à l’Entreprise la somme de 90 000 $.

[59]        Cette précision étant apportée, soulignons que ce crime survient dans le cadre des fonctions qu’elle occupe au sein de l’Entreprise. Elle n’exerce alors pas un poste d’infirmière.

[60]        Ce constat est-il fatal pour l’établissement d’un lien avec l’exercice de sa profession?

[61]        Comme l’énonce le Tribunal des professions dans Thivierge[12], il est reconnu que des infractions criminelles commises dans la sphère de la vie privée d’un professionnel peuvent avoir un lien avec l’exercice de la profession.

[62]        Dans cette affaire, le Tribunal des professions partage l’avis de l’auteure, Me Marie Paré[13], selon lequel si le comportement révélé par les infractions criminelles met en cause des qualités essentielles à l’exercice de la profession, le fait que l’infraction ait été ou non commise dans le cadre d’une relation professionnelle n’est pas déterminant.

[63]        Il s’infère de la décision Thivierge[14] que l’approche à adopter pour la détermination d’un lien entre l’infraction criminelle et l’exercice d’une profession consiste à considérer l’exercice de la profession en général et non l’exercice de la profession par le professionnel concerné.

[64]        À cette étape, on doit donc faire abstraction des particularités de la pratique de l’intimée.

[65]        Pour le Tribunal des professions dans Nareau[15], il existe une distinction fondamentale entre les concepts que sont l’exercice de la profession et l’activité professionnelle en ce que l’exercice de la profession n’est pas restreint à la pratique de la profession.

[66]        En définitive, dans la perspective des principes exposés précédemment, la détermination du lien avec l’exercice d’une profession exige une étude objective de la situation dans la perspective des caractéristiques de la discipline en cause.

[67]        À cette étape, le rôle du Conseil se résume donc à s’attarder aux éléments déterminants de la profession sans prendre en considération le champ de pratique développé par le professionnel.

[68]        Quelles sont les caractéristiques de la profession infirmière et les qualités requises pour l’exercice d’une telle profession?

[69]        L’article 36 de la Loi sur les infirmières et les infirmiers[16] (la Loi) définit comme suit l’exercice infirmier :

36.        L’exercice infirmier consiste à évaluer l’état de santé, à déterminer et à assurer la réalisation du plan de soins et de traitements infirmiers, à prodiguer les soins et les traitements infirmiers et médicaux dans le but de maintenir et de rétablir la santé de l’être humain en interaction avec son environnement et de prévenir la maladie ainsi qu’à fournir les soins palliatifs.

[…]

[70]        Sous l’éclairage de cette disposition, il ne fait aucun doute que les activités énoncées à l’article 39.4 C. prof. font également partie de l’exercice de la profession infirmière et qu’elles sont reliées à ses activités professionnelles. L’article 39.4 C. prof. se lit ainsi :

39.4.     L’information, la promotion de la santé et la prévention du suicide, de la maladie, des accidents et des problèmes sociaux auprès des individus, des familles et des collectivités font également partie de l’exercice de la profession du membre d’un ordre dans la mesure où elles sont reliées à ses activités professionnelles.

[71]        L’infirmière commettant un vol, ne peut revendiquer avoir un comportement favorisant le maintien de la santé des personnes à qui elle subtilise un bien. Un tel crime va à l’encontre de son devoir de promouvoir la santé et de prévenir la survenance du suicide, de la maladie, des accidents et des problèmes sociaux auprès des individus, des familles et des collectivités.

[72]        Dans l’affaire David c. Infirmières[17], le Tribunal des professions fait état des qualités requises des personnes qui dispensent des services infirmiers et de la nature intrinsèque de ces services :

L’intimé met en évidence dans son mémoire les qualités requises des personnes qui dispensent des services infirmiers ainsi que la nature intrinsèque de ces services. En s’appuyant sur l’article 26 du Code des professions ainsi que sur la description du champ d’exercice prévu à l’article 36 de la Loi sur les infirmières et les infirmiers (L.R.Q. ch. I-8), l’Ordre intimé énonce la position de principe que l’infirmier est, parmi les professionnels de la santé, celui qui est constamment auprès des personnes malades, qui développe un lien de confiance absolu lequel est sollicité au maximum lorsque l’infirmier est appelé à exercer en dehors d’un milieu institutionnel :

Dans le cadre de ses fonctions, l’infirmière prodigue des soins à des personnes qui, dans la plupart des cas, sont malades, faibles, dépendantes ou même inconscientes.  Ces personnes sont en situation de grande vulnérabilité.

L’infirmière est la professionnelle de la santé qui est constamment auprès des personnes malades, soit pour leur donner des soins, leur apporter du réconfort, assurer la continuité des soins et la coordination des différents professionnels qui interviennent de façon ponctuelle.  Dans ces circonstances, le lien de confiance doit être absolu, non seulement en regard de la compétence relative aux soins, mais également en ce qui concerne la sécurité de leur personne et de leur (sic) biens et ce, plus encore lorsque l’infirmière est appelée à exercer dans des milieux où l’encadrement est totalement absent tel qu’en pratique privée.

L’essence de la profession d’infirmière consiste dans une relation d’aide qui a pour objet notamment de prodiguer des soins.  Cette relation d’aide exige de façon continue un lien de confiance.  Les infirmières doivent posséder des qualités humaines telles la compassion, la tendresse, la douceur, la délicatesse, la sollicitude, l’empathie, au-dessus de tout doute.

[...]

[Transcription textuelle]

[73]        Soulignons cependant que dans ce cas, le professionnel est coupable d’avoir commis un vol qualifié. Le Tribunal des professions s’exprime ainsi sur la nature d’une telle infraction criminelle et les qualités essentielles à l’exercice de la profession d’infirmier :

En l’espèce, nous sommes d’avis que l’appelant, en commettant les actes criminels pour lesquels il a été condamné en 1994, affecte le lien de confiance entre lui et les personnes avec lesquelles il est appelé à être en relation sur le plan professionnel.  Comme le mentionne l’intimé, le vol qualifié constitue une infraction violente qui contredit l’essence de la profession d’infirmier.  Son comportement fait douter qu’il possède les qualités requises par sa profession telles la compassion, la sollicitude et l’empathie :

Il s’agit d’un comportement incompatible avec l’honneur, la dignité et l’exercice de la profession puisque la protection de la vie et la promotion de la santé ont été bafouées.

(mémoire de l’intimé, p. 12)

[Transcription textuelle]

[74]        Bien que le vol d’argent dont l’intimée est coupable ne comporte pas le caractère violent du vol qualifié, pour l’un comme pour l’autre, il est question d’appropriation sans droit d’un bien appartenant à une ou plusieurs autres personnes.

[75]        En conséquence, hormis l’élément de violence qui les distingue, les infractions de vol et de vol qualifié mettent en cause essentiellement les mêmes qualités personnelles requises par la profession infirmière, à savoir la compassion, la sollicitude, l’empathie, le respect et l’honnêteté.

[76]        De façon générale, l’infirmière commettant un vol ne démontre pas qu’elle possède les attributs personnels requis par sa profession ni qu’elle a la capacité de ressentir de l’empathie à l’égard des autres.

[77]        En agissant de la sorte, elle fait plutôt prévaloir ses intérêts personnels au détriment de ceux des propriétaires du bien dont elle s’empare.

[78]        Il est clair que l’infraction criminelle de vol perpétrée par une infirmière fait douter qu’elle est en mesure de s’acquitter de ses obligations professionnelles avec intégrité comme l’exige l’article 10 du Code de déontologie des infirmières et infirmiers [18] (le Code de déontologie), qu’elle n’abusera pas de la confiance de son client et subordonnera son intérêt personnel à celui de son client conformément aux articles 11 et 20 de ce même Code.

[79]        À l’évidence, l’infirmière coupable d’un tel crime enfreint l’article 3 du Code de déontologie, lui interdisant de poser un acte ou d’avoir un comportement qui va à l’encontre de ce qui est généralement admis dans l’exercice de la profession ou qui est susceptible de dévaloriser l’image de la profession.

[80]        Tout comme l’indique le Tribunal des professions dans David[19], le Conseil est d’opinion que l’essence de la profession d’infirmière consiste en une relation d’aide ayant pour objet notamment de prodiguer des soins.

[81]        Ce type de relation professionnelle particulière suppose l’établissement d’un lien de confiance avec le client et pour y parvenir, l’infirmière doit être exempt de tout soupçon, et ce, tant en regard de sa compétence relativement aux soins, qu’en ce qui concerne la sécurité de la personne et des biens du client.

[82]        En somme, la conduite de l’infirmière doit être exemplaire d’un point de vue moral.

[83]        Cela est nécessaire pour favoriser la collaboration du client aux soins infirmiers et son adhésion aux traitements médicaux qui lui sont prescrits. Également, un tel lien de confiance aide à susciter chez le client la mobilisation de ses ressources pour qu’il vive mieux sa situation de santé et sa contribution pour l’améliorer.

[84]        Comme le lien de confiance est la base de la relation avec le client, l’infirmière doit s’abstenir d’agir de manière à miner sa crédibilité. À moins de circonstances particulières et exceptionnelles, l’adoption d’un comportement illégal et donc, en marge des conventions de la société, risque d’aboutir à un tel résultat préjudiciable.

[85]        On ne peut dissocier le vol perpétré par l’infirmière dans sa vie personnelle de sa pratique professionnelle en raison de l’image négative que cette conduite révèle sur sa moralité.

[86]        La conception du public relativement à la probité d’une infirmière est un aspect qu’on doit considérer en raison de la proximité de la relation que celle-ci est appelée à développer avec ses clients.

[87]        La commission d’un vol est certainement un fait susceptible de compromettre la confiance du client et celle du public envers l’infirmière concernée et la profession en général.

[88]        Compte tenu de tout ce qui précède, le crime de vol perpétré par une infirmière est objectivement grave.

[89]        Le Conseil est d’avis que le lien d’un tel crime avec la profession est évident en raison des compétences relationnelles attendues des membres de l’Ordre, des obligations déontologiques qui leur incombent, de l’importance fondamentale qu’occupe le lien de confiance dans la relation établie avec un client et de la vulnérabilité dans laquelle son état de santé le place. Ce type d’infraction criminelle atteint directement la raison d’être de la profession.

[90]        En l’espèce, les trois stratagèmes utilisés par l’intimée pour commettre son crime dénotent une planification minutieuse qui fait craindre davantage qu’elle ne possède pas les aptitudes requises par sa profession.

[91]        Une telle conduite est clairement incompatible avec la moralité attendue d’une infirmière lorsque celle-ci commet son crime en tant qu’employée d’une entreprise dont la situation financière précaire est un fait connu et dévoilé au public.

[92]        En effet, on ne peut ignorer qu’en dépit des difficultés financières éprouvées par l’Entreprise, l’intimée choisit délibérément de dérober l’argent des caisses, et ce, dès le début de son embauche en 2011. Cela coïncide d’ailleurs avec le début de ses études en soins infirmiers.

[93]        Quoique sa conduite soit illégale et nuisible aux intérêts de l’Entreprise, elle persiste et la répète jusqu’à ce qu’elle soit contrainte de démissionner, vers le mois de décembre 2015, une fois confrontée par les dirigeants de l’Entreprise, après sa conduite criminelle mise en évidence.

[94]        Ajoutons que l’intimée est l’amie du fils d’un des propriétaires de l’Entreprise. Elle admet avoir obtenu son emploi par l’entremise de cette connaissance et avoir même fréquenté la famille de celui-ci en dehors du travail.

[95]        La relation de confiance et de proximité développée avec une personne en autorité de l’Entreprise constitue un fait permettant de présumer que l’intimée veillerait aux intérêts de son employeur et qu’elle honorerait son engagement d’agir avec honnêteté dans l’exécution des contrats de services conclus avec les clients.

[96]        La commission de l’infraction de vol par l’intimée dans ces circonstances est particulièrement préoccupante, si l’on tient compte des valeurs intrinsèques de sa profession.

[97]        Il ressort de l’instance criminelle[20] que l’intimée jouit d’une grande latitude dans l’exécution de ses tâches, que les propriétaires de l’Entreprise lui font entièrement confiance et que, de ce fait, ils n’hésitent pas à l’assigner aux caisses.

[98]        D’ailleurs, il est établi que la relation privilégiée dont elle bénéficie amène les propriétaires de l’Entreprise à la placer au-dessus de tous soupçons lorsque des irrégularités sont identifiées au niveau des états financiers de l’Entreprise[21].

[99]        En s’appropriant l’argent comptant que les clients lui confient en contrepartie des services rendus par l’Entreprise, pendant près de quatre ans, l’intimée manque d’intégrité et se conduit d’une façon irrespectueuse envers les dirigeants et propriétaires de l’Entreprise, et l’ami lui ayant permis d’obtenir son emploi. Elle trahit leur confiance et est l’instigatrice d’une situation susceptible de leur nuire et d’affliger plusieurs personnes de son entourage.

[100]     En conséquence, le Conseil juge que les parties ont raison de conclure en l’existence d’un lien entre l’infraction criminelle dont l’intimée est coupable et l’exercice de sa profession.

[101]     La perception du public étant une composante de sa protection[22], le crime commis par l’intimée met clairement en doute son honnêteté et plusieurs autres caractéristiques de la profession infirmière.

[102]     Il incombe au Conseil de statuer ainsi pour préserver la confiance du public à l’égard de la profession infirmière et du bon fonctionnement du système disciplinaire.

[103]     En outre, bien que l’infraction criminelle donnant lieu au dépôt de la présente plainte ne découle pas d’actes posés dans l’exercice de sa profession, si tel avait été le cas, ces actes auraient constitué des infractions disciplinaires graves.

