Décision

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Club de tir L'Acadie c

Club de tir L'Acadie c. Brossard (Ville de)

2007 QCCS 4358

JC2373

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

LONGUEUIL

 

N° :

505-17-001444-035

 

 

DATE :

11 juin 2007

 

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

LOUIS-PAUL CULLEN, j.c.s.

 

 

CLUB DE TIR L’ACADIE

Demanderesse

 

c.

 

VILLE DE BROSSARD

Défenderesse

 

 

 

JUGEMENT

 

 

[1]                Club de tir L’Acadie (Club) réclame 355 360 $ en dédommagement du préjudice moral et économique causé, selon ses allégations, par des policiers de la Ville de Brossard qui auraient imprudemment tiré un projectile de pistolet dans une résidence avoisinante.

QUESTIONS EN LITIGE 

[2]                Le litige soulève principalement trois questions :

1.      La sortie hors du Club du projectile est-elle imputable à une faute des policiers de Brossard?

2.      Si oui, cette faute a-t-elle causé préjudice au Club?

3.      Si oui, quel montant en permet le dédommagement?

LES FAITS

[3]                En 1962, Pêcheurs et Chasseurs de Montréal Inc. (« Pêcheurs et Chasseurs ») s’installe au 130, chemin du Ruisseau des Noyers, à St-Jean-sur-Richelieu (les « installations »).

[4]                Les installations servent aux épreuves de tir des Jeux Olympiques de Montréal en 1976.  Pêcheurs et Chasseurs perd des membres par la suite et connaît des difficultés financières qui s’aggravent dans un contexte défavorable où les contraintes légales relatives à la possession, au transport et à l’utilisation d’armes à feu s’accentuent.

[5]                L’une des pièces maîtresses de ce contexte législatif est la Loi sur les armes à feu[1] (« Loi ») qui reçoit l’approbation du Sénat et la sanction royale le 5 décembre 1995.

[6]                Les exercices financiers déficitaires de Pêcheurs et Chasseurs se succèdent.  En mars 1996, il ne reste plus rien de son fonds de réserve constitué durant les années fastes.

[7]                Le 8 juillet 1996, l’entreprise vend ses actifs à 9037-8860 Québec Inc. en considération de l’acquittement de ses dettes qui totalisent alors près de 256 000 $.

[8]                En décembre 1999, les équipements se trouvent dans un état lamentable.  L’exploitant ferme ses portes.

[9]                Homme d’affaires et adepte du tir récréatif, Réal Ouimet est membre de longue date de Pêcheurs et Chasseurs.  Le 31 août 2000, il achète les actifs des installations au prix de 386 190 $ par le truchement de 9088-7662 Québec Inc. dont il est l’unique actionnaire. Monsieur Ouimet relance les activités de tir aux installations et investit quelques centaines de milliers de dollars supplémentaires dans la rénovation de ses actifs. 

[10]           Le 28 septembre 2000, le Club est constitué en organisme sans but lucratif en vertu de la Partie III de la Loi des compagnies.  9088-7662 Québec Inc. laisse la jouissance des installations au Club.  Le Club lui remet l’essentiel de ses bénéfices lorsqu’il en dégage, ce qui permet d’acquitter les salaires de l’administration du Club, la dépréciation des installations ainsi que les taxes, permis et frais d’énergie.

[11]           Réal Tremblay commence à travailler au Club bénévolement en novembre 2000.  Il y trouve un intérêt financier dans la mesure où l’essor du Club favorise celui de son commerce d’articles de chasse et de pêche.  Malgré son titre de président, monsieur Tremblay ne s’occupe que de la gestion physique des installations.  Les responsabilités financières relèvent de monsieur Ouimet. 

[12]           En décembre 2000, les membres n’ont pas accès au champ de tir à l’arme de poing (l’arme « courte »), même si son aménagement est conforme à tous égards aux normes de sécurité applicables.  En effet, l’art. 19 de la Loi assujettit le transport d’armes à autorisation restreinte, telles les armes de poing, à une autorisation qui dépend de l’agrément[2] d’un club de tir ou d’un champ de tir. 

[13]           Cependant, le paragraphe 29(1) de la Loi n’étant pas en vigueur, les membres du Club peuvent encore s’adonner au tir au pigeon d’argile et pratiquer le tir à la carabine (l’arme « longue ») dans un champ de 200 verges, même si aucun agrément n’a encore été délivré en faveur du Club ni de l’un de ses champs de tir. 

[14]           La carte de membre coûte alors 300 $ par année.

[15]           Le 15 décembre 2000, monsieur Gilles Prairie adresse à la SQ une demande d’agrément de club de tir en vertu de la Loi.  Le Club désire également obtenir l’agrément de ses champs de tir.

