[1.] La Commission des lésions professionnelles (le Tribunal) est saisie de deux demandes déposées par monsieur Jean Sauriol (le travailleur), le tout dans le cadre d’application des dispositions de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, L.R.Q., c. A-3.001 (la loi).
OBJET DE LA CONTESTATION
Dossier 109024 :
[2.] Il s’agit de la contestation logée le 29 janvier 1999 d’une décision rendue par la Division de la révision administrative de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la C.S.S.T.) le 10 décembre 1998. La décision attaquée confirmait quatre décisions antérieures de la C.S.S.T., lesquelles déclaraient ce qui suit :
- La lésion professionnelle du travailleur du 20 mai 1995 était consolidée le 18 avril 1997 avec atteinte permanente et limitations fonctionnelles (décision du 4 juin 1997) ;
- Malgré l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles, le travailleur était apte à reprendre son emploi prélésionnel de gardien de barrière au 19 juin 1997 (décision du 18 juin 1997) ;
- Le travailleur devait rembourser l’équivalent d’une journée de salaire, ayant recommencé le travail le 20 juin 1997 (décision du 23 juin 1997) ;
- Le travailleur n’avait pas droit au remboursement de ses frais d’entretien de son domicile (décision du 10 décembre 1998) ;
Dossier 109205 :
[3.] Il s’agit de la contestation logée le 19 janvier 1999 d’une décision de la révision administrative de la C.S.S.T. le 13 décembre 1998. Cette seconde décision attaquée confirmait une décision antérieure de la C.S.S.T. du 26 octobre 1998 qui se prononçait sur les 5 points de l’article 212 de la loi en regard d’une seconde lésion professionnelle survenue le 22 juin 1997 et qui déclarait, entre autres, le travailleur capable de reprendre son emploi prélésionnel de gardien de barrière à compter du 22 juillet 1998.
LES FAITS
[4.] En 1995, le travailleur (alors âgé de 55 ans) occupe un poste de gardien de barrière dans une usine de transformation de volailles. Son employeur réel est celui qui détient un contrat de surveillance auprès de l’entreprise, soit Investigations R.K. inc. Le 20 mai 1995, le travailleur est victime d’un accident du travail alors qu’il effectue une chute au travail. Il se blesse alors à la jambe gauche et au dos. Le premier diagnostic porté est « contusion à la jambe gauche et entorse lombaire ». Il s’est alors agi d’une lésion professionnelle reconnue.
[5.] Le travailleur est envoyé en physiothérapie et passe de nombreux examens. Un débat s’engage au niveau médical alors que le médecin du travailleur, le docteur Serge Pigeon, est d’opinion que la lésion n’est pas consolidée au 20 décembre 1995. Celui de la C.S.S.T., soit le docteur Marc Goulet, est d’opinion que celle-ci est consolidée au 3 janvier 1996. Un premier avis est donc demandé à un membre du Bureau d’évaluation médicale (BEM) de la C.S.S.T., le docteur Guy Lafond. Celui-ci (2 février 1996) est d’opinion que la lésion n’est pas encore consolidée à cette date. Il écrit :
« (…)
AVIS MOTIVÉ :
2- DATE OU PÉRIODE PRÉVISIBLE DE CONSOLIDATION DE LA LÉSION :
La contusion de la jambe gauche est guérie et donc consolidée.
Par ailleurs, l’entorse lombaire dure depuis plus de huit mois et semble rebelle au traitement conservateur tenté jusqu’à date, d’autant plus qu’elle s’est développée sur un rachis discopathique.
Évidemment le syndrome dure-mérien persiste. Il est possible que l’épidurale puisse l’améliorer ce qui permet d’inférer que la lésion n’est pas consolidée puisque tout l’arsenal thérapeutique n’a pas été utilisé.
La consolidation sera donc établie suivant le résultat du traitement. Si cette action n’amène aucune amélioration, il faudra admettre que la lésion est stabilisée et consolidée.
Si on contraire, elle apporte un soulagement appréciable seulement de la douleur et des signes cliniques, le médecin traitant devra donc statuer de la date de consolidation.
3- NATURE, NÉCESSITÉ, SUFFISANCE OU DURÉE DES SOINS OU TRAITEMENTS ADMINISTRÉS OU PRESCRITS :
Les injections épidurales doivent être tentées.
4- EXISTENCE OU POURCENTAGE D’ATTEINTE PERMANENTE À L’INTÉGRITÉ PHYSIQUE OU PSYCHIQUE DU TRAVAILLEUR :
Tant que la lésion ne sera pas consolidée, il est trop tôt pour présumer une atteinte permanente à l’intégrité physique, en relation avec l’événement du 20 mai 1995.
5- EXISTENCE OU ÉVALUATION DES LIMITATIONS FONCTIONNELLES DU TRAVAILLEUR :
Pour la raison soulignée plus haut, il est trop tôt pour établir des limitations fonctionnelles permanentes, en relation avec l’événement du 20 mai 1995. » (sic)
[6.] Le médecin du travailleur envoie son patient en consultation auprès du docteur Gilles Maurais qui pose un diagnostic de « maladie discale multi-étagée ». Le docteur Denis Ladouceur, médecin retenu par le travailleur, émet l’opinion que la lésion n’est pas encore consolidée au 1er avril 1997. Puis, le 18 avril 1997, le docteur Jean Crevier, urologue, soupçonne une « vessie neurogène ». La C.S.S.T. fait examiner le travailleur par le docteur Saidi en avril 1997. Ce médecin, retenant un diagnostic d’« entorse lombaire sur une discopathie lombaire préexistante » émet l’opinion que la lésion est consolidée au 28 avril 1997. Le dossier est à nouveau soumis à un membre du BEM de la C.S.S.T., soit le docteur Albert Gaudet le 27 mai 1997. Ce médecin émet l’avis suivant :
« (…)
AVIS MOTIVÉ :
1- DIAGNOSTIC :
Considérant que lors du fait accidentel, le premier médecin qui voit le malade pose un diagnostic d’entorse lombaire avec contusion de la jambe gauche;
Considérant que par la suite les divers médecins traitants qui ont suivi le malade ont toujours gardé le même diagnostic d’entorse lombaire, tout en poursuivant les traitements de physiothérapie;
Considérant que ce malade a montré au CT-Scan la présence de discopathie lombaire étagée;
Considérant qu’auparavant il était asymptomatique;
Le diagnostic est entorse lombaire et contusion de la jambe gauche.
