Décision

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Gabarit test Cour supérieure V12 - FR (2020-12-07)

A.A. c. N.R.

2021 QCCS 3101

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

LAVAL

 

No :

540-17-012754-171

 

 

 

DATE :

22 juillet 2021

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

GREGORY MOORE, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

A... A...

Demanderesse

c.

N... R...

Défendeur

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

(Dommages pour violence conjugale)

______________________________________________________________________

 

APERÇU

[1]              Madame A... A... poursuit monsieur N... R... pour des dommages pécuniaires, non pécuniaires et punitifs à la suite de la violence conjugale qu’elle a subie pendant et après leur vie conjugale.

[2]              Monsieur N... R... admet avoir été trouvé coupable de voies de fait, d’agression armée, de méfait et de vol contre madame A... A..., mais il nie que ces gestes aient causé des dommages civils.

 

[3]              Il ajoute que l’octroi de dommages punitifs n’est pas indiqué parce que les trois mois de prison qu’il a faits constituent une punition suffisante.

[4]              Madame A... A... a droit à 1 940,70 $ en compensation de ses pertes pécuniaires, 30 000 $ pour les douleurs et souffrances qu’elles a subies aux mains de monsieur N... R... et 15 000 $ à titre de dommages punitifs.

[5]              Puisque ce dossier civil soulève des questions de nature familiale, le greffe de la Cour supérieure le gardera sous scellé.

CONTEXTE

[6]              Madame A... A... épouse monsieur N... R... au mois de décembre 2006. Monsieur est violent envers son épouse dès qu’ils commencent à habiter ensemble. Leur fille naît en [...] 2009.

[7]              La demande civile de madame A... A... traite d’évènements survenus en 2014 et en 2015:

8.    Le ou vers le mois d’août 2014, le défendeur s’est rendu à la residence de la demanderesse en adoptant un état d’agressivité extreme exigeant voir sa fille;

9.       Constatant son état incontrôlable, la demanderesse a refusé de lui confier sa fille ayant peur pour sa sécurité;

10.     Le défendeur a lancé plusieurs objets sur les murs de la maison de la demanderesse. Il a cassé les portes françaises de son logis, a arraché les stores des fenêtres de son domicile et a brûlé ses vêtements;

11.     Le ou vers le 3 août 2014, le défendeur toujours frustré revient à la charge au domicile de la demanderesse pour l’agresser physiquement. Il l’a battu sur le visage;

12.     Aussi, le défendeur a menacé de mort la demanderesse en précisant qu’il allait commettre un crime d’honneur sur elle[1].

[8]              Ces derniers faits sont résumés au rapport d’enquête préparé par la police de Laval:

Le SUS [suspect] et la VIC [victime] sont des ex-conjoints depuis environ 1 an et ont une fille de 5 ans ensemble. Depuis qu’ils sont arrivés au Canada en 2006, la VIC s’est faite violentée par le SUS, même lorsqu’elle était enceinte. La dernière fois qu’il l’a frappe remonte à deux semaines. Le SUS l’aurait serré très fort, giflé et tiré par les cheveux. Le SUS met beaucoup de pression pour que la VIC vende la maison et lui donne l’argent. Le SUS menace souvent la VIC de la tuer et de partir avec leur fille en Algérie. Le SUS a un passeport canadien et algérien. Le SUS a déjà mentionné à la VIC que si sa fille fréquenterait un garcon que le SUS n’aimait pas, il tuerait sa fille et la mère (VIC).

Le 2014-08-03 en soirée, le SUS se présente chez la VIC pour régler certains aspects de la separation. Une chicane verbale éclate et le SUS tente de frapper la VIC. Le SUS insulte et crie des menaces de mort à la VIC: « Si tu appelles la police, tu vivras plus sur la terre », « Tu connais c’est quoi des crimes d’honneur », « J’ai pas peur d’en faire un », « Je m’en fou d’aller en prison tant que je l’ai fait! ». Pendant que les policiers étaient présents, le SUS l’a menacé en arabe: « Je vais te faire payer! ». Une voisine a entendu les propos menaçants du SUS. La VIC craint pour sa sécurité et celle de sa fille[2].

