Décision

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Modèle de décision CLP - avril 2013

Construction Albert Jean ltée et Franco

2014 QCCLP 2375

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Montréal

15 avril 2014

 

Région :

Montréal

 

Dossiers :

476744-71-1207      483925-71-1210

 

Dossier CSST :

136923281

 

Commissaire :

Lucie Nadeau, juge administrative

 

Membres :                          Louis Leblanc, associations d’employeurs           

                                           Paul Auger,  associations syndicales   

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Construction Albert Jean ltée

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Nuno Miguel Franco

 

Partie intéressée

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION

______________________________________________________________________

 

[1]        Le 3 juin 2013, monsieur Nuno Miguel Franco (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en révocation d’une décision rendue, par cette dernière, le 6 mai 2013.

[2]        Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles accueille les deux requêtes déposées par Construction Albert Jean ltée (l’employeur) et infirme les décisions rendues les 28 juin et 1er octobre 2012 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite de révisions administratives. Elle déclare que le travailleur ne conserve aucune atteinte permanente à son intégrité physique et psychique à la suite de sa lésion professionnelle du 13 octobre 2010. Par conséquent, elle déclare sans effet la décision rendue le 8 juin 2012 par la CSST concernant l’emploi convenable déterminé au travailleur.

[3]        L’audience sur la présente requête s’est tenue à Montréal le 20 février 2014 en présence du travailleur, de sa procureure et du procureur de l’employeur.

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[4]        Le travailleur demande de révoquer la décision rendue le 6 mai 2013 par la Commission des lésions professionnelles au motif qu’il n’a pu se faire entendre. Il demande de convoquer les parties pour la tenue d’une nouvelle audience.

L’AVIS DES MEMBRES

[5]        Le membre issu des associations syndicales est d’avis d’accueillir la requête en révocation du travailleur. Le travailleur a démontré qu’il n’a pas pu se faire entendre pour une raison suffisante. Rien ne permet de mettre en doute son témoignage sur le fait qu’il n’a pas reçu l’avis de convocation. Le travailleur a fait un suivi de son dossier et il attendait une date d’audience à la suite de la demande de remise présentée par l’employeur.

[6]        Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis contraire et rejetterait la requête du travailleur. Il estime qu’il est peu plausible que le travailleur n’ait pas reçu trois des envois provenant du tribunal. Le travailleur ne fournit aucune explication à ce sujet. De plus, il n’a fait aucune démarche pendant six mois.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[7]        La Commission des lésions professionnelles doit déterminer s’il y a lieu de révoquer la décision rendue le 6 mai 2013. Le pouvoir de révocation est prévu à l’article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles [1] (la loi) :

429.56.  La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :

 

1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

 

2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

 

3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

 

Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[8]        Dans le présent dossier, le travailleur allègue essentiellement qu’il n’a pas reçu l’avis de convocation pour l’audience tenue devant la juge administrative qui a rendu la décision du 6 mai 2013 et qu’ainsi il n’a pas pu se faire entendre.

[9]        Dans la décision du 6 mai 2013, la première juge administrative indique qu’une audience a été tenue à Montréal le 18 avril 2013 en présence du procureur de l’employeur. Elle note que bien que dûment convoqué, le travailleur était absent et qu’il n’avait fourni aucun motif justifiant son absence. En vertu de l’article 429.15 de la loi, elle procède à l’instruction de l’affaire et rend sa décision.

[10]     Le critère d’ouverture à la révocation prévu au second paragraphe de l’article 429. 56 est celui de ne pas avoir pu se faire attendre « pour des raisons jugées suffisantes». La jurisprudence[2] a retenu que cette notion de raisons suffisantes est beaucoup plus souple que l’impossibilité d’exercer son droit d’être entendu. Comme le soulignait la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Gaggiotti et Domaine de la forêt (fermé)[3], le droit du travailleur d’être entendu doit primer dans l’appréciation des raisons qui font qu’une partie n’a pu se faire entendre.

[11]     Lors de l’audience sur la requête en révocation, le travailleur reconnaît que l’adresse qui apparaît au dossier de la Commission des lésions professionnelles et, à laquelle différentes correspondances lui ont été adressées, est exacte.

[12]     Pour apprécier les motifs du travailleur, rappelons brièvement quelques faits concernant le suivi du dossier. L’employeur a déposé à la Commission des lésions professionnelles deux contestations. Le 28 août 2012, la Commission des lésions professionnelles transmet aux parties un avis d’enquête et d’audition pour le 5 décembre 2012. Le 11 octobre suivant, elle transmet un avis d’enquête et d’audition modifié pour y ajouter la deuxième contestation de l’employeur. L’audience est toujours prévue pour le 5 décembre 2012.

[13]     Le travailleur reconnaît avoir été informé des deux contestations déposées par l’employeur et avoir reçu les deux avis de convocation. À ce moment-là, il a d’ailleurs contacté la Commission des lésions professionnelles de même que la CSST pour s’assurer de ce qu’il devait faire. Il a été informé qu’il devait se présenter. Notons qu’à cette époque le travailleur n’était pas représenté.

[14]     Le 15 octobre 2012, l’employeur présente à la Commission des lésions professionnelles une demande de remise de l’audience au motif que son expert n’est pas disponible le 5 décembre. Il propose comme nouvelle date d’audience, celle du 18 avril 2013.

[15]     Le travailleur témoigne qu’il a été avisé par téléphone par quelqu’un de la Commission des lésions professionnelles de la demande de remise de l’employeur et du fait qu’elle était accordée. Il précise toutefois qu’on n’a pas vérifié auprès de lui sa disponibilité pour une nouvelle date d’audience.

