Morris et Direction générale des affaires policières |
2013 QCCLP 2119 |
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[1] Le 31 janvier 2012, monsieur François Morris (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 24 janvier précédent à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 2 septembre 2011 et déclare que le travailleur n’a pas droit à une aide personnelle à domicile.
[3] Une audience est tenue le 16 janvier 2013 à Saint-Hyacinthe en présence du travailleur et de sa représentante. La Direction générale des affaires policières (l’employeur) et la CSST sont absentes à l’audience, ce dont elles ont préalablement informé le tribunal.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande de rétablir la décision rendue par la CSST le 2 mai 2007 concernant le versement d’une somme de 40 $ aux deux semaines pour le ménage et demande de retourner le dossier à la CSST afin qu’elle se prononce sur sa demande d’indexation de ces frais.
LES FAITS
[5] Le travailleur occupe un emploi de constable spécial/garde du corps à la protection ministres et autres dignitaires du Québec depuis 2002. Il est âgé de 31 ans lorsque, le 1er novembre 2005, il est gravement heurté par un véhicule automobile, dans l’exercice de ses fonctions. Les diagnostics de la lésion professionnelle sont un trauma crânien sévère ainsi qu’une fracture bimalléolaire de la cheville droite, une dysfonction méniscale des articulations temporomandibulaires droite et gauche avec ostéoarthrose, une luxation des articulations temporomandibulaires droite et gauche, une parafonction masticatoire (bruxisme) et des fractures dentaires.
[6] La lésion professionnelle du travailleur est consolidée le 25 octobre 2006, avec une atteinte permanente à l’intégrité physique et psychique totalisant 82,60 % et les limitations fonctionnelles suivantes :
Ne pas occuper un poste qui nécessite une activité intellectuelle élevée;
Pas de travail qui nécessite une bonne dextérité de la main non dominante (gauche);
Pas de travail qui oblige de monter dans des échelles ou des escabeaux ou à circuler sur des passerelles étroites et surélevées.
[7] Le travailleur reprend ses fonctions prélésionnelles de constable spécial/garde du corps, le ou vers le 25 octobre 2006.
[8] Le 20 décembre 2006, la CSST rend une décision par laquelle elle constate que le travailleur est capable d’exercer son emploi depuis le 25 octobre précédent.
[9] Le travailleur explique à l’audience qu’à son retour au travail, après la consolidation de sa lésion professionnelle, il présente une grande fatigabilité. Une fois qu’il a effectué son travail de constable spécial/garde du corps, il n’est plus capable de faire à la maison les travaux qu’il réalisait avant son accident. Le travailleur, qui avait lui-même construit sa résidence et qui effectuait les travaux d’entretien et de ménage avant sa lésion professionnelle, ne peut plus faire le ménage, tondre la pelouse, déneiger, s’occuper de sa famille parce qu’il n’a plus d’énergie. Ces tâches qu’il effectuait auparavant sont maintenant effectuées par des tiers qu’il doit rémunérer.
[10] C’est dans ce contexte que l’agente de la CSST, informée de cette situation, décide, au printemps 2007, d’autoriser le remboursement de divers travaux, notamment l’entretien ménager afin d’aider le travailleur à retrouver une vie normale, autant que faire se peut. Il appert en effet des notes au dossier que, le 18 avril 2007, la CSST accepte de rembourser au travailleur des frais pour des travaux d’entretien pour le gazon, le déneigement et la peinture ainsi qu’une somme de 40 $ aux deux semaines pour du ménage. L’agent s’exprime ainsi dans les notes consignées au dossier :
Aspect Médical
M. arrive à la maison il est fatigué, il se demande comment il va faire, il tourne en rond et finalement il ne fait rien. Avant son TCC, M. n’arrêtait pas, il a construit sa maison, rien n’était impossible. Actuellement, la chambre de bain n’est pas faite, mais M. n’a pas l’énergie pour faire les travaux, de plus M. doute de lui, depuis l’accident, il a peur de ne pas faire le travail correctement. Mme se demande comment faire, car son conjoint avant l’accident il aidait beaucoup à l’entretien et le ménage et s’occupait du jeune bébé. M. n’est plus le même, il essaie de se reposer, mais comme l’ouvrage ne se fait pas, il devient hors de lui.
Mme travaille 5 jours sem. à Montréal, elle n’arrive pas avant 6 heures. Son conjoint [est] sur la route, il est souvent parti.