[104]     Cela supporte la conclusion de l’existence du lien établi.

[105]     Il y a donc lieu de s’interroger sur la pertinence d’imposer une sanction disciplinaire à l’intimée.

La nécessité de prononcer contre l’intimée une ou plusieurs des sanctions prévues à l’article 156 C. prof.

[106]     Conformément à la démarche décrite dans l’affaire Thivierge[23], à cette deuxième étape, le Conseil doit prendre en compte la pratique du professionnel concerné afin de décider s’il est opportun de le sanctionner en raison de l’infraction criminelle perpétrée.

[107]     Cela requiert une analyse subjective et concrète de la situation du professionnel, c’est-à-dire en regard de la pratique développée par ce dernier, et ce, tant à l’époque de l’infraction criminelle qu’au moment de l’instruction de la plainte.

[108]     Soulignons d’emblée l’absence de débat prévalant entre les parties sur le point qui fait l’objet de l’étude de la présente section.

[109]     Par ailleurs, comme il appartient au Conseil de tirer ses propres conclusions, examinons ce que la preuve révèle à cet égard[24].

[110]     Il est établi que l’intimée acquière le statut de membre de l’Ordre le 14 mai 2014.

[111]     Le 25 mars 2015, l’intimée déclare à l’Ordre qu’en 2014, elle offre ses services à l’agence de placement infirmier Premiers soins et qu’elle est appelée à travailler environ 16 heures dans le domaine de la santé physique-Soins en gériatrie et gérontologie.

[112]     Le Conseil souligne que ce type de pratique amène l’infirmière à exercer dans des milieux où l’encadrement est minime, voire inexistant et auprès d’une clientèle vulnérable, soit en raison de l’âge des clients ou de leur condition de santé.

[113]     Cela milite en faveur de l’imposition d’une sanction à l’intimée considérant la possibilité qu’elle s’oriente à nouveau vers ce genre de pratique.

[114]     À l’instruction de la plainte, l’intimée témoigne avoir commencé à exercer comme infirmière en janvier 2016 et avoir travaillé à temps plein auprès de l’Entreprise avant cette date.

[115]     Elle précise qu’à partir de 2016, elle exerce la profession auprès de l’hôpital Hôtel-Dieu-du-Sacré-Cœur de Jésus à Québec (l’Hôpital Sacré-Cœur) et obtient un poste à l’unité de pédopsychiatrie. Elle dit continuer d’exercer la profession à cet endroit.

[116]     L’intimée explique que ses fonctions l’amènent à intervenir auprès d’enfants âgés de 5 à 17 ans dont l’état de santé mentale nécessite une hospitalisation de 2 mois au plus, une durée qu’elle considère comme étant relativement courte.

[117]     La pédopsychiatrie étant une spécialité de la psychiatrie, mais consacrée aux enfants, l’intimée participe donc à la prise en charge d’enfants hospitalisés ayant des troubles mentaux et dont l’état de santé mentale est instable.

[118]     Leur âge et leur situation de santé nécessitant une hospitalisation les placent inévitablement en position de grande vulnérabilité.

[119]     Également, la pratique de l’intimée l’amène à entrer en relation avec ces enfants hospitalisés et leurs parents, le cas échéant, ou avec des gens de leur entourage immédiat.

[120]     Il ne faut pas sous-estimer le rôle d’accompagnement et de modèle que l’infirmière exerçant auprès d’une telle clientèle est appelée à jouer ni l’importance de la relation d’aide dans le traitement et l’amélioration de l’état de santé mentale de ces enfants.

[121]     La gravité de l’infraction criminelle dont l’intimée est coupable risque d’affecter la confiance des enfants recevant ses soins et services infirmiers, celle de leurs parents ou des gens de leur entourage ainsi que celle des autres professionnels de la santé appelés à interagir avec elle dans l’exercice de ses fonctions.

[122]     La portée de sa condamnation criminelle sur sa pratique est significative au point que l’intimée n’a d’autre choix que d’établir, par sa conduite actuelle, qu’elle assume la pleine responsabilité des actes illégaux posés antérieurement pour tenter de préserver ou de rétablir sa crédibilité sur le plan professionnel et susciter la confiance de l’ensemble des gens avec qui elle est appelée à entrer en relation dans le cadre de cet emploi.

[123]     Cela passe inévitablement par l’imposition de mesures disciplinaires pour permettre à l’ensemble de ces personnes de croire que l’intimée ne les trompera pas sur le plan moral et professionnel.

[124]     Conclure autrement priverait l’intimée d’une occasion de démontrer au public, à ses clients et à ses collègues qu’en tant que professionnelle, elle fait face aux conséquences de son crime, aussi bien qu’en matière criminelle, et qu’elle est repentante et digne de confiance.

[125]     Elle peut ainsi espérer continuer à endosser un rôle d’exemple auprès de ses jeunes clients et maintenir leur confiance, de même que celle des autres personnes avec qui elle interagit dans le cadre de sa pratique.

[126]     Le 12 janvier 2018, lors de l’enquête, l’intimée reconnaît ne pas avoir avisé son employeur des accusations criminelles portées contre elle.

[127]     Lors de l’audition du 18 août 2020, elle confirme que cette situation est demeurée inchangée, malgré la déclaration de culpabilité prononcée contre elle le 24 septembre 2019. Elle souligne toutefois avoir l’intention de divulguer ce fait dans la semaine suivant la présente instance.

[128]     Il s’agit d’un élément additionnel militant en faveur de l’imposition d’une sanction. Dans ces circonstances, la pertinence des objectifs de dissuasion et d’exemplarité du droit disciplinaire prend tout son sens, et ce, dans un esprit de protection du public.

[129]     Au surplus, une telle mesure est fondée sur un impératif du droit disciplinaire à savoir, assurer l’équilibre entre le droit de l’intimée d’exercer sa profession et la protection du public bénéficiaire de ses services[25].

[130]     Le bien-fondé de l’imposition d’une sanction ayant été établi, comment le Conseil doit-il apprécier celle que les parties proposent d’imposer à l’intimée?

[131]     La réponse à cette question passe inévitablement par l’étude du critère juridique applicable dans les circonstances.

La radiation de trois mois que les parties suggèrent constitue-t-elle une recommandation conjointe relative à la sanction au sens de l’arrêt Anthony-Cook?

[132]     À ce stade, il est utile de citer les passages suivants de l’arrêt Anthony-Cook établissant les caractéristiques d’une recommandation conjointe relative à la sanction :

Les recommandations conjointes relatives à la peine — lorsque les avocats du ministère public et de la défense recommandent au juge du procès une peine en particulier en échange d’un plaidoyer de culpabilité de la part de l’accusé — sont essentielles au bon fonctionnement du système de justice pénale et du système de justice en général. Habituellement, de telles ententes n’ont rien d’exceptionnel, et les juges du procès les acceptent d’emblée.

(…) Le critère de l’intérêt public est celui que les juges du procès devraient appliquer. Selon ce critère, un juge du procès ne devrait pas écarter une recommandation conjointe relative à la peine, à moins que la peine proposée soit susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou qu’elle soit par ailleurs contraire à l’intérêt public. La présentation de recommandations conjointes ne reste possible que si les parties sont très confiantes qu’elles seront acceptées. Le critère de l’intérêt public est plus rigoureux que les autres critères proposés et il reflète le mieux les nombreux avantages que les recommandations conjointes apportent au système de justice pénale ainsi que le besoin correspondant d’un degré de certitude élevé que ces recommandations seront acceptées.

Il y a lieu d’appliquer les procédures suivantes lorsque la recommandation conjointe est controversée et soulève des préoccupations pour le juge du procès. Premièrement, les juges du procès devraient aborder la recommandation conjointe telle qu’elle leur est présentée. Deuxièmement, le juge du procès doit appliquer le critère de l’intérêt public lorsqu’il envisage d’infliger une peine plus lourde ou plus clémente que celle recommandée conjointement, bien que les considérations qui sous-tendent l’intérêt public puissent être différentes selon le contexte. Troisièmement, le juge du procès peut s’informer des circonstances à l’origine de la recommandation conjointe, en particulier tous les avantages obtenus par le ministère public ou toutes les concessions faites par l’accusé. Quatrièmement, le juge du procès devrait faire part aux avocats de ses préoccupations et les inviter à y répondre, en leur indiquant notamment la possibilité de permettre à l’accusé de retirer son plaidoyer de culpabilité. Cinquièmement, si les préoccupations du juge du procès ne sont pas atténuées, le juge peut permettre à l’accusé de retirer son plaidoyer de culpabilité. Enfin, si le juge du procès n’est pas convaincu par les observations des avocats, il devrait énoncer des motifs clairs et convaincants à l’appui de sa décision d’écarter la recommandation conjointe.

Les avocats du ministère public et de la défense sont bien placés pour en arriver à une recommandation conjointe qui favorise tant les intérêts du public que ceux de l’accusé. Les juges du procès ne devraient pas rejeter trop facilement une recommandation conjointe; ils ne devraient le faire que lorsque des personnes renseignées et raisonnables estimeraient que la peine proposée fait échec au bon fonctionnement du système de justice. Un seuil moins élevé que celui-ci jetterait trop d’incertitude sur l’efficacité des ententes de règlement.

En l’espèce, le juge du procès a appliqué le critère de la justesse, un critère moins rigoureux que celui qu’il aurait dû appliquer et, ce faisant, il a commis une erreur de principe. En raison de l’erreur du juge du procès, il n’y a pas lieu de faire montre de déférence. En appliquant le critère juridique approprié — le critère de l’intérêt public, — la peine proposée par les parties ne justifiait pas, dans les circonstances, un rejet de la recommandation conjointe. En fait, elle s’approchait de la fourchette de peines indiquée par le juge du procès. De plus, A-C a renoncé à son droit à un procès et à tout argument relatif à la légitime défense qu’il aurait pu invoquer.

 [Soulignements ajoutés]

[133]     Cela étant établi, dans le présent dossier, est-ce le critère de l’intérêt public ou celui de la justesse qui doit guider les interventions du Conseil étant donné que l’intimée accepte d’être sanctionnée comme le suggère la partie plaignante?

[134]     Avec égards pour l’opinion divergente, le Conseil ne croit pas qu’il est assujetti aux exigences élevées de l’arrêt Anthony-Cook lorsqu’un syndic se prévaut des dispositions de l’article 149.1 C. prof., et ce, pour les motifs suivants :

·        La nature particulière de la procédure disciplinaire fondée sur l’article 149.1 C. prof.;

·        La suggestion commune des parties relative à la sanction ne survient pas en échange d’un plaidoyer de culpabilité;

·        En vertu de l’alinéa 3 de l’article 149.1 C. prof., le Conseil doit déterminer s’il juge à propos d’imposer à l’intimée une ou plusieurs des sanctions prévues à l’article 156 C. prof. L’assimilation de l’entente relative à la sanction intervenue entre les parties à une recommandation conjointe invaliderait la discrétion que le législateur lui accorde à cet égard;

·        Les éléments essentiels sur lesquels le Conseil est appelé à statuer en vertu de l’article 149.1 C. prof., à savoir le lien avec l’exercice de la profession et la nécessité d’imposer une sanction sont, en principe, instruits lors d’une seule et même audience, et ce, qu’ils fassent ou non l’objet d’un débat entre les parties;

·        Les intérêts et avantages en cause diffèrent selon que l’on procède à la détermination de la culpabilité du professionnel ou du lien entre son crime et l’exercice de sa profession.

[135]     Pour une meilleure compréhension, le Conseil entend traiter de chacun de ces points séparément.

La nature particulière de la plainte portée par la voie de l’article 149.1 C. prof.

[136]     De l’avis du Tribunal des professions dans Landry[26], le dépôt d’une plainte disciplinaire en vertu de l’article 149.1 C. prof. est particulier.

[137]     Il ne s’agit donc pas d’un processus disciplinaire normal.

[138]     D’une part, ce véhicule procédural est offert au syndic seulement et non à toute autre personne au sens de l’alinéa 2 de l’article 128 C. prof.

[139]     D’autre part, cela permet au syndic de saisir le conseil de discipline d’une décision d’un tribunal canadien déclarant le professionnel coupable d’une infraction criminelle sans qu’il soit requis de décider si ce dernier est coupable ou non d’une contravention à l’une ou l’autre des dispositions encadrant l’exercice de sa discipline.

[140]     En conséquence, dans ce cas, les articles 128 alinéa 2 et 150 C. prof. sont inapplicables.

[141]     Également, l’institution d’un recours en vertu de l’article 149.1 C. prof. allège le processus disciplinaire puisque la production de la copie certifiée de la décision émanant d’une instance criminelle fait preuve, devant le conseil de discipline, de la perpétration de l’infraction et, le cas échéant, des faits qui y sont rapportés.

[142]     L’extrait suivant de la décision Landry[27] explique la finalité d’une telle procédure et la valeur juridique à accorder aux faits relatés dans la décision rendue en matière criminelle :

[120]     Il s’agit simplement d’un procédé choisi par le législateur pour éviter de refaire un procès qui a déjà eu lieu. Dans cette perspective, le rôle du Comité consiste seulement à déterminer s’il existe un lien entre l’infraction commise et l’exercice de la profession. Telle est la portée réelle de l’article 149.1 du Code.

[…]

[296]     À la lumière de ce qui précède, le Comité a donc raison d’appliquer aux faits relatés dans les différents jugements une valeur de présomption simple pouvant toutefois être réfutée par une preuve contraire.

