Mongeon et Clinique dentaire Roy & Tremblay |
2009 QCCLP 1093 |
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[1] Le 10 mars 2008, la travailleuse, madame Nadia Mongeon, dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision rendue, le 27 février 2008, par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme sa décision initiale du 7 novembre 2007 et déclaré irrecevable la réclamation déposée par la travailleuse le 9 octobre 2007.
L’OBJET DU LITIGE
[3] La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer recevable la réclamation qu’elle a déposée à la CSST le 7 novembre 2007 et, dans l’affirmative, de convoquer une nouvelle audience qui permettra de se prononcer sur le caractère professionnel de cette pathologie.
[4] Une audience est tenue à Rouyn-Noranda, le 16 juillet 2008, à laquelle assistent la travailleuse et son représentant. La CSST est également représentée par un procureur.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations syndicales est d’avis qu’il y a lieu de faire droit à la requête de la travailleuse, puisque selon lui, les éléments de la preuve démontrent son absence de connaissances du caractère professionnel de sa lésion, d’une part, et, d’autre part, le manque d’intérêt réel à déposer une réclamation à la CSST, étant donné qu’il n’y a pas eu d’arrêt de travail avant le mois d’octobre 2007.
[6] Pour sa part, le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que la preuve démontre, de manière prépondérante, que la réclamation déposée par la travailleuse en octobre 2007 est manifestement en dehors du délai légal prévu à l’article 272 de la loi et qu’il n’y a pas eu démonstration de la présence d’un motif raisonnable qui aurait permis de relever la travailleuse de son défaut de déposer ladite réclamation dans le délai légal.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[7] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la réclamation déposée par la travailleuse en octobre 2007 est recevable.
[8] Le 7 novembre 2007, par décision confirmée le 27 février 2008, la CSST a déclaré cette réclamation irrecevable en relation avec un diagnostic de cervico- brachialgie gauche apparaissant sur une attestation médicale initiale complétée, le 9 octobre 2007, par le docteur Dufresne.
[9] Il n’est pas allégué par la travailleuse, et la preuve ne démontre pas non plus, la présence d’un événement survenu au travail qui permettrait à la Commission des lésions professionnelles d’analyser la présente réclamation sous l’angle de l’accident de travail.
[10] Il s’agit dans les faits d’une pathologie évolutive, telle qu’il sera démontré ci-après et pour laquelle le diagnostic ne permet pas l’analyse sous l’angle de l’accident de travail ni encore sous l’aspect de la maladie professionnelle prévue à l’article 29 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) et à l’annexe 1 de la loi.
[11] C’est donc en regard de l’application des critères de l’article 30 de la loi qu’il y aura lieu d’analyser la lésion de la travailleuse et de déterminer le caractère professionnel de la pathologie qu’elle présente et pour lequel le diagnostic de cervico- brachialgie a été retenu, si sa réclamation est déclarée recevable.
[12] Cependant, le tribunal ne se prononcera pas immédiatement sur la question du caractère professionnel ou non de la lésion de la travailleuse, les parties ayant demandé et obtenu de plaider, dans un premier temps, sur la question de la recevabilité de la réclamation de la travailleuse.
[13] Les articles pertinents aux fins de la décision que doit rendre la Commission des lésions professionnelles sont les articles 272, 271 et 352 de la loi qui se lisent comme suit :
272. Le travailleur atteint d'une maladie professionnelle ou, s'il en décède, le bénéficiaire, produit sa réclamation à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, dans les six mois de la date où il est porté à la connaissance du travailleur ou du bénéficiaire que le travailleur est atteint d'une maladie professionnelle ou qu'il en est décédé, selon le cas.
Ce formulaire porte notamment sur les nom et adresse de chaque employeur pour qui le travailleur a exercé un travail de nature à engendrer sa maladie professionnelle.
La Commission transmet copie de ce formulaire à chacun des employeurs dont le nom y apparaît.
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1985, c. 6, a. 272.
271. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle qui ne le rend pas incapable d'exercer son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle s'est manifestée sa lésion ou celui à qui aucun employeur n'est tenu de verser un salaire en vertu de l'article 60, quelle que soit la durée de son incapacité, produit sa réclamation à la Commission, s'il y a lieu, sur le formulaire qu'elle prescrit, dans les six mois de sa lésion.
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1985, c. 6, a. 271.
352. La Commission prolonge un délai que la présente loi accorde pour l'exercice d'un droit ou relève une personne des conséquences de son défaut de le respecter, lorsque la personne démontre un motif raisonnable pour expliquer son retard.