2- DATE OU PÉRIODE PRÉVISIBLE DE CONSOLIDATION DE LA LÉSION :
Considérant que mon examen aujourd’hui est comparable à celui effectué par le docteur Saidi, chirurgien-orthopédiste où ce dernier note la présence de limitation des mouvements et que le malade ne nécessite aucun traitement additionnel, qu’il a bénéficié de physiothérapie, d’épidurale et d’un bloc facettaire;
Je consolide la lésion en date du 18 avril 1997.
3- NATURE, NÉCESSITÉ, SUFFISANCE OU DURÉE DES SOINS OU TRAITEMENTS ADMINISTRÉS OU PRESCRITS :
Considérant que ce malade présente des limitations de mouvements stables et qu’à l’heure actuelle, les traitements qu’il a subis ne changent rien à sa condition;
Considérant qu’aujourd’hui ce malade ne présente aucune atrophie musculaire, qu’une légère limitation des mouvements et aucun signe neurologique;
Il n’y a pas nécessité de quelque traitement que ce soit, après la date de consolidation de la lésion.
4- EXISTENCE OU POURCENTAGE D’ATTEINTE PERMANENTE À L’INTÉGRITÉ PHYSIQUE OU PSYCHIQUE DU TRAVAILLEUR :
SÉQUELLES ACTUELLES
code description DAP %
204004 Entorse lombaire avec 2 %
séquelles objectivées
5- EXISTENCE OU ÉVALUATION DES LIMITATIONS FONCTIONNELLES DU TRAVAILLEUR :
Considérant que ce malade présente une discopathie dégénérative lombaire préexistante;
Considérant qu’il était tout de même asymptomatique auparavant;
En relation avec l’événement du 20 mai 1995, je suggère les limitations fonctionnelles suivantes :
Ce malade devra :
- Éviter d’accomplir de façon répétitive ou fréquente des activités qui impliquent de soulever, porter ou pousser des objets dépassant 20 kg;
- Éviter de travailler en position accroupie :
- Éviter les mouvements de flexion, d’extension, d’inclinaison et de rotation extrêmes du rachis lombo-sacré. » (sic)
[7.] La C.S.S.T., entérinant l’avis du docteur Gaudet, a donc rendu en regard de cette affaire les décisions suivantes :
- le diagnostic retenu est « entorse lombaire et contusion à la jambe gauche » ; la lésion du 20 mai 1995 était consolidée au 18 avril 1997, avec atteinte permanente et limitations fonctionnelles (4 juin 1997) ;
- le travailleur était apte à reprendre son emploi prélésionnel de gardien de barrière au 19 juin 1997 (18 juin 1997) ;
- le travailleur doit rembourser à la C.S.ST. la journée du 19 juin 1997 puisqu’il a travaillé ce jour-là ou aurait dû travailler (23 juin 1997) ;
- le travailleur n’a pas droit aux frais d’entretien de son domicile (10 décembre 1998).
[8.] Entre temps toutefois, soit au 19 juin 1997, le travailleur avait effectivement tenté un retour au travail. Il a cependant été victime d’un nouvel accident du travail le 22 juin 1997 alors qu’il a effectué une chute sur un plancher glissant (dossier 109025). Il s’inflige alors des blessures mineures aux coudes et à la tête, mais aussi au dos. Lors de cette chute, il a perdu conscience. Ce nouvel événement a été accepté comme un accident du travail par la C.S.S.T..
[9.] En octobre 1997, le docteur Pigeon, médecin du travailleur, parlait de « cervico-dorsalgie et lombo-sciatalgie persistantes ». Le travailleur était référé au docteur Gilles Roger Tremblay, chirurgien orthopédiste. Celui-ci a fait procéder à des examens radiologiques du rachis lombaire avec projection latérale en flexion-extension. Dans une expertise du 10 octobre 1997, il écrit :
« (…)
EXAMEN RADIOLOGIQUE :
Des radiographies du rachis lombaire avec projection latérale en flexion-extension sont obtenues de même que des radiographies du bassin.
L’on note des ostéophytes de traction à presque tout les corps vertébraux lombaires et lors des films de flexion-extension il y a un rétro-listhésis important qui se corrige en flexion au niveau de L3-L4 et qui augmente à 6 mm en extension.
Il y a aussi un minime rétro-listhésis de L4 sur L5 qui passe de la position normale en flexion à 2 mm en extension.
OPINION :
Le diagnostic à retenir chez ce patient est une séquelle d’entorse lombaire avec instabilité lombaire L3-L4 majeure secondaire à l’entorse et irritation de la racine L4 gauche.
Effectivement nous ne croyons pas qu’aucun autre traitement est indiqué chez ce patient et la date de consolidation suggérée dans ce dossier par le docteur Bouthillier est certainement adéquate.
L’atteinte permanente chez ce patient s’évalue à :
- 2 % pour séquelle douloureuse d’entorse lombaire à l’item 204 004.
- 3 % pour instabilité lombaire démontrée en l’absence de fracture à l’item 204 576.