[16]           Le 17 janvier 2001, monsieur Prairie rencontre Jacques Riendeau, chef du module des clubs et champs de tir à la direction des permis de la SQ.

[17]           En janvier 2001, l’agent François Mailloux de la Sûreté municipale de Brossard, aujourd’hui sergent-détective, est moniteur de tir en chef à Brossard.  Il planifie des exercices de tir de combat, soit du tir « visé », à moins de 20 pieds de la cible, ce qui simule la majorité des fusillades.  Au tir « visé », le tireur ne se sert pas de sa mire.

[18]           L’agent Mailloux prévoit divers exercices pour reproduire la réalité du policier, dont le tir « barricadé » à genoux, pour simuler le tir derrière une auto-patrouille, le tir en position accroupie et le tir visé lorsque le rythme cardiaque du tireur est élevé.  Pour ce dernier exercice, le policier court en largeur du champ de tir, s’arrête, dégaine, vise et tire vers la cible.

[19]           Les policiers de Brossard n’ayant plus d’endroit où s’entraîner au tir, l’agent Mailloux rencontre messieurs Ouimet et Tremblay pour louer le champ de tir à l’arme de poing du Club et y poursuivre l’entraînement du tir au pistolet des policiers de Brossard.

[20]           L’agent Mailloux et monsieur Tremblay parcourent ce champ de tir ensemble.  L’agent Mailloux tient à s’assurer que les tireurs peuvent circuler entre les pare-balles et les cibles, la majorité des tirs devant être effectués entre le dernier pare-balles et les cibles.  Il ne dévoile pas à monsieur Tremblay les exercices de tir prévus ni les techniques policières s’y rapportant.

[21]           Monsieur Tremblay informe l’agent Mailloux que les civils ne peuvent pas utiliser ce champ de tir.  Ceci convient parfaitement au policier qui ne veut pas de civils sur les lieux lors des entraînements policiers.

[22]           Il affirme avoir avisé l’agent Mailloux de l’interdiction de tirer à l’extérieur du pas de tir.  Celui-ci nie que monsieur Tremblay lui ait fait part « de règles particulières ». 

[23]           Le prix de location tient compte du fait que les policiers renoncent aux services d’un officiel de tir du Club, puisqu’ils sont accompagnés de leurs propres moniteurs.

[24]           Monsieur Tremblay remet à l’agent Mailloux les clés de la barrière principale du champ de tir à l’arme de poing et du bâtiment dans lequel se trouve le pas de tir.  Ceci confirme l’autonomie qu’il laisse aux policiers.

[25]           Par la suite, les policiers de Brossard s’entraînent au Club trois fois.  Monsieur Tremblay rédige une facture après chaque séance.

[26]           L’agent Mailloux participe aux exercices de tir du 26 janvier et du 19 février 2001. Les tireurs exécutent tous les exercices prévus.  On ne rapporte aucun incident.

[27]           Le 19 février 2001, monsieur Riendeau donne suite à sa rencontre du 17 janvier 2001 avec monsieur Prairie relativement à la demande d’agrément, exige certains renseignements et confirme qu’une inspection des champs de tir sera effectuée dès qu’il sera possible à la fonte des neiges.  Ainsi, écrit-il, « nous aurons tous les éléments nécessaires pour analyser votre dossier ».

[28]           L’incident à l’origine du litige survient le 24 avril 2001.

[29]           Ce jour-là, les policiers pratiquent le tir de combat au Club, dans le champ de tir à l’arme de poing.  Ils s’entraînent sous la supervision de deux moniteurs de tir formés à l’École nationale de police du Québec, le sergent-détective Robert Demers et l’agent Pierre Langlois, tous deux de la Sûreté municipale de Brossard.

[30]           L’agent Langlois mentionne qu’il n’y a jamais eu de décharge accidentelle à l’occasion des exercices qu’il a menés.  Sa fierté à cet égard est légitime : durant les 25 dernières années, 50 policiers sont décédés en Amérique du Nord à l’occasion d’exercices de tir.

[31]           Les policiers Demers et Langlois sont des moniteurs de tir chevronnés.  Leur compétence relativement aux techniques de maniement des armes à feu ne fait aucun doute. 

[32]           Les exercices de tir sont tous basés sur la sortie et la remise de l’arme à l’étui.  On fait dégainer les tireurs 30 à 40 fois par séance.  L’un des exercices est conçu en fonction de la tendance chez certains groupes criminalisés à utiliser des vestes pare-balles.  Les tireurs doivent placer trois balles à la verticale sur la cible, l’une au niveau des hanches, l’une au niveau du centre-masse et, la dernière, dans le haut de la cible, au niveau de la tête.