[9]              Monsieur N... R... est accusé d’avoir sciemment proféré des menaces de causer la mort ou des lésions corporelles à madame A... A..., mais elle retire sa plainte criminelle[3] afin de pouvoir accompagner sa fille lors de ses visites supervisées avec monsieur N... R...[4].

[10]           Au procès civil, monsieur N... R... nie avoir prononcé les paroles qu’on lui attribue au rapport d’enquête. Il nie avoir frappé madame A... A... à quelconque moment.

[11]           La juge Sandra Blanchard de la Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale, décrit la violence commise par monsieur N... R... contre madame A... A... en 2015[5]:

[9]      Le premier [incident] a lieu en juin 2015. En quittant le domicile de la plaignante, l’accusé, qui y était venu pour garder sa fille, lance un objet dans le pare-brise de son auto, lequel se fracasse. Au terme du procès, l’accusé reconnaît que la poursuivante s’est déchargée de son fardeau à l’égard de ce chef d’accusation.

[10]    Le deuxième événement se déroule le 1er août 2015. Au cours de la soirée, alors que la plaignante est chez sa mère, l'accusé l’appelle vers 21 h 30. Il l’informe qu’il est devant chez elle et qu’il veut voir sa fille.

[11]    Elle accepte d’aller à sa rencontre. Cependant, chemin faisant, alors qu’elle est en communication avec lui, elle change d’idée en constatant qu’il est intoxiqué. Elle lui dit qu’il est inapproprié de voir sa fille dans ces conditions.

[12]    Elle fait demi-tour et à ce moment, elle se retrouve parallèle au véhicule de l’accusé. Celui-ci fonce vers elle et heurte le côté de son véhicule.

[13]    L’accusé sort de sa voiture et se dirige vers la plaignante, qui est immobile dans son véhicule, et la frappe au visage.

[14]    Il donne ensuite un coup dans la vitre arrière côté conducteur, où prend place leur fille. La vitre éclate en morceaux sur l’enfant.

[15]    Il donne aussi un coup de pied au bas de la portière du véhicule et quitte les lieux.

[16]    La plaignante constate des dommages au pare-choc de sa voiture, que la portière n’ouvre plus et que la carrosserie est égratignée.

[17]    Dans les jours qui suivent, l’accusé acquitte le montant des frais encourus pour réparer le véhicule de la plaignante.

[18]    Le troisième événement a lieu le 8 août 2015. Dans la soirée, alors que l’accusé vient voir sa fille chez la plaignante, une dispute éclate.

[19]    Alors qu’il tient sa fille dans ses bras, laquelle lui demande de la lâcher parce qu’il lui fait mal, l’accusé s’approche de la plaignante et la gifle fortement au visage au moment où elle reprend l’enfant. Il quitte ensuite les lieux.

[20]    À la suite de cet événement, la plaignante porte une ecchymose au niveau des dents. Elle doit prendre des Tylenols pour soulager la douleur. Dans le mois qui suit, elle peine à mastiquer et à manger convenablement.

[21]    Quant à un de ses yeux, il est rouge et larmoyant et un voile blanc obstrue sa vision, qui demeure floue pendant quatre jours.

[22]    Elle ne dénonce pas l’accusé. Elle ne peut expliquer pourquoi. Ce n’est pas la première fois qu’elle subit sa violence. Elle est isolée et n’a pas le support de sa famille. « C’est un cercle et tu ne vois plus la fin », dit-elle.

[23]    Elle a retiré ses plaintes par le passé, voulant épargner et protéger sa fille du danger d’être seule avec son père.