Les limitations fonctionnelles doivent être très sévères pour empêcher que ce patient ne s’aggrave avec son instabilité lombaire segmentaire et celles-ci sont :
- Activités sédentaires sans mouvement du tronc et sans effort de plus de 5 kilogrammes.
- Possibilité de se lever à volonté.
- Éviter tout déplacement sur des terrains accidentés.
- Éviter l’exposition aux vibrations de basse fréquence.
Étant donné la nature du travail que ce patient exerçait à son agence de sécurité nous croyons que ces limitations fonctionnelles sont incompatibles avec la reprise d’un tel travail. » (sic)
[10.] Le travailleur a aussi été référé au docteur Richard Lambert en mars 1998 et celui-ci recommandait d’autres traitements, sans déclarer la lésion consolidée. La C.S.S.T. a fait examiner le travailleur par le docteur Maleki. Celui-ci, retenant un diagnostic de « lombalgie sur discarthrose » déclarait la lésion consolidée au 22 juillet 1998. Le dossier a été soumis à un membre du BEM de la C.S.S.T., le docteur Pierre Bourgeau. Dans son avis du 24 septembre 1998, celui-ci écrit :
« (…)
AVIS MOTIVÉ :
1. DIAGNOSTIC :
Considérant l’histoire d’entorse lombaire subit par le requérant en 1995;
Tenant compte de l’évaluation du physiatre lors de son examen en date du 4 mars 1998;
Tenant compte de l’évaluation du docteur Gaudet concernant l’événement du 20 mai 1995, examen fait le 27 mai 1997 alors qu’il rappelait la présence d’arthrose au niveau du rachis dorso-lombaire chez le requérant et qu’il concluait à un diagnostic d’entorse lombaire avec séquelles fonctionnelles objectivées et émettait des limitations fonctionnelles en consolidant pour le 18 avril 1997;
Tenant compte de l’évaluation en date du 4 mars 1998 du docteur Richard Lambert, physiatre, lequel concluait à une dysfonction lombo-sacrée accompagnée d’un état tensionnel important et alors qu’il ne modifiait aucunement les conclusions du docteur Gaudet, maintenant l’atteinte permanente à l’intégrité physique de 2 % déjà recommandée et les limitations fonctionnelles émises par ce dernier;
Tenant compte de l’évaluation du docteur Mohammed Maleki en date du 22 juillet 1998, lequel concluait également à un syndrome de lombalgie sur discarthrose, recommandant une date de consolidation pour le 22 juillet 1998, considérant les traitements comme suffisants et considérant une non modification de l’atteinte permanente à l’intégrité physique recommandée par le docteur Gaudet en 1997 tout en rappelant essentiellement des limitations fonctionnelles similaires;
Tenant compte que les examens complémentaires chez ce requérant dont myéloscan et scanographie n’ont jamais démontré autre chose que des phénomènes de discarthrose;
Considérant notre examen actuel en date du 24 septembre 1998, lequel, à notre avis, est similaire de façon essentielle à toutes les évaluations antérieures, soit celles des docteurs Gaudet, Lambert et Maleki;
Considérant que notre examen alors qu’il ne fait la preuve d’aucun déficit neurologique spécifique tant au niveau des membres supérieurs qu’au niveau des membres inférieurs démontre des manifestations d’ankylose extrêmement variables et fluctuantes, tant au niveau du rachis cervical qu’au niveau du rachis lombo-sacré, l’étude de la mobilité du rachis chez le requérant étant souvent fort « paradoxale » selon les mouvements demandés et selon les moments de l’examen;
Nous devons conclure, en accord avec les docteurs Lambert et Maleki, que le diagnostic qui s’impose est celui d’un syndrome de lombalgie avec dysfonction lombo-sacrée exacerbée par un état de tension important et présence de discarthrose sous-jacente.
2. DATE OU PÉRIODE PRÉVISIBLE DE CONSOLIDATION DE LA LÉSION :
Notre examen étant essentiellement similaire à celui du docteur Maleki;
L’étude de tous les documents ne démontrant aucune modification sensible de l’état du requérant depuis le 22 juillet 1998 alors que tous les traitements avaient été cessés;
Nous sommes d’accord avec la date de consolidation émise par le docteur Maleki, soit la date du 22 juillet 1998.
3. NATURE, NÉCESSITÉ, SUFFISANCE OU DURÉE DES SOINS OU TRAITEMENTS ADMINISTRÉS OU REQUIS :
Quant aux traitements, ils apparaissent avoir été amplement suffisants, le requérant ne démontrant aucune amélioration significative de son état ou de sa condition malgré de multiples traitements de toues sortes. Nous ne voyons aucune autre forme de traitement à recommander dans le cas présent.
En l’occurrence, les limitations qui s’imposent sont celles :
- Éviter d’accomplir de façon répétitive ou fréquente des activités qui impliquent de soulever, porter ou pousser des objets dépassant 20 kilos;
- Éviter de travailler de position accroupie;
- Éviter les mouvements de flexion, d’extension, d’inclinaison et de rotations extrêmes du rachis lombo-sacré. »
[11.] Le 26 octobre 1998, la C.S.S.T. entérinait cet avis et décidait que le travailleur était apte à reprendre son emploi prélésionnel de gardien de barrière à compter du 22 juillet 1998.
[12.] Toutes ces décisions de la C.S.S.T ont fait l’objet de contestation devant la Division de la révision administrative. Les deux décisions de cette instance (10 décembre et 13 décembre 1998) ont rejeté toutes les prétentions du travailleur.
[13.] Avant l’audition, le représentant du travailleur a déposé une expertise additionnelle du docteur Gilles Roger Tremblay datée du 23 juin 1999. Il écrit :
« (…)
OPINION :
Ce patient présente de façon subjective, de façon objective et de façon objectivement démontrée à la radiographie une instabilité lombaire segmentaire L2-L3, L3-L4 et L4-L5, instabilité qui est démontrée par radiographie et qui correspond très bien à la symptomatologie de ce patient.