Aspect Professionnel
Solution: Mme nous demande de l’aide pour le gazon, la neige, et la peinture, Nous sommes d’accord pour cette aide. Nous parlons également de 40,00 aux 2 sem. pour le ménage. Il arrive très souvent que les couples se séparent après un traumatisme crânien, car la personne n’est plus la même. Dans ce cas ci, heureusement, M. a pu reprendre son travail. Mais n’a plus les capacités pour être fonctionnel après son travail, et la fin de semaine. Dans les circonstances, Nous autorisons ces frais.
Comme il n’y aura pas vraiment d’amélioration suite à un TCC de 2005, nous autorisons ces frais dans les années a venir aussi. [sic]
[11] Cette décision fait l’objet d’une décision écrite, le 2 mai suivant : la CSST accepte, d’une part, de rembourser les frais reliés à divers travaux tels que l’entretien du gazon, le déneigement et la peinture et, d’autre part, le remboursement d’une somme de 40 $ aux deux semaines pour le ménage ainsi que des frais pour le lavage de vitres une fois par année. La CSST s’exprime comme suit :
Vous nous avez fait part de votre demande pour certains frais pour des travaux d’entretien, le gazon, le déneigement, la peinture pour quelques pièces. Nous autorisons ces frais de travaux d’entretien. Nous vous demandons 2 soumissions pour les divers travaux. Il faut considérer que les travaux de peinture sont payable aux 3 ans.
Vous nous faites part aussi d’une demande pour l’entretien du ménage, et le lavage de vitre. Nous autorisons 40,00 aux 2 semaine pour le ménage. Nous autorisons un lavage de vitres une fois par année.
Exceptionnellement nous autorisons ces travaux pour le futur aussi.
[12] Le travailleur affirme à l’audience qu’il n’y a eu aucune modification à sa condition physique ou psychique depuis le printemps 2007. Il exerce toujours son emploi de constable spécial/garde du corps. Son horaire de travail est exigeant. Il travaille huit jours de suite, pendant lesquels il est en service 24 heures sur 24, de sorte que ses périodes de sommeil peuvent être interrompues à tout moment. Il est ensuite en congé six jours consécutifs. Il effectue toutes les tâches de son emploi, mais sa capacité de récupération après sa séquence de travail est toujours aussi longue aujourd’hui qu’elle l’était en 2007. Il n’est toujours pas en mesure d’effectuer les travaux d’entretien du gazon, du déneigement, de peinture, de ménage et de lavage de vitres.
[13] Depuis la décision autorisant le remboursement des frais mentionnés dans les décisions des 18 avril et 2 mai 2007, l’entretien ménager de la résidence du travailleur est effectué par les mêmes personnes qui facturent la somme de 75 $ au travailleur. Sur présentation de la facture pour cet entretien ménager, la CSST lui rembourse la somme de 40 $ toutes les deux semaines, jusqu’au mois d’août 2011.
[14] Au cours du mois d’août 2011, le travailleur demande à la CSST d’indexer le montant du remboursement versé pour les frais d’entretien ménager hebdomadaire. Il explique en effet à l’audience que les personnes qui effectuent son entretien ménager le font au même tarif depuis 2007. En août 2011, elles l’informent qu’elles désirent obtenir une augmentation de ce tarif. Le travailleur leur demande alors de patienter avant de ce faire, le temps de formuler une demande à cet effet à la CSST. C’est alors qu’il demande une indexation des frais d’entretien ménager qui lui sont versés.
[15] C’est dans le contexte de cette requête que la CSST rend, le 2 septembre 2011, la décision intitulée « Décision concernant l’aide personnelle à domicile ». Cette décision a pour effet d’informer le travailleur qu’aucune allocation d’aide personnelle à domicile ne peut lui être versée, pour le motif que cette aide n’est pas nécessaire à son maintien à domicile. Confirmée à la suite d’une révision administrative, cette décision donne lieu au présent litige.
[16] Il appert des notes évolutives du 30 août 2011 que la conseillère au dossier retient que la décision de rembourser au travailleur 40 $ toutes les deux semaines pour le ménage à domicile l’est à titre de frais d’entretien courant du domicile. Elle note au dossier qu’elle estime toutefois que les coûts de l’entretien ménager ne relèvent pas des frais d’entretien courant du domicile puisqu’elle est d’avis que la capacité de faire le ménage hebdomadaire doit plutôt être évaluée au moyen de la Grille d’évaluation des besoins d’aide personnelle à domicile.
