Décision

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Concupisco inc. c. Société en commandite 407 McGill

2015 QCCS 2961

 

JP2049

 
COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUEBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N :

500-17-073112-123

 

 

DATE :

Le 30 juin 2015

 

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE : LHONORABLE MICHELINE PERRAULT, J.C.S.

 

 

CONCUPISCO INC.

et

9069-8879 QUÉBEC INC

Demanderesses 

c.

 

SOCIÉTÉ EN COMMANDITE 407 McGILL

et

9102-9769 QUÉBEC INC

Défenderesses   

et

 

L’OFFICIER DE LA PUBLICITÉ DES DROITS DE LA CIRCONSCRIPTION FONCIERE DE MONTREAL

Mis en cause

 

 

JUGEMENT

 

I - L’introduction

[1]          Concupisco inc. («Concupisco») et 9069-8879 Québec inc. («9069» et collectivement avec Concupisco, les «Demanderesses ») réclament la passation du titre de propriété d’un terrain vague situé sur la rue LeMoyne, dans le Vieux-Montréal (la «Propriété») pour laquelle Société en commandite 407 McGill («407 McGill») et 9102-9769 Québec inc. («9102» et collectivement avec 407 McGill, les «Défenderesses ») ont accepté une offre d’achat au montant de 450 000 $ («l’Offre d’achat»). Les Défenderesses, pour leur part, demandent l’annulation de l’Offre d’achat.

[2]          En tout temps pertinent au litige, Concupisco et 9069 étaient des personnes morales dûment constituées, dont M. Javier Planas était le président, secrétaire et administrateur. M. Planas est également administrateur des sociétés Groupe Iber et Iber Immobilier qui n’ont pas d’intérêt particulier dans l’issue du présent litige, mais dont le nom apparaît occasionnellement dans les pièces produites au dossier de la cour.

[3]          Le 19 juillet 2012, Concupisco a cédé ses droits dans l’Offre d’achat à 9069. Le 23 août 2013, Concupisco fut dissoute.

[4]          Quant à 407 McGill, il s’agit d’une société en commandite dont le commandité est 9102 et le président M. Stéphane Côté. La société 407 McGill est propriétaire d’un immeuble situé au 407 rue McGill (l’«Immeuble 407 ») et de la Propriété qui fait l’objet de l’Offre d’achat.

[5]          En 2010, M. Vincent Chiara, président de Groupe Mach, une entreprise de gestion immobilière, acquière 50% des parts de 407 McGill et Groupe Mach devient gestionnaire de l’Immeuble 407.

[6]          Pour éviter la redondance et assurer une meilleure compréhension de ce jugement, il convient d’identifier les personnes suivantes qui ont été impliquées dans le présent dossier. Il s’agit de :

-          M. Peter Smale : architecte, directeur de projets pour Iber Immobilier à l’époque des faits pertinents au litige. Il est chargé par M. Planas de s’occuper de la vérification diligente en vue de l’acquisition de la Propriété,

-          Me Michael Turner : notaire, dont les services sont retenus par M. Planas en vue de préparer la documentation nécessaire à l’acquisition de la Propriété,

-          M. Pierre-Jacques Lefaivre : urbaniste, vice-président développement pour le Groupe Mach. Il est impliqué dans la vérification diligente en vue de l’acquisition de la Propriété,

-          M. Didier Heckel : architecte, chargé du projet d’agrandissement de l’Immeuble 407.

 

II - Le contexte

[7]          Depuis 2001, les Défenderesses sont propriétaires de l’Immeuble 407 qui est contigu :

(i)    au nord, à une bande de terrain vague longeant la rue LeMoyne, dont une partie forme la Propriété;

 

(ii)   au sud, à la rue St-Paul Ouest;

(iii) à l’ouest, à la rue McGill; et

(iv)  à l’est, à un terrain appartenant aux Demanderesses depuis 1999 (le «Terrain Concupisco»).

 

[8]          Les Demanderesses et les Défenderesses possèdent donc des immeubles voisins l’un de l’autre.

[9]          Avec l’arrivée de M. Chiara au sein des Défenderesses en 2010, celles-ci finalisent et mettent en branle un projet d’agrandissement de l’Immeuble 407.

[10]       En décembre 2008, M. Côté et M. Planas discutent de la vente de la Propriété, mais ne réussissent pas à s’entendre sur le prix.

[11]       En septembre 2010, les discussions reprennent entre M. Côté et M. Planas, mais n’aboutissent toujours pas.