Le diagnostic à retenir donc en relation avec l’accident initial et en relation avec la rechute est celui d’instabilité lombaire objectivée en l’absence de fracture greffée sur une entorse lombaire ayant touché un rachis arthrosique.
Nous n’avons aucun traitement additionnel à suggérer à ce patient.
L’atteinte permanente demeure évaluée à 5% donc 2% pour séquelle d’entorse lombaire à l’item 204 004 et 3% pour instabilité lombaire démontrée en l’absence de fracture à l’item 204 576 et confirmée par les radiographies de flexion extension obtenues chez ce patient, il y a un an et demi.
Quant à l’évaluation des limitations fonctionnelles, il faut tenir compte du patient qui était totalement fonctionnel avant son accident et qui depuis est non fonctionnel principalement à cause d’une instabilité lombaire qui est venue compliquer une arthrose lombaire asymptomatique.
Ces limitations fonctionnelles doivent être de classe III et donc d’éviter tout effort de plus de 5 kilogrammes, éviter toute position soutenue pour plus de 20 minutes à la fois, favoriser les activités sédentaires sans mouvement du tronc, éviter les déplacements sur des terrains accidentés et éviter l’exposition aux vibrations de basse fréquence.
Nous croyons que ces limitations fonctionnelles sont suffisamment sévères pour être non compatibles avec le travail qu’effectuait monsieur Sauriol. » (sic)
[14.] En début d’audition, le représentant de l’employeur a aussi déposé une lettre de l’employeur datée du 16 juin 1999 et qui mentionne :
« (…)
À cause des exigences du contrat et de notre philosophie d’assurer un service adéquat et professionnel en tout temps à nos clients, je ne pouvais accepter de laisser Jean Sauriol travailler seul, au moment de son retour à l’ouvrage, tel que demandé par la représentante de la Commission. À ce temps-là, Sauriol ne semblait pas avoir la confiance nécessaire. »
[15.] Il a aussi déposé un rapport radiologique du 3 octobre 1997 indiquant, quant à la colonne lombo-sacrée du travailleur ce qui suit :
« (…)
COLONNE LOMBO-SACRÉE
EN POSITION NEUTRE, ALIGNEMENT SATISFAISANT DES SEGMENTS ET ARTHROSE MODÉRÉE.
EN MOUVEMENT DE FLEXION ET D’EXTENSION, L2 SE PROJETTE DE FAÇON DISCRÈTE POSTÉRIEUREMENT À L2 ET L3 ÉGALEMENT POSTÉRIEUREMENT À L4.
LES ESPACES INTERVERTÉBRAUX DEMEURENT TOUTEFOIS ASSEZ BIEN CONSERVÉS. »
[16.] Devant le Tribunal, seuls le travailleur et le docteur Gilles Roger Tremblay ont été entendus. Il y a lieu de noter ici que le travailleur se déplaçait difficilement avec l’aide d’une canne et qu’il a fallu suspendre son témoignage en raison de sa trop grande fatigue alléguée. Pendant son témoignage, il semblait soumis à un tremblement constant.
[17.] Le témoignage du travailleur, en résumé, expose qu’avant son premier accident du mois de mai 1995, il n’avait jamais eu de problèmes à la région dorso-lombaire. Il explique que son travail consiste à recevoir les gens et les véhicules qui se présentent aux diverses barrières de l’usine. Il doit les enregistrer, leur ouvrir les barrières et les refermer ensuite. Une journée de travail est généralement de 12 heures. Comme il est seul à la barrière, s’il s’occupe d’un véhicule, il doit faire attendre les autres gens et vice versa. Il contrôle ainsi trois barrières. La plus longue a 20 pieds. En hiver, il doit déneiger à la pelle le dessous des barrières et le rayon d’espace requis pour que celles-ci puissent être entièrement ouvertes ou fermées. Il arrive fréquemment que la partie la plus basse des barrières reste prise dans la neige et la glace. La manipulation de ces barrières nécessite une force égale à au moins 20 kilogrammes. Lorsque l’usine est inopérante, le gardien doit aussi effectuer des rondes de sécurité. Pour ce faire, il y a lieu de monter et descendre fréquemment des escaliers, soit sur l’équivalent de deux étages, et de circuler à l’extérieur sur les stationnements. En hiver, la marche sur les stationnements enneigés devient ardue.
[18.] Il explique, en regard de la journée d’indemnité de remplacement du revenu qu’on lui réclame, que cette journée-là, il n’a pas travaillé, étant aller chercher les permis requis pour reprendre son poste. Il s’agit donc d’un imbroglio relié à la réception en retard de sa lettre lui ordonnant un retour au travail.
[19.] Il déclare que lorsqu’il a repris le travail, soit le 20 juin 1997, il n’était pas capable d’effectuer les tâches qu’on lui demandait et ne se sentait pas prêt à reprendre ses tâches. Cela était tellement évident que son employeur, contrairement à la coutume, lui a fourni une autre personne pour travailler avec lui. Bien plus, toutes les tâches astreignantes ont été effectuées par ce dernier. À la fin de la première journée de travail, il avait mal partout et surtout à la région lombaire. Il a enduré son mal. Cependant, le 22 juin, à la fin d’une ronde, alors qu’il était extrêmement fatigué, il a fait une chute sur le sol glissant. Il soumet que, après le premier accident, il avait des douleurs au bas du dos et à la jambe gauche. Après le second, il avait des douleurs au niveau de tout le dos et aussi à la jambe gauche.
[20.] Il expose aussi ne pas être capable d’effectuer même de petites tâches domestiques. Il ne peut plus tondre sa pelouse, pelleter et passer sa souffleuse. Il soumet qu’il n’a plus de force et qu’il ne peut garder son équilibre.