[Transcription textuelle]

[143]     Le Conseil souligne que son rôle ne consiste pas à déterminer si la plaignante se décharge de son fardeau de preuve à l’égard de l’infraction déontologique prévue à l’article 59.2 C. prof. pour l’infraction criminelle commise par l’intimée.

[144]     Si la plaignante avait choisi cette avenue, conformément aux principes de l’arrêt Claveau c. Bouchard[28], la culpabilité criminelle de l’intimée constituerait un aveu extrajudiciaire devant une autre instance et serait laissée à l’appréciation du Conseil qui en évaluerait la force probante[29] au regard de l’ensemble de la preuve.

[145]     Ce constat met en évidence le caractère distinct du présent recours.

[146]     L’intimée devant répondre de son comportement devant le Conseil n’est pas une inculpée accusée d’une infraction criminelle ou pénale devant une cour de justice, comme le souligne le Tribunal des professions notamment dans l’affaire Oliviera[30].

[147]     Bien que cette affirmation du Tribunal des professions s’inscrive dans le contexte de la non-application en droit disciplinaire de la protection prévue à l’article 11(i) de la Charte canadienne des droits et libertés, il s’agit d’un exemple illustrant l’importance d’établir les distinctions appropriées en fonction des particularités de ces deux domaines du droit.

[148]     D’où d’ailleurs la nécessité de déterminer l’existence d’un lien avec l’exercice de la discipline en cause lorsque le professionnel est condamné au criminel. Sa culpabilité criminelle ne constitue pas systématiquement un fait mettant en péril la sécurité du public d’un point de vue professionnel.

[149]     Conformément à ce raisonnement, on ne peut importer intégralement les principes élaborés dans l’arrêt Anthony-Cook à une entente relative à la sanction conclue dans le contexte d’une plainte portée par le biais de l’article 149.1 C. prof.

[150]     Comme il s’agit de recours fondamentalement différents, toute tentative d’assimilation des caractéristiques de l’un à l’autre risque d’aboutir à une décision erronée de la sanction devant être imposée par le Conseil.

[151]     Compte tenu de l’absence d’indication claire du législateur ou des tribunaux quant à l’application du critère de l’intérêt public à toute entente relative à la sanction, et ce, indépendamment du contexte dans lequel elle survient et de la nature des éléments sur lesquels les parties s’entendent, la méthode d’intervention exigeante dictée par la Cour suprême du Canada doit être restreinte au cas spécifiquement visé ou à ceux dont les conditions essentielles sont réunies.

[152]     Concrètement, cela signifie que l’existence d’une recommandation conjointe au sens de l’arrêt Anthony-Cook n’est possible que si les éléments constitutifs ou caractéristiques indispensables sont présents, ce qui n’est pas le cas lorsque le syndic emploie la procédure particulière prévue à l’article 149.1 C. prof.

[153]     Il est normalement attendu du Conseil qu’il s’assure du caractère juste et raisonnable de la sanction disciplinaire en regard de la plainte particulière dont il est saisi et des principes de droit applicables. Toute exception à cette règle doit être expressément prévue ou être interprétée restrictivement, et ce, dans l’objectif principal d’assurer la protection du public conformément au système professionnel institué par le législateur.

[154]     À l’instar des recommandations conjointes relatives à la sanction, le mécanisme du dépôt d’une plainte disciplinaire par voie de l’article 149 C. prof. est essentiel au bon fonctionnement du système de justice disciplinaire et en général.

[155]     Cet argument étant valable dans les deux cas, il ne peut justifier l’application des principes de l’arrêt Anthony-Cook aux ententes relatives à la sanction conclues dans le cadre du régime particulier prescrit par l’article 149.1 C. prof.

[156]     Avec respect, le critère de l’intérêt public ne constitue pas le critère juridique approprié en regard de la singularité du recours dont le Conseil est saisi.

[157]     L’application d’un critère aussi rigoureux dans ces circonstances est non indiquée.

[158]     Les considérations qui sous-tendent l’intérêt public pouvant être différentes selon le contexte, ici, comme il ne s’agit pas d’une véritable recommandation conjointe, le critère de la justesse est à privilégier.

[159]     Cela permet au Conseil de s’assurer que la mesure proposée par les parties est dans les circonstances juste et raisonnable, et qu’elle protège adéquatement le public sans par ailleurs punir à nouveau le professionnel condamné à une peine criminelle.

[160]     La nature délictuelle de l’infraction à l’origine du recours disciplinaire aux termes de l’article 149.1 C. prof. milite aussi en faveur d’une telle conclusion, vu l’apparence de gravité qui s’en infère du fait qu’un délit est commis par une personne membre d’un ordre professionnel.

[161]     Toutefois, le Conseil fait siens les propos du Tribunal des professions dans l’affaire Nareau[31], selon lesquels, bien qu’il n’est pas lié par l’avis de la plaignante, l’importance cruciale du rôle de celle-ci au plan institutionnel, de même que la responsabilité qui lui est spécifiquement conférée par l’article 149.1 C. prof., devrait amener le conseil de discipline à y apporter une attention respectueuse.

[162]     L’appréciation de la sanction proposée au moyen du critère de la justesse ne prive aucunement le Conseil d’être attentif à l’opinion de la plaignante.

[163]     Comme l’exprime la Cour suprême du Canada dans Pharmascience[32], le syndic et le conseil de discipline sont deux instances jouant des rôles différents, mais complémentaires.

[164]     Dans ce contexte, il appartient à la partie poursuivante de convaincre le Conseil que sa proposition est juste et raisonnable dans les circonstances.

La suggestion commune des parties relative à la sanction ne survient pas en échange d’un plaidoyer de culpabilité

[165]     L’arrêt Blondeau[33], de la Cour d’appel du Québec, met en lumière l’importance qu’occupent le plaidoyer de culpabilité et les concessions faites par les deux parties dans la conclusion d’une recommandation conjointe au sens d’Anthony-Cook :

[54]       En l’espèce, la suggestion commune sur la peine est faite après la déclaration de culpabilité de l’appelant par un jury.

[55]       Le juge chargé d’imposer une peine n’a pas à faire preuve de la même réserve face à une telle suggestion, par opposition à une suggestion portant sur le règlement complet du dossier incluant un plaidoyer de culpabilité.

[56]       Sur une suggestion commune incluant un plaidoyer de culpabilité, les parties ont eu l’opportunité d’évaluer les forces et les faiblesses de leurs dossiers respectifs. Elles conviennent d’un règlement qu’elles jugent équitable et conforme à l’intérêt public. Le juge n’est pas au fait de l’ensemble des considérations stratégiques ayant pu justifier l’entente entre les parties. C’est pourquoi les juges ne devraient pas rejeter aisément de telles suggestions communes.

[57]       Par contraste, dans le cas d’une suggestion commune faite après verdict, comme en l’espèce, le juge a entendu l’ensemble de la preuve. Il est à même d’apprécier toutes les considérations pertinentes à la détermination de la peine.

[Références omises]

[166]     Des décisions[34] en matière criminelle ou disciplinaire rendues récemment par d’autres Tribunaux sont au même effet, c’est-à-dire que les juges s’écartent de l’arrêt Anthony-Cook, lorsque la recommandation conjointe est formulée après le procès ou l’instance sur la culpabilité.

[167]     Le Tribunal des professions dans l’affaire Bélanger[35] affirme que le rôle du Conseil saisi d’une plainte par voie de l’article 149.1 C. prof. n’est pas de décider s’il y a une faute déontologique, mais d’analyser si, à la lumière de la preuve faite, il est opportun d’imposer une sanction.

[168]     Or, comme le précise le Tribunal des professions dans Nareau[36], bien que le Conseil a devant lui un membre de l’Ordre reconnaissant d’emblée l’existence d’un lien entre les infractions criminelles qu’il a commises et l’exercice de sa profession, il n’est pas lié par cette prise de position, erronément qualifiée de plaidoyer de culpabilité. Il lui appartient de tirer ses propres conclusions.

[169]     Il s’agit d’une distinction fondamentale par rapport à une recommandation conjointe négociée en vue de l’obtention d’un plaidoyer de culpabilité.

[170]     Dans ce dernier cas, dès lors que le plaidoyer de culpabilité du professionnel est libre et éclairé, le conseil de discipline doit le recevoir sans s’interroger sur la démarche intellectuelle établissant la commission de l’infraction. Du fait que l’infraction est admise, il n’a pas à vérifier si les éléments constitutifs de l’infraction sont bel et bien réunis. Son intervention est donc très restreinte par rapport à l’obligation qui lui incombe d’exposer son raisonnement établissant le lien avec l’exercice d’une profession et celui justifiant de sanctionner le professionnel.

[171]     De plus, en vertu du régime particulier prescrit à l’article 149.1 C. prof., en aucun temps le professionnel ne renonce à son droit à une défense pleine et entière et à tout argument relatif à la légitime défense qu’il aurait pu invoquer à l’égard de sa culpabilité disciplinaire puisque cette question est étrangère à la nature du recours dont le Conseil est saisi.

[172]     En conséquence, la démarche imposée d’offrir au professionnel la possibilité de retirer son plaidoyer de culpabilité, comme l’exige la Cour suprême du Canada dans Anthony-Cook, est inapplicable à une entente sur la sanction émanant du régime particulier prévu à l’article 149.1 C. prof.

[173]     Bien que l’existence d’un lien entre l’infraction criminelle et l’exercice de la profession ne mène pas automatiquement à l’imposition d’une sanction, si le professionnel et le syndic de l’Ordre soumettent à l’appréciation du Conseil une sanction commune, on doit reconnaître que celle-ci s’inscrit dans un contexte en marge du processus disciplinaire classique.

[174]     Le Conseil se prêterait donc à un exercice erroné en concluant que la sanction proposée conjointement est contraire à l’intérêt public alors que la détermination de la culpabilité du professionnel ne constitue pas un aspect à trancher en vertu de l’article 149.1 C. prof.

[175]     Tous les arguments exposés précédemment démontrent l’erreur d’assimilation de la recommandation conjointe issue des négociations en vue de l’obtention d’un plaidoyer de culpabilité avec celle formulée dans le cadre d’un recours intenté en vertu de l’article 149.1 C. prof.

Conformément à l’alinéa 3 de l’article 149.1 C. prof., la nécessité de sanctionner le professionnel déclaré coupable d’une infraction criminelle constitue une prérogative du conseil de discipline

[176]     Comparer la sanction suggérée par les parties à une recommandation conjointe invaliderait le privilège accordé au Conseil relativement aux aspects à décider en vertu de l’article 149.1 C. prof. alors que selon le Tribunal des professions, il lui incombe de tirer ses propres conclusions à cet égard[37].

[177]     Concernant la pertinence d’imposer une sanction, l’alinéa 3 de l’article 149.1 C prof. prévoit ce qui suit :

[…] Une copie dûment certifiée de la décision judiciaire fait preuve devant le conseil de discipline de la perpétration de l’infraction et, le cas échéant, des faits qui y sont rapportés. Le conseil de discipline prononce alors contre le professionnel, s’il le juge à propos, une ou plusieurs des sanctions prévues à l’article 156.

[Soulignements ajoutés]

[178]     Sous l’éclairage de cette disposition, il ne fait aucun doute que la décision de sanctionner le professionnel appartient au conseil de discipline.

[179]     Il s’agit de la volonté du législateur, et les parties ne peuvent y déroger en négociant entre elles des ententes relatives à la sanction.

[180]     Si le Conseil accepte de se soumettre au critère de l’intérêt public, comme le sollicitent les parties, il leur délègue la compétence que lui octroie spécifiquement le législateur à cet égard.

[181]     Dans ce contexte, le critère de l’intérêt public applicable à la recommandation conjointe est inapproprié pour l’appréciation d’une entente relative à la sanction découlant d’une plainte portée en vertu de l’article 149.1 C. prof.

[182]     Considérant la volonté du législateur, l’interprétation que font les parties du critère juridique applicable dans les circonstances va à l’encontre de la loi.

[183]     Le Conseil ne peut donc y souscrire.

Les éléments, sur lesquels le Conseil est appelé à statuer en vertu de l’article 149.1 C. prof., sont en principe instruits lors d’une seule et même audience

[184]     La lecture des dispositions du Code des professions établit l’intention du législateur de traiter la question de la culpabilité du professionnel préalablement à celle de la sanction.

[185]     L’article 150 C. prof. est particulièrement éloquent à cet égard. Il édicte ce qui suit :

150.      Après déclaration de culpabilité, les parties peuvent se faire entendre au sujet de la sanction.

Si l’une des parties est absente lorsque le conseil déclare l’intimé coupable, le secrétaire lui signifie un avis de cette déclaration conformément au Code de procédure civile (chapitre C 25.01).

Le conseil impose la sanction dans les 60 jours qui suivent la déclaration de culpabilité.

[186]     Le fait d’exiger la détermination de la culpabilité avant de passer à l’étape de la sanction assure notamment l’équité du processus si le professionnel est absent lorsque le conseil de discipline le déclare coupable et son efficacité, s’il est acquitté de toutes les infractions qui lui sont reprochées.

[187]     Par ailleurs, lorsque le professionnel admet sa culpabilité, le conseil de discipline est autorisé à entendre les parties au sujet de la sanction immédiatement après avoir prononcé contre lui une déclaration de culpabilité.

[188]     Ce dernier cas de figure donne normalement lieu à une seule audience.

[189]     Toutefois, contrairement à l’instruction d’une plainte portée par la voie de l’article 149.1 C. prof., l’article 150 C. prof. suppose l’enregistrement d’un plaidoyer de culpabilité.

