Décision

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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Saint-Hyacinthe

21 juin 2006

 

Région :

Yamaska

 

Dossier :

279517-62B-0601

 

Dossier CSST :

117723072

 

Commissaire :

Me Marie Danielle Lampron

 

Membres :

Jean-Marie Jodoin, associations d’employeurs

 

Stéphane Brodeur, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

Roch Gadbois

 

Partie requérante

 

 

 

Et

 

 

 

Décorations Lemieux & Lemieux Ltée

 

Partie intéressée

 

 

 

Et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

[1]                Le 4 janvier 2006, monsieur Roch Gadbois (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue le 16 décembre 2005 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme une décision rendue le 23 juin 2005 et déclare qu’il n’y a pas lieu d’appliquer l’article 51 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) et que le travailleur ne peut récupérer son droit à l'indemnité de remplacement du revenu prévue par l'article 45 et aux autres prestations prévues par cette loi.

[3]                Le travailleur et son représentant sont présents à l’audience du 13 juin 2006. La CSST et son procureur sont absents, mais ce dernier a transmis une argumentation écrite au soutien du maintien de la décision.

L’AVIS DES MEMBRES

[4]                Les membres issus des associations (syndicales et d'employeurs) sont d'avis d’accueillir la requête du travailleur, ce dernier ayant démontré, par une preuve prépondérante, qu’il rencontrait les conditions prévues à l’article 51 de la loi, puisqu’il a dû abandonner son emploi convenable dans les deux ans de la détermination de celui-ci, suite à l’avis de son médecin quant au danger pour sa santé, sa sécurité ou son intégrité physique.

[5]                Le membre issu des associations d’employeurs note de plus que selon l’employeur même où le travailleur a effectué son stage, le travailleur ne possède pas un grand nombre des connaissances de base pour exercer le poste d’estimateur pour un entrepreneur en construction (T-1).

LA PREUVE ET LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[6]                La Commission des lésions professionnelles doit décider si, en application de l’article 51 de la loi, le travailleur peut récupérer son droit à l'indemnité de remplacement du revenu prévue par l'article 45 et aux autres prestations prévues par la loi.

[7]                Les articles 45 et 51 de la loi se lisent comme suit :

45. L'indemnité de remplacement du revenu est égale à 90% du revenu net retenu que le travailleur tire annuellement de son emploi.

 

51. Le travailleur qui occupe à plein temps un emploi convenable et qui, dans les deux ans suivant la date où il a commencé à l'exercer, doit abandonner cet emploi selon l'avis du médecin qui en a charge récupère son droit à l'indemnité de remplacement du revenu prévue par l'article 45 et aux autres prestations prévues par la présente loi.

 

Le premier alinéa ne s'applique que si le médecin qui a charge du travailleur est d'avis que celui-ci n'est pas raisonnablement en mesure d'occuper cet emploi convenable ou que cet emploi convenable comporte un danger pour la santé, la sécurité ou l'intégrité physique du travailleur.

__________

1985, c. 6

 

 

[8]                Pour donner ouverture à la récupération du droit à l’indemnité de remplacement du revenu prévue à l’article 45 de la loi et aux autres dispositions de la loi, le travailleur doit donc démontrer, par une preuve prépondérante, qu’il respecte les conditions prévues à l’article 51 de la loi, à savoir :

1.         occuper un emploi convenable à plein temps;

2.         l’abandonner dans les deux ans de sa détermination;

3.         suite à l’avis du médecin qui a charge qui juge que le travailleur n’est pas raisonnablement en mesure de l’exercer.

 

 

[9]                Le procureur de la CSST ayant admis que les deux premières conditions étaient rencontrées dans le présent cas, à savoir que le travailleur avait occupé un emploi convenable à plein temps, et qu’il l’avait abandonné dans les deux ans de sa détermination, le litige concerne donc la dernière condition énoncée à cet article.

[10]           Sur cet élément, le deuxième alinéa de l’article 51 de la loi vient circonscrire l’avis du médecin du travailleur en ce que ce médecin doit être d'avis :

-  que le travailleur n'est pas raisonnablement en mesure d'occuper l’emploi convenable

ou

- que cet emploi comporte un danger pour la santé, la sécurité ou l'intégrité physique du travailleur

 

 

[11]           Le 29 avril 2005, le Dr Roy, orthopédiste, examine le travailleur à la demande de ce dernier. Dans son expertise du 5 mai 2005, le Dr Roy note une détérioration de la condition lombaire du travailleur par rapport à ce qu’elle était lors de la consolidation de la lésion professionnelle initiale en 2000. Soulignons qu’à l’examen objectif, la flexion lombaire est de l’ordre de 30 à 40 degrés alors qu’elle était à 65° lors de l’évaluation du Dr Lamoureux en novembre 2000; l’extension est nulle alors qu’elle était à 15° en 2000. Le Dr Roy précise que les tests de Waddell sont négatifs.