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1985, c. 6, a. 352.
[14] Plusieurs interprétations ont été retenues par la Commission des lésions professionnelles en regard de la question de l’application du délai prévu aux articles 272 et 271 de la loi.
[15] Sur cette question du délai prévu à la loi, le soussigné est d’avis qu’il y a lieu de s’en tenir aux termes mêmes de l’article 272 de la loi et de déclarer, que le délai de 6 mois prévu à cet article court à compter du moment où il est porté à la connaissance de la travailleuse, qu’elle est atteinte d’une maladie professionnelle.
[16] À cette fin, il y a lieu de rappeler l’analyse faite par le commissaire Clément dans une décision qu’il a rendue en mai 2005, décision qui est toujours d’actualité jurisprudentielle et dont les conclusions sont partagées par le soussigné [2] :
[42] Reste le délai prévu à l’article 272 de la Loi qui est celui réellement applicable au présent cas, selon le tribunal, devant l’allégation de l’existence d’une maladie professionnelle. En effet, le travailleur, dans ses représentations, désire la reconnaissance d’une lésion professionnelle du 12 janvier 2004 et à cette époque, aucun événement imprévu et soudain d’aucune sorte n’est survenu de sorte qu’on ne peut conclure qu’à la présence hypothétique d’une maladie professionnelle.
[43] Ainsi, lorsqu’un travailleur allègue être atteint d’une maladie professionnelle et que la tardiveté de la demande d’indemnisation fait l’objet du débat, c’est l’article 272 et non l’article 270 qui s’applique2.
[44] Le législateur exige qu’une réclamation soit déposée dans les six mois de la date où il est porté à la connaissance du travailleur qu’il est atteint d’une maladie professionnelle. Ces notions ont été interprétées par la jurisprudence comme voulant dire que le travailleur doit déposer sa réclamation dans les six mois du moment où il apprend que sa pathologie est possiblement reliée à son travail, l’ignorance de la loi ne pouvant justifier un retard 3.
[45] Dans l’affaire Rodrigues et Rosann Inc.4 la travailleuse avait cessé de travailler plus d’une année après avoir eu connaissance de l’existence d’une relation entre son travail et sa maladie. Malgré cela, la Commission d'appel avait conclu au non-respect du
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2 Groupe de services Huron ltée et Bergeron, C.A.L.P. 75845-62-9601, 10 décembre 1996, Y. Tardif; Taillon et Claire Fontaine, C.L.P. 107010-02-9811, 4 avril 2001, R. Deraîche
3 Turcot et VLS International Québec, [1988] C.A.L.P. 725
4 [1990] C.A.L.P. 405
délai prévu par l’article 272 de la Loi en soulignant que l’ignorance de la loi ou la bonne foi n’étaient pas des critères pouvant contrer la règle prévue à l’article 272.
[46] La jurisprudence est donc à l’effet de computer le délai de l’article 272 à partir du moment où le travailleur a une connaissance d’un lien possible entre sa lésion et son travail, sans exiger un degré de certitude médicale, mais en évaluant plutôt la connaissance acquise par le travailleur de la possibilité de l’existence d’une telle relation. L’absence d’arrêt du travail n’est pas considérée comme un facteur permettant de modifier ce critère de connaissance établi par le législateur 5.
[47] Dans l’affaire Mercier et Gérald Robitaille et associés6, la Commission des lésions professionnelles affirme que le délai de six mois commence à courir à partir du moment où un médecin pose un diagnostic formel ou informe le travailleur du caractère professionnel de sa maladie.
[48] Dans le présent dossier, il est clair que le travailleur savait, de son aveu même, dès 1999, qu’il était possiblement atteint d’une lésion professionnelle. En effet, son médecin lui a alors mentionné que son syndrome du canal carpien avait sûrement rapport avec son travail de menuisier. Le fait que cette mention ne soit pas consignée par écrit au dossier médical du travailleur ou qu’aucune attestation médicale en bonne et due forme n’ait été émise ne change rien à ce fait. D’ailleurs, la loi mentionne que le délai commence à courir lors de la connaissance du travailleur et non pas lors de l’émission d’une attestation médicale ou lors de la consignation au dossier médical d’un avis écrit d’un médecin. Le témoignage clair et crédible du travailleur est limpide à l’effet qu’il savait dès 1999 qu’un lien existait, de l’avis de son médecin, entre son travail et sa pathologie. Et un diagnostic formel a d’ailleurs été posé dès 2002.