[24]    Le dernier événement se déroule le 27 septembre 2015. Alors qu’elle est au parc avec sa fille, l'accusé l’appelle et lui dit de venir à la maison, ce qu’elle fait. En arrivant à son domicile, elle constate qu’il est à l’extérieur et tient dans ses mains la serrure de la porte d’entrée. Il lui reproche de l’avoir changée à son insu et quitte les lieux.

[25]    Elle fait appel à un serrurier et dénonce les actes délictueux de l’accusé.

 

[12]           La juge Blanchard déclare monsieur N... R... coupable de voies de fait, d’agression armée, de méfait et de vol à la suite de ces évènements. Elle le condamne à 90 jours d’emprisonnement. Monsieur N... R... ne porte pas en appel les jugements sur la culpabilité et sur la sentence.

[13]           Madame A... A... témoigne de ces mêmes incidents lors du procès civil. Elle réclame des dommages pour compenser les préjudices que monsieur N... R... lui a causés.

[14]        Celui-ci évoque le diabète pour justifier son comportement. Lorsqu’il fait de l’hypoglycémie, il peut crier, chicaner, devenir agressif et incontrôlable. Il tombe après cinq minutes. Lorsqu’il se réveille, on lui explique ce qu’il a fait. Il n’a aucun souvenir d’avoir commis des gestes répréhensibles envers madame A... A... ou en présece de leur fille.

[15]           Le diabète ne justifie pas le comportement violent de monsieur N... R... D’ailleurs, la preuve médicale démontre que le diabète ne soulève aucune inquiétude quant à sa capacité de prendre soin de sa fille[6]. Si le diabète rend monsieur N... R... violent, son médecin l’aurait indiqué plutôt que de déclarer que « His diabetes is in no way a barrier to providing proper care to himself or his child. » Monsieur N... R... n’a pas prouvé qu’il a été violent envers madame A... A... parce qu’il souffre de diabète.

[16]           Même si l’hypoglycémie le rend agressif et incontrôlable, cela n’enlève rien au fait que madame A... A... a subi des menaces de mort, des crises de colère, des insultes et un coup de poing au visage qui cause une ecchymose, brouille sa vision et crée de la douleur à une dent. Monsieur N... R... cause des dommages à sa demeure et à son automobile. Elle est habitée par la peur et l’insécurité d’habiter avec une personne qui traite son épouse de cette manière devant leur enfant.

[17]           Madame A... A... ajoute au procès qu’elle croit être la victime de violence sexuelle. Ses séances de thérapie lui auraient permis de comprendre que la violence sexuelle peut exister au sein d’une relation conjugale. Monsieur N... R... nie cette accusation. Selon lui, les parties avaient une vie intime respectueuse l’une de l’autre.

[18]           On ne peut pas se fier au témoignage de monsieur N... R... Il admet que le diabète le rend agressif et incontrôlable, mais affirme qu’il se contrôle suffisamment pour ne pas agir de façon violente. Il admet qu’il ne se souvient pas de ce qui se passe lorsqu’il est hypoglycémique, mais insiste qu’il n’a jamais frappé madame A... A... Il admet que la juge Blanchard l’ait trouvé coupable de voies de fait, mais il nie avoir frappé madame A... A...

 

[19]           En plus des incohérences concernant l’effet du diabète, monsieur N... R... se contredit davantage lorsqu’il affirme avoir fracassé avec sa main le pare-brise arrière de l’auto de madame A... A..., alors qu’il a admis lors de son procès criminel qu’il l’a fait en lançant une pierre[7].

[20]           Alors qu’il est accusé au criminal d’avoir enlevé la serrure de la porte d’entrée du domicile de madame A... A..., monsieur N... R... se défend en disant que cette dernière l’a changé à son insu[8]. Lors du procès civil, il affirme qu’il a enlevé la serrure parce qu’elle bloquait.

[21]        La juge Blanchard vient à une conclusion semblable à la suite du procès qui s’est déroulé devant elle: « le Tribunal n’a accordé aucune crédibilité à l’accusé, jugeant son témoignage invraisemblable[9]. »

[22]        Madame A... A... a prouvé que monsieur N... R... l’a abusée physiquement, psychologiquement et sexuellement.