[21.] Le docteur Gilles Roger Tremblay a témoigné dans le sens des deux expertises déposées. Il soumet en substance que dès les premières radiographies, il était apparu que le travailleur avait une condition personnelle sous-jacente probable, si l’on réfère à la scanographie du 3 août 1995, laquelle démontrait un rétrolisthésis au niveau L3 ainsi qu’au niveau L4 et L5. Il soumet qu’il est évident que les 250 traitements de physiothérapie ont aggravé la condition du travailleur plus qu’ils ne l’ont amélioré. Devant la panoplie de traitements conservateurs inefficaces, il a décidé de procéder à des radiographies de la colonne lombo-sacrée en position neutre et en mouvement de flexion et d’extension, et cela en position latérale. Cette investigation, la seule du genre au dossier, a démontré qu’il existait une instabilité lombaire prouvée radiologiquement. Or, selon lui, l’examen clinique corrobore l’image radiologique. Cette instabilité lombaire avait aussi été diagnostiquée par le docteur Bouthillier. Ce diagnostic explique les symptômes ressentis par le travailleur. Selon lui, la perduration de la pathologie aurait dû alerter les autres médecins. Lorsqu’un patient est affecté d’instabilité lombaire, cela produit les mêmes effets qu’une discoïdectomie non réussie ; dans un tel cas, en effet, on se trouve à provoquer une instabilité lombaire. C’est la raison pour laquelle il suggère des limitations fonctionnelles si sévères.
AVIS DES MEMBRES
[22.] Le membre issu des associations syndicales est d’opinion que :
En regard de la lésion du 20 mai 1995
- le diagnostic retenu devrait être celui du docteur Gilles Roger Tremblay parce qu’il se vérifie tant par la clinique que par la radiologie et qu’il a le mérite d’expliquer pourquoi une simple entorse lombaire a pris tant de temps avant d’être consolidée ;
- la date de consolidation doit être celle retenue par le docteur Gaudet, soit le 18 avril 1997 étant donné que même si le travailleur était en investigation, cela n’a pas modifié son état qui semblait le même un mois plus tard, date retenue par le docteur Tremblay ;
- le travailleur n’avait plus de soins à recevoir, car cela est même l’opinion de son médecin en charge et que les autres médecins sont aussi d’accord ;
- les limitations fonctionnelles sont celles retenues par le docteur Tremblay dans sa dernière expertise du 10 octobre 1997. En fait, la preuve a démontré que le travailleur n’était pas apte à reprendre son emploi prélésionnel et la seconde chute est peut-être la conséquence du fait de ne pas avoir respecté justement ces limitations ;
- l’atteinte permanente devrait être celle retenue par le docteur Tremblay dans son expertise du 10 octobre 1997. Comme le barème prévoit deux atteintes différentes compensables, il y a lieu de les additionner ;
- le travailleur aurait droit à sa journée en indemnité du remplacement du revenu du 19 juin 1997 étant donné qu’il s’agit d’un simple imbroglio et que le travailleur, de bonne foi, n’a pas à être pénalisé sur ce point ;
- le travailleur aurait droit au remboursement de ses frais d’entretien de domicile pour le déneigement et la tonte de son gazon : s’il ne peut effectuer ce genre de tâches au travail, il ne peut pas plus les effectuer chez lui ;
- en raison des limitations fonctionnelles retenues, il est évident que le travailleur ne pouvait effectuer un retour à son travail antérieur ; en effet, le seul déplacement d’une barrière exige un effort de déplacement de 20 kilogrammes alors que les limitations sont de 5 kilogrammes.
[23.] Il est aussi d’avis que :
En regard de la lésion du 22 juin 1997
- le diagnostic à retenir doit être celui du docteur Gilles Roger Tremblay pour les raisons précédemment mentionnées, soit celui d’« entorse lombaire et instabilité lombaire » ;
- la lésion était consolidée au 18 juillet 1998 parce que même le docteur Tremblay était d’avis que la lésion avait atteint un plateau de stabilisation ;
- l’atteinte permanente demeure la même que celle de la première lésion, les symptômes demeurant les mêmes et n’ayant pas été augmentés ;
- aucun soin additionnel n’était requis après le 18 juillet 1998, car le docteur Tremblay est du même avis à ce sujet que les autres médecins ;
- les limitations fonctionnelles retenues devraient être les mêmes que celles retenues par le docteur Tremblay dans son expertise du 23 juin 1999 en raison du fait qu’il faut éviter toute aggravation chez le travailleur ;
- le travailleur, dans les circonstances, était encore moins capable que la première fois de reprendre son emploi prélésionnel en raison de l’augmentation de ses limitations fonctionnelles ;
- le travailleur avait donc droit au versement d’indemnité de remplacement du revenu après le 22 juillet 1998.
[24.] Le membre issu des associations patronales a émis substantiellement le même avis que le membre syndical. Toutefois, cet avis diffère sur quelques points, dont les suivants :
En regard de la lésion du 20 mai 1995 :
- l’atteinte permanente de 5 % retenue par le docteur Tremblay devrait être limitée à 2 %, sinon, il y a risque de faire double emploi avec le poste du barème retenant une atteinte pour une entorse lombaire objectivée ;
- les frais d’entretien à domicile ne devraient pas être accordés, étant donné que l’atteinte permanente reconnue au travailleur n’est pas « grave » au sens de la loi.
[25.] Il est aussi d’avis que :
En regard de la lésion du 22 juin 1997 :
- l’atteinte permanente retenue, tel que précédemment mentionné, devrait se limiter à 2 % ;
- les limitations fonctionnelles additionnelles précisées dans le rapport du 23 juin 1999 ne devraient pas être retenues. On devrait maintenir celles du mois d’octobre 1997 puisqu’il n’a été démontré aucune aggravation de la condition réelle du travailleur à la suite de la seconde lésion. De plus, elles peuvent pénaliser inutilement le travailleur dans un emploi ultérieur.