[190]     Or, tel que rédigé, l’article 149.1 C. prof. permet au conseil de discipline d’entendre les parties à la fois sur le lien entre le crime perpétré par le professionnel et l’exercice de sa profession, et sur la nécessité de le sanctionner. Il est autorisé à procéder ainsi que ces sujets fassent ou non l’objet d’un débat.

[191]     Il y a absence d’exigence légale préalable pour l’instruction des éléments sur lesquels le Conseil doit se prononcer dans le cadre d’une telle plainte.

[192]     Cela diminue significativement les bénéfices apportés au système disciplinaire lorsqu’une entente relative à la sanction intervient entre les parties visées par une plainte déposée en vertu de l’article 149.1 C. prof.

[193]     Concernant les avantages apportés au système de justice, compte tenu de l’incidence de cet aspect sur la décision que le Conseil doit prendre au sujet du critère juridique applicable, il y a lieu de s’y attarder plus attentivement.

[194]     Cette question sera abordée sous l’angle comparatif des conséquences juridiques découlant d’un plaidoyer de culpabilité et d’une sanction négociée dans le cadre d’un recours institué en vertu de l’article 149.1 C. prof.

Les intérêts et avantages diffèrent selon que l’on procède à la détermination de la culpabilité du professionnel ou du lien de son crime avec l’exercice de sa profession et de la nécessité d’imposer une sanction

[195]     Le fait de décharger le syndic de son fardeau d’établir la culpabilité du professionnel lorsque l’infraction criminelle perpétrée a un lien avec l’exercice de la profession est souhaitable dans la réalisation de l’objectif principal du droit disciplinaire qu’est la protection du public.

[196]     Il s’agit d’une procédure favorisant la sécurité du public puisque, par le fait même, le professionnel est susceptible d’être sanctionné plus rapidement si l’imposition d’une telle mesure est jugée nécessaire.

[197]     Plus largement, la possibilité d’utiliser une telle procédure démontre le souci du législateur d’assurer la saine administration de la justice lorsque des instances distinctes (criminelle et disciplinaire) sont fondées sur les mêmes faits et concernent la même personne.

[198]     Une reconnaissance par le professionnel qu’il est opportun de le sanctionner en raison de sa condamnation criminelle peut faciliter le débat devant le Conseil.

[199]     Cependant, on doit reconnaître que les intérêts et avantages en cause diffèrent substantiellement selon que la plainte est portée au moyen de l’article 149.1 C. prof. ou de l’article 116 C. prof.

[200]     Avec égards, les bénéfices tirés des ententes négociées dans le cadre d’un recours disciplinaire fondé sur l’article 149.1 C. prof., tant au niveau disciplinaire que sur la capacité du système de justice de fonctionner équitablement et efficacement, ne peuvent être comparés à ceux découlant d’une entente relative à la sanction à la suite d’un plaidoyer de culpabilité.

[201]     Dans le premier cas, les économies réelles de l’utilisation des ressources du système de justice sont minimes principalement en raison du mécanisme particulier prévu par le législateur à l’article 149.1 C. prof.

[202]     En conséquence, cet argument ne peut justifier l’application d’un critère d’intervention aussi rigoureux que celui de l’intérêt public.

[203]     Dans ce contexte, les concessions que font les parties pour arriver à l’entente négociée au sujet de la sanction réduisent significativement l’intérêt que doit porter le conseil de discipline à cette question. Cela est encore plus vrai lorsque l’établissement du lien avec l’exercice de la profession est évident, comme en l’espèce.

[204]     Dans le présent dossier, si tant est que l’entente des parties soit le fruit de compromis mutuels, il y a absence totale de preuve à cet égard. Il en est de même pour les avantages que l’issue de ces négociations comporte pour chacune d’entre elles.

[205]     À l’audition, les parties réfèrent à la décision Côté[38] émanant du conseil de discipline du Barreau du Québec pour justifier l’application du critère de l’intérêt public.

[206]     Pour les fins de la présente section, voici le raisonnement élaboré par le conseil de discipline dans cette affaire :

[73]       Le Conseil est d’avis que les principes énoncés par la Cour suprême dans l’arrêt Anthony-Cook s’appliquent mutandis mutandis au cas présent, et ce, pour les motifs suivants.

[74]       Le raisonnement de la Cour suprême afin de justifier un seuil aussi rigoureux que celui de l’intérêt public est basé sur les nombreux avantages que les recommandations conjointes offrent aux participants dans le système de justice pénale, de même que sur l’importance du rôle que jouent les recommandations conjointes dans la saine administration de la justice.

[75]       La Cour suprême réfère aux avantages pour l’accusé, le ministère public, les victimes, ainsi que pour l’administration de la justice en général.

[76]       Au sujet de l’avantage pour l’administration de la justice la Cour suprême écrit que : « les plaidoyers de culpabilité font économiser au système de justice des ressources et un temps précieux qui peuvent être alloués à d’autres affaires. Il ne s’agit pas là d’un léger avantage ».

[77]       Comme mentionné précédemment, la première étape en vertu de l’article 149.1 du Code des professions, consiste à déterminer si un lien existe entre l’infraction criminelle et la profession.

[78]       Bien qu’il ne s’agisse pas d’un plaidoyer de culpabilité, l’intimé a admis le lien entre l’infraction criminelle et l’exercice de la profession, évitant ainsi la tenue d’une audience sur cette première question. Cette admission n’est donc pas sans bénéfices pour le système judiciaire, ni pour le plaignant.

[79]       De plus, l’existence d’un lien entre l’infraction criminelle et l’exercice de la profession ne mène pas automatiquement à l’imposition d’une sanction. Il s’agit de la deuxième étape à suivre dans le cadre de l’article 149.1 du Code des professions.

[80]       Or, l’intimé reconnait qu’une sanction devrait lui être imposée dans le cadre du présent dossier et les parties, représentées par avocats, ont négocié une recommandation conjointe à cet égard.

[81]       Les parties se présentent devant le Conseil avec un règlement sur tous les aspects de l’article 149.1 du Code des professions. Il s’agit d’un règlement complet au sens de l’arrêt Blondeau de la Cour d’appel du Québec.

[82]       Le Tribunal des professions dans l’affaire Fillion[35] a récemment infirmé la décision d’un conseil de discipline qui refusait de suivre la recommandation conjointe formulée par les parties à l’égard d’une plainte en vertu de l’article 149.1 du Code des professions. Dans sa décision, rendue oralement, le Tribunal « prend acte de la recommandation commune » en notant, entre autres, que celle-ci ne « déconsidère pas l’administration de la justice et n’est pas contraire à l’intérêt public ».

[83]       Dans les circonstances, le Conseil appliquera les principes énoncés par la Cour suprême dans l’arrêt Anthony-Cook à la recommandation conjointe sur sanction des parties.

[Références omises]

[207]     En passant en revue la jurisprudence, il appert que les conseils de discipline de divers ordres professionnels placés dans une situation similaire à celle de l’affaire Côté décident de s’y conformer sans en questionner les fondements[39] ou appliquent les principes de l’arrêt Anthony-Cook sans égards au fait que le recours disciplinaire se fonde sur l’article 149.1 C. prof.[40] et non sur l’article 116 C. prof.

[208]     Dans le cas de l’affaire Kazzaz[41], il y a absence d’indication quant au critère juridique ayant guidé le conseil de discipline de l’Ordre des ingénieurs pour décider de condamner le professionnel au paiement d’une amende de 4 000 $.

[209]     Concernant l’affaire Pichet[42], le conseil de discipline du Barreau du Québec se préoccupe à savoir si les principes énoncés dans l’arrêt Anthony-Cook s’appliquent à une plainte portée en vertu de l’article 149.1 C. prof.

[210]     Cependant, il décide qu’il n’a pas à examiner plus amplement cette question, vu la conclusion à laquelle il en arrive à l’égard de la sanction.

[211]     Il est par ailleurs intéressant de constater que l’arrêt Blondeau[43], de la Cour d’appel du Québec, est également cité dans la décision Pichet  pour souligner le fait qu’un juge de première instance n’est pas lié par une suggestion commune sur la peine faite après la déclaration de culpabilité d’un accusé par un jury, par opposition à une suggestion portant sur le règlement complet du dossier.

[212]     Il s’infère de la décision Pichet que le conseil de discipline du Barreau du Québec a des réserves quant à l’application des principes de l’arrêt Anthony-Cook à une sanction proposée par les parties visées par une plainte fondée sur l’article 149.1 C. prof.

[213]     Poursuivons l’examen de la décision Côté.

[214]     À l’appui de sa position, le conseil de discipline du Barreau du Québec, dans Côté, réfère à un jugement récent du Tribunal des professions rendu séance tenante.

[215]     Il s’agit de l’affaire Fillion[44]. Comme l’indique le procès-verbal faisant état du jugement, le Tribunal des professions infirme la décision d’un conseil de discipline ayant refusé de suivre la recommandation commune relative à la sanction formulée par les parties dans le contexte d’une plainte déposée en vertu de l’article 149.1 C. prof.

[216]     D’abord, il est opportun de souligner que ce conseil de discipline impose au professionnel une radiation de 6 ans plutôt que d’adhérer à la position des parties suggérant qu’il en purge une de 15 jours. De plus, il ressort de la décision rendue en première instance, que pour étayer leur position, les parties faisaient, entre autres, valoir l’interdiction de pratiquer comme avocat de près de 4 ans imposée au professionnel dans le cadre de la peine criminelle.

[217]     Dans le but de poursuivre l’analyse de la décision Fillion, voici les conclusions du jugement prononcé séance tenante par le Tribunal des professions :

Considérant qu’eu égard aux infractions reprochées les parties recommandent de façon commune quatre (4) mois de radiation;

Considérant que cette recommandation n’est pas déraisonnable, inadéquate, contraire à l’intérêt public ou susceptible de déconsidérer l’administration de la justice pour les diverses raisons énoncées séance tenante; […]

[Transcription textuelle]

[218]     Avec égards pour l’opinion exprimée dans Côté[45], comme le souligne récemment le Tribunal des professions dans Mwilambwe[46] en référant à l’arrêt Anthony-Cook, le critère de la justesse et celui de la sanction non indiquée appliqué en appel sont conçus pour des contextes différents.

[219]     Dans l’arrêt Michalakopoulos[47], la Cour d’appel du Québec énonce ceci :

[12]       Il est connu que, à cet égard, en matière criminelle, une cour d’appel doit faire preuve de déférence à l’égard de la discrétion exercée par le juge de première instance dans le cadre du processus de détermination de la peine et ne peut modifier une peine uniquement parce qu’il aurait rendu un jugement différent. Son intervention ne se justifie qu’en présence d’une erreur de principe, une omission de prendre en considération un facteur pertinent ou une trop grande instance sur les facteurs appropriés, ou encore que si la peine est manifestement non indiquée. Or, cette norme d’intervention, bien qu’énoncée en matière criminelle, est, de fait, appliquée en droit disciplinaire. Ainsi, la norme de révision propre aux appels en matière de sanction se trouve à coïncider essentiellement avec la norme de la raisonnabilité propre à la révision judiciaire en pareil cas. […]

[Soulignements ajoutés]

[220]     Dans Bion[48], le Tribunal des professions apporte la précision suivante :

[8]         Le Tribunal partage l’opinion des parties et ajoute qu’il ne pourra intervenir « qu’en présence d’une erreur de principe, une omission de prendre en considération un facteur pertinent ou une trop grande instance (sic) sur les facteurs appropriés, ou encore que si la peine est manifestement non indiquée ». Une sanction sera manifestement non indiquée si elle est si sévère ou si clémente qu’elle est injuste ou inadéquate eu égard à la gravité de l’infraction et l’ensemble des circonstances du dossier.

[Références omises]

[Soulignements ajoutés]

[221]     À la lumière des deux décisions citées précédemment et, comme en matière d’appel l’intervention du Tribunal des professions se justifie par la présence d’une erreur de droit, de principe ou dans l’appréciation des faits, ayant une incidence sur la sanction[49], il est légitime de s’interroger sur la nature de l’erreur identifiée dans Fillion.

[222]     Plus spécifiquement, dans Czornoba[50], la Cour d’appel du Québec, référant à l’arrêt Thibault[51], écrit ceci à propos de la norme d’intervention en matière d’appel :

[68]       Notre Cour qualifie cette norme d’intervention de « particulièrement exigeante » et la résume ainsi : 

Les tribunaux d’appel doivent faire preuve d’une grande déférence envers les conclusions des juges de première instance en matière de peine. Traditionnellement, leurs interventions se limitent à quatre cas : (1) une erreur de principe; (2) l’omission de prendre en considération un facteur pertinent ou l’insistance trop grande sur les facteurs appropriés; (3) une erreur manifeste dans l’appréciation de la preuve; et (4) la peine se situe en dehors des limites acceptables et est nettement déraisonnable.

[Références omises]

[223]     Ainsi, dans Fillion, selon le Tribunal des professions, le conseil de discipline commet-il une erreur de droit dans l’application des principes énoncés dans l’arrêt Anthony-Cook ou dans l’appréciation des circonstances de l’infraction criminelle et de la situation particulière du professionnel?

[224]     Le procès-verbal du jugement Fillion étant silencieux à cet égard, il ne fournit pas d’indices suffisants pour tirer une conclusion sur la marche à suivre dans le contexte singulier d’un recours disciplinaire fondé sur l’article 149.1 C. prof.

[225]     Le Conseil est d’avis que ce jugement vise une situation d’appel mettant en cause un contexte et des paramètres juridiques différents de ceux applicables en l’espèce.