[23]           Monsieur N... R... doit compenser les dommages qu’il a causés.

ANALYSE

1.               LES Dommages non pécuniAIRES

[24]           Madame A... A... réclame 50 000 $[10] pour compenser ses douleurs, souffrances, inconvénients et perte de jouissance de la vie. Monsieur N... R... doit verser 30 000 $ à madame A... A... à ce titre.

[25]           Le montant des dommages non pécuniaires est établi en deux temps[11]. On applique d’abord les approches conceptuelle, personnelle et fonctionnelle afin d’arriver à une évaluation personnalisée du préjudice subi par la demanderesse. L’approche conceptuelle mesure la gravité objective du préjudice. L’approche personnelle évalue la douleur et les inconvénients subis par la demanderesse. L’approche fonctionnelle fixe l’indemnité qui fournira une consolation à la demanderesse.

[26]           Ensuite, on compare l’expérience de la demanderesse à d’autres cas similaires afin d’octroyer des dommages semblables à des cas semblables.

 

[27]           Madame A... A... cite quatre dossiers équivalents au sien. Dans O’Brien c. M.H.[12], la Cour d’appel accorde 75 000 $ à une femme qui a été séquestrée pendant trois jours, abusée verbalement et psychologiquement, privée de nourriture et battue par son conjoint. Elle porte des ecchymoses et des lacérations à la suite de cette expérience.

[28]           Dans Marcoux c. Légaré[13], le juge Paul Corriveau accorde 20 000 $ pour compenser le préjudice psychologique et 8 000 $ pour les autres douleurs et souffrances subies par une femme qui a été battue par son conjoint pendant vingt-six ans.

[29]           Dans Droit de la famille - 181730[14], le Tribunal accorde un montant semblable à une épouse qui a vécu vingt-six ans avec un mari violent.

[30]           Finalement, dans Graveline c. Devost[15], la juge Sonia Bérubé accorde 10 000 $ pour les dommages moraux subis pendant dix ans de vie commune qui culminent par une journée d’extrême violence.

[31]           L’approche conceptuelle indique qu’il y a lieu d’accorder des dommages importants à madame A... A... La violence infligée par monsieur N... R... de 2006 à 2015 est objectivement grave. Tel que décrit plus haut, il :

·               expose madame A... A... à des crises de colère;

·               l’insulte et la dénigre;

·               fait des menaces de mort;

·               lui donne un coup de poing au visage qui cause une ecchymose, brouille sa vision et endommage une dent;

·               endommage son automobile;

·               fait des dégâts à l’intérieur de sa demeure; et

·               la fait ressentir de l’insécurité et de la peur d’habiter avec une personne qui traite son épouse de cette manière devant leur enfant.

[32]           Il s’attaque à une victime vulnérable. Madame A... A... n’a pas la force de monsieur N... R... Pour se protéger contre cette violence, elle abandonne son mariage et sépare sa fille de son père. Ce sont deux décisions qui sont objectivement difficiles à prendre.

[33]           L’approche personnelle confirme le cauchemar vécu par madame A... A... Elle témoigne avec émotion des évènements survenus en 2014 et 2015, période pendant laquelle elle perd son estime de soi. Elle apprend de la thérapie entreprise par la suite qu’elle a été victime de violence physique, économique et sexuelle. Elle comprend qu’elle s’est faite violée par son mari. Elle a de la misère à accepter que cela fasse partie de sa vie, qu’elle ne peut pas l’effacer.

[34]           La preuve documentaire appuie les dires de madame A... A... Les pièces P-3 et P-8 consistent de rapports de police rédigés à la suite de la violence qu’elle subit en 2014 et 2015. La pièce P-11 est un rapport de police qui fait état d’un bris de conditions survenu en 2016 alors que monsieur N... R... la contacte malgré l’interdiction de le faire. La pièce P-12 est le jugement de la juge Blanchard qui résume la violence vécue par madame A... A... et qui condamne monsieur N... R... à 90 jours de prison.