MOTIFS DE LA DÉCISION
[26.] Le Tribunal doit décider des 5 points mentionnés à l’article 212 de la loi (et différents points accessoires) en regard des deux lésions professionnelles subies par le travailleur le 20 mai 1995 et le 22 juin 1997.
[27.] Les dispositions légales applicables à un tel cas sont substantiellement les suivantes :
224.1. Lorsqu'un membre du Bureau d'évaluation médicale rend un avis en vertu de l'article 221 dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par cet avis et rend une décision en conséquence. (…)
--------
1992, c. 11, a. 27.
358. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la Commission en vertu de la présente loi peut, dans les 30 jours de sa notification, en demander la révision.
.{Restriction.}.
Cependant, une personne ne peut demander la révision d'une question d'ordre médical sur laquelle la Commission est liée en vertu de l'article 224 ou d'une décision que la Commission a rendue en vertu de la section III du chapitre VII, ni demander la révision du refus de la Commission de reconsidérer sa décision en vertu du premier alinéa de l'article 365.
.{Restriction.}.
Une personne ne peut demander la révision de l'acceptation ou du refus de la Commission de conclure une entente prévue à l'article 284.2.
________
1985, c. 6, a. 358; 1992, c. 11, a. 31; 1996, c. 70, a. 40; 1997, c. 27, a. 14.
377. La Commission des lésions professionnelles a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l'exercice de sa compétence.
Elle peut confirmer, modifier ou infirmer la décision, l'ordre ou l'ordonnance contesté et, s'il y a lieu, rendre la décision, l'ordre ou l'ordonnance qui, à son avis, aurait dû être rendu en premier lieu.
________
1985, c. 6, a. 377; 1997, c. 27, a. 24.
[28.] Les décisions principales rendues en cette affaire font suite à des avis émis par des membres du BEM de la C.S.S.T. La Commission était liée par de tels avis et devait les entériner (art. 224.1). De plus, la Division de la révision administrative ne pouvait pas plus les remettre en cause (art. 358). Enfin, le présent Tribunal possède les pouvoirs requis (art. 377) pour évaluer à nouveau les preuves déposées et « rendre la décision qui, à son avis, aurait dû être rendue ». Toutefois, pour infirmer ou confirmer une décision, le Tribunal doit suivre la règle de droit et baser son opinion sur la preuve prépondérante.
LÉSION PROFESSIONNELLE DU 20 MAI 1995
[29.] Dans le cas sous étude, le point primordial à décider est celui du diagnostic. Lors d’un premier avis émis par le BEM, le docteur Lafond (en février 1996), qui devait se prononcer principalement sur une date de consolidation, prend le diagnostic double suivant pour acquis : « entorse lombaire et contusion à la jambe gauche ». En parlant de l’entorse lombaire, il mentionne :
« (…)
Par ailleurs, l’entorse lombaire dure depuis plus de huit mois et semble rebelle au traitement conservateur tenté jusqu’à date, d’autant plus qu’elle s’est développée sur un rachis discopathique.
Évidemment le syndrome dure-mérien persiste. Il est possible que l’épidurale puisse l’améliorer ce qui permet d’inférer que la lésion n’est pas consolidée puisque tout l’arsenal thérapeutique n’a pas été utilisé. » (sic)
[30.] Comme on l’a vu, la pathologie qui affectait le patient est restée rebelle même aux infiltrations suggérées et subies par la suite.
[31.] Lors du second avis émis par un membre du BEM, le docteur Gaudet (27 mai 1997) retient aussi le même diagnostic, soit « entorse lombaire et contusion de la jambe ». Il écrit :
« (…)
Considérant que par la suite les divers médecins traitants qui ont suivi le malade ont toujours gardé le même diagnostic d’entorse lombaire, tout en poursuivant les traitements de physiothérapie;
Considérant que ce malade a montré au CT-Scan la présence de discopathie lombaire étagée;
Considérant qu’auparavant il était asymptomatique;
Le diagnostic est entorse lombaire et contusion de la jambe gauche. » (sic)
[32.] À remarquer que, même après une perduration des symptômes sur une très longue période, aucun expert n’a retenu l’hypothèse que le travailleur pourrait être un simulateur. Il y a lieu d’ajouter ici que, devant le Tribunal, le travailleur a paru un homme dévasté, faisant beaucoup plus vieux que son âge. Pendant sa présence devant le Tribunal, il avait constamment besoin de changer de position. L’audition a dû être suspendue en raison de la fatigue qui semblait l’accabler. Le Tribunal ne croit pas être en présence d’un simulateur et son témoignage semble empreint de bonne foi. De tels faits constituent des données relatives sur lesquelles se base aussi le Tribunal pour rendre la présente décision.
[33.] Par contre, l’expert retenu par le travailleur, le docteur Tremblay, émet un diagnostic différent du membre du BEM, soit celui d’« entorse lombaire avec instabilité lombaire L3-L4 majeure secondaire à l’entorse et irritation de la racine L4 gauche ». De l’avis du Tribunal, c’est ce diagnostic qui devrait être retenu.