[12]           Le Dr Roy émet l’avis suivant :

Hormis le fait de la détérioration actuelle, si nous prenons les limitations fonctionnelles de classe III qui ont été émises en novembre 2000 et que nous les appliquons à la lettre, nous réalisons que l’emploi convenable d’estimateur dans la construction est incompatible avec les limitations fonctionnelles. Effectivement, l’estimateur, pour en avoir vu plusieurs travailler dernièrement, est obligé de travailler dans des positions vicieuses, monter dans les entre toits, travailler dans les échelles, travailler dans les sous-sols et dans les positions accroupies pour inspecter les lieux de façon minutieuse. Parfois, il est obligé de manipuler des charges pour, soit tasser des meubles pour avoir accès à des structures qu’il faut étudier. Il est clair que cet emploi est contre-indiqué avec la condition de monsieur Gadbois et il est probable que ce travail soit une bonne raison de la détérioration de la condition lombaire. De plus, l’on spécifie clairement dans les limitations que monsieur Gadbois doit éviter de travailler dans des positions instables, éviter les échafaudages, les échelles et les escaliers. C’est nettement dans ces positions où monsieur Gadbois se retrouve fréquemment lors de son évaluation.

 

Je vois difficilement comment monsieur Gadbois pourrait continuer avec ce même travail et il devrait être réorienté vers un travail adéquat pour améliorer la condition actuelle compte tenu qu’il s’agit d’une dégradation de sa condition depuis 2000. Il est probable qu’avec un conditionnement approprié que sa condition s’améliore à un point tel où il ne sera plus obligé de se coucher le jour.

 

 

[13]           Le 10 mai 2005, le Dr Tremblay indique ce qui suit sous la rubrique diagnostic : « radiculopathie S1 gauche, hernie discale L5-S1, aggravation de l’événement du 17 janvier 2000, arrêt de travail jusqu’à nouvel ordre, a vu orthopédiste de Québec, réévaluation des capacités de travail ». Le médecin prescrit des traitements d’ergothérapie, précisant que ce peut être par un ergothérapeute au choix de la CSST.

[14]           Le représentant du travailleur soumet que l’avis du Dr Roy respecte les exigences prévues à l’article 51 de la loi. Il souligne que dans une affaire semblable, Vallée et Construction & Rénovation M. Dubeau inc. et CSST[2], la Commission des lésions professionnelles a rejeté les arguments de la CSST et retenu que le travailleur respectait les conditions d’ouverture à l’application de cet article. Il s’agissait alors d’un emploi convenable d’estimateur en sinistre et le médecin était également le Dr Roy.

[15]           De son côté, référant aux affaires Auger et Jeno Neuman & Fils inc.[3], Parent et Sani-Éco inc. et CSST[4], Lacharité et Pantapil Ltée[5]., le procureur de la CSST soumet que l’avis du Dr Roy ne respecte pas les critères minimaux établis pour l’application de l’article 51 :

Premièrement, la jurisprudence de la CLP a établi que le rapport médical qui prescrit l’arrêt de travail pour incapacité à exercer l’emploi convenable doit être antérieur à l’arrêt de travail (LACHARITÉ et PANTAPIL LTÉE. CALP-48869-62-9302, déposé sous P-3]. Ici la cessation d’emploi est du 22 avril 2005 et l’avis du médecin traitant du 29 avril 2005. Donc, postérieur à l’arrêt de travail, cet avis ne respecte donc pas un des critères minimaux de validité.

 

Deuxièmement, l’expertise du docteur Roy précise d’abord qu’il y a détérioration de la condition physique du travailleur depuis la dernière évaluation faite en 2000. Or, si le travailleur prétend qu’en date du 29 avril 2005 il y a détérioration de sa condition physique, il doit présenter une réclamation pour RECHUTE, RÉCIDIVE OU AGGRAVATION et non une demande d’application de l’article 51 LATMP.

 

Troisièmement, contrairement à ce que nous enseigne la décision MANON PARENT et SANI-ÉCO précité, le docteur Roy se contente de dire que les limitations fonctionnelles de classe III ne respectent pas l’emploi d’estimateur.

 

Quatrièmement, le docteur Roy ne précise en rien, dans son expertise en quoi cet emploi est dangereux pour la santé, la sécurité ou l’intégrité physique du travailleur.