[12]       Le 10 juin 2011, M. Planas écrit à M. Chiara et lui indique que si les Défenderesses sont encore intéressées à vendre la Propriété, elles doivent agir rapidement car son projet sur le Terrain Concupisco avance. C’est à la suite de ce courriel que M. Planas et M. Chiara en viennent à une entente relativement à la vente de la Propriété pour la somme de 450 000 $.

[13]       Le 8 juillet 2011, M. Planas transmet un projet d’Offre d’achat aux Défenderesses[1].

[14]       Les 21 juillet, 25 juillet et 16 août 2011[2], les Défenderesses émettent des commentaires et suggestions qui sont incorporés à l’Offre d’achat.

[15]       Le 18 août 2011, l’Offre d’achat est signée.

[16]       Le 7 novembre 2011, Concupisco demande et obtient un délai additionnel pour compléter la vérification diligente, soit jusqu’au 29 février 2012.

[17]       Le 28 février 2012, Concupisco se déclare satisfaite et lève les conditions de l’Offre d’achat.

[18]       Entre temps, les Défenderesses encourent certains délais dans leurs démarches de lotissement de la Propriété, ce qui a pour effet de retarder l’obtention d’un certificat de localisation distinct pour la Propriété, obligation qui leur incombait en vertu de la

 

clause 4.3 de l’Offre d’achat. Le 15 mai 2012, elles demandent donc un délai additionnel pour l’exécution de l’acte de vente.

[19]       Le 16 mai 2012, Concupisco accepte de prolonger le délai d’exécution de l’acte de vente, à la condition suivante[3] :

«(…) à la condition expresse, étant une condition essentielle de la présente acceptation, que l’acte de vente pour le lot concerné soit exécuté dans les dix (10) jours ouvrables suivant un avis écrit que vous nous aurez donné à l’effet que ledit lot a été déposé au bureau de la publicité des droits de la circonscription foncière de Montréal.»

 

[20]       Le 10 juillet 2012, le notaire Turner avise les Défenderesses qu’il a été informé que le lot 1 179 822 a été remplacé par les lots 4 920 622 et 4 920 623 du cadastre du Québec. Il confirme détenir dans son compte en fidéicommis la somme de 450 000 $ et demande aux Défenderesses de lui transmettre un certificat de localisation pour le lot 4 920 623 faisant l’objet de l’Offre d’achat. Le notaire Turner demande aussi aux Défenderesses de lui confirmer la date et l’heure à laquelle leur représentant sera disponible pour signer l’acte de vente, et ce, dans les dix jours ouvrables suivant sa lettre, conformément à l’entente intervenue entre les parties le 16 mai 2012.

[21]       Le 17 juillet 2012, le notaire Turner demande aux Défenderesses de donner suite à sa lettre du 10 juillet 2012.

[22]       Le 25 juillet 2012, les procureurs de Concupisco mettent formellement en demeure les Défenderesses de procéder à la signature de l’acte de vente dans les 24 heures. Malgré cette mise en demeure, la transaction n’a pas lieu.

[23]       Le 26 juillet 2012, les Demanderesses intentent des procédures judiciaires contre les Défenderesses qui refusent toujours de passer titre.

 

III - Les questions en litige

1)           Le consentement des Défenderesses à l’Offre d’achat a-t-il été vicié?

2)           S’il y a erreur des Défenderesses sur une considération essentielle du contrat, cette erreur est-elle inexcusable?

3)           Les conditions de l’action en passation de titre ont-elles été rencontrées ?

 

 

IV - L’analyse

1- Le consentement des Défenderesses à l’Offre d’achat a-t-il été vicié?

[24]       Les Défenderesses plaident qu’elles sont justifiées de refuser de passer titre et de demander la nullité de l’Offre d’achat car leur consentement a été vicié, d’une part, à la suite d’une erreur sur un élément essentiel du contrat et, d’autre part, à cause du comportement dolosif des Demanderesses.

1.1- L’erreur sur un élément essentiel du contrat

1.1.1 - Les principes applicables

[25]       Tel qu’énoncé aux articles 1399 et 1400 C.c.Q., la validité d’un contrat repose sur le caractère libre et éclairé du consentement donné par les parties. Ce consentement peut être vicié par l’erreur.

 

1399. Le consentement doit être libre et éclairé.

 

Il peut être vicié par l'erreur, la crainte ou la lésion. 

 

1400. L'erreur vicie le consentement des parties ou de l'une d'elles lorsqu'elle porte sur la nature du contrat, sur l'objet de la prestation ou, encore, sur tout élément essentiel qui a déterminé le consentement.

 

L'erreur inexcusable ne constitue pas un vice de consentement. 