[34.] Le raisonnement suivi par le Tribunal est le suivant : lorsqu’une entorse lombaire demeure symptomatique pendant une période qui dépasse les normes, la science médicale doit chercher à en trouver les causes. Il est admis qu’une entorse lombaire, dépendamment de sa gravité, puisse durer de quelques jours à quelques semaines, voir à quelques mois. Mais lorsque les symptômes, comme dans le cas sous étude, demeurent pendant plusieurs années, il y a là un substratum qui doit être investigué. En premier lieu, la pathologie chez ce travailleur a été à ce point objectivée que, même s’il ne s’agit que d’une entorse lombaire, après 9 mois, le docteur Lafond, membre du BEM n’hésite aucunement à déclarer que la lésion n’est pas consolidée et qu’il faut tenter d’autres traitements. Tous les médecins admettent que le travailleur ne ressentait aucun symptôme avant l’accident de mai 1995. Les traitements donnés ne donnent aucun résultat. Particulièrement la physiothérapie qui semble aggraver le cas, ni les infiltrations. On investigue même la possibilité d’une « vessie neurogène ». Mais même le docteur Tremblay rejette cette hypothèse. Cependant, le seul à procéder à des examens radiologiques spécifiques concernant une « instabilité segmentaire lombaire » est le docteur Tremblay. Il est à noter que le « syndrome d’instabilité segmentaire lombaire » existe et est documenté dans la doctrine médicale. Il semble que cette pathologie ne suive toutefois pas un tableau clinique précis. L’hypothèse fournie dans les circonstances par le docteur Tremblay semble la plus probable et elle a le mérite d’expliquer la perduration de la pathologie. Ce qui vient conforter le Tribunal dans cette opinion est aussi le fait que la physiothérapie semble avoir aggravé la condition du travailleur, ce qui s’inscrit bien dans les conséquences d’une telle pathologie. En effet, plus on active des segments lombaires instables, plus les symptômes augmentent. La tardiveté de l’apparition d’un tel diagnostic ne peut faire échec ici à sa mise en application, étant donné que les examens pertinents ont suivi un processus évolutif dans le temps. De plus, ce médecin est le seul à avoir demandé et obtenu des radiographies spécifiques en ce sens.
[35.] Après une étude exhaustive de toute la preuve soumise en cette affaire, le Tribunal en arrive donc à la conclusion que le diagnostic à retenir doit être « contusion à la jambe gauche et entorse lombaire avec instabilité lombaire au niveau L3-L4 et irritation de la racine L4 gauche ».
[36.] Quant à la date de consolidation, il y a lieu de retenir celle émise par le docteur Gaudet, soit le 18 avril 1997, alors qu’il a examiné le travailleur le 20 mai suivant. Il retient la date de consolidation émise par le docteur Saidi, qui avait examiné le travailleur en avril. Quant au docteur Tremblay (qui a examiné le travailleur le 30 septembre 1997), il émet comme date de consolidation celle du docteur Bouthillier, qui est celle du 22 mai 1997. Comme il ne s’est rien passé de vraiment particulier au niveau des symptômes entre le 18 avril et le 22 mai 1997, le Tribunal juge que la preuve médicale prépondérante est à l’effet que la condition médicale du travailleur avait atteint un plateau de récupération au 18 avril 1997 et c’est cette date qui sera retenue, et cela malgré les investigations en cours.
[37.] Quant à l’atteinte permanente, il y a lieu de retenir qu’on doit accorder au travailleur un déficit de 5 % tel que suggéré par le docteur Tremblay. Le docteur Gaudet n’avait retenu que 2 %, soit « séquelle d’entorse lombaire fonctionnelle objectivée, avec ou sans changement radiologique » (code 204004 du barème). Le docteur Tremblay avait ajouté un 3 % additionnel, soit « instabilité objectivée en l’absence de fracture » (code 204576 du barème). La représentante de la C.S.S.T. a argumenté que le barème ne prévoyait pas un déficit par diagnostic, mais un déficit par séquelle. Or, il faut reconnaître ici que le barème prévoit deux codes différents, ce qui semble correspondre à deux atteintes différentes. Une entorse lombaire est une chose et une instabilité aux niveaux des vertèbres en est une autre. Le Tribunal retient donc en addition ce 3 %, ce qui donne un total de 5 %.
[38.] Quant aux soins ultérieurs à donner au travailleur après cette date, il semble qu’il y ait unanimité. Même le docteur Tremblay arrive à la conclusion qu’aucun autre traitement n’est indiqué chez le travailleur.
[39.] Quant aux limitations fonctionnelles, il faut retenir celles qui sont en corrélation avec le diagnostic retenu. En effet, s’il ne s’était agi que d’une simple entorse lombaire, les limitations fonctionnelles n’auraient pas eu à être si sévères. Celles émises par le docteur Tremblay, dans son expertise du 10 octobre 1997 que le Tribunal retient, sont les suivantes :
« (…)
- Activités sédentaires sans mouvement du tronc et sans effort de plus de 5 kilogrammes.
- Possibilité de se lever à volonté.
- Éviter tout déplacement sur des terrains accidentés.
- Éviter l’exposition aux vibrations de basse fréquence. »
[40.] En effet, dans son expertise du 23 juin 1999, le docteur Tremblay avait ajouté …« d’éviter toute position soutenue pour plus de 20 minutes à la fois ». Comme la condition du travailleur ne s’est pas détériorée au niveau de l’atteinte permanente à la suite de la seconde lésion, il devient difficile d’accepter sans autre justification ces limitations fonctionnelles additionnelles à titre permanent.
[41.] Il reste à savoir si le travailleur pouvait, au 18 juin 1997, reprendre son emploi prélésionnel. La preuve a démontré que les tâches du travailleur n’étaient pas des plus astreignantes. Toutefois, de l’avis du Tribunal, elles ne respectaient pas les limitations fonctionnelles retenues. Les seules barrières nécessitent l’utilisation d’une force équivalente à soulever un poids de 18 kilogrammes, alors que les limitations n’en permettent que 5. Sans analyser tous les points mis en preuve en regard de la capacité pour le travailleur de refaire ses tâches, il y a lieu de souligner que le seul fait de pelleter (pelletage alentour du poste de la barrière) contrevient à la limitation qui empêche les mouvements du tronc. Dans les circonstances, le Tribunal n’a aucune hésitation à déclarer que le travailleur ne pouvait reprendre ses tâches au 18 juin 1997. Cette constatation est aussi corroborée par l’attitude de l’employeur qui, après avoir constaté de visu la condition du travailleur, n’a pas pris de chance et a payé un autre employé pour l’assister dans ses fonctions. On connaît d’ailleurs la suite, alors que le travailleur a été victime d’un second accident, et cela après quelques jours de travail seulement.