 

Cinquièmement, le docteur Roy base l’absence de capacité du travailleur sur une fausse prémisse, c'est-à-dire sa connaissance personnelle de l’emploi d’estimateur en construction [P.265]. Il réfère à des expériences observées récemment, pour lesquelles nous n’avons aucune preuve que le type d’emploi observé par le médecin était un emploi similaire à celui du travailleur. Il est à noter qu’à aucun moment, le docteur Roy ne réfère aux tâches spécifiques du travailleur chez son employeur pour prétendre que ce dernier n’est pas raisonnablement en mesure de l’exercer.

 

De façon plus subsidiaire, même si la CLP en venait à la conclusion que le troisième critère est respecté, que l’avis du docteur Roy est suffisamment précis au sens exigé par l’article 51 LATMP, la CLP indique clairement, dans les décisions précitées, que l’opinion du médecin traitant ne lie pas la CSST et à plus fort égard la CLP.

 

Il est possible pour l’employeur ou la CSST de démontrer, par une preuve contraire, que l’opinion du médecin traitant n’est pas fondée.

 

À cet effet, je vous réfère aux notes évolutives de la conseillère Pigeon, datées du 17 juillet 2005, lors de sa conversation téléphonique avec l’employeur [P.90]. Il y est précisé que le travailleur a fait approximativement trois (3) semaines de travail et qu’il a toujours exécuté ses tâches de bureau de l’entreprise, à l’exception d’une visite de chantier. Son travail habituel consiste à être assis au bureau, lire des plans, faire des téléphones, calculer le matériel et établir les estimations.

 

Il s’agit exactement du type de travail pour lequel le travailleur avait été formé [P.101] et c’est exactement le type de travail décrit au REPÈRE [P.102] dont l’environnement physique décrit est celui d’un travail à l’intérieur [P103], où les capacités physiques décrites sont la position assise et le soulèvement de poids jusqu’à 5 kg.

 

Il est donc difficile de prétendre que le travailleur n’est pas raisonnablement en mesure d’exercer ce type d’emploi ou qu’il comporte un danger pour la santé, la sécurité ou l’intégrité physique du travailleur.

 

 

[16]           Le tribunal ne souscrit pas aux prétentions de la CSST. La soussignée considère au contraire, pour les motifs ci-après exposés, que le travailleur a démontré, par une preuve prépondérante, qu’il respecte toutes les conditions requises pour l’application de l’article 51 de la loi.

[17]           Le travailleur subit un accident du travail en janvier 2000. Dans son rapport final d’octobre 2000, le Dr Tremblay consolide la lésion professionnelle avec un diagnostic de hernie discale L5-S1, en précisant qu’il en résulte une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles.

[18]           Le 20 novembre 2003, dans son rapport d’évaluation médicale, le Dr Lamoureux, orthopédiste, établit ainsi les déficits anatomo-physiologique qui résultent de la lésion professionnelle :   2 %   pour  hernie  discale  L5-S1  prouvée  cliniquement  et  par  test


spécifique[6], 5 % pour une flexion antérieure à 65°, 2 % pour extension à 15°, 1 % pour inclinaison latérale droite à 20°, 1 % pour inclinaison latérale gauche à 20°, 1 % rotation gauche à 20°. La CSST confirme l’atteinte permanente à 14,40 % (incluant le pourcentage pour douleurs et perte de jouissance de la vie).

[19]           Considérant la persistance d’un syndrome douloureux significatif, le Dr Lamoureux émet des limitations fonctionnelles sévères de classe III et les décrit comme suit: 

Restrictions sévères classe III, à savoir éviter les activités qui impliquent de :

 

- soulever porter, pousser, tirer de façon répétitive ou fréquente des charges dépassant 5 kilos;

- marcher longtemps;

- garder la même posture debout ou assisse plus de 30 à 60 minutes;

- travailler dans une position instable, c’est-à-dire échafaudage, échelle, escaliers;

- effectuer des mouvements répétitifs des membres inférieurs comme actionner des pédales.

 

 

[20]           Le tribunal souscrit aux arguments du représentant de la travailleuse voulant que les limitations fonctionnelles (IRSST) de classe III comportent les restrictions de classe I et II, d’autant plus que le libellé même de celles-ci le prévoit expressément (p. 246) :

CLASSE 1 :  Restrictions légères

Éviter d’accomplir de façon répétitive ou fréquente les activités qui impliquent de soulever, porter, pousser, tirer des charges de plus de 15 à 25 kg, travailler en position accroupie, ramper, grimper, effectuer, des mouvements avec des amplitudes extrêmes de flexion, d’extension ou de torsion de la colonne lombaire et subir des vibrations de basse fréquence ou des contrecoups à la colonne vertébrale (comme celles provoquées par du matériel roulant sans suspensions).