 

[26]       Précisons que l’erreur peut être unilatérale, c’est-à-dire qu’elle n’a pas à être connue du cocontractant. Par contre, le fardeau de preuve est plus élevé :

«(…) Pour éviter les fraudes cependant, dans l’éventualité d’une erreur unilatérale, la jurisprudence exige, au plan de la preuve, la corroboration de l’affirmation, par la victime, qu’elle s’est trompée, (…). Il est difficile de convaincre le tribunal de son erreur unilatérale quand elle s’est prétendument produite dans son propre champ d’expertise[4]

 

[27]       L’erreur ne se présumant pas et toute preuve devant être prépondérante, en cas de doute les tribunaux favorisent la validité du contrat[5].

 

 

1.1.2 - La collaboration des Demanderesses et l’harmonisation des projets

[28]       Les Défenderesses soutiennent que les Demanderesses se sont engagées à élaborer leur projet en collaboration avec les Défenderesses et que c’est sur la foi de ces représentations et engagements qu’elles ont accepté de signer l’Offre d’achat. Elles reprochent aux Demanderesses d’avoir développé unilatéralement et secrètement leur projet.

[29]       L’Immeuble 407 a été rénové par les Défenderesses pour offrir des espaces locatifs de bureaux. L’Immeuble 407 est en forme de «U», ayant une cour intérieure orientée vers l’est. L’Immeuble 407 comprend des fenêtres sur ses trois murs et à tous les étages, ce qui permet à la lumière naturelle d’y pénétrer et d’éclairer environ 30% des espaces locatifs.

[30]       Or, le projet envisagé par les Demanderesses est un projet composé de deux tours reliées entre elles par une passerelle de dix étages (la «Passerelle»). M. Smale témoigne que les plans du projet des Demanderesses sont conçus de manière à favoriser l’emplacement de leur propre cour intérieure, ce qui donne plus de valeur à leur immeuble. La Passerelle, une fois construite, fera office de mur mitoyen entre l’Immeuble 407 et l’immeuble à être construit sur le Terrain Concupisco et aura donc pour effet de bloquer la lumière naturelle qui éclaire la cour intérieure de l’Immeuble 407 et la vue de ses occupants.

[31]       Les Défenderesses font valoir que les Demanderesses connaissaient l’importance qu’elles accordaient aux conséquences que leur projet pouvait avoir sur l’Immeuble 407, et plus particulièrement sur la cour intérieure. Elles invoquent, d’abord, un courriel transmis par M. Côté à M. Planas, le 21 septembre 2010, où il indique :

« Avant de te répondre nous aimerions savoir quelques points importants :

- Quel serait plus précisément ton projet?

- Les hauteurs (St-Paul et Lemoyne)?

- L’impact de la construction vis-à-vis notre cour intérieure? (sic)[6]»

[32]       M. Planas ne répond pas à ce courriel car ses plans de développement ne sont pas suffisamment avancés et, de toute façon, les discussions n’aboutissent pas. D’ailleurs, ce n’est qu’en août 2011, soit près d’un an plus tard, que les parties ont signé l’Offre d’achat.

[33]       Ensuite, M. Côté témoigne de discussions avec les Demanderesses, préalablement à la signature de l’Offre d’achat, où celles-ci se sont engagées à collaborer quant à la planification et à l’élaboration de leurs projets respectifs [7] :

« Q. [132] O.K. Et quand vous dites ou quand vous parlez dans, de ce paragraphe de la défense de, que les demanderesses ont fait certaines représentations aux défenderesses, de quelles représentations faites-vous allusion ici ?

R. Des représentations de travail collaboratif au niveau de la planification et de l’exécution des projets immobiliers respectifs.

Q. [133] À quel moment est-ce que ces représentations ont été faites ?

R. Lors des multiples rencontres.

[…]

Q. [144] Tout était verbal ?

R. Absolument.

Q. [145] Avez-vous quelque échange écrit que ce soit qui fait état de ces représentations-là ?

R. Bien, il y a eu des rencontres et des planifications de rencontres afin de rencontrer les architectes mutuels, pour échanger sur les projets, donc ces rencontres-là, il y a eu des échanges pour planifier les rencontres de présentations, là, technique et du design des projets, mais principalement, les discussions sur l’esprit de collaboration, de respect se faisaient entre les quatre (4) personnes, là, que je vous ai mentionnées. »

[34]       M. Côté et M. Chiara reconnaissent toutefois que l’Offre d’achat ne fait aucune mention d’une obligation ou d’un engagement de la part des Demanderesses de développer leur projet en collaboration avec les Défenderesses ou d’harmoniser leurs projets respectifs.