[35]           Les pièces P-4 et P-9 consistent de factures et de soumissions obtenues par madame A... A... pour réparer les dégâts que monsieur N... R... cause à son domicile.

[36]           Les pièces P-5, P-7, P-13 et P-14 font état des traitements en psychothérapie et en orthodontie que madame A... A... suit pour se guérir de la violence infligée par monsieur N... R... Elle assiste également à des rencontres avec la DPJ. Elle s’absente de son travail 71 fois sur deux ans pour assister à divers rencontres pour s’occuper d’elle-même et de sa fille.

[37]           L’approche fonctionnelle établit le niveau de dommages qui offrira une certaine consolation à madame A... A... Elle demande 35 000 $ pour ensuite l’augmenter à 50 000 $ le premier jour du procès.

[38]           En comparant l’expérience de madame A... A... avec ce qui est décrit aux jugements qu’elle cite, on voit qu’il y a lieu de lui accorder moins que ce qu’elle réclame. Elle est victime de violence pendant neuf ans, alors que les demanderesses dans Marcoux et Droit de la famille - 181730 ont vécu vingt-six ans de violence conjugale. Elle n’a pas vécu l’horreur décrit dans l’arrêt O’Brien.

[39]        Monsieur N... R... doit verser 30 000 $ à madame A... A... en compensation du préjudice psychologique, des douleurs et des inconvénients qu’il a causés.

2.               les dommages pécuniAIRES

[40]        Madame A... A... réclame 35 399 $ en remboursement des dépenses et pertes financières occasionnées par la violence infligée par monsieur N... R... Elle a droit à 1 940,70 $ à titre de dommages pécuniaires.

i)          Perte temporaire de revenus

[41]           Madame A... A... s’absente du travail pour assister à des séances de psychothérapie et à des rencontres à la CAVAC avec sa fille. Par contre, ses déclarations d’impôt indiquent que son revenu n’a pas diminué.

[42]           Elle n’a pas prouvé une perte temporaire de revenus.

ii)         Perte de frais d’inscription au cours universitaire

[43]           Madame A... A... interrompt sa formation universitaire à l’automne 2015. Elle n’est pas capable de se concentrer à la suite des épisodes de violence dont elle est victime au printemps, à l’été et au début de l’automne[16].

[44]           La preuve des pertes qu’elle réclame n’est pas claire. Elle dépose les factures pour ses frais de scolarité pour les trimestres de l’automne 2015 (711,78 $) et de l’hiver 2016 (437,89 $)[17] pour un total de 1 149,67 $. Par contre, son Relevé 8 indique qu’elle a payé 1 148,51 $ en 2015 et 653,65 $ en 2016, pour un total de 1 802,16 $[18]. Ni le témoignage de madame A... A..., ni la preuve documentaire ne permet de comprendre pourquoi elle a payé plus en frais de scolarité que ce qu’elle a été facturée.

[45]           Madame A... A... n’a pas démontré que l’université a refusé de lui rembourser des frais de scolarité ou de les lui créditer lorsqu’elle s’est réinscrite à ces cours.

iii.      Réparations dans la maison, objets détruits et vêtements brûlés

[46]           Madame A... A... réclame 7 000 $ en remboursement des réparations des dégâts que monsieur N... R... cause dans son domicile. Sans offrir trop de détails, madame A... A... affirme que monsieur N... R... a brisé ces items lors de ses crises de colère.

[47]           Celui-ci ne nie pas avoir brisé ces objets. Il répond qu’il ne doit pas payer pour des travaux que madame A... A... n’a pas fait faire ni pour des items qu’elle n’a pas remplacés.