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5 Colorosa et Chemins de fer nationaux, [1994] C.A.L.P. 1688
6 C.L.P. 172336-03B-0110, 8 juillet 2002, M. Cusson
(Notre soulignement)
[17] Les faits de l’espèce présentent de grandes similitudes avec les éléments factuels rapportés dans la décision qui précède.
[18] La travailleuse est assistante-dentaire après avoir obtenu son diplôme en 1999. Elle travaillera 2 ans à une première clinique où elle assiste le docteur Charrette et, par la suite, à la Clinique dentaire Roy & Tremblay où elle est l’assistante d’un chirurgien-dentiste qui procède à des opérations dans 2 salles différentes de façon simultanée.
[19] Il est démontré et non contredit que la symptomatologie qu’elle présente a débuté peu de temps après l'exercice de ses fonctions et l’affectait déjà de façon sérieuse en mars 2003.
[20] La preuve, tant factuelle que testimoniale, démontre effectivement que des soins et des traitements ont été prodigués à la travailleuse dès l’année 2003, année où elle a été en arrêt de travail, jusqu’à l’été 2004, afin de donner naissance à son premier enfant. Il y a eu un deuxième arrêt de travail, d’octobre 2005 à août 2006, pour la naissance d’un second enfant.
[21] Le troisième arrêt de travail survient, en octobre 2007, et c’est à ce moment que la travailleuse dépose sa réclamation devant la Commission des lésions professionnelles. Aux questions du tribunal, elle répond qu’elle n’a pas déposé cette réclamation avant 2007 parce qu’elle avait espoir que la douleur s’arrête et qu’elle possédait, avec son conjoint, une bonne assurance médicaments qui couvrait 80 % du coût des médicaments et des soins reçus.
[22] Lorsqu’elle a compris qu’elle ne pourrait peut-être plus travailler en octobre 2007, elle a réalisé qu’elle ne serait plus à même de couvrir le 20 % de franchise pour les soins et médicaments qu’elle devait continuer à recevoir ou à prendre.
[23] Selon ses dires, elle en aurait eu besoin et n’en avait plus les moyens.
[24] La travailleuse a reçu, entre 2003 et 2007, des soins de physiothérapie, de chiropraxie et d’acupuncture. Elle a fait usage de médicaments, entre autres, de Célébrex et de Lyrica.
[25] Dans un premier temps, les éléments de la preuve permettent de constater qu’il est porté à la connaissance de la travailleuse qu’il y a une relation entre la problématique qu’elle présente et son travail.
[26] Cela non seulement, comme elle en témoigne, par le vécu en milieu de travail et le fait qu’une collègue du travail a dû arrêter de travailler pour la même raison, mais surtout parce que le premier médecin qui l’a suivie pour cette condition, docteur Lefebvre, indique ce qui suit à ses notes évolutives en 2003 :
Mme nous consulte auj. pour une cervicalgie dps env. 2 sem. Elle associe cette cervicalg, à son trav. où elle a souvent le cou fléchit vu qu’elle travaille comme assist. dentaire. La doul. peut la réveiller la nuit, Mme n’est pas chaude à prendre des médicam., elle a essayé 1fx Robaxacet et a eu des effets second, de somnolence.
J’ai discuté avec elle de la possib. de la déclarer comme C.S.S.T. mais elle est hésitante, elle a peur d’avoir des probl. au trav. Elle va y réfléchir.
Pour l’inst., je lui suggère de la physio, avec traitem. antalgiques et renforcement muscul.. Je lui presc. Vioxx 50 die pour 1ms, Fléxéril 10h.s. pour 1ms au besoin et Emtec 30 au besoin, 30 comp.
Je la reverr. selon l’évolution.(sic)
(Notre soulignement)
[27] Depuis cette date, et ce, même en arrêt pour congé de maternité, la travailleuse recevra des traitements et soins et fera usage de médicaments contre la douleur.
[28] L’historique médical relatif au problème de cervico-brachialgie ou de cervicalgie que présente la travailleuse est continu jusqu’à la date de sa réclamation. Elle-même établit à plusieurs reprises devant les différents intervenants, physiothérapeutes et médecins, que ses douleurs sont causées par le travail.