[17] Ainsi, le 2 septembre 2011, la conseillère de la CSST rencontre le travailleur qui lui relate ce dont il a témoigné en substance à l’audience, à savoir qu’il est autonome dans ses activités de la vie quotidienne, qu’il n’a pas besoin de soutien à cet égard ni en terme de surveillance et que c’est principalement l’élément fatigabilité qui l’empêche d’être physiquement fonctionnel à la maison lorsqu’il arrive du travail.
[18] La conseillère explique alors au travailleur que le remboursement des frais de ménage hebdomadaire est inclus dans la portion « aide personnelle » de la Grille d’évaluation des besoins d’aide personnelle à domicile et non dans les travaux « d’entretien courant » du domicile et qu’elle doit faire l’analyse de sa demande en fonction du droit à l’aide personnelle. Elle remplit donc la grille concernant les besoins du travailleur et conclut que, conformément aux explications du travailleur, il n’a pas besoin d’assistance personnelle et domestique ni de surveillance. La conseillère note au dossier qu’elle est d’avis que le travailleur n’aurait pas dû recevoir de remboursements pour les frais de ménage hebdomadaire puisque pour avoir droit à l’aide personnelle, son maintien à domicile doit être menacé, ce qui n’est pas le cas.
[19] Malgré la décision de la CSST, rendue le 2 septembre 2011, le travailleur continue de recevoir des services d’entretien ménager aux deux semaines puisqu’il n’a pas l’énergie pour le faire lui-même depuis sa lésion professionnelle. La seule différence est qu’il assume maintenant la totalité du coût de ces services, soit 75 $ toutes les deux semaines, alors qu’auparavant, la CSST assumait une portion de 40 $ de cette somme.
L’AVIS DES MEMBRES
[20] Le membre issu des associations d’employeurs et la membre issue des associations syndicales sont d’avis d’accueillir la requête du travailleur. Ils estiment en effet que la preuve démontre que le travailleur a droit, en vertu de l’article 165 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), au versement, toutes les deux semaines, d’une somme de 40 $ pour l’entretien ménager.
[21] Dans ces circonstances, le membre issu des associations d’employeurs et la membre issue des associations syndicales sont d’avis de retourner le dossier à la CSST afin qu’elle dispose de la demande du travailleur d’indexer les frais d’entretien du ménage de 40 $ aux deux semaines.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[22] Le tribunal doit décider si la décision de la CSST de mettre fin au paiement de frais de ménage de 40 $ toutes les deux semaines est justifiée.
[23] Le 2 mai 2007, la CSST autorise un remboursement de 40 $ aux deux semaines au travailleur pour « l’entretien du ménage », et ce, exceptionnellement, précise-t-elle, également pour le futur.
[24] Il appert des notes au dossier et de la décision rendue le 2 septembre 2011 qu’en 2011, la conseillère au dossier, qui est saisie de la demande d’indexation de la somme de 40 $ toutes les deux semaines, décide d’abord de revoir la décision d’attribuer cette somme au travailleur en vertu des règles concernant l’aide personnelle domicile énoncées à l’article 158 de la loi.
[25] Elle procède donc à une évaluation des besoins du travailleur en fonction de la Grille d’évaluation des besoins d’aide personnelle à domicile du travailleur et conclut que ce dernier n’a pas, en vertu de cette grille, besoin d’aide pour être maintenu à domicile et que, pour ce motif, il n’a pas droit à des frais pour l’entretien du ménage. Elle a donc mis fin au remboursement de la somme de 40 $ aux deux semaines pour ce motif,
[26] De l’avis du tribunal, la CSST a erronément mis fin au versement de cette somme au travailleur.
[27] L’article 145 de la loi prévoit qu’un travailleur qui a subi une atteinte permanente à son intégrité physique et psychique en raison d’une lésion professionnelle, ce qui est le cas du travailleur, a droit à la réadaptation que requiert son état en vue de sa réinsertion sociale.
[28] L’article 146 de la loi, prévoit qu’afin d’assurer l’exercice de ce droit, la CSST prépare et met en œuvre, un plan individualisé de réadaptation qui peut comprendre, selon les besoins du travailleur, un programme de réadaptation physique, sociale et professionnelle.
[29] En vertu de l’article 151 de la loi, un programme de réadaptation sociale a pour but d’aider un travailleur à surmonter, dans la mesure du possible, les conséquences personnelles et sociales de sa lésion, à s’adapter à la situation qui découle de cette lésion et à redevenir autonome dans l’accomplissement de ses activités habituelles.