[42.] Le travailleur, au lieu de se présenter au travail au jour convenu, soit le 19 juin, se serait plutôt occupé d’aller chercher « sa carte de gardien de sécurité ». La C.S.S.T. a refusé de lui verser son indemnité pour cette journée-là. Les explications fournies par le travailleur sont plausibles et le Tribunal décide donc de lui accorder le versement d’indemnité pour la journée qu’on lui réclame.
[43.] Il reste à savoir si le travailleur a droit au remboursement de ses frais d’entretien à domicile à la suite de la première lésion. La jurisprudence semble divisée sur la question, des commissaires ne retenant que des frais remboursables dans les cas d’« atteinte grave ». La question qu’il faut se poser n’est pas celle de savoir si le travailleur peut ou non effectuer certains travaux d’entretien domestique, mais celle de savoir si la loi en permet le remboursement. C’est dans le contexte global d’application de la loi que cette question doit être tranchée. On imagine facilement que si tous les travailleurs incapables de vaquer à leurs occupations domestiques d’entretien devraient voir leurs frais être ainsi remboursés, il en coûterait des sommes considérables annuellement à la C.S.S.T. Il faut retenir que la loi constitue un régime d’assurance collectif. Or, la loi prévoit que ces frais sont remboursables dans les cas uniquement d’« atteinte permanente grave ». Le Tribunal pense ici aux travailleurs qui ont perdu l’usage d’un ou de plusieurs membres, les paraplégiques et ceux qui sont impotents d’une manière substantielle. Il faut de plus retenir que, en recevant son indemnité de remplacement du revenu, le travailleur peut s’en servir pour se payer certains services. Même si la condition du travailleur est problématique, elle ne rencontre pas, de l’avis du Tribunal, les critères permettant de retenir que le travailleur est affecté d’une « atteinte permanente grave » au sens de la loi. Cela, d’autant plus qu’il semble affecté d’autres pathologies d’origine personnelle qui aggravent sa condition. Ces frais seront donc refusés.
LÉSION PROFESSIONNELLE DU 22 JUIN 1997
[44.] Le diagnostic retenu est le même que celui du 20 mai 1995. Mais, comme la preuve l’a démontré, le travailleur a subi aussi un traumatisme aux coudes. Mais, les mêmes symptômes que ceux reliés à la première lésion ont repris et ont été exacerbés momentanément.
[45.] Cette lésion était consolidée au 18 juillet 1998 étant donné que la preuve médicale prépondérante est à l’effet que les soins et traitements ne pouvaient plus apporter d’amélioration au travailleur.
[46.] Aucun soin additionnel n’était requis, selon ce qui se dégage de l’ensemble des expertises déposées.
[47.] Tel que discuté au préalable, l’atteinte permanente n’a pas été augmentée et est demeurée la même de même que les limitations fonctionnelles.
[48.] Comme le travailleur ne pouvait reprendre son emploi prélésionnel après le 22 juillet 1998, cela en raison de ses limitations fonctionnelles, il avait donc droit au versement d’indemnité de remplacement du revenu après cette date.
[49.] PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE en partie la demande déposée devant elle par monsieur Jean Sauriol ;
INFIRME en partie les décisions rendues par la Division de la révision administrative de la Commission de la santé et de la sécurité du travail les 10 et 13 décembre 1998 ;
DÉCLARE que, relativement à la lésion professionnelle du 20 mai 1995 :
- le diagnostic est « contusion à la jambe gauche et entorse lombaire avec instabilité lombaire au niveau L3-L4 et irritation de la racine L4 gauche »;
- la lésion était consolidée au 18 avril 1997;
- l’atteinte permanente (Dr Tremblay : codes 204004 et 204576) était de 5 % plus le D.P.J.V. (douleurs et perte de jouissance de la vie) ;
- aucun soin n’était requis après le 18 avril 1997 ;
- les limitations fonctionnelles suivantes sont retenues :
« -Activités sédentaires sans mouvement du tronc et sans effort de plus de 5 kilogrammes.
- Possibilité de se lever à volonté.
- Éviter tout déplacement sur des terrains accidentés.
- Éviter l’exposition aux vibrations de basse fréquence. » ;
- le travailleur n’était pas apte à reprendre son emploi prélésionnel au 18 juin 1997 ;
DÉCLARE que le travailleur n’a pas droit au remboursement de ses frais d’entretien à domicile ;
DÉCLARE que, relativement à la lésion professionnelle du 22 juin 1997 :
- le diagnostic est « contusion aux coudes et à la région lombaire sur instabilité lombaire au niveau L3-L4 et irritation de la racine L4 gauche » ;
- la lésion était consolidée au 18 juillet 1998 ;
- aucun soin additionnel n’était requis après cette date ;
- aucune atteinte permanente additionnelle ;
- aucune limitation fonctionnelle additionnelle ;
- le travailleur n’étant pas apte à reprendre son emploi prélésionnel en raison de ses limitations fonctionnelles antérieures ;
- il avait droit au versement d’indemnité de remplacement du revenu après cette date.
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Me RENÉ OUELLET |
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Commissaire |
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LAPORTE & LAROUCHE |
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Représentant de la partie requérante |
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PANNETON, LESSARD |
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Représentante de la partie intervenante |
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AVIS :
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