Exemple : cas de discoïdectomie bien réussie, non souffrant, où les restrictions ont un rôle préventif : ou encore cas de séquelles d’entorse lombaire.

 

CLASSE 2 :  Restrictions modérées

En plus des restrictions de la classe 1, éviter les activités qui impliquent de : soulever, porter, pousser, tirer de façon répétitive ou fréquente des charges de plus de 5 à 15 kg, effectuer des mouvements répétitifs ou fréquents de flexion, d’extension ou de torsion de la colonne lombaire, même de faible amplitude, monter fréquemment plusieurs escaliers et marcher en terrain accidenté ou glissant.

Exemple : cas de lombalgie de type mécanique (i.e. dont la douleur est déclenchée surtout par des mouvements ou des efforts), avec ou sans irradiation aux membres inférieurs.

 

CLASSE 3 :  Restrictions sévères

En plus des restrictions de la classe 1 et 2 (…)

 

 

[21]           En 2001, la CSST détermine que le travailleur est capable d’exercer un emploi convenable d’estimateur en projet de construction. À la suite d’une contestation du travailleur, cette décision est infirmée et le dossier est retourné à la CSST pour qu’elle accorde au travailleur un stage en entreprise d’une durée de trois mois afin de rendre le travailleur capable d’occuper l’emploi convenable.

[22]           Dans sa décision d’avril 2003[7], la Commission des lésions professionnelles précise notamment ce qui suit :

[15] (…) la preuve a démontré que le plan individualisé de réadaptation du travailleur comprenait autant une formation académique qu’une formation pratique, à savoir un stage en entreprise devant durer 3 mois. Si la formation académique a été bien réussie et appréciée par le travailleur, il en est tout autrement du stage. Au départ, le travailleur dit qu’il était prévu le faire dans une entreprise extérieure, mais que le centre de formation lui a plutôt fait faire à même ses locaux, soit chez Construction Tigre. Il s’y est présenté à tous les jours ouvrables durant trois mois, soit du 21 juin au 21 septembre. Cependant, à part un seul projet qui a duré tout au plus trois jours, Construction Tigre ne lui a rien donné d’autre à faire.

 

[16] (…) (le travailleur) dit s’être renseigné auprès de la personne responsable de son stage de ce qu’il devait faire et qu’on lui répondait qu’on était pour le spécialiser dans différents domaines ou qu’on lui cherchait de l’ouvrage. S’il a demandé à aller avec des estimateurs, jamais il n’a eu de réponse favorable à sa demande. Il dit qu’il se fiait à son responsable de stage et c’est pourquoi il n’a pas contacté sa conseillère pour la mettre au courant de sa situation. Il attendait la fin du stage pour voir ce qui allait se passer.

 

[17] À ses notes évolutives, suite à une rencontre multidisciplinaire, dont une représentante du centre de formation était présente, la conseillère a écrit qu’il s’avère que les 3 /5 de ce qui avait été convenu au plan de stage n’a pas été réalisé. (…)

 

[18] (…) En plus des 335 heures théoriques, 115 heures de travaux pratiques en entreprise devait être données au travailleur, soit un stage de 3 mois. Selon la preuve prépondérante présentée devant le tribunal, Formation Tigre ne l’a pas fait. Au contraire, il a plutôt laissé voir que le stage se déroulait bien. Le 26 juin 2001, Formation Tigre a écrit une lettre à la conseillère l’avisant (…) Or, la preuve démontre que le reste du stage n’est pas du tout le reflet de cette lettre.

 

[19] Formation Tigre était responsable du résultat et devait offrir au travailleur un stage répondant aux exigences de l’offre de service qu’il avait signée avec la CSST, ce qu’il n’a pas fait. De l’avis de la Commission des lésions professionnelles, le travailleur n’a pas à en subir les conséquences.  

 

 

[23]           Bien que le travailleur se disait moins intéressé par le domaine de la peinture, où il a œuvré comme peintre durant 15 ans, la CSST lui souligne alors que le domaine de l’estimation en construction étant très vaste, il est préférable qu’il mise sur ses forces existantes, quitte à se perfectionner lui-même par la suite. La CSST lui rappelle qu’il s’agit d’appliquer la décision concernant le stage et non de refaire le processus d’emploi convenable au complet.

