DÉCISION
[1] Le 30 décembre 1998, la Ville de St-Léonard (l'employeur) dépose une requête en révision de la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 30 novembre 1998.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles rejette l'appel de monsieur Pierre Duval (le travailleur), modifie la décision rendue le 23 octobre 1996 par le Bureau de révision de la région de Lanaudière (le bureau de révision), déclare que l'emploi de denturologiste constitue un emploi convenable, que le travailleur n'a pas droit à la réadaptation ni aux indemnités de remplacement du revenu qui s'y rattachent et retourne le dossier à la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) pour qu'elle puisse décider du droit du travailleur à une indemnité de remplacement du revenu réduite pour la période du 24 septembre 1992 au 14 février 1994, et le montant, le cas échéant.
L'OBJET DE LA REQUÊTE
[3] L'employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de réviser sa décision rendue le 30 novembre 1998 et de déclarer que le travailleur n'a droit à aucune indemnité de remplacement du revenu pour la période du 24 septembre 1992 au 14 février 1994 et donc d'annuler la conclusion relative au retour du dossier à la CSST pour la détermination d'une indemnité de remplacement du revenu réduite.
[4] À l'appui de ses prétentions, l'employeur soumet que la Commission des lésions professionnelles a commis une erreur manifeste et déterminante en retournant le dossier à la CSST pour qu'elle se prononce sur une indemnité de remplacement du revenu réduite pour la période du 24 septembre 1992 au 14 février 1994 puisque le tribunal a clairement déclaré que l'emploi de denturologiste constitue un emploi convenable, que le travailleur occupe cet emploi depuis les années 1980 et qu'il n'était pas intéressé à suivre un programme de réadaptation. Le travailleur n'a donc droit à aucune indemnité de remplacement du revenu réduite.
L'AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations syndicales et le membre issu des associations d'employeurs sont d'avis d'accueillir la requête en révision et de déclarer nulle la conclusion selon laquelle la Commission des lésions professionnelles retourne le dossier à la CSST afin qu'elle puisse décider du droit du travailleur à une indemnité de remplacement du revenu réduite pour la période du 24 septembre 1992 au 14 février 1994. Le travailleur ne pouvait pas avoir droit à une indemnité de remplacement du revenu réduite avant que la CSST rende sa décision déterminant l'emploi convenable. D'autre part, il ressort clairement de la décision que le travailleur n'a pas droit à la réadaptation ni aux indemnités qui s'y rattachent.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[6] La Commission des lésions professionnelles doit décider s'il y a lieu de réviser la décision qu'elle a rendue le 30 novembre 1998.
[7] La révision d'une décision est prévue à l'article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c.A-3.001) (la loi). Cette disposition se lit ainsi :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[8] Cette disposition doit s'interpréter à la lumière de l'article 429.49 de la loi qui prévoit que la décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel. Ce n'est donc qu'exceptionnellement qu'une décision finale de la Commission des lésions professionnelles peut être révisée ou révoquée pour les motifs énumérés à l'article 429.56 de la loi.
[9] La jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles[1] a interprété les termes « vice de fond ou de procédure de nature à invalider la décision » comme étant une erreur manifeste de droit ou de faits ayant un effet déterminant sur l'objet de la contestation. Le pouvoir de révision ne peut donc servir de prétexte à l'institution d'un appel déguisé de la décision attaquée, ni permettre de substituer une nouvelle interprétation à celle retenue par le premier commissaire.
[10] En l'instance, l'employeur soumet que la décision est entachée d'un vice de fond de nature à l'invalider.
[11] Dans cette affaire, la Commission des lésions professionnelles devait décider si l'emploi de technicien-préventionniste est un emploi convenable pour le travailleur. La Commission des lésions professionnelles décide que c'est plutôt l'emploi de denturologiste qui constitue, pour le travailleur, un emploi convenable car il l'exerce depuis déjà plusieurs années.
[12] Les passages pertinents de la décision visée par la présente requête se lisent ainsi :
« Enfin, la preuve devant nous, voir même le témoignage du travailleur, sont éloquents à l'effet que le travailleur était plutôt intéressé de toucher la fameuse pension mentionnée à l'article 18.05 de la convention collective que de retourner travailler pour la Ville de St-Léonard, et tout ça pendant qu'il travaille au moins 35 heures par semaine dans sa propre clinique de denturologie. Lorsque cette tentative, dont la bonne foi est loin d'être présumée, s'avère infructueuse, le travailleur met en œuvre son deuxième plan d'action, à savoir, d'aller chercher de l'argent à la CSST, en demandant tardivement un programme de réadaptation et les bénéfices qui s'y rattachent. Or, la preuve est claire et non contredite que le travailleur n'a jamais eu l'intention de suivre un programme de réadaptation et des cours de formation pour devenir éventuellement un technicien-préventionniste au sein de la Ville de St-Léonard ou bien ailleurs. Dès au moins l'année 1991, il a fait son choix personnel de poursuivre sa carrière autrement. De plus, il est difficile de croire comme crédible, au fondement de l'affirmation du travailleur, qu'une fois le lien d'emploi est brisé en 1993, qu'il serait vraiment intéressé de redevenir employé de la Ville de St-Léonard dont les relations de travail furent difficiles dans le passé.