[33]           L’arme de service des policiers municipaux est un pistolet semi-automatique Glock 9 mm, doté d’un chargeur dans la crosse.

[34]           Ce jour là, chaque tireur vide six chargeurs, soit 102 balles.  Selon l’agent Langlois, le pistolet peut monter légèrement et son effet de recul est plus prononcé que celui du revolver.  De plus, après avoir vidé un ou deux chargeurs, la fatigue peut exercer un effet sur le bras du tireur et sur son contrôle de la détente.

[35]           Le premier exercice se tient à ciel ouvert vers 10h00, suite aux explications de l’agent Langlois.  Après avoir couru, les deux policiers à l’entraînement tirent au moins 50 balles chacun.

[36]           Le second exercice débute environ une heure plus tard.  Il pleut.  Il vente fort.  Il fait froid.  Les policiers allument le poêle à bois dans le bâtiment du champ de tir à l’arme de poing.

[37]           Quatre tireurs s’exécutent ensuite à l’extérieur du pas de tir, sous le toit.  Comme leurs prédécesseurs du matin, ils tirent debout.  Contrairement à eux cependant, on ne les fait pas courir.  Les cibles sont placées à très courte distance, sous le premier pare-balles[3].

[38]           En avant-midi, une balle de pistolet 9 mm perce le mur arrière de la résidence située au [...], L’Acadie.  Avant de terminer sa course sur le plancher de la salle à dîner, le projectile frappe les armoires de la cuisine.  Heureusement, personne n’est atteint.  Une distance totale de 860 mètres, dont un épais boisé de 400 mètres, sépare le pas de tir de cette résidence.

[39]           La résidente porte plainte. La police du Haut-Richelieu conduit l’enquête.  Le conjoint de la résidente remet aux enquêteurs une deuxième balle de même calibre qu’il a trouvée en râtelant la pelouse le 20 avril 2001.

[40]           Les enquêteurs informent les moniteurs Demers et Langlois de l’incident au moment où ils s’apprêtent à recevoir un troisième groupe de tireurs.  Les moniteurs sont extrêmement surpris d’apprendre qu’il y a des résidences en direction du tir.  Dans les mots de l’agent Langlois, « ça nous a laissés abasourdis ».

[41]           Les moniteurs mettent fin immédiatement aux exercices de tir jusqu’à ce que la sécurité des résidents soit assurée.  Ils confirment aux enquêteurs l’annulation de l’exercice de tir de l’après-midi et la suspension complète des exercices pendant l’enquête.

[42]           Prévenu de l’incident, monsieur Ouimet accourt au Club.  Il trouve des centaines de douilles de pistolet 9 mm à proximité du troisième pare-balles[4], à près de 20 mètres du mur extérieur du pas de tir aménagé pour l’arme de poing.

[43]           Les enquêteurs du Haut Richelieu avisent les résidents du [...] de la forte probabilité que le projectile provienne du Club et que son propriétaire devra fermer cette partie du champ de tir pendant l’enquête.

[44]           Puis, les enquêteurs rencontrent monsieur Tremblay.  Ils lui déclarent que le champ de tir à l’arme de poing doit rester fermé jusqu'à nouvel ordre, même aux policiers.  Ils communiquent ensuite avec monsieur Ouimet et l’avisent de fermer ce champ de tir.

[45]           Le 24 avril 2001, monsieur Tremblay signe la déclaration que rédige un enquêteur de la police du Haut-Richelieu[5].  Cette déclaration confirme qu’il n’a pas avisé les policiers de Brossard de l’interdiction de tirer à l’extérieur du pas de tir, estimant que ceci était inutile puisque ces policiers sont accompagnés de leur propre instructeur de tir et qu’ils doivent connaître cette restriction.

[46]           La facture du Club pour les exercices de tir du 24 avril 2001 comporte l’inscription « 1 journée de tir au Pistolet avec les instructeurs selon les normes des clubs de tir du Québec », au prix de 130 $, taxes en sus.  Monsieur Tremblay invoque un oubli de sa part pour expliquer l’absence d’une stipulation semblable dans les deux factures précédentes à Brossard.

[47]           Le 25 avril 2001, les quelques 250 signataires d'une première pétition exigent la fermeture immédiate et complète du Club « tant et aussi longtemps qu’on ne pourra nous démontrer, et ce de façon absolue, qu’il est impossible qu’un tel événement se reproduise ».  Une seconde pétition, comptant une soixantaine de signataires et émanant de « Le regroupement des citoyens de L’Acadie et St-Luc » demande notamment à la SQ d’annuler le permis d’exploitation du Club.