[35]       Ils indiquent au Tribunal qu’ils ne ressentent pas le besoin de mettre ces engagements par écrit, vu le lien de confiance qui existe entre les parties. M. Chiara est même surpris de recevoir un projet d’Offre d’achat. Il considère ce document sans importance et ne s’y intéresse pas particulièrement. La preuve de son indifférence, dit-il, réside dans le fait que les Défenderesses mettent plus de dix jours avant d’y répondre. M. Chiara affirme qu’il s’agit d’une transaction conclue entre «gentlemen» et que l’Offre d’achat doit demeurer «très simple».

[36]       Ces affirmations étonnent. En effet, tant M. Côté que M. Chiara ont témoigné à l’effet que les engagements de collaboration et d’harmonisation étaient essentiels, et même «capital», à leur entente et que sans ces engagements, ils n’auraient pas accepté de vendre la Propriété. M. Côté et M. Chiara sont tous deux des hommes d’affaires aguerris, ayant accumulé de nombreuses années d’expérience en matière de développement immobilier. M. Chiara est également un juriste averti. Ces derniers n’hésitent pas à demander à trois reprises des modifications au projet d’Offre d’achat, modifications qui apparaissent plutôt mineures, surtout si l’on considère qu’elles n’ont pas été qualifiées de «capital» à la transaction, comme l’ont été les engagements de collaboration et d’harmonisation.

[37]       De plus, alors que le temps passe, le projet des Demanderesses avance. En effet, le 1er février 2012, M. Planas écrit à M. Côté pour lui demander s’il est possible de louer une partie de son terrain pour y installer un bureau de ventes, et une partie de son mur pour y installer une bannière publicitaire du projet à venir.

[38]       Le 25 avril 2012, M. Pierre-Jacques Lefaivre est surpris d’apprendre d’un fonctionnaire de la Ville de Montréal que les Demanderesses ont déjà déposé leur projet. Le même jour, M. Lefaivre demande à M. Peter Smale de lui transmettre une copie du projet. Il témoigne s’être fait répondre que ça ne les regarde pas et de s’occuper plutôt de la question cadastrale.

[39]       Le 3 mai 2012, le notaire Turner insiste auprès de 407 McGill pour obtenir la confirmation que les lots seront cadastrés à temps et qu’un nouveau certificat de localisation sera fourni avant la date prévue pour la signature de l’acte de vente. Où est la réponse de M. Côté ou de M. Chiara exprimant leur mécontentement avec le fait que les Demanderesses ont présenté leur projet à la Ville de Montréal, sans qu’ils aient vu le projet en question, ou avec le fait que leur entente de collaboration n’est pas respectée?

[40]       Les Défenderesses convoquent une réunion le 9 mai 2012, dont le sujet principal est le lotissement et les frais importants que cela occasionne aux Défenderesses. En effet, la preuve démontre que pour obtenir un certificat de localisation pour la Propriété, le lot original 1 179 822 où elle se trouve doit être subdivisé en deux lots. Cette subdivision engendre le paiement de frais de parcs de l’ordre de 80 000 $. Les Défenderesses considèrent que ce montant est déraisonnable eu égard au prix de vente de 450 000 $ et souhaitent trouver une solution moins onéreuse. Les Demanderesses acceptent donc de reporter le délai pour la signature de l’acte de vente afin d’accommoder les Défenderesses.

[41]       Le même jour, soit le 9 mai 2012, un fonctionnaire de la Ville de Montréal permet à M. Lefaivre de regarder les plans du projet des Demanderesses, de sorte que ce dernier est en mesure d’en faire une représentation graphique par la suite. M. Lefaivre indique au Tribunal qu’il est surpris de l’orientation prise par le projet. Il constate qu’il n’y a aucun souci d’arrimage, surtout en ce qui concerne la cour intérieure. M. Lefaivre demande de nouveau à M. Smale ainsi qu’au notaire Turner de lui transmettre le projet de développement, mais n’obtient pas de réponse.

[42]       Encore une fois, comment expliquer que ni M. Côté ni M. Chiara ne communiquent avec M. Planas afin d’exprimer leur mécontentement avec le fait que le projet des Demanderesses est beaucoup plus avancé qu’elles ne le prétendent et que cette façon de procéder est contraire à l’entente des parties. Cette absence de réaction amène le Tribunal à se questionner sur la crédibilité à accorder aux témoignages des représentants des Défenderesses.

[43]       Le 16 mai 2012, le notaire Turner confirme aux Défenderesses que les Demanderesses acceptent de reporter le délai pour la signature de l’acte de vente, mais insiste toutefois pour que ce nouveau délai soit de rigueur. Toujours pas de réaction du côté des Défenderesses.