Enfin, le tribunal ne peut s'empêcher de croire que le présent appel n'est qu'une tentative déguisée et malhonnête, tardivement conçue, qui ne vise qu'un seul objet, c'est à dire, l'argent, et dont l'intérêt et la collaboration dans toute véritable démarche de réadaptation sont loin d'être évidents.
Ainsi, il s'impose que l'emploi de denturologiste est un emploi convenable au sens de la loi. En conséquence, le travailleur n'a pas droit aux mesures de réadaptation, ni aux indemnités qui s'y rattachent. »
[13] La partie de la décision dont on demande la révision se lit ainsi :
« On sait que le travailleur est congédié par la Ville de St-Léonard le 24 septembre 1992, et que la question de congédiement est réglée par entente entre les parties par après.
Or, ce n'est que le 14 février 1994 que la CSST se prononce sur l'emploi convenable de technicien-préventionniste. La Commission des lésions professionnelles s'interroge pourquoi la CSST a failli d'exercer sa juridiction plus tôt, c'est-à-dire, à la suite du rapport final du docteur Maurais au printemps 1992 qui reconnaît une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles. Il semble bien que, dans les faits, la CSST a retardé sa prise de décision pour des raisons indépendantes de champs de l'application de la loi, à savoir, à cause de l'imbroglio entre le travailleur et son employeur concernant l'assignation temporaire et le congédiement.
Le tribunal reste perplexe devant le fait que la CSST semble avoir invoquée des problèmes de relations de travail comme un empêchement à l'exercice de sa propre juridiction et sa propre obligation de se prononcer en temps opportun et de rendre sa décision sur la détermination de l'emploi convenable, le droit à la réadaptation, et cetera, au moment approprié.
Dans ce contexte, le travailleur aurait droit, du moins en principe, à une indemnité de remplacement du revenu réduite pendant la période du 24 septembre 1992 jusqu'au 14 février 1994, sous réserve de la détermination, à savoir si les revenus de l'emploi convenable du denturologiste sont inférieurs au salaire qui devrait être retenu pour les fins de calcul de l'indemnité de remplacement du revenu réduite.
Ainsi donc, le dossier doit être retourné à la CSST pour qu'elle puisse déterminer si le travailleur a droit à une indemnité de remplacement du revenu réduite, et si oui, du montant. »
[14] L'employeur soumet que la Commission des lésions professionnelles a commis une erreur de droit lorsqu'elle a conclu que le travailleur « aurait droit, du moins en principe, à une indemnité de remplacement du revenu réduite pendant la période du 24 septembre 1992 jusqu'au 14 février 1994 ». Il s'ensuit donc que la conclusion selon laquelle le dossier est retourné à la CSST pour déterminer si le travailleur a droit à une indemnité de remplacement du revenu réduite doit être annulée.
[15] L'article 49 de la loi prévoit ce qui suit :
49. Lorsqu'un travailleur incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion professionnelle devient capable d'exercer à plein temps un emploi convenable, son indemnité de remplacement du revenu est réduite du revenu net retenu qu'il pourrait tirer de cet emploi convenable.
Cependant, si cet emploi convenable n'est pas disponible, ce travailleur a droit à l'indemnité de remplacement du revenu prévue par l'article 45 jusqu'à ce qu'il occupe cet emploi ou jusqu'à ce qu'il le refuse sans raison valable, mais pendant au plus un an à compter de la date où il devient capable de l'exercer.
L'indemnité prévue par le deuxième alinéa est réduite de tout montant versé au travailleur, en raison de sa cessation d'emploi, en vertu d'une loi du Québec ou d'ailleurs, autre que la présente loi.
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1985, c. 6, a. 49.
[16] Cette disposition établit clairement que ce n'est que lorsqu'un travailleur devient capable d'exercer à plein temps un emploi convenable qu'il pourrait avoir droit à une indemnité de remplacement du revenu réduite. L'emploi convenable doit donc avoir été préalablement déterminé avant de pouvoir avoir droit à une indemnité de remplacement du revenu réduite. En l'instance, la CSST a rendu sa décision déterminant un emploi convenable le 14 février 1994. Le travailleur ne pouvait avoir droit à une indemnité de remplacement du revenu réduite avant même que la CSST détermine l'emploi convenable.