[24]           La CSST explique donc au travailleur que le but du stage est de lui faire pratiquer la lecture de plan et le « take off » dans le domaine de la construction ou rénovation. Elle l’avise également que s’il s’absente trop du stage, elle suspendra ses indemnités et pourra aussi mettre fin au stage.

[25]           Le 17 juin 2003, la CSST rend une décision dans laquelle elle mandate le Collège MPI d’assurer l’encadrement du stage en entreprise, chez Gestim Pros à Ste-Julie, du 16 juin au 12 septembre 2003, date à laquelle le travailleur sera capable d’exercer l’emploi convenable.

[26]           Le 2 juillet 2003, le coordonnateur de la formation informe la CSST que tout va bien : le travailleur aime ce qu’il fait et l’employeur est satisfait de l’intégration du travailleur.

[27]           Vers la fin juillet 2003, la CSST note que les problèmes d’absentéisme refont surface. Vers la fin août, le coordonnateur de stage souligne que le travailleur s’est absenté du 18 au 20 et du 26 au 28 août pour des problèmes de santé. La CSST se questionne sur la suspension de la mesure de réadaptation en vertu de l’article 183 de la loi[8], mais opte pour la conclusion du stage de façon positive, d’autant plus que la fin du stage approche.

[28]           Le 12 septembre 2003, la CSST détermine que le travailleur est capable d’exercer son emploi d’estimateur en projet de construction à compter du lendemain, 13 septembre, et que cet emploi pourra lui procurer un revenu annuel de 27 000 $. La CSST maintient l’indemnité de remplacement du revenu pour une période maximale d’un an, précisant que l’indemnité sera réduite par la suite. Cette décision n’a pas été contestée.

[29]           Le 13 septembre 2003, dans ses notes évolutives, la CSST indique avoir reçu le rapport final du coordonnateur du stage. Elle considère que le stage a été complété avec succès et résume ainsi:

En résumé, nous apprenons que le T s’est absenté 12 jours en 12 semaines. Il est habileté à faire la lecture de plan, la prise de quantité, recherche de fournisseur et confirmation de prix. Il pourrait améliorer son travail en faisant plus de lecture de livres techniques (consulter des références) (voir rapport date 15 sept MPI)

 

Conclusion :

Le stage est réalisé avec succès à la demande de la CLP.

 

 

[30]           Soulignons qu’à la fin du stage (p.200) ainsi qu’en octobre 2003 (T-1), l’employeur du stage émet l’avis que le travailleur ne possède pas les connaissances et qualifications de base pour occuper un poste semblable à celui occupé lors du stage. L’employeur y indique également que sur les 12 semaines de stage, le travailleur s’est absenté à 12 occasions, avec billet médical toutefois, ce qui est un problème en entreprise (motivation/rendement).

[31]           Dans ses commentaires à la fin du stage, le travailleur indique avoir apprécié le travail de bureau et l’exactitude des calculs et du « take off », mais qu’il aurait aimé faire des visites de chantier et faire des réalisations de projet au complet.

[32]           En janvier 2004, le travailleur soumet une réclamation pour récidive, rechute ou aggravation, au motif qu’il a fait une chute en allant porter son CV chez un employeur en construction. Cette réclamation est refusée par la CSST et, à la suite d’une transaction survenue en février 2005[9], le travailleur se désiste de sa contestation à la Commission des lésions professionnelles (p. 299).

[33]           La preuve démontre que le travailleur a débuté le 11 avril 2005 un emploi à plein temps d’estimateur en projet de construction pour le compte des Entreprises Daniel Cournoyer enr., une entreprise spécialisée dans le domaine de la peinture.

[34]           Monsieur Cournoyer a témoigné à l’audience et il a longuement été questionné. Le tribunal retient que son témoignage n’a pas été livré avec apparence de partialité ou d’influence, malgré qu’il ait certains liens avec le travailleur[10]. Ils ne se fréquentent pas à titre d’amis. Le tribunal considère qu’il s’agit d’un témoignage probant. Soulignons que monsieur Cournoyer n’a pas entendu le témoignage du travailleur.

[35]           Or, le témoignage de monsieur Cournoyer, qui est entrepreneur dans le domaine de la peinture et qui a effectué le travail d’estimateur de projet dans ce domaine depuis plus de vingt ans, démontre, de façon prépondérante, que l’avis du Dr Roy est probant quant à la présence dans cet emploi, d’un danger pour la santé, sécurité ou intégrité physique du travailleur et que ce dernier n’est pas raisonnablement en mesure d’exercer cet emploi.