[48]           Le 29 avril 2001, les résidents du [...] se plaignent que les tirs se poursuivent.  Le champ de tir à l’arme de poing est fermé depuis l’incident en litige, mais le champ de tir à la carabine demeure ouvert.  Un tireur s’en est servi le matin même.

[49]           Le 9 mai 2001, l’ingénieur Jean Dion de la Section balistique du Laboratoire de Sciences Judiciaires et de Médecine Légale signe deux rapports.  Il conclut que les deux projectiles de calibre 9 mm trouvés par les résidents du [...] ont été tirés par un ou deux canons à rayures polygonales.  Les pistolets de marque Glock sont parmi les armes les plus probables.

[50]           Après avoir noté la trajectoire descendante du projectile ayant pénétré cette résidence, l’expert Dion conclut que le tir provient probablement du champ de tir à l’arme de poing, qu’il est impossible qu’un projectile provenant du pas du tir puisse sortir de ce champ de tir, mais qu’en tirant à l’extérieur du pas de tir et en soulevant le canon de l’arme de quelques degrés seulement, un projectile peut facilement sortir du champ de tir.

[51]           Le 15 mai 2001, monsieur Riendeau rencontre monsieur Ouimet et lui remet de main à main une lettre datée du même jour.  Monsieur Riendeau y évoque l’inspection effectuée depuis le 17 janvier 2001 du champ de tir à l’arme courte « pour les fins de l’enquête et du traitement de la demande d’agrément » ainsi que l’inspection des autres champs de tir du Club qui reste à venir.

[52]           Cette lettre ne réfère qu’à un seul incident, celui du 24 avril.

[53]           Monsieur Riendeau exige que cesse l’exploitation du champ de tir à la carabine pour « au moins » la période nécessaire à l’étude complète du dossier de demande d’agrément de club de tir et de champ de tir « pour permettre d’évaluer différents éléments associés à l’utilisation du champ de tir pour armes longues ».

[54]           Monsieur Ouimet s’efforce en vain de persuader monsieur Riendeau de maintenir en opération le champ de tir à la carabine.  N’y parvenant pas, le Club obtempère le jour même à la directive et ferme ce champ de tir. 

[55]           Les membres du Club ne peuvent plus y ajuster leur carabine, ce qui se fait normalement sur une distance d’environ 100 mètres.  Ils doivent combler ce besoin ailleurs.  Les heures d’ouverture du Club décroissent.  Le Club rembourse une quinzaine de membres et réduit les frais d’inscription annuels à 100 $.

[56]           Le 28 mai 2001, l’expert Dion signe un troisième rapport.  Il conclut que les deux projectiles précédemment expertisés ont pu être tirés par l’une des armes de service Glock des policiers de Brossard.

[57]           L’inspecteur Yves Massé exerce depuis le mois d’août 2006 les fonctions de contrôleur des armes à feu au Québec.  En septembre 2001, alors capitaine, il travaille à la direction des permis de la SQ. 

[58]           Le 26 septembre 2001, le capitaine Massé confirme à monsieur Prairie avoir en mains toute la documentation requise pour la demande d’agrément d’un club de tir.  Il se dit obligé d’attendre l’agrément d’un champ de tir avant de procéder à l’agrément du Club de tir.  Il exige un aménagement du champ de tir à la carabine permettant de contenir tous les coups directs et tous les ricochets, à l’aide de pare-balles ou d’un système équivalent.  Il recommande la construction de pare-balles au sol et d’un toit pour la butte de tir afin d’éviter qu’un ricochet sorte du champ de tir à l’arme de poing.  Tout aménagement devra faire l’objet d’une approbation préalable.

[59]           À l’automne 2001, monsieur Ouimet présente à la SQ un projet d’aménagement de tir en tunnel pour le champ de tir à la carabine.  On lui répond que ce projet ne sera pas approuvé avant d’être construit.

[60]           Le 1er novembre 2001, André Rousseau procède à une inspection du Club.  Il n’exige que quelques correctifs mineurs.

[61]           En novembre 2001, monsieur Tremblay constate une baisse d’affluence au Club et cesse d’y travailler.

[62]           Monsieur Rousseau retourne au Club au début du mois de janvier 2002 pour vérifier si les correctifs ont été réalisés, ce qui est le cas.  Les agréments 1001, 1002 et 1003 sont délivrés le 21 février 2002.

[63]           L’agrément 1001 agrée le Club pour l’arme de poing.