[44]       Le 5 juin 2012, les parties se réunissent afin de présenter leur projet respectif. M. Côté se dit étonné par le gabarit de l’immeuble projeté par les Défenderesses et, plus particulièrement, par sa hauteur. Il est ensuite choqué de constater que les deux tours seront reliées par la Passerelle qui aura pour effet de bloquer la partie arrière de l’Immeuble 407 et, notamment la cour intérieure. Les Défenderesses demandent aux Demanderesses de modifier les plans de leur projet, mais celles-ci refusent.

[45]       Malgré le refus des Demanderesses de donner suite à leurs demandes et le choc de constater l’impact négatif que ce projet aura sur l’Immeuble 407, ni M. Côté ni M. Chiara ne juge opportun d’aviser les Demanderesses que leurs agissements contreviennent à leurs engagements de collaboration et d’harmonisation, sans lesquels ils n’auraient pas consenti à l’Offre d’achat.

[46]       Il est invraisemblable que M. Côté et M. Chiara, deux hommes d’affaires rompus aux rouages des transactions immobilières, n’aient pas cru bon d’ajouter à l’Offre d’achat ce qu’ils considèrent essentiel, et même «capital» à la transaction. Il convient de rappeler que M. Planas transmet l’Offre d’achat aux Défenderesses le 8 juillet 2011 et doit leur rappeler à deux reprises, soit le 4 août et le 8 août 2011[8] que l’Offre d’achat n’est toujours pas signée. Les Défenderesses ne peuvent donc ignorer que M. Planas attache de l’importance à ce que la transaction soit constatée par écrit. Il aurait alors été tout à fait raisonnable d’y ajouter une clause reflétant les engagements de collaboration et d’harmonisation soi-disant souscrits par les Demanderesses. La seule explication possible est que ni M. Côté, ni M. Chiara n’ont communiqué à M. Planas la nécessité d’une collaboration en vue d’harmoniser leurs projets respectifs, et plus précisément le respect de la cour intérieure de l’Immeuble 407, préalablement à la signature de l’Offre d’achat, car ces considérations n’étaient pas essentielles à leur consentement.

[47]       Il est manifeste que les Défenderesses souhaitent maintenant la collaboration des Demanderesses et l’harmonisation de leurs projets respectifs. Elles regrettent, sans doute, de ne pas avoir inclus de tels engagements à l’Offre d’achat, mais à cet égard elles ne peuvent s’en prendre qu’à elles-mêmes.

[48]       Il y a lieu aussi de s’interroger sur l’étendue des engagements de collaboration et d’harmonisation allégués par les Défenderesses. Dans un premier temps, il ressort de la preuve que ce que les Défenderesses souhaitent s’apparente à un droit de veto ou à un droit de regard sur le projet à être construit sur le Terrain Concupisco, alors qu’il n’y a aucune allégation ou preuve à l’effet que les Demanderesses ont accepté de faire une telle concession.

[49]       Ainsi, même si par hypothèse les Demanderesses avaient accepté de collaborer avec les Défenderesses pour la planification et l’exécution de leurs projets respectifs, ces dernières n’ont pas démontré que cette collaboration leur permettait d’exiger des modifications au projet des Demanderesses, surtout lorsque celles-ci estiment que ces modifications sont contraires à leurs intérêts.

[50]       Dans un deuxième temps, ce à quoi s’opposent les Défenderesses est la Passerelle qui fera office de mur mitoyen entre l’Immeuble 407 et l’immeuble à être construit sur le Terrain Concupisco. Dans les faits, cette Passerelle sera construite sur le Terrain Concupisco et non sur la Propriété. Ainsi, pour en arriver au résultat recherché par les Défenderesses, les Demanderesses devaient non seulement octroyer aux Défenderesses un droit de regard sur leur projet, mais devait au surplus octroyé ce droit de regard sur un terrain qui leur appartenait déjà et qui ne faisait pas l’objet de l’Offre d’achat.

[51]       Les Défenderesses n’ont donc pas démontré par prépondérance que la collaboration des Demanderesses en vue de l’harmonisation de leurs projets respectifs était une considération essentielle ayant déterminé leur consentement à la signature de l’Offre d’achat, ni que les Demanderesses se sont engagées à cet effet.

[52]       Finalement, faire droit aux conclusions recherchées par les Défenderesses remettrait en question le fondement même de la stabilité des contrats, notamment que les ententes, bonnes ou mauvaises, doivent être respectées.

 

1.2 - Le comportement dolosif des Demanderesses

[53]       L’erreur peut être provoquée par le dol du cocontractant :

«1401. L'erreur d'une partie, provoquée par le dol de l'autre partie ou à la connaissance de celle-ci, vicie le consentement dans tous les cas où, sans cela, la partie n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions différentes.

