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[1] Le 8 avril 2004, monsieur Nuno Braga (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue le 18 février 2004 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST maintient la décision qu’elle a initialement rendue le 24 juillet 2003 et suspend le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 20 juin 2003.
[3] L’audience s'est tenue le 12 avril 2005 à Montréal en présence du travailleur qui n’est pas représenté. Le représentant de l’entreprise Constructions Louisbourg ltée (l’employeur) assiste à l'audience tenue par la Commission des lésions professionnelles.
[4] Le tribunal a accordé au travailleur un délai afin qu’il expédie des documents permettant d’appuyer les affirmations qu’il fait durant l’audience. Le travailleur n’ayant pas transmis ces documents à la date fixée, soit le 19 avril 2005, la cause a été prise en délibéré le 21 avril 2005.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[5] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles d’annuler la suspension du paiement de l’indemnité de remplacement du revenu, telle qu’elle est décrétée par la CSST à sa décision du 24 juillet 2003.
LA PREUVE
[6] Le travailleur occupe l’emploi de manœuvre spécialisé lorsque, le 8 octobre 2002, il subit une fracture à son poignet droit alors qu’il est au travail. La CSST reconnaît la présence d’une lésion professionnelle et procède au versement de l’indemnité de remplacement du revenu.
[7] En relation avec cette lésion, le 20 juin 2003, la CSST demande au travailleur de se rendre au cabinet du docteur Jules Boivin afin que ce médecin procède à un examen médical. Les notes évolutives qu’on retrouve au dossier nous indiquent que le rendez-vous est fixé pour 8 h 30. Toutefois, le travailleur s’y présente à 10 h 00. Lors de l’audience, il explique qu’il a d’abord cru que le cabinet du docteur Boivin était situé sur la rue L’Acadie alors que celui-ci était plutôt situé sur la rue Décarie. Devant ces explications, l’agente de la CSST décide de ne pas pénaliser le travailleur et continue de lui verser l’indemnité de remplacement du revenu. Toutefois, lors d’une vérification faite auprès du centre de convocation, il appert que le travailleur ne se serait pas présenté au cabinet du docteur Boivin. Le 4 juillet 2003, la CSST rend une première décision par laquelle elle suspend le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 20 juin 2003, parce que le travailleur a fourni des renseignements inexacts. Le 8 juillet 2003, elle réclame au travailleur la somme de 591,99 $ représentant les indemnités versées durant la période du 20 au 26 juin 2003. Il appert de l’étude du dossier que le travailleur ne demande pas la révision de ces décisions.
[8] En cours d’audience, le travailleur précise qu’il possède un document démontrant qu’il s'est présenté au bureau du docteur Boivin. Le tribunal lui demande de transmettre une copie de ce document au plus tard le 19 avril 2005. Le travailleur se dit en accord avec ce délai mais a fait défaut de fournir le document.
[9] Les notes évolutives nous enseignent également que des ententes sont prises entre le travailleur, l'employeur et la CSST afin que le travailleur soit assigné à des tâches allégées. Celles-ci consistent à effectuer l’emploi de signaleur sur le chantier en vue de faciliter la circulation des camions. Le formulaire complété par l'employeur, et sur lequel l’assignation est décrite, porte la signature du docteur Cherif Tadros, médecin qui a charge du travailleur. On peut y lire que le travailleur devra faire reculer les camions sur le chantier ainsi que leur permettre d’avancer. Un drapeau est à manipuler et l’emploi est exercé en position debout.
[10] En cours d’audience, le travailleur explique qu'il s'est présenté au travail le 19 juin 2004 et qu'il a procédé aux tâches de signaleur. Il indique qu’il devait tenir une enseigne avec sa main droite. Il soutient que cette enseigne était trop lourde et lui occasionnait des douleurs à son poignet droit. Il lui était impossible de la tenir à l’aide de la main gauche, étant donné le sens dans lequel les camions circulaient. Malgré tout, il a exercé ses tâches durant tout un quart de travail.
[11] Le lendemain, plutôt que de se rendre au travail, il demeure à la maison à cause des douleurs à son poignet droit. Il ne consulte pas son médecin immédiatement.
[12] Le 24 juillet 2003, la CSST décide à nouveau de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 20 juin 2003 parce que sans raison valable, le travailleur a omis ou refusé d’exécuter le travail auquel son employeur l’a assigné temporairement. Toutefois, en révision administrative, la CSST déclare qu’on pouvait suspendre le paiement de l’indemnité de façon rétroactive puisque cette mesure vise la suspension du paiement de l’indemnité et non le droit à cette indemnité. Elle précise qu’il s’agit d’une mesure incitative et non pas punitive. La révision administrative détermine que sa décision ne peut avoir effet qu’à compter du jour où elle a été rendue, soit le 24 juillet 2003.
L’AVIS DES MEMBRES
[13] Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs estiment que le travailleur a décidé de sa propre initiative de cesser d’occuper l’assignation temporaire qui lui avait été signifiée par son employeur et pour laquelle son médecin avait donné son accord. Puisqu’il ne s'est pas prévalu de la procédure qui lui permet de contester cette assignation, la CSST était justifiée de cesser de lui verser l’indemnité de remplacement du revenu.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[14] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la CSST était justifiée, à compter du 24 juillet 2003, de cesser de verser l’indemnité de remplacement du revenu au travailleur.
[15] La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) précise ce qui suit;
179. L'employeur d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle peut assigner temporairement un travail à ce dernier, en attendant qu'il redevienne capable d'exercer son emploi ou devienne capable d'exercer un emploi convenable, même si sa lésion n'est pas consolidée, si le médecin qui a charge du travailleur croit que:
1° le travailleur est raisonnablement en mesure d'accomplir ce travail;
2° ce travail ne comporte pas de danger pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion; et
3° ce travail est favorable à la réadaptation du travailleur.