[64]           L’agrément 1002 indique que le champ de tir à l’arme de poing fait 52 mètres, comporte dix pas de tir et deux pare-balles aériens.  Il agrée huit champs de tir extérieurs au pigeon d’argile.

[65]           Aucun agrément n’est délivré pour le champ de tir à la carabine.  Même si l’étude du dossier est terminée, la SQ n’informe pas le Club que ce champ de tir peut reprendre ses activités, aucun agrément n’étant encore requis à cette fin.

[66]           L’agrément 1006 est délivré le 16 juillet 2002.  Il agrée un champ de tir de 52 mètres pour certaines armes de poing et carabines.  Il est expédié par la poste ordinaire.  Monsieur Ouimet déclare au tribunal qu’il ne l’a jamais reçu.  La lettre n’est pas retournée à son expéditeur.  Le tir à la carabine ne reprend pas au Club.  La lettre s’est probablement perdue.

[67]           Entre les mois de février et mai 2004, le Club double la longueur d’une partie du champ de tir à l’arme de poing, de 52 à 101 mètres, et remplace dans le pas de tir existant six postes de tir à l’arme de poing par autant de postes de tir à la carabine.

[68]           L’agrément 1078 est délivré le 19 mai 2004 relativement à un champ de tir de 101 mètres pour certaines armes de poing et carabines.  Le tir à la carabine recommence au Club.

[69]           Depuis l’incident en litige, les policiers de Brossard s’entraînent au tir de combat dans des salles de tir intérieures.

ANALYSE

La sortie hors du Club du projectile est-elle imputable à une faute des policiers de Brossard?

Les obligations des parties relativement à la sécurité

[70]           Les policiers exercent un métier difficile, souvent ingrat et, à l’occasion, extrêmement dangereux. 

[71]           Ils portent des armes à feu lorsqu’ils sont en devoir.  Ils doivent se préparer convenablement à affronter des situations où l’emploi de la force, y compris l’usage d’armes à feu, s’avère nécessaire.

[72]           L’apprentissage du maniement correct de ces armes requiert un entraînement adapté aux exigences contemporaines de leur métier.  Les policiers pratiquent donc le tir de combat. 

[73]           Il n’est pas fautif en soi de tenir des exercices de tir de combat hors d’un pas de tir conçu pour assurer la sécurité des tireurs et des autres.  Mais les policiers doivent alors assurer la sécurité.

[74]           Les policiers savent qu’en tirant à ciel ouvert, ils perdent le bénéfice des pare-balles et des autres systèmes de protection dont la mise en place est strictement encadrée par des normes précises.

[75]           Monsieur Tremblay est conscient que les policiers tireront hors du pas de tir.  Il s’en remet à eux quant aux précautions à prendre à l’occasion de leurs exercices spéciaux dont il ignore les détails[6].

[76]           Puisque les policiers sont accompagnés de moniteurs chevronnés, qu’ils refusent la présence d’un officiel de tir et qu’ils jugent opportun de ne pas dévoiler les exercices qu’ils prévoient, le Club est justifié, en principe, de s’en remettre à eux quant à la sécurité de leurs exercices.

[77]           Le contrat de location du champ de tir comporte donc un engagement implicite[7] de la part des policiers de Brossard d’agir avec toute la prudence requise pour empêcher qu’un projectile sorte du champ de tir et mette en péril la sécurité, sinon la vie d’autrui.

L’origine du projectile

[78]           Le tribunal fait siennes toutes les conclusions de l’expert en balistique Dion.

[79]           Le projectile qui atteint la résidence de la rue [...] le 24 avril 2001 est tiré par l’un des policiers de Brossard.  Ils sont les seuls à utiliser le champ de tir à l’arme de poing à cette date et aucune preuve n’a été offerte que le projectile pouvait provenir d’ailleurs.

[80]           Le projectile trouvé par le résident de la rue [...] en râtelant sa pelouse provient également d’un tir des policiers de Brossard, le 26 janvier ou le 19 février 2001.

La faute des policiers

[81]           Le sergent-détective Mailloux convient de la location du champ de tir extérieur à St-Philippe de LaPrairie où il pratique le tir de combat, sans savoir s’il y a des résidences en direction du tir.

[82]           Il dit ignorer si une balle provenant de l’intérieur du pas de tir à l’arme de poing du Club peut sortir du champ de tir. 

[83]           Pourtant, il déclare avoir été certain qu’une balle tirée hors du pas de tir, à faible distance devant le dernier pare-balles et manquant la cible, ne sortirait pas du champ de tir, car elle devait frapper, selon lui, la butte de terre derrière[8].  Sur les lieux, au contraire, le tribunal a constaté qu’une balle tirée à quelques mètres de la cible et au-dessus de celle-ci éviterait la butte[9]

[84]           Les moniteurs de tir Demers et Langlois n’expriment directement aucun avis à ce sujet, mais ils se déclarent surpris de la distance parcourue par le projectile de 9 mm qui a frappé la résidence de la rue [...] et l’agent Langlois se dit très surpris d’apprendre l’existence de résidences en direction du tir.