 

Le dol peut résulter du silence ou d'une réticence.»

 

[54]       Le dol se définit comme étant le fait de provoquer volontairement une erreur dans l’esprit d’autrui pour le pousser à conclure le contrat ou à le conclure à des conditions différentes. Le dol se présente sous trois formes, soit (i) le silence ou la réticence, (ii) le mensonge et (iii) les manœuvres frauduleuses[9]. Il suppose une malveillance consciente et voulue de la part du contractant[10].

[55]       Les Défenderesses soutiennent que les Demanderesses ont caché leurs réelles intentions dans le but de les induire en erreur. Elles ont ainsi manqué à leur obligation de renseignement.

[56]       De plus, les Défenderesses font valoir que les Demanderesses ont démontré leur mauvaise foi en faisant un usage «illégal» de la procuration qui leur a été consentie au moment de la signature de l’Offre d’achat. Elles leur reprochent plus précisément d’avoir utilisé cette procuration pour tenter de faire approuver une demande de dérogation aux règlements municipaux applicables à la Propriété, alors que celle-ci devait uniquement permettre aux Demanderesses d’obtenir certaines informations auprès de la Ville de Montréal dans le cadre de leur vérification diligente. Les Défenderesses sont donc intervenues auprès de la Ville de Montréal, qui les a informées, le 13 août 2012, que le dossier concernant le Projet Particulier avait été retiré de l’ordre du jour du conseil d’arrondissement.

[57]       Un des corolaires de la bonne foi à l’étape de la formation du contrat, et, partant, de la validité du consentement est l’obligation de renseignement. À ce sujet, la Cour suprême, dans l’arrêt Banque de Montréal c. Bail Ltée, reprenant les grandes lignes de l’analyse de Ghestin[11] circonscrit les modalités de l’obligation de renseignement comme suit[12]  :

« Sans nécessairement en adopter l’énoncé, je suis d’avis que Ghestin expose correctement la nature et les paramètres de l’obligation de renseignement. Il en fait ressortir les éléments principaux, soit :

-        la connaissance, réelle ou présumée, de l’information par la partie débitrice de l’obligation de renseignement;

-        la nature déterminante de l’information en question;

-        l’impossibilité du créancier de l’obligation de se renseigner soi-même, ou la confiance légitime du créancier envers le débiteur.»

[58]       Selon la Cour suprême le droit civil est attentif aux inégalités informationnelles, et dès lors, impose une obligation positive de renseignement dans les cas où une partie se retrouve dans une position informationnelle vulnérable, d’où des dommages pourraient s’en suivre. Cependant, la Cour suprême limite l’ampleur de l’obligation de renseignement en apportant une importante précision, à savoir :

«(…), cependant, j’ajouterais qu’il ne faut pas donner à l’obligation de renseignement une portée telle qu’elle écarterait l’obligation fondamentale qui est faite à chacun de se renseigner et de veiller prudemment à la conduite de ses affaires.»

 

[59]       Ce passage a permis à la Cour d’appel, quelques années plus tard, de conclure que le devoir de renseignement n’avait, en fait, qu’une portée relative car l’obligation de se renseigner prend elle-même appui sur l’obligation de bonne foi consacrée par l’article 1375 C.c.Q[13].

[60]       Ainsi, celui qui s’apprête à passer un contrat doit prendre les mesures raisonnables pour en bien connaître les enjeux importants et les faits susceptibles d’influencer sa décision. Ce devoir est apprécié de façon subjective : on tient compte de la formation de la personne concernée et de son expérience. Bref, le droit vise à protéger le contractant contre une inégalité situationnelle et non contre sa propre négligence[14].

[61]       Les Défenderesses n’ont pas convaincu le Tribunal que les Demanderesses ont délibérément omis de révéler aux Défenderesses qu’elles n’avaient pas l’intention de collaborer avec elles et d’harmoniser leurs projets respectifs, et ce, dans le but de provoquer volontairement une erreur dans leur esprit. Tel qu’énoncé ci-dessus, le Tribunal a conclu que les Défenderesses n’ont pas démontré que cette «considération essentielle» existait et était connue des Demanderesses au moment de la signature de l’Offre d’achat.

[62]       De plus, les Défenderesses avaient l’obligation de veiller prudemment à la conduite de leurs affaires. Est-il nécessaire de rappeler que nous sommes ici en présence de gens d’affaires aguerris et expérimentés en matière de développement immobilier?

[63]    Les difficultés que peuvent maintenant rencontrées les Défenderesses sont le résultat de leur négligence et non la conséquence de fausses représentations ou d’un comportement dolosif de la part des Demanderesses.