[16]     À la suite de la demande de remise de l’employeur, trois documents sont produits par la Commission des lésions professionnelles :

- un procès-verbal de remise, signé le 18 octobre 2012, indique que la remise est accordée, que les parties sont avisées et qu’une nouvelle date d’audience est fixée pour le 18 avril 2013;

- une décision sur la demande de remise, signée le 22 octobre 2012, indique la nouvelle date d’audience du 18 avril 2013;

- le 7 décembre 2012, un avis d’enquête et d’audition est transmis aux parties pour une audience devant se tenir le 18 avril 2013.

 

[17]     Selon les inscriptions faites au système de la Commission des lésions professionnelles, le procès-verbal de remise est transmis le 23 octobre 2012 et le nouvel avis de convocation est transmis le 10 décembre 2012. Les envois sont faits par Postes Canada.

[18]     Le travailleur témoigne qu’il n’a pas reçu le procès-verbal de remise et qu’il est certain de ne pas avoir reçu l’avis d’enquête et d’audition du 7 décembre 2012. Il explique qu’il s’occupe lui-même de son courrier et qu’il classe dans un porte-document toutes les correspondances qu’il reçoit concernant son dossier CSST. Il affirme avoir vérifié dans ce porte-document et ne pas avoir retracé les deux documents en question.

[19]     Lorsqu’il reçoit la décision de la Commission des lésions professionnelles du 6 mai 2013, il comprend qu’il ne s’y est pas présenté et que le droit à ses indemnités prend fin. Il communique alors avec la Commission des lésions professionnelles et une préposée lui indique qu’un avis d’enquête et d’audition lui avait été envoyé. Le travailleur dépose d’ailleurs copie d’une note de cette préposée qui lui retourne un exemplaire de l’avis de convocation. Cette note est datée du 16 mai 2013. Il communique également avec la CSST. Il est informé de son droit d’être représenté par son syndicat puisqu’il était syndiqué au moment de la survenance de sa lésion professionnelle. Il contacte alors son syndicat qui dépose la présente requête.

[20]     La Commission des lésions professionnelles transmet également aux parties une copie complète du dossier qu’elle a préparé. Ce dossier est constitué à partir du dossier reçu de la CSST et s’y ajoute toutes les procédures et correspondances du tribunal. Contre-interrogé à savoir s’il a reçu copie du dossier, le travailleur hésite, mais reconnaît qu’il l’a reçu en novembre 2012 pour l’audience du 5 décembre.

[21]     Dans le présent cas, la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision estime que le travailleur a démontré qu’il n’a pu se faire entendre pour des raisons suffisantes.

[22]     Le travailleur ne s’est pas présenté à l’audience du 18 avril devant la première juge administrative parce qu’il n’a pas reçu l’avis de convocation ni reçu la décision sur la demande de remise accordée qui indiquait la nouvelle date fixée.

[23]     Faire la preuve de la non-réception d’un document consiste à faire la preuve d’un fait négatif. Cette preuve est difficile à établir. Il n’y a aucun accusé de réception ou de livraison des envois faits par la Commission des lésions professionnelles. Cette preuve repose généralement sur un témoignage et, par conséquent, sur la valeur probante de celui-ci.

[24]     En l’espèce, le témoignage du travailleur est crédible. Il a répondu sans détour aux questions. Il est organisé pour le classement de son dossier. Il a réagi à la première convocation en s’informant auprès de la CSST et de la Commission des lésions professionnelles.

[25]     L’employeur fait valoir que le travailleur n’a pas fourni d’explication pour justifier qu’il n’a pas reçu ces correspondances de la Commission des lésions professionnelles. Il plaide qu’il est étrange que le travailleur reçoive certains documents et non pas d’autres.

[26]     Certes, il n’y a pas d’explication à cette situation. Toutefois, cela ne suffit pas pour écarter le témoignage crédible du travailleur. Sans compter que le système postal n’est pas à l’abri des erreurs.

[27]     Quant au fait que le travailleur n’a pas fait de démarche entre octobre 2012 et avril 2013 pour connaître la nouvelle date d’audience, on ne peut lui en faire reproche. Il témoigne que la préposée de la Commission des lésions professionnelles lui a dit qu’il allait être avisé d’une nouvelle date d’audience. Ce ne sont pas ses contestations, mais celles de l’employeur. Le travailleur ignore quels sont les délais pour une nouvelle mise au rôle et il n’est pas représenté. Dans ces circonstances, on ne peut pas lui reprocher un manque de diligence ou de la négligence.

[28]     Vu l’importance que reconnaît la jurisprudence au droit d’être entendu, il y a lieu de donner le bénéfice du doute au travailleur et de conclure qu’il n’a pu se faire entendre pour une raison jugée suffisante.  

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête en révocation de monsieur Nuno Miguel Franco (le travailleur);

 

RÉVOQUE la décision rendue le 6 mai 2013 par la Commission des lésions professionnelles;

 

CONVOQUERA à nouveau les parties à une audience sur le fond des contestations déposées par Construction Albert Jean ltée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

__________________________________

 

Lucie Nadeau

 

Me Kim Sreng Oum

LEBLANC, LAMONTAGNE ET ASSOCIÉS

Représentant de la partie requérante

 

 

Me Roxane Lavoie

LAROCHE MARTIN

Représentante de la partie intéressée

 



[1]           RLRQ, c. A-3.001.

[2]           Les viandes du Breton inc., et Dupont, C.L.P. 89720-01A-9707, 18 décembre 2000, M. Carignan.

[3]           C.L.P. 86666-71-9703, 22 janvier 1999, J.-M. Duranceau.

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