[85]           En somme, d’après leur témoignage, lors des exercices de tir au Club, les policiers de Brossard ne sont pas pleinement conscients de la portée de leur arme de service et n’ont pas vérifié auparavant s’ils risquent d’atteindre des résidences au-delà de leurs cibles.

[86]           Les exercices de tir de combat exécutés hors du pas de tir comportent pourtant un risque évident de balles perdues.  Il incombe aux policiers de contrôler rigoureusement l’existence d’un tel risque et, le cas échéant, de prendre tous les moyens nécessaires afin éviter qu’il se concrétise.  Ces précautions élémentaires n’ont pas été prises. 

[87]           Ces défauts de précaution flagrants relativement à l’utilisation répétée de nombreuses armes à feu constituent une faute lourde.  Brossard est donc tenue de réparer l’entier préjudice causé au Club par sa faute[10]

Le préjudice

[88]           Le Club réclame 25 000 $ pour ses « troubles et inconvénients » et 330 360 $ pour sa perte financière.

Atteinte à la réputation

[89]           En argumentation, l’avocat du Club précise que les « troubles et inconvénients » allégués représentent, en fait, une atteinte à la réputation du Club.

[90]           L’incident en litige a sans doute porté atteinte à cette réputation :

-         Le 24 avril 2001, une équipe de tournage du Réseau de Télévision Quatre-Saisons se présente au Club au sujet de l’incident. 

-         Le lendemain, une pétition circule dans le voisinage.  Les signataires considèrent que leurs vies sont en danger et exigent la fermeture immédiate et complète du Club.  Une autre pétition demande à la SQ d’annuler le permis de champ de tir du Club et suggère à la municipalité d’annuler ses droits acquis.

-         Entre le 27 avril et le 27 juin 2001, trois journaux rapportent l’incident.  Aucune preuve n’est toutefois offerte de leur tirage.

[91]           Toute personne a droit au respect de sa réputation[11], y compris la personne morale, qui n’est pas à l’abri d’une telle atteinte.  Lorsque la réputation d’une personne morale est entachée fautivement, celle-ci a droit à la réparation intégrale de son préjudice[12].

[92]           Les dédommagements accordés par les tribunaux en réparation de l’atteinte à la réputation d’une personne morale sont sensiblement moins élevés que ceux qu’ils accordent à une personne physique[13].  En effet, contrairement à une personne physique, une personne morale ne peut éprouver son préjudice d’une manière subjective.  Elle ne possède ni fierté, ni sentiments.  Elle ne peut être humiliée, ni autrement blessée ou froissée. 

[93]           Un montant de 5 000 $ constitue un dédommagement juste et raisonnable à ce titre.

Perte financière

[94]           Le Club allègue que l’incident en litige l’a privé de gains importants.

[95]           Roman Boyko, c.a., dont la compétence est admise en comptabilité et, en particulier, en matière d’évaluation de pertes financières, affirme que l’incident en litige serait la cause de la fermeture du champ de tir à l’arme de poing du 15 mai 2001 au 16 juillet 2002 et de la fermeture du champ de tir à la carabine du 15 mai 2001 au 25 février 2004.

[96]           L’expert ne tient pas compte de frais considérables de « location » au motif que ceux-ci varient selon les résultats d’exploitation.

[97]           Il estime que si le Club avait poursuivi ses activités sans interruption, ses résultats financiers de 2004 à 2007 auraient été obtenus trois années plus tôt, de 2001 à 2004.  Selon lui, la suspension des activités du Club reliées aux armes de poing et surtout aux carabines lui a fait subir une perte qu’il évalue à 330 360 $.

[98]           Il soumet que cette estimation est « raisonnable, équitable et conservatrice », compte tenu de l’augmentation subite et importante du nombre de membres du Club et de ses ventes de matériel après la date de rétablissement du tir à la carabine, qu’il dit être le 25 février 2004.

[99]           La défense n’a pas produit de contre-expertise.  Elle conteste essentiellement le lien de causalité entre la faute des policiers de Brossard et la perte financière du Club, le refus par l’expert de tenir compte des frais de location et, enfin, elle soutient que le Club lui-même n’a pas subi de perte financière car cette perte, s’il en est, a réellement été subie par le propriétaire des installations.