Si le travailleur n'est pas d'accord avec le médecin, il peut se prévaloir de la procédure prévue par les articles 37 à 37.3 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1), mais dans ce cas, il n'est pas tenu de faire le travail que lui assigne son employeur tant que le rapport du médecin n'est pas confirmé par une décision finale.
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1985, c. 6, a. 179.
142. La Commission peut réduire ou suspendre le paiement d'une indemnité:
[…]
2° si le travailleur, sans raison valable:
[…]
e) omet ou refuse de faire le travail que son employeur lui assigne temporairement et qu'il est tenu de faire conformément à l'article 179, alors que son employeur lui verse ou offre de lui verser le salaire et les avantages visés dans l'article 180;
[…]
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1985, c. 6, a. 142; 1992, c. 11, a. 7.
[16] L’article 37 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail[2] (la LSST) est libellé de la manière suivante :
37. Si le travailleur croit qu'il n'est pas raisonnablement en mesure d'accomplir les tâches auxquelles il est affecté par l'employeur, il peut demander au comité de santé et de sécurité, ou à défaut de comité, au représentant à la prévention et à l'employeur d'examiner et de décider la question en consultation avec le médecin responsable des services de santé de l'établissement ou, à défaut de médecin responsable, avec le directeur de santé publique de la région où se trouve l'établissement.
S'il n'y a pas de comité ni de représentant à la prévention, le travailleur peut adresser sa demande directement à la Commission.
La Commission rend sa décision dans les 20 jours de la demande et cette décision a effet immédiatement, malgré une demande de révision.
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1979, c. 63, a. 37; 1985, c. 6, a. 525; 1992, c. 21, a. 302; 2001, c. 60, a. 167.
[17] Ces dispositions législatives nous enseignent donc que si le travailleur n'est pas d'accord avec l’avis de son médecin de l'affecter temporairement à un travail léger, il doit d’abord utiliser la procédure prévue à l’article 37 de la LSST. Pendant le recours à cette procédure, le travailleur n’a pas l’obligation d'exécuter le travail et il lui est temporairement permis de s'absenter.
[18] Or, dans le cas sous étude, plutôt que de recourir à la procédure de contestation, après avoir accompli un premier quart de travail, le travailleur s'est absenté de son propre chef et ne s'est pas présenté au quart de travail suivant. En faisant de la sorte, il faisait fi de la procédure décrite à la loi ainsi qu’à la LSST et s’exposait à ce que la CSST, en vertu de l’article 142 de la loi, réduise ou suspende le versement de l’indemnité de remplacement du revenu.
[19] Le tribunal constate que l’assignation temporaire, telle qu’elle est décrite par le travailleur durant l'audience, rencontre la description que l'employeur en faisait sur le formulaire qu’il adresse au médecin du travailleur. Bien que sur cette description, on indique que le travailleur devra manipuler un drapeau et, qu’en cours de témoignage, celui-ci précise qu’il s’agissait plutôt d’une enseigne, le tribunal estime que cette différence ne revêt pas un caractère propre à dénaturer l’assignation temporaire. Le travailleur avait donc l’obligation d’effectuer cette assignation à défaut de la contester selon la procédure.
[20] La Commission des lésions professionnelles conclut que la CSST pouvait suspendre le paiement de l’indemnité de remplacement du revenu en raison du refus du travailleur de faire le travail que son employeur lui assigne temporairement et qu’il était tenu de faire. Cette suspension se poursuit aussi longtemps que le travailleur n’effectue pas cette assignation ou se prévale de la procédure de contestation.
[21] À compter de quelle date cette suspension pouvait-elle débuter? Sur sa décision initiale, la CSST détermine que la suspension commence à la date à laquelle le travailleur ne s'est pas présenté au travail, soit le 20 juin 2003. Toutefois, en révision administrative, la CSST détermine que la suspension ne peut avoir un effet rétroactif et prend plutôt effet le 24 juillet 2003, soit à la date à laquelle elle signifie au travailleur que l’indemnité de remplacement du revenu ne sera plus versée. Sur ce point, le tribunal estime que, tenant compte des circonstances particulières du présent cas, l’application de l'article 142 peut avoir un effet rétroactif. Une décision contraire aurait pour effet de restreindre la portée de l’article 179 de la loi, alors que l'employeur a un intérêt financier pour assigner le travailleur à un travail allégé et que le travailleur, sans raison valable, prive l'employeur de ces bénéfices. C’est d’ailleurs la conclusion à laquelle en arrive la jurisprudence consultée par le soussigné[3]. Enfin, le tribunal estime que l'employeur ne doit pas être tributaire des délais que prend la CSST pour imposer une suspension de l’indemnité de remplacement du revenu.
[22] De tout ce qui précède, le tribunal estime qu’on doit rétablir la première décision rendue par la CSST le 24 juillet 2003 et que c’est à bon droit qu’elle a initialement suspendu le paiement de l’indemnité de remplacement du revenu du travailleur à compter du 20 juin 2003.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête du travailleur, monsieur Nuno Braga;
CONFIRME en partie la décision rendue le 18 février 2004 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative ; et
DÉCLARE que la Commission de la santé et de la sécurité du travail était fondée de suspendre le paiement de l’indemnité de remplacement du revenu de monsieur Braga à compter du 20 juin 2003.
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Robert Langlois |
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Commissaire |
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Me Denys Beaulieu |
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ARCHAMBAULT, AVOCATS |
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Représentant de la partie intéressée |
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AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.