[226]     Vu son caractère succinct, le Conseil diverge d’opinion sur la portée à lui accorder concernant l’approche à privilégier pour une sanction proposée par les parties visées par une plainte fondée sur l’article 149.1 C. prof.

[227]     Avec respect, il est risqué d’y voir une confirmation du critère d’intervention applicable en première instance. Dans les faits, on ne peut considérer que cette question a réellement été soumise à une instance supérieure.

Conclusion relative au critère juridique applicable dans les circonstances

[228]     Bien que le Conseil reconnaisse l’importance des règlements en matière de sanction disciplinaire, la réserve dont il est invité à faire preuve face à une recommandation conjointe relative à la sanction survenant en échange d’un plaidoyer de culpabilité ne peut se justifier dans le contexte d’une plainte portée en vertu de l’article 149.1 C. prof.

[229]     La démarche exigeante établie par l’arrêt Anthony-Cook est inapplicable sans une indication claire du législateur ou des instances supérieures qu’il y a lieu d’étendre sa portée aux ententes découlant de ce recours disciplinaire particulier.

[230]     Certes, dans les deux cas, l’absence de débat confère des avantages au système de justice.

[231]     Toutefois, les recours fondés sur les articles 116 et 149.1 C. prof. se distinguent substantiellement au niveau de l’ampleur des bénéfices tirés. Le Conseil ayant l’obligation de statuer sur la nécessité de sanctionner le professionnel, comme le prévoit l’alinéa 3 de l’article 149.1 C. prof., la discrétion qui lui est dévolue à cet égard est inconciliable avec le critère de l’intérêt public applicable à la recommandation conjointe.

[232]     La nature particulière d’une plainte portée par la voie de l’article 149.1 C. prof. et de celle dont le conseil de discipline est saisi en vertu de l’article 116 C. prof. rend périlleuse toute tentative d’assimilation d’une entente relative à la sanction découlant de ces deux types de recours puisqu’il s’agit de procédures applicables à des situations bien différentes.

[233]     Il existe donc un risque considérable d’erreur que la méthode établie pour l’appréciation d’une recommandation conjointe relative à la sanction d’une plainte portée en vertu de l’article 116 C. prof. soit utilisée pour l’appréciation d’une sanction suggérée par les parties dans le cadre d’une plainte fondée sur l’article 149. 1 C. prof.

[234]     Une telle plainte ne constitue pas la procédure classique pour saisir un conseil de discipline de la conduite d’un professionnel.

[235]     Comme expliqué précédemment, le Conseil procédant à l’instruction d’une plainte fondée sur l’article 149.1 C. prof. n’est soumis à aucune exigence préalable, comme c’est le cas en matière de culpabilité où il doit décider de cette question avant de passer à l’étape de la sanction.

[236]     De plus, faut-il le rappeler, seul le syndic de l’Ordre peut instituer un tel recours contrairement au processus disciplinaire habituel et, même en présence d’une entente négociée entre les parties, le Conseil est tenu de tirer ses propres conclusions à l’égard du lien et de la sanction mentionnés à l’article 149.1 C. prof.

[237]     Dans ces circonstances, avec respect, on ne peut considérer qu’il s’agit d’un règlement complet au sens de l’arrêt Blondeau[52] de la Cour d’appel du Québec.

[238]     Lorsqu’elles surviennent en échange d’un plaidoyer de culpabilité, les recommandations conjointes relatives à la sanction apportent de nombreux avantages au système de justice pénale ou disciplinaire d’où la nécessité de suivre la méthodologie contraignante élaborée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Anthony-Cook.

[239]     La réserve dont le décideur doit faire preuve en cette matière s’explique par les compromis que font les parties et le besoin correspondant d’un degré de certitude élevé que leurs recommandations seront acceptées en échange d’un plaidoyer de culpabilité.

[240]     À l’instar des recommandations conjointes, le régime particulier prévu à l’article 149.1 C. prof. permet au système de justice de fonctionner équitablement et efficacement dans le contexte d’une condamnation criminelle visant un professionnel.

[241]     Par ailleurs, les ententes intervenant dans le cadre d’une plainte portée en vertu de l’article 149.1 C. prof. ne requièrent pas de jouir d’une telle garantie vu la prérogative du Conseil en cette matière, l’absence d’échange d’un plaidoyer de culpabilité et le peu de concessions mutuelles possibles lorsque le lien entre l’infraction criminelle et l’exercice de la profession est évident, comme en l’espèce.

[242]     N’eût été ces distinctions fondamentales, une intention différente formulée par le législateur ou une décision émanant d’une instance supérieure tranchant définitivement la question, il aurait été approprié d’appliquer les principes de l’arrêt Anthony-Cook.

[243]     Avec respect pour l’opinion contraire, le critère de l’intérêt public appliqué aux recommandations conjointes est non indiqué pour le régime particulier que constitue celui fondé sur l’article 149.1 C. prof.

[244]     Au regard de tout ce qui précède, le Conseil juge que le critère de la justesse s’applique en l’espèce. Ce critère, moins rigoureux, permet de procéder à une analyse de la preuve pour déterminer si la sanction proposée par les parties est juste et raisonnable dans les circonstances.

[245]     Considérant la conclusion à laquelle le Conseil en vient, il n’y a pas lieu de répondre à la quatrième question soulevée par le présent recours puisqu’elle devient, de ce fait, sans objet.

[246]     Nous procéderons donc à l’analyse de la dernière question qui consiste à déterminer si la radiation de trois mois proposée par les parties répond au critère de la justesse.

La radiation de trois mois suggérée par les parties constitue-t-elle une sanction juste et raisonnable dans les circonstances?

[247]     L’arrêt Pigeon c. Daigneault[53], de la Cour d’appel du Québec, énonce les critères d’imposition de la sanction disciplinaire. En voici les extraits pertinents :

[37]       La sanction imposée par le Comité de discipline doit coller aux faits du dossier. Chaque cas est un cas d’espèce.

[38]       La sanction disciplinaire doit permettre d’atteindre les objectifs suivants : au premier chef la protection du public, puis la dissuasion du professionnel de récidiver, l’exemplarité à l’égard des autres membres de la profession qui pourraient être tentés de poser des gestes semblables et enfin, le droit par le professionnel visé d’exercer sa profession (Latulippe c. Léveillé (Ordre professionnel des médecins), 1998 QCTP 1687 (CanLII), [1998] D.D.O.P. 311; Dr J. C. Paquette c. Comité de discipline de la Corporation professionnelle des médecins du Québec et al, 1995 CanLII 5215 (QC CA), [1995] R.D.J. 301 (C.A.); et R. c. Burns, 1994 CanLII 127 (CSC), [1994] 1 R.C.S. 656).

[39]       Le Comité de discipline impose la sanction après avoir pris en compte tous les facteurs, objectifs et subjectifs, propres au dossier.   Parmi les facteurs objectifs, il faut voir si le public est affecté par les gestes posés par le professionnel, si l’infraction retenue contre le professionnel a un lien avec l’exercice de la profession, si le geste posé constitue un acte isolé ou un geste répétitif, …   Parmi les facteurs subjectifs, il faut tenir compte de l’expérience, du passé disciplinaire et de l’âge du professionnel, de même que sa volonté de corriger son comportement.   La délicate tâche du Comité de discipline consiste donc à décider d’une sanction qui tienne compte à la fois des principes applicables en matière de droit disciplinaire et de toutes les circonstances, aggravantes et atténuantes, de l’affaire.

[Transcription textuelle]

[248]     Dans l’affaire Chevalier[54], le Tribunal des professions ajoute ce qui suit concernant la priorité à accorder aux critères exposés dans l’arrêt Pigeon c. Daigneault :

[18]       Le Tribunal note que le juge Chamberland a parlé « au premier chef » de la protection du public, puis la dissuasion du professionnel de récidiver, puis l’exemplarité à l’égard des autres membres de la profession et enfin le droit par le professionnel visé d’exercer sa profession. Ainsi, ce droit du professionnel ne vient qu’en quatrième lieu, après trois priorités.

[Transcription textuelle]

[249]     Le Tribunal des professions dans l’affaire Chouinard[55] rappelle que l’imposition d’une sanction constitue le juste équilibre entre les différents objectifs énoncés par la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Pigeon c. Daigneault[56].

[250]     C’est dans la perspective des paramètres exposés précédemment que le Conseil appréciera la radiation de trois mois proposée par les parties.

L’application du droit aux faits particuliers du présent dossier

Les facteurs objectifs

[251]     Les motifs établissant la gravité objective d’un vol perpétré par une infirmière, dans le contexte où l’intimée le commet, ayant été étudiés de façon détaillée à la section confirmant le lien entre ce délit et l’exercice de la profession infirmière, il y a lieu de s’y référer sans qu’il soit requis de les répéter.

[252]     Cette précision étant apportée, selon le Tribunal des professions dans Lemire c. Médecins[57], même si la réalisation du risque n’est pas démontrée ou constatée, la gravité du comportement reproché au professionnel doit être envisagée en fonction des conséquences éventuelles, qu’elles se matérialisent ou non.

[253]     Dans le dossier à l’étude, il y a absence de preuve que l’infraction criminelle dont l’intimée est coupable entraîne des conséquences sur le plan professionnel, c’est-à-dire, sur l’exercice de sa profession.

[254]     Toutefois, comme l’exprime le Tribunal des professions dans Goldwater[58], référant à l’arrêt Salomon[59] de la Cour d’appel du Québec, la perception du public est une composante de sa protection.

[255]     Or, faut-il le rappeler, l’infraction criminelle de vol commise par une infirmière dans un contexte similaire à celui dans lequel se trouve l’intimée est certainement un fait susceptible d’ébranler la confiance du public.

[256]     En l’occurrence, sa conduite affecte non seulement sa crédibilité en tant que professionnelle, mais elle nuit aussi à celle de la profession en semant le doute dans l’esprit du public sur la moralité des membres de l’Ordre.

[257]     Le caractère répétitif ou isolé de l’infraction fait également partie des éléments objectifs à examiner en matière de sanction disciplinaire.

[258]     En l’espèce, l’infraction criminelle a lieu du 1er janvier 2011 au 18 décembre 2015 et l’intimée devient membre de l’Ordre le 14 mai 2014. Par conséquent, on ne peut considérer qu’il s’agit d’un acte isolé compte tenu du délai de plus d’un an et demi s’écoulant entre cette date et le 18 décembre 2015.

Importance des facteurs objectifs en matière de sanction disciplinaire

[259]     Dans l’arrêt Marston[60], la Cour d’appel du Québec souligne la nécessité de s’intéresser d’abord à l’infraction comme telle avant d’individualiser la sanction en tenant compte des particularités du professionnel.

[260]     À cet égard, la Cour d’appel du Québec réfère à un article de l’auteur, Me Pierre Bernard,[61] discutant de l’affaire Avocats (Corp. professionnelle des) c. Schneiberg où le comité de discipline s’exprime ainsi relativement à la pondération des différents facteurs à examiner pour la détermination d’une sanction :

Les facteurs subjectifs doivent être utilisés avec soin. On ne doit pas leur accorder une importance telle qu’ils prévalent sur la gravité objective de l’infraction puisqu’ils portent sur la personnalité de l’intimé alors que la gravité objective porte sur l’exercice de la profession.

[Transcription textuelle]

[261]     Cela signifie que les facteurs subjectifs ne constituent pas des éléments suffisants pour occulter la gravité objective de l’infraction criminelle commise par l’intimée, son impact sur l’intégrité et la dignité de sa discipline, sur le caractère dissuasif associé à une sanction disciplinaire et son effet sur la protection du public.

[262]     Par ailleurs, le Conseil doit respecter la finalité du droit disciplinaire qui n’est pas de punir le professionnel, mais de corriger un comportement répréhensible, favoriser sa réhabilitation et lui permettre d’exercer sa profession de façon sécuritaire pour le public[62].

[263]     Pour que la protection du public soit préservée, la sanction doit non seulement être proportionnelle à la gravité de l’infraction, mais elle doit au surplus être individualisée, c’est-à-dire adaptée aux circonstances particulières du professionnel.

[264]     Qu’en est-il dans le présent dossier?

Les facteurs subjectifs propres à l’intimée

[265]     À ce chapitre, les éléments suivants sont atténuants :

·        Le plaidoyer de culpabilité que l’intimée enregistre dans le cadre de la poursuite criminelle et la peine qu’elle négocie en échange de celui-ci;

·        Le 24 septembre 2019, lors du procès criminel, elle lit une lettre d’excuses et exprime des regrets sincères devant la Cour du Québec alors que deux des trois actionnaires de l’Entreprise sont présents dans la salle;

·        La peine d’emprisonnement de 12 mois à purger dans la communauté que l’intimée se voit imposer ainsi que l’ordonnance de dédommagement de rembourser 90 000 $ aux actionnaires de l’Entreprise sur une période maximale de 20 ans et conformément à certaines modalités de paiement;

·        L’intimée reconnaît le lien entre son crime et l’exercice de sa profession et la nécessité de lui imposer une sanction;

·        L’absence de condamnations disciplinaires antérieures la concernant;

·        Selon le ministère public, bien qu’ils y aient contribués, les vols perpétrés par l’intimée ne sont pas l’unique cause ayant contraint l’Entreprise à faire cession de ses biens;

·        L’intimée étant membre de l’Ordre depuis le 14 mai 2014, elle a peu d’expérience professionnelle lorsqu’elle continue de voler l’argent appartenant à l’Entreprise à partir de cette date et jusqu’au 18 décembre 2015.

[266]     À l’instruction, l’intimée fait valoir qu’elle est âgée de 23 à 27 ans lors de l’infraction criminelle en insistant sur sa jeunesse.