[30] L’article 152 de la loi prévoit que le paiement de frais d’aide personnelle à domicile et le remboursement du coût des travaux d’entretien courant du domicile font partie des mesures que peut comprendre un programme de réadaptation sociale.
[31] Concernant l’aide personnelle à domicile, l’article 158 de la loi prévoit que, pour avoir droit à l’aide personnelle à domicile, un travailleur doit satisfaire trois conditions[2] : il doit être incapable de prendre soin de lui-même et d’effectuer sans aide les tâches domestiques qu’il effectuerait normalement et l’aide doit être requise pour son maintien ou son retour à domicile :
158. L'aide personnelle à domicile peut être accordée à un travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, est incapable de prendre soin de lui-même et d'effectuer sans aide les tâches domestiques qu'il effectuerait normalement, si cette aide s'avère nécessaire à son maintien ou à son retour à domicile.
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1985, c. 6, a. 158.
[32] L’article 159 de la loi prévoit par ailleurs que l'aide personnelle à domicile comprend les frais d'engagement d'une personne pour effectuer les tâches domestiques que le travailleur effectuerait si ce n'était de sa lésion :
159. L'aide personnelle à domicile comprend les frais d'engagement d'une personne pour aider le travailleur à prendre soin de lui-même et pour effectuer les tâches domestiques que le travailleur effectuerait normalement lui-même si ce n'était de sa lésion.
Cette personne peut être le conjoint du travailleur.
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1985, c. 6, a. 159.
[33] Aux fins d’établir le droit à l’aide personnelle à domicile d’un travailleur, la CSST a, par ailleurs, adopté le Règlement sur les normes et barèmes de l’aide personnelle à domicile[3] qui contient une grille d’évaluation des besoins d’aide personnelle à domicile, laquelle a été utilisée par la conseillère en réadaptation de la CSST le 2 septembre 2011.
[34] Le tribunal s’étonne de la décision de la CSST en 2011 de revoir l’autorisation de verser la somme de 40 $ aux deux semaines, accordée en 2007 pour l’entretien ménager en appliquant les règles de l’article 158 de la loi.
[35] En effet, d’une part, le travailleur n’a jamais prétendu ni en 2007 ni en 2011 être incapable de prendre soin de lui-même. De plus, la lecture du dossier, notamment les notes du 18 avril 2007 et la décision écrite du 2 mai suivant, permet de constater que, pour la CSST, il n’est à cette époque nullement question de verser une aide au travailleur en considération du fait qu’il soit incapable de prendre soin de lui-même. Les notes au dossier permettent plutôt de constater que, le 18 avril 2007, la CSST retient que le travailleur est retourné au travail, qu’il est fatigué lorsqu’il arrive à la maison, qu’il n’a pas d’énergie pour faire les travaux qu’il faisait auparavant et qu’il n’a « plus les capacités pour être fonctionnel après son travail, et la fin de semaine ».
[36] D’autre part, la décision de la CSST en 2011 surprend d’autant plus que, la jurisprudence du tribunal reconnaît que, même si un travailleur n’a pas droit à l’aide personnelle à domicile en vertu de l’article 158 de la loi parce qu’il est capable de prendre soin de lui-même au sens de cet article, il peut avoir droit au remboursement des frais engagés pour faire exécuter les travaux d’entretien ménager de son domicile en vertu de l’article 165 de la loi.
[37] L’article 165 prévoit ce qui suit :
165. Le travailleur qui a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison d'une lésion professionnelle et qui est incapable d'effectuer les travaux d'entretien courant de son domicile qu'il effectuerait normalement lui-même si ce n'était de sa lésion peut être remboursé des frais qu'il engage pour faire exécuter ces travaux, jusqu'à concurrence de 1 500 $ par année.
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1985, c. 6, a. 165.
[38] Or, dans l’affaire Lebel et Municipalité Paroisse de Saint-Éloi[4], le tribunal retient que les articles 158 et 165 de la loi visent des situations différentes concernant la capacité d’un travailleur et doivent être interprétés en tenant compte de l’objet de la loi exprimé à l’article 1, soit « la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu’elles entraînent pour les bénéficiaires ». Le tribunal s’exprimait ainsi dans cette affaire :
[26] Ce que la travailleuse demande cependant, c'est l'application de l'article 165 précité et elle soutient que l'entretien ménager qu'elle ne peut plus faire en raison des deux chirurgies au niveau lombaire, (passer l'aspirateur, laver les planchers, nettoyer les salles de bain, les vitres, etc.) constitue des « travaux d'entretien courant du domicile ».