[29] C’est ce qu’on peut lire notamment dans le document complété le 29 juin 2004 au moment où la travailleuse ouvre son dossier pour les soins chiropratiques. Il est indiqué, dans le document qui porte sa signature, qu’elle ressent depuis plus d’un an les problèmes de santé qu’elle associe à son travail et à son bébé. Dans un document daté du 12 octobre 2007 et portant la signature de madame Mireille Vincelette, chiropraticienne, on peut lire les mentions suivantes relatives à la déclaration de juin 2004 :
La présente est pour faire suite la demande de documents médicaux de Madame Nadia Mongeon, 28 ans, traitée à la clinique chiropratique Matte Lemay Vincelette. Madame Mongeon est venue consulter pour la première fois, le 29 juin 2004, pour des douleurs cervicales gauches et dorsales bilatérales présentes depuis environ un an et liées au travail. Elle avait alors reçu 3 traitements chiropratiques, avec une légère amélioration.
Madame Mongeon a consulté de nouveau en février 2007 pour ces mêmes douleurs cervicales. Bien que cet épisode plus intense fasse suite à de la glissade sur la neige, elle rapportait avoir cette douleur, depuis plusieurs années, liée au travail d’assistante dentaire. La douleur était augmentée par tous les mouvements du cou et des bras et soulagée par les massages, les traitements chiropratiques, le Celebrex et par Lyrica. (sic)
(Notre soulignement)
[30] De l’avis du tribunal, force est de conclure que tous les éléments de la preuve démontrent que la travailleuse avait connaissance de la relation entre sa pathologie et son travail, non seulement par le fait qu’elle établissait elle-même cette relation, mais encore parce qu’elle en a discuté avec ces employeurs, l’a précisé aux différents intervenants qui ont lui offert des soins et que cela a été discuté avec les médecins qu’elle a consultés, notamment, dès 2003 alors que le docteur Lefebvre l’incitait à déposer une réclamation à la CSST.
[31] C’est pourquoi, le tribunal conclut que la réclamation déposée par la travailleuse en octobre 2007 ne respecte pas le délai de 6 mois prévu à l’article 272 de la loi, et ce, depuis plusieurs années selon l’analyse que l’on fait de la preuve, à savoir en 2003, en 2004 et encore en 2006 et en février 2007, quel que soit le point de départ que l’on puisse retenir.
[32] La loi prévoit cependant, à l’article 352, que le tribunal peut relever une partie des conséquences de son défaut de respecter un délai prévu à la loi lorsqu’il est fait preuve de motifs jugés raisonnables pour expliquer son retard.
[33] En l’espèce, après avoir soumis que la réclamation de la travailleuse était déposée dans le délai prévu dans l’article 272 de la loi, conclusion à laquelle n’en vient pas le tribunal, son procureur soumet qu’il y a présence d’un motif raisonnable permettant de relever la travailleuse des conséquences de son défaut, et ce, en raison du fait qu’il n’y avait pas d’intérêt réel pour la travailleuse avant l’arrêt de travail d’octobre 2007.
[34] Il dépose, sur ce point, plusieurs décisions du tribunal dont il tire arguments. Le procureur de la CSST dépose, quant à lui, de la jurisprudence à l’effet contraire.
[35] Le tribunal constate la présence d’énoncés divergents dans plusieurs décisions rendues au cours des dernières années sur cette question.
[36] D’une part, la Commission des lésions professionnelles a déterminé qu’il n’y a pas lieu de retenir le défaut d’intérêt réel et actuel comme motif raisonnable permettant de prolonger le délai prévu à l’article 272 de la loi et de relever une partie des conséquences de son défaut de l’avoir respecté.
[37] À cet effet, il y a lieu de citer certains extraits d’une décision rendue en novembre 2007 par la Commission des lésions professionnelles[3], puisque cette décision reprend pour l’essentiel les éléments qui excluent la possibilité de reconnaître l’intérêt réel et actuel à titre de motifs raisonnables suivant l’article 352 en regard de l’article 272 de la loi :
[33] L’analyse du motif raisonnable permet de considérer un ensemble de facteurs susceptibles d’indiquer, à partir des faits, des démarches, des comportements, de la conjoncture et des circonstances si une personne a un motif non farfelu, crédible et qui fait preuve de bon sens, de mesure et de réflexion4.
[34] Comme principal motif, le procureur du travailleur invoque que le travailleur n’avait pas d’intérêt né et actuel avant le 15 décembre 2006, date à laquelle il a réclamé à la CSST à la suite de sa consultation en physiothérapie. Selon lui, avant cette date, il n’avait aucun intérêt financier puisque les médicaments utilisés pour procéder aux infiltrations étaient payés en totalité par sa compagnie d’assurances collectives et qu’il n’a pas dû s’absenter du travail.