[48]           La facture du 10 octobre 2015[19] décrit la réinstallation du système d’alarme faite le 28 septembre 2018, tout juste après le dernier épisode de violence décrit par la juge Blanchard. Monsieur N... R... ne nie pas qu’il l’ait brisé. Il avance que madame A... A... ne peut pas réclamer le remplacement du système d’alarme parce qu’il a été payé à l’origine par l’Indemnisation des victimes d’actes criminels. L’IVAC l’avait installé afin de protéger madame A... A... de monsieur N... R... Monsieur N... R... doit compenser madame A... A... pour ce qu’il a brisé.

[49]           Cette facture décrit aussi du travail accompli du 5 au 9 octobre 2015 pour remplacer le cadrage des portes jumelles qui mènent au salon. Madame A... A... n’a pas prouvé que monsieur N... R... ait brisé le cadrage. Elle ne peut pas réclamer pour cette portion de la facture.

[50]           Puisque la facture du 10 octobre 2015 ne ventile pas les montants chargés pour chaque item de travail, le prix total de 565 $ est divisé en deux pour les fins du présent calcul.

[51]           Monsieur N... R... doit rembourser 282,50 $ pour la réinstallation du système d’alarme.

[52]           La pièce P-10 est la facture du système d’alarme installé par l’IVAC en juin 2015. Monsieur N... R... n’a pas à rembourser madame A... A... pour ce montant.

[53]           Monsieur N... R... ne nie pas avoir brisé les portes jumelles au domicile de madame A... A... Selon la soumission qu’elle dépose en preuve, monsieur N... R... doit payer 898,50 $ pour les remplacer, ainsi que 65 $ pour la livraison et 50 $ pour les mesures.

[54]           Mme A... A... réclame 700 $ en main-d’œuvre pour l’installation des portes jumelles, mais elle avoue qu’elles n’étaient pas installées au moment où monsieur A... A... les brise. Elle demande 185 $ pour une fausse fenêtre au-dessus des portes, mais il s’agit d’un ajout et non du remplacement de ce que monsieur N... R... a brisé. Elle n’a pas droit à ces deux montants.

[55]           Le reçu du Marché du store prouve que madame A... A... a payé 241,66 $ pour quatre stores. Monsieur N... R... dépose des photos où on voit des fenêtres de la maison, mais pas de stores. Madame A... A... explique que les photos ne montrent pas les fenêtres au complet et que les stores étaient levés au moment de la prise des photos. Monsieur N... R... doit rembourser l’achat de ces quatre stores.

[56]           La pièce P-4 inclut aussi un reçu de 40 $ pour l’installation d’une porte de salle de bain. Madame A... A... n’a pas démontré que monsieur N... R... ait brisé cette porte.

iv.      Traitement en traumatologie

[57]           La pièce P-14 est un reçu pour des séances en psychothérapie. Madame A... A... n’a pas de preuve et ne se souvient pas d’avoir payé ces montants ni si l’IVAC les a assumés. Aucun montant n’est accordé à ce titre.

v.       Réparations de voiture

[58]           La pièce P-6 est une estimation préliminaire qui suggère que l’ancienne automobile de madame A... A... avait besoin de 4 422,34 $ en réparations. Or, les travaux énumérés à la page 2 de l’estimation comprennent plus que les dommages que monsieur N... R... a causés. De plus, madame A... A... ne conteste pas que monsieur N... R... ait déjà fait réparer une porte de l’auto et le pare-brise arrière après les avoir brisés. Aucun montant n’est attribué à ce titre.

 

vi.      Réparation d’une serrure de la maison

[59]        Monsieur N... R... admet devoir rembourser l’installation d’une nouvelle serrure parce qu’il a retiré l’ancienne. Il doit 402,41 $[20].

vii.       Traitements dentaires

[60]        La pièce P-7 est une soumission pour un traitement en orthodontie. Quand madame A... A... consulte pour réparer la dent déplacée par le coup de poing infligé par monsieur N... R..., elle apprend qu’« il est impossible de faire un traitement limité à l’arcade du haut car les dents du bas sont en occlusion avec celles au niveau supérieur. » L’estimation vise le traitement de l’occlusion et non de la dent. Monsieur N... R... n’a pas causé l’occlusion. Aucun montant n’est accordé à ce titre.

viii.    Débours divers

[61]           Madame A... A... réclame 500 $, mais n’a soumis aucune preuve à l’appui. Cette demande est rejetée.