[36]           La preuve démontre, en effet, que dans la réalité de l’emploi, l’estimateur de projet de construction, en l’occurrence en peinture, effectue un travail de bureau lorsqu’il s’agit de l’estimation des coûts en regard d’un chantier neuf. L’estimation des coûts s’effectue alors uniquement à partir des plans alors que ce n’est toutefois pas le cas lorsqu’il s’agit d’un chantier mixte ou d’un chantier déjà existant.

[37]           Lorsqu’il s’agit d’un chantier existant, monsieur Cournoyer explique que la présence de l’estimateur est toujours requise sur le chantier lors la première visite du chantier, puisque c’est lors de celle-ci, où tout le monde est présent (architecte, ingénieur etc.), que l’on précise ce que fera chacun des corps de métier impliqués dans le projet. Tous se suivent d’ailleurs les uns les autres lors de cette longue visite.

[38]           La preuve démontre que la première visite en chantier dure de 3 à 4 heures. L’estimateur doit rester debout durant toute la durée de la visite et il doit se déplacer sur les différentes surfaces du chantier, lesquelles peuvent être instables et variées. Lors de cette visite, l’estimateur peut être appelé à grimper dans un escabeau ou dans des échelles dans des endroits restreints et adopter des positions qui peuvent être contraignantes pour le dos, notamment pour accéder au toit par une trappe d’accès. Monsieur Cournoyer explique qu’il est nécessaire d’effectuer pareille vérification pour bien visualiser les items à peinturer, connaître leur spécificité quant au matériau, leur surface (ex, tôle galvanisée de différentes formes), afin de s’assurer que l’estimation des coûts soit la plus réaliste possible. Il en est de même des accès aux items à peinturer au sous-sol (ex. position accroupie dans la trappe d’accès).

[39]           Monsieur Cournoyer affirme qu’il y a une réunion de chantier chaque semaine et qu’il est important d’y être, pour connaître les modifications faites par d’autres personnes, car celles-ci peuvent avoir un impact sur les coûts de peinture.

[40]           De plus, comme l’application de la première couche (primer) par le peintre entraîne la responsabilité de l’entrepreneur en peinture, ce dernier étant considéré accepter l’état des joints effectués, monsieur Cournoyer précise qu’une visite est requise avant d’appliquer le primer. Comme l’estimateur qu’il engage a une expérience de peintre, il s’attend à ce qu’il effectue cette visite, ce qui lui permet d’éviter des coûts.

[41]           Monsieur Cournoyer confirme les notes de la CSST voulant que le travailleur n’ait pas eu à se déplacer sur un chantier lors de la première semaine. Il précise que le travailleur a eu à effectuer une visite de chantier le mardi de la deuxième semaine et que cette visite a duré trois heures et demie.

[42]           Monsieur Cournoyer nie toutefois certains des propos que lui attribue la conseillère en réadaptation, soulignant que leur conversation a duré tout au plus 5 à 6 minutes. Ainsi, il affirme qu’en aucun cas, il a dit que le poste d’estimateur consistait à un travail assis au bureau. Il estime au contraire que l’estimateur doit effectuer quelques visites de chantier pour chaque projet. Il rappelle qu’il peut y avoir plusieurs chantiers menés de front (ex. 6 ou 7), ce qui implique nécessairement plusieurs visites par l’estimateur. Du début d’une soumission jusqu’à l’étape des « déficiences », il y a environ une quinzaine de visites.

[43]           Monsieur Cournoyer affirme ne pas s’être prononcé quant à l’état des douleurs du travailleur ni avoir mentionné à la CSST que le travailleur présentait le même niveau de douleur le 22 avril. Il affirme au contraire, que lors de la première semaine, le travailleur se levait correctement d’une position assise, alors qu’à la deuxième, après la visite de chantiers, le travailleur éprouvait plus de difficultés à se lever ainsi qu’à se concentrer. Il semblait avoir plus de douleurs et être plus fatigué.

[44]           Monsieur Cournoyer affirme que le travailleur ne lui a pas dit à la fin de sa journée le vendredi 22 avril 2005 qu’il cessait de travailler et ne reviendrait pas le lundi suivant. Ayant constaté que le travailleur ne « feelait » pas et avait de plus en plus de difficultés en raison des douleurs, monsieur Cournoyer explique avoir dit au travailleur le vendredi, qu’il pouvait rester chez lui quelques jours la semaine suivante s’il n’allait pas mieux, puisqu’il s’agissait d’une semaine plus tranquille. Monsieur Cournoyer affirme qu’il était intéressé à garder le travailleur comme estimateur, vu son expérience de peintre, ce qui lui aurait permis d’opérer davantage de chantiers. Il savait que le travailleur ne pouvait plus exercer les tâches de peintre et était satisfait de son travail d’estimateur.