[27] La représentante de la CSST soutient le contraire, et à ce sujet, dépose une décision rendue par la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d'appel) en 1997(2). Dans celle-ci, le commissaire fait une distinction entre les « travaux d'entretien courant du domicile » (art. 165) et « les tâches domestiques » (art. 158). Après avoir fait état des définitions des mots « domestique » et « entretien » par le dictionnaire Petit Robert, le commissaire conclut ainsi :
À la lumière des définitions précitées, la Commission d'appel est d'avis que le déplacement de meubles et de lavage de planchers se retrouvent davantage dans la catégorie des tâches domestiques et qu'il apparaît difficile de les relier à des soins, réparations ou dépenses qu'exige le maintien en bon état d'un bien. En somme, il s'agit de travaux requis pour la propreté, le confort et la commodité des lieux et qui ne se justifient pas au titre du maintien en bon état physique d'un bien.»
[28] Avec égard, la soussignée ne partage pas cette interprétation étroite de la notion de « travaux d'entretien courant du domicile ». […]
[…]
[30] Le tribunal ne peut conclure, comme le fait le commissaire Roy, que l’entretien ménager participe uniquement à « la propreté, le confort et la commodité des lieux ». Qu’il suffise d’imaginer un intérieur mal entretenu, des planchers et des tapis sales et poussiéreux, des salles de bain encrassées, des vitres et des miroirs qui ne sont pas nettoyés régulièrement, une cuisinière et un réfrigérateur malpropres pour se convaincre qu’il ne s’agit pas ici seulement de confort ou de commodité. Si un entretien régulier n’est pas fait, il est manifeste que le domicile ne sera pas « maintenu en bon état ». Il lui faut donc des soins réguliers, habituels, ordinaires, courants.
[31] Même si, à l’article 158, on parle de travaux domestiques, il faut comprendre que cette disposition s’applique à « l’aide personnelle à domicile », qui inclut certes ce genre de travaux, mais qui vise plutôt des situations beaucoup plus graves en terme de conséquences immédiates, puisqu’on associe cette aide au fait qu’un travailleur soit incapable de prendre soin de lui-même dans des activités de base comme se laver, aller à la toilette, etc. On a qu’à examiner la grille d’évaluation pour constater que l’on vise ici des cas lourds.
[32] L’article 165, quant à lui, n’est pas conditionnel à l’impossibilité de prendre soin de soi-même mais vise plutôt les cas où un travailleur demeure avec une atteinte permanente grave et, généralement, avec des limitations fonctionnelles importantes, qui l’empêchent de reprendre certaines activités pré-lésionnelles qu’il effectuait auparavant, soit des travaux d’entretien courant. De l’avis de la Commission des lésions professionnelles, cette interprétation va dans la logique de la loi, qui « a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu’elles entraînent pour les bénéficiaires4 ».
[Référence omise]
[39] Ainsi, en vertu de cette décision qui fait l’objet d’un large consensus au sein du tribunal[5] auquel la soussignée adhère, l’entretien ménager peut constituer autant une tâche domestique prévue à l’article 158 de la loi qu’un travail d’entretien courant du domicile visé à l’article 165 de celle-ci, sous réserve du respect des conditions énoncées à cet article. Le remboursement des frais engagés par un travailleur pour l’entretien ménager peut être remboursé aux conditions prévues à l’article 165 de la loi, même si le travailleur, n’étant pas incapable de prendre soin de lui-même, n’a pas droit à l’aide personnelle à domicile en vertu de l’article 158 de la loi.
[40] La CSST ne précise pas, en 2007, les dispositions législatives sur lesquelles elle s’appuie pour octroyer l’aide financière de 40 $ aux deux semaines au travailleur pour l’entretien ménager. Toutefois, de l’avis du tribunal, étant donné que le travailleur n’est pas incapable de prendre soin de lui-même et que la CSST est bien au fait de cette situation, il s’ensuit que c’est principalement en vertu de l’article 165 de la loi que la CSST accorde le remboursement de ces frais pour « l’entretien du ménage ».