[62]           Au total, monsieur N... R... doit rembourser 1 940,07 $ pour compenser les dommages pécuniaires qu’il a causés.

[63]           Les intérêts et l’indemnité aditionnelle sur les dommages non pécuniaires et pécuniaires seront calculés à partir de la date de la lettre de mise en demeure, soit le 19 juillet 2017[21].

3.               les dommages punitifs

[64]           Madame A... A... demande 35 000 $ en dommages punitifs. Elle a droit à 15 000 $.

[65]           Les dommages punitifs sont prévus à l’article 1621 du Code civil du Québec :

1621. Lorsque la loi prévoit l’attribution de dommages-intérêts punitifs, ceux-ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive.

Ils s’apprécient en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, de sa situation patrimoniale ou de l’étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier, ainsi que, le cas échéant, du fait que la prise en charge du paiement réparateur est, en tout ou en partie, assumée par un tiers.

[66]        L’article 49 de la Charte des droits et libertés de la personne[22] permet de condamner une partie au paiement des dommages punitifs lorsqu’elle porte atteinte de manière illicite et intentionnelle à un droit ou à une liberté reconnu :

49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d’obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.

En cas d’atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs.

[67]           La violence infligée à madame A... A... viole plusieurs droits et libertés :

·               le droit à la sûreté, à l’intégrité et à la liberté de sa personne (art. 1);

·               le droit à la sauvegarde de sa dignité (art. 4); et

·               le droit à l’inviolabilité de sa demeure (arts. 7 et 8).

[68]           Monsieur N... R... porte atteinte à ces droits de manière illicite et intentionnelle :

l'auteur de l’atteinte illicite a un état d’esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou encore s’il agit en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera.  Ce critère est moins strict que l'intention particulière, mais dépasse, toutefois, la simple négligence[23].

[69]           Monsieur N... R... voulait être violent envers madame A... A... Sinon, il ne l’aurait pas été à répétition. Le jugement de la juge Blanchard indique que monsieur N... R... devient violent contre madame A... A... lorsque celle-ci lui tient tête. Ceci suggère qu’il veut non seulement s’exprimer par de la violence dans le moment, mais rappeler à madame A... A... ce qui pourra lui arriver dans le futur.

[70]           Les dommages punitifs visent à dénoncer et à prévenir ce comportement :

l’octroi de dommages-intérêts punitifs doit toujours conserver pour objectif ultime la prévention de la récidive de comportements non souhaitables. […]

Lorsque le tribunal choisit de punir, sa décision indique à l’auteur de la faute que son comportement et la répétition de celui-ci auront des conséquences pour lui.

Une condamnation à des dommages-intérêts punitifs est fondée d’abord sur le principe de la dissuasion et vise à décourager la  répétition d’un comportement semblable, autant par l’individu fautif que dans la société[24]

[71]        En ce qui concerne la dissuasion et la prévention de récidives, force est de constater que malgré la période d’emprisonnement à laquelle il est condamné pour avoir commis des voies de fait, il continue de nier avoir frappé madame A... A... Son incarcération n’a pas réussi à lui faire comprendre la gravité de son comportement et ses effets sur madame A... A... Il reconnaît les dommages matériaux qu’il cause à la voiture et à la serrure de madame A... A... lorsqu’il est violent, mais pas les préjudices physique, psychologique et sexuel. Il continue de blâmer, à tort, le diabète. Des dommages punitifs s’avèrent nécessaires pour désavouer son comportement violent et prévenir qu’il se répète.