[267]     Or, on ne peut ignorer qu’à cet âge l’intimée est majeure depuis au moins cinq ans. Il est de connaissance d’office qu’au Québec, une personne devient adulte lorsqu’elle atteint l’âge de 18 ans. Elle est dès lors présumée être une personne majeure ayant la pleine jouissance des droits civils et la capacité de les exercer pleinement[63].

[268]     Aucune preuve n’est présentée à l’effet que son jugement est altéré par une immaturité quelconque en raison de son âge ou qu’elle n’a pas la capacité d’exercer pleinement ses droits civils au moment de commettre ses délits.

[269]     Également, les vols pour lesquels l’intimée est déclarée coupable se produisent entre le 11  janvier 2011 et le 18 décembre 2015 et démontrent qu’il a eu préméditation. Ils ne résultent donc pas d’actes impulsifs et non planifiés.

[270]     Les stratagèmes qu’elle utilise pour arriver à ses fins dénotent qu’elle est consciente des conséquences possibles puisqu’elle tente de dissimuler ses vols d’argent pour y échapper.

[271]     Enfin, contrairement à d’autres types d’infractions criminelles, l’appropriation de sommes d’argent constitue une conduite criminelle évidente pour la majorité des jeunes et surtout pour une personne âgée de 23 à 27 ans. Il y a absence de preuve que l’intimée était dans les faits en situation d’incapacité pour comprendre les conséquences juridiques de ses actes.

[272]     Eu égard à tout ce qui précède, le Conseil ne peut retenir l’âge de l’intimée à titre de circonstance atténuante.

[273]     Concernant le fait qu’elle divulgue à l’Ordre les accusations criminelles déposées contre elle, il s’agit d’une obligation conformément à l’article 59.3 C. prof. stipulant que tout professionnel doit, dans les 10 jours à compter de celui où il en est lui-même informé, aviser le secrétaire de l’ordre dont il est membre qu’il fait ou a fait l’objet d’une décision judiciaire ou disciplinaire visée à l’article 55.1 ou 55.2 C. prof. ou d’une poursuite pour une infraction punissable de cinq ans d’emprisonnement ou plus.

[274]     S’agissant d’une exigence légale, on ne peut considérer ce fait comme un élément atténuant.

[275]     Quant aux facteurs aggravants, citons :

·        L’intimée est l’amie du fils d’un des propriétaires de l’Entreprise et fréquente même la famille de celui-ci en dehors du travail;

·        Elle bénéficie de la pleine confiance de ses employeurs qui lui octroient rapidement le poste de caissière et abuse de leur confiance et de celle de son ami en s’appropriant l’argent de l’Entreprise;

·        Pendant toute la période de l’infraction criminelle, l’Entreprise se trouve dans une situation financière difficile l’obligeant à se placer sous la protection de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité;

·        L’intimée utilise trois stratagèmes pour commettre ses vols ce qui dénote une planification minutieuse puisque ses méthodes pour dissimuler ses crimes changent et se raffinent au fil du temps;

·        Lorsque les dirigeants de l’Entreprise la rencontrent pour lui faire part des conclusions de l’enquête menée par les vérificateurs comptables, elle nie être l’auteure des vols identifiés et finit par les admettre seulement une fois confrontée à la preuve recueillie;

·        Les vérificateurs comptables évaluent la somme des vols perpétrés par l’intimée à un montant beaucoup plus élevé que celui de 90 000 $ pour lequel elle plaide coupable;

·        Le nombre élevé de vols qu’elle commet. Il est établi qu’elle s’approprie l’argent des caisses presque chaque fois qu’elle exerce des fonctions au sein de l’Entreprise;

·        Les diverses demandes que l’intimée formule à l’Ordre avant de devenir membre en règle, à savoir le 12 octobre 2009[64], dès le début de ses études collégiales en soins infirmiers, pour obtenir un certificat d’immatriculation lui permettant d’effectuer un stage dans un milieu clinique et le 23 avril 2012[65]et pour lui fournir une attestation d’exercice à titre de CEPI afin qu’elle occupe un emploi à temps complet auprès de l’Hôpital Saint-François d’Assise. À toutes ces étapes, l’intimée est avisée de l’obligation qui lui incombe de déclarer à l’Ordre si elle a été déclarée coupable d’une infraction criminelle. Le Conseil partage l’opinion de la plaignante selon laquelle cela constitue des rappels pour l’intimée de l’importance de s’abstenir de se placer en situation de criminalité;

·        Bien que l’intimée soit membre de l’Ordre depuis le 14 mai 2014, chacune des démarches décrites au paragraphe précédent constitue une occasion de confrontation face à sa conduite criminelle. Or, en dépit de ces divers événements et de l’engagement grandissant de l’intimée envers la profession, en raison de l’avancement de ses études et du type de permis particulier sollicité à l’Ordre lui permettant d’exercer un nombre grandissant d’activités professionnelles, cela a été insuffisant pour la convaincre de cesser de dérober l’argent de l’Entreprise.

[276]     Le Tribunal des professions dans Chbeir[66] énonce que le risque de récidive est un facteur pertinent à la détermination d’une sanction disciplinaire adéquate. Il appartient au Conseil de l’apprécier en fonction de la preuve dont il est saisi.

[277]     Que nous révèle la preuve à cet égard?

[278]     D’abord, la plaignante affirme être préoccupée par la qualité de l’introspection réalisée par l’intimée.

[279]     Elle est cependant d’avis que l’ordonnance de dédommagement obligeant l’intimée à rembourser 90 000 $ sur une période maximale de 20 ans constitue une mesure de rappel à l’intimée du crime qu’elle a commis ce qui contribuera à réduire le risque de récidive.

[280]     De son côté, l’intimée répète à plusieurs reprises ne plus être la même personne depuis sa condamnation criminelle.

[281]     Elle indique avoir consulté deux travailleurs sociaux du Centre local de services communautaires (CLSC) de sa région pour un total de trois ou quatre rencontres individuelles sans en préciser la durée ni les acquis en résultant ou le traitement lui ayant été recommandé par ces professionnels, le cas échéant.

[282]     L’intimée admet n’avoir entrepris aucune autre démarche pour l’aider à identifier ses motivations à commettre l’infraction criminelle sur une aussi longue période en dépit des circonstances particulières lui ayant permis d’obtenir cet emploi et des difficultés financières de l’Entreprise.

[283]     Lors des observations sur la peine, il est mentionné qu’elle vole seulement pour avoir plus d’argent afin de gâter les gens qu’elle aime et donc, par cupidité, et non par besoin de consommer une substance illicite ou en raison d’un problème de jeu.

[284]     L’intimée réitère ces explications devant le Conseil en précisant qu’elle croyait à tort démontrer l’amour voué à ses proches en leur offrant des cadeaux.

[285]     Elle dit avoir tiré des leçons de sa condamnation criminelle et estime que le risque de récidive est nul.

[286]     Qu’en est-il?

[287]     D’une part, le Conseil souligne que le risque de récidive est un aspect qui n’a pas spécifiquement fait l’objet d’une évaluation dans le cadre de l’instance criminelle.

[288]     L’écoute de l’enregistrement du procès criminel[67] permet par ailleurs de noter que l’intimée est ébranlée lorsqu’elle formule des excuses aux actionnaires présents dans la salle. On ne peut donc faire fi de l’effet dissuasif que la poursuite criminelle aura sur elle.

[289]     La plaignante indique toutefois n’avoir obtenu aucune information additionnelle lui permettant d’apprécier le risque de récidive et, lors de l’intervention du Conseil pour vérifier ces dires, l’intimée ne fait allusion à l’existence d’aucun rapport présentenciel préparé par un agent de probation pour aider le juge à décider de la peine à lui imposer ou d’un compte rendu quelconque émis par l’agent de probation lui ayant été assigné par la suite.

[290]     Ainsi, en dehors des prises de conscience que l’intimée réalise par elle-même et des trois ou quatre rencontres qu’elle a eues avec les deux travailleurs sociaux de son CLSC, le Conseil retient qu’elle n’entreprend aucune autre démarche pour s’assurer qu’à l’avenir elle n’adoptera plus de comportements criminels semblables à ceux indiqués à la plainte.

[291]     En défense, l’intimée soulève les frais importants inhérents aux services d’un professionnel exerçant en pratique privée et les ressources limitées offertes par le réseau public de la santé.

[292]     Par ailleurs, interrogée par une des membres du Conseil pour savoir si son emploi actuel lui donne accès à un service d’aide aux employés et à un certain nombre de consultations gratuites, elle répond par l’affirmative en indiquant avoir appris de ses collègues qu’elle aurait droit à quatre rencontres sans frais.

[293]     Toutefois, elle avoue ne pas avoir tenté d’obtenir plus d’informations relativement à cette ressource ou à l’existence d’autres types d’aide offerte virtuellement après avoir soulevé les difficultés associées à l’accès réduit aux services en raison de l’état d’urgence sanitaire lié à la COVID-19.

[294]     Elle conclut en déclarant ne pas ressentir le besoin d’avoir recours à une aide professionnelle pour poursuivre son cheminement personnel.

[295]     L’intimée invoque que son agent de probation lui a parlé de l’Association des services de réhabilitation sociale du Québec « Mirage ». Elle dit avoir laissé un message dans la boîte vocale de cette Association, mais ne pas avoir fait de suivi par la suite.

[296]     Elle témoigne que depuis l’état d’urgence sanitaire lié à la COVID-19, son employeur l’a réaffectée au service d’Info-Santé 811 en raison de sa grossesse. Elle précise être enceinte d’environ 30 semaines, travailler à une fréquence de 3 jours par semaine et une fin de semaine sur 2, et prévoir s’arrêter d’ici quelques semaines pour débuter son congé de maternité.

[297]     Rappelons également qu’interrogée par le Conseil pour savoir si elle a avisé son employeur de sa condamnation criminelle, l’intimée répond par la négative. De plus, elle ajoute ne pas lui avoir révélé qu’une plainte disciplinaire a été portée contre elle en soulignant avoir l’intention de lui dénoncer l’existence de ces deux recours après la présente instance.

[298]     En définitive, tout le discours de l’intimée démontre qu’elle est peu motivée au changement et encline à récidiver.

[299]     Sous l’éclairage de l’ensemble des informations rapportées précédemment, le Conseil est d’opinion que le risque de récidive est présent.

[300]     Comme le rappelle le Tribunal des professions dans Terjanian[68], il est bien établi qu’en matière de sanction, un conseil de discipline peut prendre connaissance du dossier disciplinaire, incluant les condamnations antérieures, mais aussi de tout ce qui relève du comportement antérieur ou postérieur à l’infraction en cause.

[301]     L’absence de thérapie suivie par l’intimée et l’omission de divulgation de sa situation particulière à son employeur actuel constituent des faits préoccupants en matière disciplinaire.

[302]     L’intimée ayant abusé de la confiance des actionnaires de l’Entreprise et de celle d’un ami au moment de la commission de l’infraction criminelle, elle risque fortement d’engendrer une perception similaire chez son employeur en s’abstenant de lui révéler son passé criminel et l’existence du présent recours.

[303]     Considérant la nature du délit dont l’intimée est coupable, elle ne peut raisonnablement espérer un dénouement positif en lui dissimulant ces faits constituant son parcours professionnel.

[304]     Il aurait été souhaitable qu’elle fasse preuve de transparence à cet égard pour tenter de préserver le lien de confiance établi avec les gens qu’elle fréquente dans sa pratique et prouver à son employeur, par sa conduite actuelle, qu’elle a véritablement appris de sa condamnation criminelle.

[305]     En l’occurrence, la décision de l’intimée de ne pas dévoiler à son employeur les deux recours dont elle a fait l’objet sème le doute sur sa compréhension de l’importance de développer des rapports authentiques dans ses relations interpersonnelles.

[306]     Par son comportement, elle manifeste, une fois de plus, privilégier ses intérêts au détriment de ceux d’autres personnes : elle continue à pratiquer comme infirmière en privant son employeur de la possibilité d’évaluer s’il est opportun de prendre des moyens pour assurer la protection des usagers du réseau public de la santé ou d’autres décisions d’une façon éclairée, le cas échéant.

[307]     Ce constat témoigne de la nécessité qu’elle augmente sa conscience de l’autre et en ce sens, elle aurait avantage à envisager de suivre une thérapie.

[308]     Bien que le Conseil soit sensible au fait que l’intimée doit gagner sa vie notamment pour respecter l’ordonnance de remboursement imposée au criminel, il n’en demeure pas moins que l’exercice d’une profession constitue un privilège et non un droit[69].

[309]     L’intimée a donc le devoir d’agir avec dignité et d’éviter toute conduite susceptible de nuire à la bonne réputation de la profession et à l’intérêt public.

[310]     Or, son comportement actuel ne permet pas au Conseil d’affirmer que le risque de récidive est nul comme elle le suggère.

[311]     Tous les facteurs à considérer dans l’imposition d’une sanction ayant été exposés précédemment, examinons maintenant comment les professionnels placés dans une situation similaire à celle de l’intimée ont été sanctionnés dans le passé.