[41] Or, dans le présent dossier, le travailleur satisfaisait en 2007, tout comme en 2011, les conditions énoncées à l’article 165 de la loi. Il souffre d’une atteinte permanente grave à son intégrité physique, puisqu’elle est de l’ordre de plus de 80%. De plus, il appert de son témoignage fort crédible rendu à l’audience et des notes au dossier que, bien qu’il puisse prendre soin de lui-même, il ne peut effectuer les travaux d’entretien courant de son domicile qu’il effectuait auparavant et qu’il doit engager des frais pour faire exécuter ces travaux.
[42] Dans ces circonstances, la décision prise en 2007 de rembourser au travailleur la somme de 40 $ aux deux semaines pour des travaux d’entretien ménager qu’il ne pouvait plus effectuer en raison des conséquences de sa lésion professionnelle apparaît tout à fait justifiée en vertu de l’article 165 de la loi et la preuve démontre que la situation est la même en 2011.
[43] Au surplus, comme l’a allégué l’avocate du travailleur, il est permis de croire qu’en 2007, la CSST fonde également sa décision sur l’équité, le mérite réel et la justice du dossier du travailleur, comme le prévoit l’article 351 de la loi. L’agente de la CSST retient en effet, le 18 avril 2007, lorsqu’elle autorise le remboursement de 40 $ aux deux semaines pour le ménage, les difficultés vécues par le travailleur et sa conjointe depuis la lésion professionnelle, le fait que le travailleur doute de sa capacité de faire le ménage et s’emporte pour ce motif. Elle note qu’il arrive souvent que les couples se séparent après un traumatisme crânien, car la personne qui en est victime n’est plus la même, mais que le travailleur a pu reprendre son travail bien qu’il ne puisse plus être fonctionnel en dehors du travail. « Dans les circonstances », elle autorise les frais de 40 $ aux deux semaines pour le ménage.
[44] Le tribunal est donc d’avis que le travailleur a droit au remboursement de frais de 40 $ toutes les deux semaines pour l’entretien ménager de son domicile en vertu de l’article 165 de la loi.
[45] Par ailleurs, le présent dossier résulte d’une demande du travailleur d’indexer, en août 2011, les frais de 40 $ remboursés toutes les deux semaines pour son entretien ménager à la suite de la demande d’augmentation du tarif versé aux tierces personnes qui effectuent l’entretien ménager du travailleur.
[46] Le tribunal constate que la CSST n’a pas procédé à l’analyse de cette demande du travailleur d’indexer ou d’augmenter le montant des frais d’entretien ménager puisqu’elle a conclu que le travailleur n’avait pas droit à ces sommes.
[47] Ne disposant pas des informations lui permettant de procéder à l’analyse de cette demande d’indexation des frais de 40 $ versés aux deux semaines pour l’entretien ménager, le tribunal retourne donc le dossier à la CSST afin qu’elle procède à cette analyse.
[48] Compte tenu des conclusions du tribunal concernant le droit du travailleur au remboursement des frais d’entretien ménager, il n’est pas nécessaire de disposer de l’argument voulant que les décisions des 2 septembre 2011 et 24 janvier 2012 constituent des reconsidérations illégales des décisions des 18 avril et 2 mai 2007.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de monsieur François Morris, le travailleur;
INFIRME, en partie, la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 24 janvier 2012, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur a droit au versement d’une somme de 40 $ versée toutes les deux semaines pour l’entretien ménager;
RETOURNE le dossier à la Commission de la santé et de la sécurité du travail afin qu’elle dispose de la demande, formulée par le travailleur, d’indexer la somme de 40 $ versée aux deux semaines pour l’entretien ménager.
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Guylaine Henri |
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Me Julie-Véronique Allaire |
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POUDRIER BRADET, AVOCATS |
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Représentante de la partie requérante |
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Me Hugues Magnan |
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VIGNEAULT THIBODEAU BERGERON |
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Représentant de la partie intervenante |
[1] L.R.Q. c. A-3.001.
[2] Melo et Aluminium Varina inc, [2011] QCCLP 3356 ; Côté et Pneus Southward ltée, [2011] QCCLP 318 , révision rejetée, [2011] QCCLP 4535 .
[3] (1997) 129, G.O. II, 7365.
[4] C.L.P. 124846-01A-9910, 29 juin 2000, L. Boudreault.
[5] Voir notamment André et Produits Marken ltée, [2013] QCCLP 1437 ; Pitre et Entreprises Gérald Pitre enr., C.L.P. 251305-01C-0412, 16 décembre 2005, J.-F. Clément; Frigault et Commission scolaire de Montréal, C.L.P. 142721-61-0007, 25 mai 2001, L. Nadeau.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.