[45]           Le travailleur affirme lui aussi qu’à la fin de sa journée de travail le vendredi 22 avril, il croyait être en mesure de rentrer au travail la semaine suivante, d’autant plus que son patron lui avait dit qu’il pouvait prendre ça « easy ». En raison toutefois de l’augmentation de ses douleurs et de sa condition physique qui devenait de plus en plus problématique depuis une semaine, il explique avoir dû consulter un spécialiste pour sa condition lombaire. C’est dans ce contexte qu’il a rencontré le Dr Roy le 29 avril.

[46]           Le travailleur affirme avoir expliqué au Dr Roy en quoi consistait le poste d’estimateur chez l’employeur Cournoyer et lui avoir mentionné les gestes qu’il était appelé à faire, notamment lors des visites de chantier. Le travailleur affirme que c’est le Dr Roy qui lui a dit de ne plus effectuer cet emploi, car il aggraverait sa condition au dos. Le travailleur affirme que c’est après cet avis du Dr Roy qu’il a informé l’employeur qu’il ne pourrait plus retourner travailler pour lui comme estimateur.

[47]           Considérant le témoignage du travailleur ainsi que celui de monsieur Cournoyer qui démontrent que le travailleur n’a pas mis fin à son emploi le 22 avril, le tribunal ne souscrit pas aux arguments de la CSST voulant que le travailleur ait quitté de lui-même son travail le 22 avril. La preuve démontre que c’est sur la recommandation du Dr Roy que le travailleur n’est pas revenu dans son travail d’estimateur chez l’employeur.

[48]           La soussignée ne souscrit pas non plus aux arguments de la CSST voulant que si le travailleur a subi une détérioration de sa condition le 29 avril 2005, il s’agirait davantage d’analyser le tout dans un contexte de récidive, rechute ou aggravation[11] plutôt qu’en vertu de l’article 51 de la loi.

[49]           L’article 51 de la loi se distingue d’une réclamation pour récidive, rechute ou aggravation, puisque cet article requiert la preuve émanant du médecin du travailleur qu’il y a « danger » pour la santé, la sécurité ou l’intégrité physique du travailleur si ce dernier est maintenu dans l’emploi en question ou que le travailleur n’est pas raisonnablement en mesure d’exercer cet emploi.

[50]           Contrairement aux prétentions de la CSST, le tribunal considère que dans son avis le Dr Roy explique bien en quoi l’emploi d’estimateur en projet de construction représente un danger pour la santé, la sécurité ou l’intégrité physique du travailleur, compte tenu des tâches qu’il comporte et des gestes à poser. Rappelons que le travailleur a décrit au médecin en quoi consistait son travail et les mouvements que cela impliquait.

[51]           De plus, comme l’opinion motivée du Dr Roy repose sur les bonnes prémisses et qu’elle est probante, et comme le tribunal ne dispose d’aucun avis médical en sens contraire, la soussignée considère que le travailleur a satisfait à son fardeau de preuve.

[52]           Une lecture attentive du dossier permet d’ailleurs de constater que certains éléments du poste risquaient éventuellement de poser des problèmes selon leur fréquence ou durée.

[53]           En effet, selon Repères (p.102), sous la rubrique Organisation du travail, le poste d’estimateur en construction (code 2234) requiert spécifiquement des visites occasionnelles en chantiers, à savoir : « Précisions : Voyages occasionnels pour les visites sur les chantiers et les rencontres ». Soulignons l’utilisation du pluriel tant au mot voyages qu’aux mots visites, chantiers et rencontres. On précise également que l’estimateur peut être appelé à effectuer du temps supplémentaire, donc présumément en fin de journée.

[54]           Selon le CNP, l’emploi d’estimateur en construction - rénovation (code 2234), débute sa description de cette tâche, par celle de visiter l’immeuble pour l’estimation. À la fin de la description, on indique que l’estimateur établit les frais généraux d’entreprise et de chantier et planifie et fait le suivi des chantiers (p.158).

[55]           Rappelons que le travailleur précisait déjà à la fin de son stage, qu’il aurait bien aimé visité un chantier et réalisé un projet au complet. Or, il appert que la réalisation d’un projet au complet implique le suivi du chantier et que la visite des lieux est importante dans le domaine des estimés en construction, notamment la première visite d’un chantier déjà existant.