2) S’il y a erreur des Défenderesses sur une considération essentielle du contrat, cette erreur est-elle inexcusable?

[64]    Tel qu’il appert du deuxième alinéa de l’article 1400 C.c.Q., pour justifier l’annulation d’un contrat, une erreur ne doit pas être «inexcusable».

[65]    L’erreur inexcusable tient de l’erreur grossière, soit une négligence d’une certaine gravité[15]. Le caractère inexcusable de l’erreur dépend des circonstances particulières de chaque cas. De plus, le principe de la bonne foi a une incidence directe sur la règle de l’erreur inexcusable[16] :

«Pour évaluer le caractère inexcusable de l’erreur, la jurisprudence doit tenir compte des circonstances particulières de chaque espèce et adopter une appréciation in concreto de l’erreur; elle fera peser dans la balance notamment (comme la crainte d’ailleurs) l’âge, l’état mental, l’intelligence, et la position professionnelle ou économique des parties.

(…)

Le comportement du contractant peut avoir des répercussions sur le caractère inexcusable de l’erreur. Quand il manque à son obligation d’agir de bonne foi dans la formation du contrat (par exemple par des manœuvres de nature à surprendre la partie qui invoque l’erreur, ou en omettant de la renseigner comme il devait le faire), l’erreur qui autrement sera inexcusable (par exemple, ne pas lire la convention que l’on signe) deviendra très souvent excusable. Ainsi, le principe de la bonne foi a une incidence directe sur la règle particulière de l’erreur inexcusable.»

[66]    Les Défenderesses soutiennent que lorsqu’elles ont signé l’Offre d’achat, elles se sont fiées aux représentations des Demanderesses qu’elles croyaient être faites de bonne foi. Il ne s’agit pas d’une erreur grossière, mais uniquement d’une trop grande confiance en son cocontractant. D’une part, les parties opèrent dans le même domaine, soit le développement immobilier et détiennent des terrains voisins depuis de nombreuses années. D’autre part, comme leur terrains sont voisins, elles étaient justifiées de croire qu’il était raisonnable de collaborer en vue d’harmoniser leurs projets respectifs.

[67]    Les Défenderesses n’ont pas fait la preuve par prépondérance qu’elles ont été victimes de fausses représentations de la part des Demanderesses. Que les Défenderesses aient cru raisonnable, les terrains étant voisins, que les Demanderesses collaborent avec elles en vue de l’élaboration de leurs projets respectifs est possible. Les Défenderesses n’ont toutefois pas convaincu le Tribunal que cette croyance résulte du comportement des Demanderesses.

[68]    Ainsi, il n’en tenait qu’aux Défenderesses de préciser ces engagements dans l’Offre d’achat si elles les estimaient essentiels à leur consentement. Eu égard à l’expérience des Défenderesses dans le domaine des affaires en général, et dans le secteur du développement immobilier en particulier, l’erreur est inexcusable.

3) Les conditions de l’action en passation de titre ont-elles été rencontrées?

[69]    Le défaut par le promettant vendeur ou le promettant acheteur de passer titre confère au bénéficiaire de la promesse le droit d’obtenir un jugement qui en tienne lieu[17]. Une fois l’existence d’une promesse liant les parties constatée, le demandeur, dans une action en passation de titre, doit se soumettre à un certain nombre de conditions strictes que l’on peut résumer comme suit :

a. la mise en demeure de conclure l’acte de vente;

b. la conformité de l'acte de vente proposé à l'entente conclue entre les parties;

c. la consignation du prix de vente;

d. la diligence du demandeur à faire valoir ses droits[18].

[70]    Les Demanderesses ont fait la démonstration que toutes ces conditions ont été rencontrées. Ceci est d’ailleurs confirmé par les Défenderesses. En effet, lorsque M. Lefaivre demande à M. Chiara pourquoi il est certain qu’il y aurait une poursuite si les Défenderesses décidaient de ne pas vendre la Propriété aux Demanderesses, ce dernier lui répond parce que toutes les conditions de l’Offre d’achat ont été respectées.

[71]    Le Tribunal va donc accueillir la demande en passation de titre des Demanderesses.