[72]           L’article 1621 C.c.Q. exige que l’on tient compte de la capacité de payer du défendeur et des autres dommages-intérêts auxquels il est condamné. Monsieur N... R... était sans emploi au moment du procès. Il réclame et il se voit accorder des prestations du ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale[25]. Le présent jugement l’ordonne à verser 32 000 $ à madame A... A... en dommages non pécuniaires et pécuniaires. Sa situation patrimoniale ne permet pas de penser qu’il pourra verser les 35 000 $ en dommages punitifs que madame A... A... réclame.

[73]           Il faut tout de même dénoncer la violence conjugale. Les récentes modifications à la Loi sur le divorce soulignent la sensibilité que les tribunaux et les parties doivent démontrer face à cet enjeu de société.

[74]           Il faut aussi faire comprendre à monsieur N... R... qu’il ne peut pas exprimer sa colère par la violence physique, psychologique ou sexuel envers madame A... A... ou quiconque d’autre.

[75]           Il est condamné à payer 15 000 $ à titre de dommages punitifs.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[76]           ACCUEILLE la demande d’A... A...;

[77]           ORDONNE à N... R... de verser à A... A... 1 940,07 $ à titre de dommages pécuniaires avec les intérêts et l’indemnité additionnelle prévue à l’artice 1619 C.c.Q à compter du 19 juillet 2017;

[78]           ORDONNE à N... R... de verser à A... A... 30 000  $ à titre de dommages non pécuniaires avec les intérêts et l’indemnité aditionnelle prévue à l’artice 1619 C.c.Q à compter du 19 juillet 2017;

[79]           ORDONNE à N... R... de verser à A... A... 15 000 $ à titre de dommages punitifs;

[80]           ORDONNE que le greffe de la Cour supérieure du Québec au Palais de justice de Laval garde ce dossier sous scellé. Seuls les parties et leurs procureurs pourront y avoir accès, à moins d’obtenir l’autorisation du tribunal;

[81]           ORDONNE que les noms des parties et tout autre information qui pourrait les identifier soient retirés du présent jugement avant qu’il soit diffusé au public;

[82]           AVEC les frais de justice.

 

 

 

L’honorable gregory moore, j.c.s.

 

Me Michel Jean Girard

Procureur d’A... A...

 

Me Guy Nephtali

GUY NEPHTALI AVOCATS

Procureur de N... R...

 

Dates d’audience :

29 et 30 octobre 2020

 



[1]    Voir la demande introductive d’instance du 17 août 2017.

[2]    Pièce P-3.

[3]    Voir la dénonciation et le procès-verbal informatisé à la piéce P-3.

[4]    À l’époque, monsieur N... R... avait des droits d’accès supervisés auprès de sa fille, mais était interdit de s’approcher de madame A... A... Le père et les frères de madame refusent d’être en contact avec monsieur N... R... qui ne veut pas que la mère de madame supervise ses accès. Madame A... A... retire sa plainte criminelle afin de lever l’interdiction de contact et d’accompagner sa fille lors des visites supervisées.

[5]    Pièce P-12.

[6]    Pièce D-8.

[7]    Voir la pièce P-12, paragraphe 9.

[8]    Pièce P-12, par. 24.

[9]    Pièce P-12, par. 28.

[10]   Elle augmente sa demande de 35 000 $ à 50 000 $ le premier jour du procès.

[11]   Cinar Corporation c. Robinson, 2013 CSC 73, par. 105 et 106.

[12]   2020 QCCA 1157.

[13]   2000 CanLII 19043 (QC CS).

[14]   2018 QCCS 3416.

[15]   2015 QCCQ 3642.

[16]   Pièce P-13.

[17]   Pièce P-13.

[18]   Pièce P-29.

[19]   Pièce P-4.

[20]   Pièce P-9.

[21]   Pièce P-16.

[22]   RLRQ c C-12.

[23]   Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital St-Ferdinand, (1996) CanLII 172 (CSC), par. 121.

[24]   Richard c. Time Inc., 2012 CSC 8, par. 155.

[25]   Pièce D-7.

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