[35] La première question à se poser est de savoir si l’intérêt né et actuel invoqué par le procureur du travailleur constitue, en l’espèce, un motif raisonnable au sens de l’article 352 de la loi.
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4. Roy et Communauté urbaine de Montréal [1990] C.A.L.P. 916
[36] À ce sujet, il existe deux tendances jurisprudentielles au sein du présent tribunal. La première soutient que dans certaines circonstances, la notion d’intérêt né et actuel peut être considérée à titre de motif raisonnable pour permettre au travailleur d’être relevé du défaut d’avoir réclamé dans le délai de six mois de l’article 2725.
[37] Pour sa part, la seconde tendance jurisprudentielle, s’attache plutôt à la lettre et à l’esprit de la loi et considère que le libellé de l’article 272 de la loi se distingue de celui de l’article 271 applicable aux réclamations pour accident de travail. De ce fait et compte tenu de la nature de la réclamation pour maladie professionnelle, l’intérêt financier à réclamer ne peut constituer un motif raisonnable au sens de l’article 352 de la loi.
[38] À cet égard, nous vous référons notamment à l’affaire Paradis et Denis Caron Entreprise Peintre6 où le commissaire Lavigne s’exprime ainsi sur le sujet :
« [64] Le seul motif avancé par le travailleur réside tout au plus dans cette notion d’intérêt à laquelle fait référence son représentant dans le cadre de son complément d’argumentation écrite du 14 février 2001.
[65] Avec tout le respect pour cette approche, la Commission des lésions professionnelles estime néanmoins que ce motif ne peut servir d’assise pour prolonger le délai ou relever la personne en défaut de le respecter.
[66] En effet, admettre comme motif raisonnable celui axé sur cet intérêt à produire une réclamation correspondrait, tout au plus, à modifier le texte de l’article 272 qui est par ailleurs des plus clairs sur cette obligation qu’a le travailleur de transmettre sa réclamation dans un délai précis suivant la connaissance qu’il peut être atteint d’une maladie professionnelle.
[67] Dès lors, la Commission des lésions professionnelles ne peut, en l’absence d’un quelconque motif raisonnable, prolonger ce délai ou relever la personne en défaut de le respecter et se doit, à ce stade-ci, de déclarer cette réclamation, pour les problèmes lombaires du travailleur, irrecevable. »
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(Nos soulignements)
[39] La soussignée partage cette position selon laquelle la notion d’intérêt né et actuel ne peut constituer un motif raisonnable permettant au travailleur d’être relevé de son défaut d’avoir produit sa réclamation dans un délai de six mois de la connaissance qu’il est atteint d’une maladie professionnelle, compte tenu du libellé particulier de l’article 272 de la loi.
(Notre soulignement)
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5 Société canadienne des postes et Turcotte, C.A.L.P. 52299-03-9307, 18 août 1995, M. Carignan, (décision sur requête en révision), requête en révision judiciaire rejetée, C.S. Québec 200-05-002529-951, 12 août 1996, j. Alain, (J8-07-08); Hervé Pomerleau inc. et Godard, C.L.P. 143718-63-0008, 2 mai 2001, M. Gauthier; Dubois et CSST, C.L.P. 224535-62-0312, 7 juin 2004, L. Boucher, (04LP-58)
6 C.L.P. 133401-03B-003, 26 février 2001, C. Lavigne
[38] Le tribunal est d’avis que cette position, quoique sévère et restrictive, rencontre bien la lettre de la loi.
[39] Qu’en est-il de l’esprit de la loi ?
[40] Dans une application plus large de la loi, cette notion d’intérêt est retenue dans certaines décisions. Par ailleurs, lorsque la jurisprudence retient cette notion d’intérêt réel et actuel, certaines décisions considèrent les coûts financiers associés à l’achat d’équipement, le paiement de soins ou de traitements, alors que d’autres décisions sont à l’effet que ces éléments financiers ne constituent pas un intérêt suffisant s’ils ne sont pas associés à un arrêt de travail et à une perte de gains.
[41] Le soussigné est d’avis qu’il n’y a pas lieu de reprendre de façon exhaustive l’étude de ces éléments de la jurisprudence, puisqu’il est d’avis que si la question de l’intérêt réel doit être retenu, cette notion d’intérêt ne serait être limitée au seul intérêt résultant de la perte de gains ou de l’arrêt de travail pour une période importante. En effet, il y a un intérêt ou il n’y en a pas.