[312]     Dans l’arrêt Lacasse[70], la Cour suprême du Canada réitère que les fourchettes de peines et les catégories qui les composent doivent être vues comme des outils visant à favoriser l’harmonisation des sanctions et non pas comme des carcans. On peut y lire ceci :

[58]       Il se présentera toujours des situations qui requerront l’infliction d’une peine à l’extérieur d’une fourchette particulière, car si l’harmonisation des peines est en soi un objectif souhaitable, on ne peut faire abstraction du fait que chaque crime est commis dans des circonstances uniques, par un délinquant au profil unique. La détermination d’une peine juste et appropriée est une opération éminemment individualisée qui ne se limite pas à un calcul purement mathématique. Elle fait appel à une panoplie de facteurs dont les contours sont difficiles à cerner avec précision. C’est la raison pour laquelle il peut arriver qu’une peine qui déroge à première vue à une fourchette donnée, et qui pourrait même n’avoir jamais été infligée par le passé pour un crime semblable, ne soit pas pour autant manifestement non indiquée. Encore une fois, tout dépend de la gravité de l’infraction, du degré de responsabilité du délinquant et des circonstances particulières de chaque cas. Je rappelle les propos du juge LeBel à ce sujet :

Un juge peut donc prononcer une sanction qui déroge à la fourchette établie, pour autant qu’elle respecte les principes et objectifs de détermination de la peine. Une telle sanction n’est donc pas nécessairement inappropriée, mais elle doit tenir compte de toutes les circonstances liées à la perpétration de l’infraction et à la situation du délinquant, ainsi que des besoins de la collectivité au sein de laquelle l’infraction a été commise.

(Nasogaluak, par. 44)

[Soulignements ajoutés]

[313]     C’est sur la base de ces principes que les précédents jurisprudentiels soumis par les parties seront étudiés.

[314]     Ils constituent une ressource supplémentaire pour déterminer si la sanction que celles-ci proposent est conforme au critère de la justesse.

La jurisprudence

[315]     Les parties soumettent à l’appréciation du Conseil de nombreuses décisions portant sur des sanctions rendues en application de l’article 149.1 ou 59.1 C. prof. 

[316]     Soulignons d’entrée de jeu que les affaires Fortier[71], Nivyabandi[72] et Thibault[73] concernent des infirmières auxiliaires et non des membres de l’Ordre.

[317]     Voici comment le Tribunal des professions s’exprime dans Bion[74] au sujet du poids des décisions rendues concernant des membres d’autres ordres professionnels :

[41]       D’autre part, le Conseil était aussi justifié d’écarter les précédents issus du conseil de discipline du Collège des médecins du Québec même si le motif sur lequel il s’appuie pour le faire est erroné.

[42]       En effet, ce n’est pas en raison d’une lacune dans la preuve concernant les circonstances entourant les relations entre les médecins et leurs clientes que cette jurisprudence pouvait être écartée par le Conseil; c’est plutôt en raison du fait qu’elle émane d’un autre ordre professionnel. Sans minimiser l’importance du principe de la parité des sanctions imposées par les pairs, il est établi qu’une formation d’un conseil de discipline n’est pas liée par les précédents d’une autre formation du même ordre professionnel. Cela est encore plus vrai en ce qui a trait aux précédents émanant d’ordres distincts, chaque ordre étant indépendant et chaque conseil de discipline étant composé de pairs membres du même ordre.

[43]       En terminant, le Tribunal rappelle le lien de confiance privilégié de l’infirmière auprès des malades, ce qui peut, en partie du moins, expliquer la sanction imposée par les pairs de l’appelant.

[44]       La justice des pairs, plus particulièrement en matière de sanction, mérite déférence.

[Références omises]

[Soulignements ajoutés]

[318]     Cela étant dit, puisque ces décisions traitent de plaintes portées en vertu de l’article 149.1 C. prof. et que les professions d’infirmière et d’infirmière auxiliaire présentent des similitudes, le Conseil y prêtera tout de même une attention.

[319]     Il ressort de la décision Fortier[75], que le conseil de discipline adhère à la sanction proposée par les parties de radier la professionnelle six mois en raison de la déclaration de culpabilité que la Cour municipale de Québec prononce contre elle concernant les quatre infractions criminelles suivantes alors qu’elle exerce la profession à la Villa Montcalm située à Québec, et ce, pendant la période allant du 4 novembre 2012 au 16 mars 2013 : l’appropriation de 7 comprimés de SÉRAX (10 mg), de 15 comprimés de MORPHINE (5 mg), d’une somme de 110 $ auprès de 3 patients et finalement, d’une somme d’argent d’environ 200 $ appartenant à son employeur qui était dans une armoire verrouillée.

[320]     À la lumière de ces informations, le Conseil estime qu’il s’agit d’un cas moins grave que le présent dossier notamment en raison de la période des infractions et des montants d’argent en jeu.

[321]     Dans Nivyabandi[76], le conseil de discipline radie 3 mois la professionnelle visée par la plainte dont il est saisi en raison de la condamnation criminelle de celle-ci d’avoir commis un vol dont la valeur dépasse 5 000 $. Il appert de la décision qu’une somme de 150 000 $ est déposée par erreur dans son compte bancaire et, qu’entre le 21 juillet 2011 et le 23 août 2011, elle effectue des retraits totalisant 86 000 $.

[322]     La décision relève qu’à la suite de sa déclaration de culpabilité, la professionnelle se voit infliger une absolution conditionnelle en vertu de l’article 130 C. cr., et une période de probation associée aux conditions usuelles en plus de 180 heures de travaux communautaires.

[323]     Il s’agit là aussi d’un précédent moins grave que la situation de l’intimée principalement en raison du fait que le crime commis par Mme Nivyabandi découle d’une erreur de transfert de fonds dans son compte bancaire et non de son initiative.

[324]     L’affaire Thibault[77] concerne une professionnelle radiée deux semaines.

[325]     Au moment des événements, le 24 juillet 2008, elle travaille comme préposée aux bénéficiaires au Centre hospitalier régional du Suroît, vole la carte de crédit se trouvant dans le sac à main d’une collègue de travail, également préposée aux bénéficiaires, et effectue un achat d’une valeur de 115,56 $.

[326]     Toutefois, lors du prononcé de sa culpabilité et de la peine, le 27 août 2010, elle est membre de l’Ordre des infirmières et infirmiers auxiliaires du Québec depuis le 1er juin 2009.

[327]     Le conseil de discipline fait état qu’à l’époque des faits, la professionnelle est impliquée dans un processus judiciaire afin d’obtenir la garde de ses enfants et éprouve des problèmes de consommation.

[328]     L’affaire Thibault est peu comparable avec la présente affaire à plusieurs égards. Non seulement il s’agit d’un acte ponctuel et isolé, mais le montant d’argent en cause est substantiellement inférieur à celui dont l’intimée s’approprie et les crimes s’inscrivent dans un contexte personnel particulier.

[329]     Attardons-nous maintenant aux décisions visant des membres de l’Ordre.

[330]     Les faits relatifs à la décision rendue par le conseil de discipline, dans l’affaire Giroux[78], concernent une condamnation criminelle pour le vol de deux parfums dans un Loblaws. Cependant, la plainte reproche également à l’infirmière d’avoir eu en sa possession du cannabis et d’avoir commis diverses autres infractions, dont celle d’avoir volé des livres dans une librairie, d’une valeur dépassant 1 000 $ et exercé sa profession dans un état susceptible de compromettre la qualité des soins et des services dispensés.

[331]     La professionnelle est radiée deux mois pour sa condamnation criminelle en lien avec le vol de parfums et un mois, pour celle en lien avec le vol de livres.

[332]     Il y a lieu de souligner que les condamnations criminelles de cette affaire sont moins graves que celle dont l’intimée est coupable vu notamment la valeur des biens volés et le caractère isolé de l’une de ces infractions.

[333]     Pour la décision Desbiens[79], il s’agit d’une professionnelle coupable d’avoir volé des cartes de crédit, à savoir deux cartes le 17 août 2007, une autre le 25 août 2007 et quatre autres entre le 23 et le 28 août 2007. Elle est également déclarée coupable d’avoir utilisé six fausses cartes de crédit entre le 25 et le 29 août 2007.

[334]     Le conseil de discipline lui impose des radiations de 7, 15 jours et un mois, à purger de façon concurrente, après avoir considéré qu’au moment des infractions, la professionnelle souffre de problèmes de santé, subit la perte de sa sœur aînée et de son conjoint qui s’est suicidé. Ce dernier, avec qui elle faisait vie commune depuis quatre mois, vient d’un milieu criminalisé et elle apprend à ses funérailles qu’il doit des sommes considérables à ses créanciers, qui sont remboursées en partie par le frère de ce dernier et elle-même.

[335]     Concernant l’intimée, il y a absence de preuve sur la présence d’éléments extrinsèques similaires. En conséquence, le contexte dans lequel les infractions criminelles de cette cause surviennent se démarque de celui dans lequel l’intimée commet son délit et rend sa situation plus grave.

[336]     Quant à la décision Beauchemin[80], la plainte portée devant le conseil de discipline fait état de deux condamnations criminelles, une le 26 avril 2010, pour la conduite dangereuse d’un véhicule à moteur, et l’autre le 24 février 2012, pour le vol d’un costume d’Halloween, d’une valeur ne dépassant pas 5 000 $. Ces délits surviennent à une date précise et le conseil de discipline souscrit à la sanction proposée par les parties d’imposer à la professionnelle une radiation d’un mois pour chacune de ces infractions, à purger de façon concurrente.

[337]     Toutefois, non seulement la nature des infractions criminelles est peu comparable à celle dont l’intimée est coupable, mais en dépit de l’absence d’indication claire à cet égard, comme la professionnelle de cette affaire est déclarée coupable par le conseil de discipline, on doit présumer que la disposition de rattachement retenue est l’article 59.2 C. prof. et non l’article 149.1 C. prof.

[338]     Finalement, la décision Fortin[81] vise un membre de l’Ordre coupable d’avoir volé le 15 mai 2012, des vêtements et diverses marchandises d’une valeur de 594,69 $, appartenant à Sears de Saint-Jérôme, et d’avoir volé le 18 mars 2013 à Laval, de la marchandise appartenant à Canadian Tire d’une valeur ne dépassant pas 5 000 $.

[339]     La professionnelle de cette affaire est radiée deux mois en lien avec ces deux délits isolés dont la valeur de la marchandise volée est très inférieure au montant d’argent (90 000 $) que l’intimée admet avoir dérobé à l’Entreprise.

[340]     À la lumière des décisions citées précédemment, un constat s’impose. La proposition des parties de radier l’intimée pour trois mois est inadéquate eu égard à la gravité objective de l’infraction criminelle dont elle est coupable et aux circonstances particulières à sa situation.

[341]     En l’occurrence, le Conseil est d’opinion qu’elle ne constitue pas, en l’espèce, une sanction juste et appropriée.

[342]     Une recherche supplémentaire dans la jurisprudence a permis au Conseil de retracer d’autres décisions plus récentes rendues à l’encontre de membres de l’Ordre ou dont les infractions sont plus similaires avec celle du présent dossier.

[343]     Par exemple, dans Drouin[82], une radiation de cinq mois est imposée à la professionnelle en lien avec l’acte criminel d’une valeur dépassant 5 000 $ qu’elle commet en fraudant son employeur, le CLSC Orléans-Beauport.

[344]     Au criminel, Mme Drouin se voit imposer une période de probation de 24 mois, dont un suivi probatoire de 18 mois. De même, le Tribunal lui impose l’obligation de compléter 240 heures de travaux communautaires dans un délai de 12 mois.

[345]     La décision mentionne également qu’une enquête interne révèle que pendant une période d’environ un an et demi, Mme Drouin s’approprie un montant de 15 360,40 $, soit une partie des sommes que les clients lui remettent pour couvrir les frais de la vaccination. Lors de l’instruction de la plainte, Mme Drouin a entièrement remboursé son employeur.

[346]     La décision Defo Kadje[83] est en lien avec un délit commis du 1er mars 2011 au 18 novembre 2013, lors duquel le professionnel, par supercherie, mensonge ou autre moyen dolosif, frustre le public de quelque bien, service d’une valeur de 234 192 $.

[347]     Le conseil de discipline explique que M. Defo Kadje présente une demande d’asile pour sa tante qu’il considère comme sa mère, et la formule sur la base d’informations mensongères. Cela permet à sa tante d’entrer au Canada et de recevoir une greffe du foie. La somme de 234 192 $ mentionnée au premier chef de la plainte représente le coût ayant été assumé par le système public de la santé du Canada pour l’intervention chirurgicale et les soins de santé y afférant.

[348]     La Cour du Québec prononce une peine d’emprisonnement de 18 mois contre M. Defo Kadje, mais celui-ci obtient une libération conditionnelle après avoir purgé le sixième de sa peine.

[349]     Le Conseil de discipline impose une radiation de neuf mois en soustrayant de cette période celle déjà purgée à la suite de la radiation provisoire prononcée par le Comité exécutif de l’Ordre.

[350]     Dans l’affaire Carrier[84], le professionnel est sanctionné au moyen de l’imposition d’une radiation de 18 mois en lien avec une condamnation de vol d’argent.

[351]     Le conseil de discipline indique que le professionnel vole son employeur pour une somme considérable de 116 030,91 $, et ce, sur une longue période, soit d’octobre 2001 à décembre 2004.

[352]     Il est de plus écrit que ce dernier fait de fausses déclarations à son employeur en lui réclamant des honoraires pour des services qu’il n’a pas réellement rendus et en imitant la signature d’un responsable, augmentant ainsi substantiellement ses revenus. Le conseil de discipline retient que c’est l’appât du gain qui pousse le professionnel à agir de la sorte.

Conclusion relative à la sanction

[353]     Eu égard à tout ce qui précède, le Conseil juge que l’imposition d’une radiation de sept mois constitue la sanction appropriée dans les circonstances.

[354]     Une telle sanction est non seulement plus juste en fonction des particularités de la situation de l’intimée, mais elle est raisonnable en ce qu’elle permet de respecter plus adéquatement le principe de la proportionnalité et d’atteindre les divers objectifs du droit disciplinaire.