[56]           Lors de cette première visite de chantier, qui dure de 3 à 4 heures, l’estimateur est debout et il est appelé à se déplacer dans des endroits restreints, qui peuvent impliquer des échelles, escabeaux, escaliers etc. Rappelons qu’un entrepreneur mène de front plusieurs chantiers, de sorte qu’il peut y avoir plusieurs premières visites à effectuer par l’estimateur de coûts. Bien qu’occasionnelle, il s’agit néanmoins d’une tâche habituelle de l’emploi, de sorte qu’elle ne peut être ignorée.

[57]           Considérant que ces précisions quant à la durée des visites occasionnelles de chantier sont apportées par un entrepreneur en peinture et qu’il s’agit du domaine où la CSST a demandé au travailleur de consacrer ses énergies pour sa recherche d’emploi, vu son expérience de peintre en ce domaine, le tribunal considère que l’emploi d’estimateur en projet de construction représente, dans sa réalité d’exercice telle que démontrée chez les Entreprises Daniel Cournoyer, un danger pour la santé, la sécurité ou l’intégrité physique du travailleur.

[58]           En effet, comme l’estimateur de coûts en projets de construction est appelé à estimer les coûts tant de chantiers neufs que de chantiers déjà existants, et que la preuve démontre que dans ces derniers cas, le travailleur est appelé à effectuer des mouvements à risque, ce dernier devant éviter, en raison de sa lésion professionnelle, le maintien de la même posture debout plus de 30 à 60 minutes ainsi que de travailler dans des échelles ou escaliers, sans compter les restrictions des classes I et II concernant les postures à risque (positions extrêmes etc.), il s’ensuit qu’il y a preuve du danger dont il est question à l’article 51 de la loi, comme l’indique le Dr Roy dans son avis.

[59]           Vu ces éléments qui démontrent un danger d’aggravation de la condition du travailleur au niveau lombaire s’il y a poursuite de cet emploi, il n’est pas nécessaire d’élaborer sur d’autres tâches moins fréquentes mais également incompatibles, telles tasser, lors des visites, des objets de plus de 5 kilos aux fins de procéder à l’estimé des coûts, comme l’ont mentionnés le travailleur, monsieur Cournoyer ainsi que le Dr Roy.

[60]           Considérant que les conditions de l’article 51 sont toutes respectées, il s’ensuit que le travailleur peut récupérer son droit à une indemnité de remplacement du revenu et aux prestations prévues à la loi.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête du travailleur, monsieur Roch Gadbois;

INFIRME la décision rendue le 16 décembre 2005 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le travailleur respecte les conditions prévues à l’article 51 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles et qu’il récupère en conséquence, à compter du 29 avril 2005, son droit à l’indemnité de remplacement du revenu et aux autres prestations prévues à la loi.

 

__________________________________

 

Marie-Danielle Lampron

 

Commissaire

 

 

Monsieur Dominique Le Sage

S.A.T.A.

Représentant de la partie requérante

 

Me Hugues Magnan

PANNETON LESSARD

Représentant de la partie intervenante

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001

[2]           240032-03B-0407, 2004-11-05, C. Lavigne

[3]           110873-64-9902, 1999-07-14, L. Couture

[4]           162316-62B-0105 & 162957-62B-0106, 2002-05-13, Alain Vaillancourt

[5]           48869-62-9302, 1995-07-05, Y. Tardif

[6]        En mars 2003, une tomodensitométrie est interprétée comme suit : hernie discale légère à modérée de type postéro-médiane et postéro-latérale gauche venant comprimer la racine émergente de S1 du côté gauche, avec matériel de densité discale se projetant à la portion antérieure et médiane, de même qu’à la portion antérieure gauche du sac dural. Les autres espaces de la colonne lombaire sont interprétés comme étant normaux.

[7]           192219-62B-0210, 2003-04-08, N. Blanchard

[8]           183 : La Commission peut suspendre ou mettre fin à un plan individualisé de réadaptation, en tout ou en partie, si le travailleur omet ou refuse de se prévaloir d'une mesure de réadaptation prévue dans son plan.  À cette fin, la Commission doit donner au travailleur un avis de cinq jours francs l'informant qu'à défaut par lui de se prévaloir d'une mesure de réadaptation, elle appliquera une sanction prévue par le premier alinéa.

[9]           Le travailleur a été payé pour la période qu’il réclamait

[10]         Le travailleur habite un logement situé dans le même immeuble que l’entreprise

[11]       Le 29 mai 2006, la CSST a confirmé sa décision précédente et refusé la réclamation du travailleur pour une récidive, rechute ou aggravation, entre autre motifs qu’à la suite de l’examen d’un médecin désigné en vertu de l’article 204 de la loi, il y avait stabilisation de l’état clinique. Le travailleur entend contester cette décision qui n’est pas encore finale.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.