[42] En l’espèce, la preuve démontre, de manière concluante et non équivoque, que la travailleuse a dû encourir des frais et des coûts importants, de l’ordre de 20 %, à titre de franchise d’assurance pour tous les soins et traitements qu’elle a reçus depuis 2003.
[43] Dans son témoignage devant le tribunal, la travailleuse mentionnera en toute bonne foi qu’elle a dû, à un moment donné, cesser les traitements qui lui étaient nécessaires, et ce, par manque de revenu suffisant dans le budget familial, puisque qu’elle n’était plus à même de payer cette franchise de 20 %.
[44] Le tribunal conclut donc, après analyse des faits, que depuis 2003, la travailleuse a subi une perte financière et a dû défrayer, à même l’argent du revenu familial, une partie des soins et des traitements reçus. Il ne s’agit pas ici de coûts anodins lorsqu’on les associe à des traitements d’acupuncture, de chiropraxie, de physiothérapie et à la prise de médicaments importants de la nature d’anti-inflammatoires et d’anti-douleurs.
[45] Le tribunal considère donc que la travailleuse avait, depuis plusieurs années, un intérêt réel à déposer une réclamation à la CSST, ce qu’elle n’a pas fait.
[46] Finalement, en témoignage et en argumentation, la travailleuse soumet qu’elle était ignorante des délais prévus à la loi pour la production d’une réclamation.
[47] Le tribunal ne peut conclure que l’ignorance de la loi constitue un motif raisonnable permettant d’être relevé du défaut d’avoir soumis sa réclamation dans les délais, et ce, particulièrement dans le cadre du présent dossier alors, qu’à plusieurs reprises, des informations en ce sens pouvaient être obtenues et qui auraient permis à la travailleuse de respecter les délais légaux.
[48] Il y a donc lieu de conclure que la réclamation de la travailleuse est irrecevable parce qu’elle a été produite en dehors du délai prévu à l’article 272 de la loi, et qu’aucun motif raisonnable n’a été démontré permettant de prolonger ce délai ou de relever la travailleuse du défaut de l’avoir respecté.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de la travailleuse, madame Nadia Mongeon;
CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 27 février 2008 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE irrecevable la réclamation déposée par la travailleuse à la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 7 octobre 2007.
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Claude Bérubé |
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Me Éric Daoust |
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Martineau, Daoust et Associés, avocats |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Louis Cossette |
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Panneton Lessard |
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Représentant de la partie intervenante |
Jurisprudence déposée par le procureur de la travailleuse,
par le procureur de la CSST
et autre jurisprudence consultée
par la Commission des lésions professionnelles
Leclerc et Maisons Logitech (Les), C.L.P. 241535-01A-0408, 19 mai 2005, J.-F. Clément;
Émond et D.R.H.C. Direction Travail, C.L.P. 251102-03B-0412, 2 février 2006, G. Marquis;
Ballin inc. et Chantal Beaupré, C.L.P. 230082-62B-0403, 4 mai 2005, M.-D. Lampron;
Jalbert et Service de construction Maxi Méga inc., C.L.P. 230939-31-0403, 7 mars 2005, M. Beaudoin;
Bradette et S.E.C.A.L., C.L.P. 211743-02-0306, 15 décembre 2003, M. Juteau;
Cloutier et Agromex inc., C.L.P. 316366-62B-0705, 7 mars 2008, N. Blanchard;
Hamel et 91445700 Québec inc. Scores Rôtisseries (Drummondville), C.L.P. 324140-04B-0707, 20 février 2008, L. Collin;
Hébert et Hamel et Hamel inc., C.L.P. 319921-04B-0706, 1er novembre 2007, A. Quigley;
Gaumond et Université de Montréal, C.L.P. 305011-62B-0612, 11 mars 2008, N. Blanchard;
Bienvenue et Mécanique Électrique CMPL inc., C.L.P. 296269-64-0607, 12 mars 2008, M. Montplaisir;
Larcher et Commission scolaire des draveurs, C.L.P. 297504-07-0608, 27 février 2008, M. Langlois;
Cyr et Aménagement Cfna inc., C.L.P. 296575-71-0608, 21 décembre 2007, M.-A. Jobidon;
Boivin et CSSS Rivière-du-Nord & Nord-de-Mirabel, C.L.P. 256464-64-0502, 27 juillet 2007, D. Armand;
Cantin et Peinture Électrostatique APM inc, C.L.P. 306546-63-0612, 16 janvier 2008, F. Mercure;