[17] La partie de la décision de la Commission des lésions professionnelles du 30 novembre 1998 qui déclare que le travailleur « aurait droit, du moins en principe » à une indemnité de remplacement du revenu réduite pour la période du 24 septembre 1992 au 14 février 1994, s'appuie sur une interprétation erronée d'une règle de droit. Il s'agit d'une erreur manifeste de droit qui a un effet déterminant sur une partie de l'objet de la contestation puisqu'en raison de cette interprétation erronée de l'article 49 de la loi, la Commission des lésions professionnelles déclare que le travailleur pourrait avoir droit à une indemnité de remplacement du revenu réduite pour la période comprise entre le 24 septembre 1992 et le 14 février 1994 alors qu'il n'y a pas droit.
[18] Le représentant du travailleur soumet que les articles 49 et 52 de la loi s'appliquent dans ce cas et que l'emploi de denturologiste doit être considéré comme un nouvel emploi au sens de l'article 52 de la loi. Or, tel que mentionné précédemment, l'article 49 de la loi ne peut recevoir application. L'article 52 de la loi se lit ainsi :
52. Malgré les articles 46 à 48 et le deuxième alinéa de l'article 49, si un travailleur occupe un nouvel emploi, son indemnité de remplacement du revenu est réduite du revenu net retenu qu'il tire de son nouvel emploi.
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1985, c. 6, a. 52.
[19] Dans un premier temps, nulle part dans la décision du 30 novembre 1998 retrouve-t-on une référence à cette notion de « nouvel emploi ». Le commissaire parle d'un calcul de l'indemnité de remplacement du revenu réduite, qui est une notion prévue à l'article 49 de la loi.
[20] Dans un deuxième temps, le présent tribunal est d'avis que l'article 52 de la loi ne reçoit aucune application en l'espèce. L'emploi de denturologiste occupé par le travailleur depuis longtemps a été déterminé par la Commission des lésions professionnelles comme constituant un « emploi convenable ». Cet emploi convenable n'est pas un nouvel emploi parce que le travailleur l'exerce depuis des années, et par conséquent, ne saurait constituer le « nouvel emploi » dont il est question à l'article 52 de la loi.
[21] De plus, il appert très clairement de la décision que la Commission des lésions professionnelles était convaincue que le travailleur n'a jamais eu l'intention de suivre un programme de réadaptation et des cours de formation pour devenir technicien-préventionniste. Le travailleur, depuis au moins 1991, avait fait son choix personnel de poursuivre sa carrière comme denturologiste. Le dispositif de la décision est très clair que le travailleur n'a pas droit à la réadaptation ni aux indemnités qui s'y rattachent.
[22] La Commission des lésions professionnelles considère que la partie de la décision du 30 novembre 1998 qui concerne le droit du travailleur à l'indemnité de remplacement du revenu réduite pour la période du 24 septembre 1992 au 14 février 1994 est entachée d'un vice de fond de nature à l'invalider.
[23] La Commission des lésions professionnelles est donc d'avis d'accueillir la requête en révision présentée par l'employeur et de réviser en partie la décision du 30 novembre 1998 en déclarant nulle la conclusion selon laquelle le dossier est retourné à la CSST afin qu'elle décide du droit du travailleur à une indemnité de remplacement du revenu réduite pour la période du 24 septembre 1992 au 14 février 1994.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête en révision de l'employeur, Ville de St-Léonard;
RÉVISE en partie la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 30 novembre 1998;
DÉCLARE nulle la conclusion suivante du dispositif de la décision de la Commission des lésions professionnelles du 30 novembre 1998 :
« RETOURNE le dossier à la Commission de la santé et de la sécurité du travail pour qu'elle puisse décider du droit du travailleur à une indemnité de remplacement réduite pour la période du 24 septembre 1992 au 14 février 1994, et le montant, le cas échéant; »
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Santina Di Pasquale |
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Commissaire |
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F.A.T.A. - Montréal ( Monsieur Paul Côté ) 6839-A, rue Drolet Montréal (Québec) H2S 2T1 |
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Représentant du travailleur |
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Me Carmine Mercandante 5450, Jarry est, bureau 202 Saint-Léonard (Québec) H1P 1T9 |
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Représentante de l'employeur |
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Panneton, Lessard ( Me Isabelle Piché ) 432, rue de Lanaudière Joliette (Québec) J6E 7N2 |
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Représentante de la Commission de la santé et de la
sécurité du travail |
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.