[355]     En somme, l’imposition d’une radiation de sept mois a aussi le mérite de répondre de façon plus équilibrée à l’ensemble des préoccupations fondamentales du droit disciplinaire.

[356]     Avec égards, la radiation de trois mois proposée par les parties ne tient pas suffisamment compte de la gravité objective de l’infraction criminelle perpétrée par l’intimée et de nombreux facteurs aggravants, ce qui la rend manifestement non indiquée.

[357]     En effet, on ne peut faire fi de la gravité objective du délit que l’intimée commet dans le contexte des caractéristiques de sa profession et de l’atteinte évidente de celle-ci sur le lien de confiance inhérent à l’exercice d’une telle discipline.

[358]     De plus, considérant notamment sa pratique professionnelle qui la place en position d’influence, le fait qu’elle n’a pas suivi de thérapie et son omission de dévoiler sa condamnation criminelle et le présent recours à son employeur, une radiation de trois mois est insuffisante pour rétablir la confiance du public.

[359]     Dans cette perspective, le Conseil juge que la sanction doit avoir un effet suffisamment dissuasif sur l’intimée pour protéger le public et la convaincre qu’en tant que professionnelle, elle doit en tout temps privilégier cet objectif.

[360]     La radiation de sept mois constitue un arrêt lui donnant l’opportunité d’entreprendre un cheminement personnel structuré en suivant notamment le programme offert par l’association Mirage et de concilier cette thérapie ou d’autres démarches similaires avec son nouveau rôle de mère.

[361]     Il s’agit d’une condition essentielle favorisant la protection du public en ce qu’elle offre une meilleure garantie face à l’avenir puisque l’intimée est au début de son parcours professionnel.

[362]     De plus, si ce n’est pas déjà fait, l’intimée est invitée à régulariser sa situation auprès de son employeur actuel afin que ses rapports professionnels soient dorénavant plus authentiques.

[363]     Quant au délai de 12 à 18 mois requis par l’intimée pour lui permettre d’acquitter l’ensemble des frais qu’elle sera condamnée à payer, il y a absence de preuve établissant que l’octroi d’une telle modalité est déraisonnable dans les circonstances.

[364]     Étant donné qu’elle doit se conformer à l’ordonnance de dédommagement imposée au criminel, une telle mesure permet de s’assurer que les frais inhérents à l’instance disciplinaire combinés à la radiation de sept mois qui lui est imposée ne constitueront pas globalement un fardeau trop accablant pour elle.

[365]     Le Conseil accorde donc à l’intimée un délai de 18 mois pour éviter que sa radiation de sept mois acquière un caractère punitif, ce qui n’est pas une cible en droit disciplinaire.

[366]     À l’échéance de sa période d’absence de sept mois, l’intimée sera en meilleure position pour continuer d’exercer sa profession puisqu’elle aura eu véritablement l’occasion de réorganiser sa vie personnelle et professionnelle et de mettre en place les conditions et outils appropriés afin d’éviter de se retrouver en situation de récidive.

[367]     Une telle sanction constitue une occasion pour elle de redorer son image professionnelle et de présenter un profil favorisant sa crédibilité et celle de sa profession, car après l’avoir purgée, elle sera en mesure de s’y référer pour établir qu’elle a assumé pleinement les conséquences de ses actes criminels.

[368]     Du fait des caractéristiques de sa discipline, l’intimée a l’obligation de prouver, par sa conduite, qu’elle est une personne dotée d’un sens moral lui permettant de faire preuve d’éthique professionnelle.

[369]     Il s’agit d’une condition essentielle au maintien de la confiance du public.

EN CONSÉQUENCE, LE CONSEIL, UNANIMEMENT :

[370]     CONSTATE la décision judiciaire déclarant l’intimée coupable de l’infraction criminelle de vol d’argent décrite dans la plainte.

[371]     DÉCIDE que l’infraction criminelle dont l’intimée est coupable a un lien avec l’exercice de la profession infirmière aux fins de l’application de l’article 149.1 du Code des professions.

[372]     DÉCIDE qu’il est à propos d’imposer une sanction ou plusieurs des sanctions prévues à l’article 156 du Code des professions.

[373]     IMPOSE à l’intimée une radiation de sept mois en lien avec la condamnation criminelle mentionnée à la plainte disciplinaire.

[374]     ORDONNE qu’un avis de la présente décision soit publié dans un journal circulant dans le lieu où l’intimée a son domicile professionnel.

[375]     CONDAMNE l’intimée au paiement des déboursés et des frais relatifs à la publication d’un avis de la présente décision dans un journal circulant dans le lieu où elle a son domicile professionnel.

[376]     ACCORDE à l’intimée un délai de 18 mois pour le paiement des déboursés et des frais liés à la publication d’un avis de la présente décision.

 

__________________________________

Me MYRIAM GIROUX-DEL ZOTTO

Présidente

 

 

 

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Mme ROXANNE L’ÉCUYER, infirmière

Membre

 

 

 

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Mme SHELLEY COGLAND, infirmière

Membre

 

Me Jasmine Simard

Avocate de la plaignante

 

Me Mathieu St-Pierre Castonguay

Avocat de l’intimée

 

Date d’audience :

18 août 2020

Date du délibéré :

21 août 2020

 



[1]     2016 CSC 43.

[2]     Pièce SP-10.

[3]     Pièce SP-11.

[4]     L.R.C. (1985), ch. B-3.

[5]     Pièce SP-12.

[6]     Pièce P-1.

[7]     Pièce SP-13.

[8]     Pièce SP-14.

[9]     Pièce SP-2.

[10]    Avocats (Ordre professionnel des) c. Thivierge, 2018 QCTP 23, paragr. 79.

[11]    Pièces SP-5 et SP-9.

[12]    Avocats (Ordre professionnel des) c. Thivierge, supra, note 10, paragr. 63.

[13]    PARÉ, Marie, Le professionnel reconnu coupable d’une infraction criminelle : l’état de la jurisprudence relative à l’article 55.1(1) du Code des professions, (1999) 59 R. du B., p. 738.

[14]    Avocats (Ordre professionnel des) c. Thivierge, supra, note 10.

[15]    Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Nareau, 2018 QCTP 60, paragr. 32.

[16]    RLRQ, c. I -8.

[17]    David c. Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel des), 1998 QCTP 1600.

[18]    RLRQ, c. I -8, r. 9.

[19]    David c. Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel des), supra, note 17.

[20]    Pièce SP-5.

[21]    Ibid.

[22]    Salomon c. Comeau, 2001 CanLII 20328 (QC CA), paragr. 75.

[23]    Avocats (Ordre professionnel des) c. Thivierge, supra, note 10, paragr. 80.

[24]    Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Nareau, supra, note 15, paragr. 34.

[25]    Denturologistes (Ordre professionnel des) c. Lauzière, 2009 QCTP 126, paragr. 29 et 30.

[26]    Landry c. Avocats (Ordre professionnel des), 2012 QCTP 107, paragr. 16 et 17.

[27]    Landry c. Avocats (Ordre professionnel des), 2011 QCTP 208.

[28]    Claveau c. Bouchard, 2014 QCCA 1241, paragr. 10.

[29]    Code civil du Québec, RLRQ, c. CCQ-1991, article 2852 alinéa 2.

[30]    Physiothérapie (Ordre professionnel de la) c. Oliveira, 2018 QCTP 25, paragr. 74.

[31]    Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Nareau, supra, note 15, paragr. 36.

[32]    Pharmascience inc. c. Binet, 2006 CSC 48.

[33]    Blondeau c. R., 2018 QCCA 1250.

[34]    R. c. Obodzinski, 2019 QCCQ 1553; R. c. Ouellet, 2018 QCCQ 8451; R. v. Lidkea, 2019 ABCA 511; R. v. Dunkers, 2018 BCCA 363; R. c. Baptiste, 2020 QCCQ 1813.

[35]    Bélanger c. Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel des), 2010 QCTP 78, paragr. 61.

[36]    Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Nareau, supra, note 15, paragr. 34.

[37]    Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Nareau, supra, note 15, paragr. 34 et 35.

[38]    Barreau du Québec (syndic adjoint) c. Côté, 2020 QCCDBQ 8.

[39]    Barreau du Québec (syndic adjoint) c. Dion, 2020 QCCDBQ 25; Infirmières et infirmiers auxiliaires (Ordre professionnel des) c. Nadeau, CD inf. aux., 21-19-3232, 7 avril 2020.

[40]    Infirmières et infirmiers auxiliaires (Ordre professionnel des) c. Proulx, 2020 QCCDIA 4; Ingénieurs (Ordre professionnel des) c. Giuliani, 2019 CanLII 53425 (QC CDOIQ); Urbanistes (Ordre professionnel des) c. Asselin, 2019 CanLII 14943 (QC OUQ); Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Nareau, 2016 CanLII 4938 (QC CPA); Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Nguyen, 2019 CanLII 31585 (QC CPA); Ingénieurs (Ordre professionnel des) c. Live, 2019 CanLII 71286 (QC CDOIQ); Technologues professionnels (Ordre des) c. Théroux, 2019 CanLII 75109 (QC OTPQ); Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel des) c. Hamel, 2019 CanLII 86119 (QC CDOII); Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel des) c. Tremblay, 2019 CanLII 98834 (QC CDOII); Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Fortin, 2019 CanLII 107570 (QC CPA).

[41]    Ingénieurs (Ordre professionnel des) c. Kazzaz, 2019 CanLII 77820 (QC CDOIQ).

[42]    Barreau du Québec (syndic adjoint) c. Pichet, 2019 QCCDBQ 38.

[43]    Blondeau c. R., supra, note 33.

[44]    Fillion c. Avocats (Ordre professionnel des), T.P., 500-07-000974-174, 13 mars 2019.

[45]    Barreau du Québec (syndic adjoint) c. Côté, supra, note 38.

[46]    Médecins (Ordre professionnel des) c. Mwilambwe, 2020 QCTP 39.

[47]    Avocats (Ordre professionnel des) c. Michalakopoulos, 2014 QCCA 2189.

[48]    Bion c. Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel des), 2016 QCTP 103.

[49]    Drolet-Savoie c. Tribunal des professions, 2017 QCCA 842.

[50]    Czornobaj c. R., 2017 QCCA 907.

[51]    Thibault c. R., 2016 QCCA 335, paragr. 29.

[52]    Blondeau c. R., supra, note 33.

[53]    2003 CanLII 32934 (QC CA).

[54]    Chevalier c. Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel des), 2005 QCTP 137.

[55]    Chouinard c. Notaires (Ordre professionnel des), 2016 QCTP 89, paragr. 120.

[56]    Pigeon c. Daigneault, supra, note 53.

[57]    2004 QCTP 59. Voir aussi Duguay c. Dentistes (Ordre professionnel des), 2019 QCTP 31, paragr. 180.

[58]    Goldwater c. Avocats (Ordre professionnel des), 2014 QCTP 54, paragr. 29.

[59]    Salomon c. Comeau, 2001 CanLII 20328 (QC CA).

[60]    Marston c. Autorité des marchés financiers, 2009 QCCA 2178, paragr. 68.

[61]    Pierre Bernard, « La sanction en droit disciplinaire : quelques réflexions », dans Développements récents en déontologie, droit professionnel et disciplinaire, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2004, p. 87-88.

[62]    Chen c. Médecins (Ordre professionnel des), 2015 QCTP 84, paragr. 124-125.

[63]    Code civil du Québec, supra, note 29, articles 1 et 4.

[64]    Pièce SP-10.

[65]    Pièce SP-11.

[66]    Médecins (Ordre professionnel des) c. Chbeir, 2017 QCTP 3, paragr. 90.

[67]    Pièce SP-9.

[68]    Dentistes (Ordre professionnel des) c. Terjanian, 2019 QCTP 43, paragr. 79, désistement du pourvoi en contrôle judiciaire (C.S., 2019-03-15) 500-17-106249-199.

[69]    Gélinas c. Notaires (Ordre professionnel des), 2020 QCTP 37.

[70]    R. c. Lacasse, 2015 CSC 64, paragr. 67.

[71]    Infirmières et infirmiers auxiliaires (Ordre professionnel des) c. Fortier, 2013 CanLII 72141 (QC OIIA).

[72]    Infirmières et infirmiers auxiliaires (Ordre professionnel des) c. Nivyabandi, 2017 CanLII 1290 (QC OIIA).

[73]    Infirmières et infirmiers auxiliaires (Ordre professionnel des) c. Thibault, 2014 CanLII 18823 (QC OIIA).

[74]    Bion c. Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel des), supra, note 48.

[75]    Infirmières et infirmiers auxiliaires (Ordre professionnel des) c. Fortier, supra, note 71.

[76]    Infirmières et infirmiers auxiliaires (Ordre professionnel des) c. Nivyabandi, supra, note 72.

[77]    Infirmières et infirmiers auxiliaires (Ordre professionnel des) c. Thibault, supra, note 73.

[78]    Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel des) c Giroux, 2009 CanLII 80109 (QC CDOII).

[79]    Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel des) c. Desbiens, 2011 CanLII 69486 (QC CDOII).

[80]    Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel des) c. Beauchemin, 2013 CanLII 33023 (QC CDOII).

[81]    Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel des) c. Fortin, 2016 CanLII 64246 (QC CDOII).

[82]    Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel des) c. Drouin, 2020 QCCDINF 6.

[83]    Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel des) c. Defo Kadje, 2017 CanLII 12686 (QC CDOII).

[84]    Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel des) c. Carrier, 2007 CanLII 82912 (QC CDOII).

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