Causalité

[100]       Ayant commis une faute lourde, Brossard doit compenser le Club pour tout le gain dont il l’a privé[14], prévisible ou non[15], pourvu que ce gain perdu soit une suite « immédiate et directe » de sa faute[16]

[101]       L’application de cette règle doit être compatible avec son objet véritable, qui est de relever le fautif des conséquences trop éloignées de sa faute. 

[102]       À ce sujet, les auteurs Baudouin et Jobin enseignent que la règle n’impose qu’un lien de causalité « étroit » entre la faute et le préjudice et que l’identification de ce qui constitue la suite « immédiate et directe » d’une faute repose sur des considérations empiriques, tributaires des faits particuliers à chaque situation[17] :

L’article 1607 C.c. prévoit que le débiteur est tenu de réparer le préjudice qui constitue une suite immédiate et directe de l’inexécution. Le législateur a simplement voulu affirmer ainsi la nécessité d’un lien de causalité étroit entre la faute et le préjudice particulier qui peut être réparé.  Sans violer le principe de la réparation intégrale, il a voulu éviter aussi que le débiteur ne soit tenu des conséquences et des effets éloignés de sa faute.  Le droit est méfiant à l’égard des préjudices en « cascades ».  Dans une série de rebondissements fâcheux à la suite d’une faute, il faudra tirer une ligne entre les conséquences qui découlent essentiellement de la faute, incluant à la limite celles qui résultent et de la faute et de la force majeure, et par ailleurs celles dont le contractant fautif ne devrait pas être tenu responsable tant elles sont, dans le déroulement des événements, éloignées de la faute. L’étude des principales décisions  sur la question révèle que la règle du caractère direct du préjudice est principalement utilisée pour limiter le champ de la réparation selon les circonstances particulières de chaque espèce, rendant ainsi toute généralisation difficile, sinon impossible (…).

                                                                                             (Le tribunal souligne)

[103]       Pineau, Burman et Gaudet endossent cette conception empirique de la règle[18] :

(…) Le débiteur ne sera responsable que de ce qui est réellement la conséquence de l’inexécution fautive.  Il y a un point dans la « cascade » où il n’y a plus de relation de cause à effet, un point de rupture dans la chaîne, compte tenu de l’intervention d’un nouvel élément causal (…).  Il n’est, cependant, pas toujours aisé de situer ce point de rupture : c’est une question de fait, selon les circonstances, que le juge appréciera.  Une fois encore, c’est le bon sens qui doit guider celui-ci : trouvera-t-il juste d’indemniser le créancier?  Il verra un lien de causalité entre la faute et le dommage.   Trouvera-t-il juste de protéger le débiteur?  Il refusera de voir un lien de causalité et qualifiera le dommage d’ « indirect ».  Il est alors vain de chercher dans la jurisprudence la règle qui prétendrait apporter la solution de principe. (…)

[104]       La responsabilité de Brossard s’étend à la réparation de l’entier préjudice causé au Club par sa faute, que celle-ci en soit la cause unique ou seulement contributive.

[105]       En effet, l’existence de facteurs non fautifs ayant pu contribuer à la réalisation du préjudice financier du Club n’atténue pas la responsabilité de Brossard en tant qu’auteur d’une faute ayant entraîné ce préjudice[19].  De plus, dans l’hypothèse où la perte financière du Club résulterait de la conjugaison de la faute contractuelle de Brossard à la faute extracontractuelle d’un tiers, Brossard serait tenu d’indemniser le Club pour la totalité de la perte impossible à départager, sa responsabilité pouvant alors être retenue « in solidum »[20].

[106]       En somme, la limite logique à l’obligation d’indemniser du fautif se situe là où sa faute ne contribue plus à la réalisation du préjudice, comme le soulignent les auteurs Baudouin et Deslauriers[21] :

On ne peut logiquement tenir l’auteur d’un acte fautif responsable d’un dommage qui est sans relation avec la faute ou dans la réalisation duquel il n’est pour rien.

[107]       Le lien causal entre la faute de Brossard et le préjudice qu’elle doit indemniser est une question de fait[22].

Interruption de l’exploitation du champ de tir à l’arme de poing

[108]       En date du 24 avril 2001, seuls les policiers peuvent utiliser ce champ de tir.  L’incident entraîne sa fermeture immédiate jusqu’à la fin de l’enquête, le 2 août 2001[23], près de trois mois plus tard. 

[109]       L’enquête retarde également le traitement administratif de la demande d’agrément concernant ce champ de tir. 

[110]       Ainsi, le 15 mai 2001, la SQ confirme qu’elle a déjà procédé à son inspection, tant aux fins de l’enquête que de la demande d’agrément, mais elle ajoute qu’elle doit encore procéder à l’inspection des champs de tir au pigeon d’argile et à la carabine avant de se prononcer. 