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

[72]    ACCUEILLE la requête introductive d’instance amendée des Demanderesses;

[73]    ORDONNE aux Défenderesses, Société en commandite 407 McGill et son seul commandité, 9102-9769 Québec inc., de vendre à la Demanderesse, 9069-8879 Québec inc., au prix convenu de 450 000 $, l’immeuble décrit ci-dessous :

« Un terrain vague faisant face à la rue Lemoyne, dans la Ville de Montréal, Province de Québec, connu et désigné comme étant le lot numéro QUATRE MILLION NEUF CENT VINGT MILLE SIX CENT VINGT TROIS (4 920 623) du cadastre du Québec, division d’enregistrement de Montréal, ayant une superficie de cent quatre vingt dix-huit point huit mètres carrés.»

et de signer, dans les dix jours de la signification du présent jugement, l’Acte de vente préparé par le notaire Michael Turner qui est déjà signé par la Demanderesse, 9069-8879 Québec inc. (Pièce P-7);

[74]    ORDONNE aux Défenderesses, Société en commandite 407 McGill et son seul commandité, 9102-9769 Québec inc., de remettre aux Demanderesses le certificat de localisation pour le nouveau lot numéro 4 920 623 du cadastre du Québec, ainsi qu’une mainlevée des hypothèques inscrites à l’encontre dudit lot en faveur de la Banque HSBC du Canada;

[75]    ORDONNE qu’advenant que les Défenderesses refusent, négligent ou omettent de signer l’Acte de vente (Pièce P-7) dans les dix jours de la signification du présent jugement, ledit jugement équivaudra à la signature des Défenderesses sur l’Acte de vente;

[76]    DÉCLARE qu’advenant que les Défenderesses fassent défaut de signer l’Acte de vente (Pièce P-7) dans les dix jours de la date de signification du présent jugement, ce jugement sera l’équivalent d’un Acte de vente dûment signé et constituera pour la Demanderesse 9069-8879 Québec inc., un bon et valable titre de propriété pour l’immeuble décrit ci-dessus;

[77]    DÉCLARE bons et valables les dépôt et consignation des Demanderesses;

[78]    ORDONNE au mis en cause d’inscrire le présent jugement sur présentation d’une copie certifiée de ce jugement;

[79]    RÉSERVE aux Demanderesses le droit de réclamer des dommages aux Défenderesses;

[80]    LE TOUT avec dépens contre les défenderesses.

 

 

__________________________________

MICHELINE PERRAULT, J.C.S.

Me Kurt A. Johnson

Irving Mitchell Kalichman

Procureur des demanderesses 

 

Me Guillaume Boudreau-Simard

Me Gaïa Leblanc

Stikeman Elliott

Procureur des défenderesses  

 

Dates d’audition

28, 29 et 30 avril 2015 et 1er mai 2015

 



[1] Voir la pièce P-27.

[2] Voir les pièces P-27, P-10 et P-11.

[3] Voir la lettre de Concupisco à 407 McGill, pièce P-2.

[4] Pierre-Gabriel JOBIN et Nathalie VÉZINA, dir. Jean-Louis BAUDOIN, Les obligations, 7e éd., Yvon Blais, 2013, pp. 334-335, par. 219.

[5] Pucholska c. Massé, [1958] C.S. 197; Legault c. Thellend, [1964] B.R. 41; McLaughlin Associates Ltd. c. Mildred Investments Inc., [1983] R.D.J. 681 (C.A.); Banque Nationale du Canada c. Goulet, J.E. 97- 626, REJB 1997-00356 (C.A.).

[6] Voir la pièce D-12.

[7] Interrogatoire au préalable de M. Côté le 21 janvier 2013, pp. 33 et 35.

[8] Voir la pièce D-12.

[9] Supra note 4, pp. 337-339, 341-342 et 344, par. 223, 224, 227 et 229.

[10] Jean PINEAU, Danielle BURMAN, serge GAUDET, Théorie des obligations, 4e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2001, p. 34.

[11] Jacques GHESTIN, Traité de droit civil - Les obligations - Le contrat : formation, 2e éd. t. 2, Paris, L.G.D.J., 1988.

[12] [1992] 2 R.C.S. 554, p. 586-587.

[13] Chartré c. Exploitation agricole et forestière des Laurentides inc., [2002] J.Q. no 1292 (C.A.).

[14] Supra note 4, p.414. par. 314.

[15] Légaré c. Morin-Légaré, (C.A. 2002-08-22), SOQUIJ AZ-50141864, par. 49 à 62; Lépine c. Khalid, 2004 CanLII 22206 (QC CA), par. 57, 58 et 61.

[16] Supra note 4, p.326- 329, par. 215.

[17] Art. 1712 C.c.Q.

[18] Zanetti c. 2946-6117 Québec inc., EYB 2012-203699, par. 66 et suiv (C.A.); 144286 Canada inc. c. 9121-6788 Québec inc., 2009 QCCA 2398, par. 38; Théberge c. Durette, 2007 QCCA 42, par. 48-51; Gubbay c. 4575 Poirier Investments Ltd, REJB 2004-65860, par. 85 (C.A.); Provenzano c. Babori, EYB 1991-56580 (C.A.).

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