[111]       L’inspection de ces autres champs de tir ne s’effectue que cinq mois et demi plus tard, le 1er novembre 2001.  On est loin d’une inspection de tous les champs de tir du Club dès que possible après la fonte des neiges, contrairement à ce qu’indique la SQ dans sa lettre du 19 février 2001, deux mois avant l’incident en litige.

[112]       Même si le champ de tir à l’arme de poing est parfaitement sécuritaire, le capitaine Massé ne le considère que « relativement » sécuritaire, et l’incident en litige n’est pas étranger à son évaluation.

[113]       En effet, écrit-il, la construction domiciliaire s’est considérablement rapprochée aux alentours « principalement en direction du tir au-delà de la butte frontale et ce, dans une zone susceptible de recevoir des projectiles directs et des ricochets ».  L’allusion à la rue [...] et à l’incident en litige est claire.

[114]       En qualifiant le champ de tir à l’arme de poing de « relativement sécuritaire », le capitaine Massé fait cependant erreur. 

[115]       Les pare-balles installés au Club selon les principes directeurs applicables assurent une sécurité complète aux tiers, pourvu que les tirs proviennent de l’intérieur du pas de tir.  Or, dans le cadre de l’enquête sur l’incident en litige, monsieur Riendeau confirme que tous les éléments techniques exigés sont présents et conformes, ce que Brossard admet d’ailleurs.  Il est physiquement impossible pour un projectile de sortir de ce champ de tir et frapper une résidence de la rue [...]. 

[116]       L’incident en litige persuade le capitaine Massé du contraire.

[117]       Vu le risque de ricochet qu’il appréhende, il recommande la construction de pare-balles au sol ainsi que le recouvrement de la butte par un toit ou un abri.  Après la construction de ces éléments de protection additionnels, il sera en mesure de recommander l’agrément recherché. 

[118]       André Rousseau, son subalterne, déclare que l’inspection du 1er novembre 2001 confirme que le sol meuble écarte le risque de ricochet.  La recommandation du capitaine Massé est abandonnée.

[119]       Six mois environ s’écoulent entre l’incident en litige et l’inspection du 1er novembre 2001.  Ce délai est notamment imputable à la faute des policiers de Brossard.

[120]       Sans cette faute, l’agrément 1002 aurait été délivré le ou vers le 21 août 2001, six mois plut tôt que sa date de délivrance réelle.

Interruption de l’exploitation du champ de tir à la carabine

[121]       Le 15 mai 2001, la SQ exige la fermeture du champ de tir à la carabine « pour au moins la période nécessaire à l’étude du dossier ».  L’incident en litige constitue l’unique motif prouvé de cette exigence soudaine.  La lettre de monsieur Riendeau du 15 mai 2001 y réfère d’ailleurs expressément.

[122]       Le 26 septembre 2001, le capitaine Massé confirme qu’il n’entend pas recommander l’agrément recherché pour le champ de tir à la carabine, à moins qu’il ne soit aménagé de façon à contenir tous les coups directs et les ricochets avec des pare-balles aériens conventionnels ou tout autre système équivalent. 

[123]       Le tribunal a constaté sur les lieux que de tels aménagements seraient démesurés.  Lorsqu’il écrit sa lettre du 26 septembre 2001, le capitaine Massé n’a jamais vu les installations du Club.  Aucune expertise, balistique ou autre, n’a été produite à l’appui de sa prise de position. 

[124]       Or, les parties admettent que la portée des carabines est très supérieure à celle des armes de poing[24].  Puisque le projectile ayant atteint la résidence de la rue [...] a une trajectoire descendante au moment de l’impact, on ne peut pas déduire de l’incident en litige que le champ de tir à la carabine constitue objectivement un risque pour les résidences de la rue [...].

[125]       L’inspecteur Massé déclare que sa lettre du 26 septembre 2001 aurait été la même si l’incident en litige ne s’était pas produit, car il y aurait un historique au dossier de balles sorties du champ de tir.  Cet historique n’a pas été prouvé.  D’ailleurs, il ne réfère pas à cet historique dans sa lettre du 26 septembre 2001, mais y fait plutôt allusion, comme on l’a vu, à l’incident en litige. 

[126]       Cet incident est la cause directe de la décision de la SQ d’imposer la fermeture du champ de tir à la carabine le 15 mai 2001 jusqu’à ce que l’étude de toutes les demandes d’agrément soit terminée. 

[127]       L’incident en litige exerce également une influence déterminante dans l’imposition par le capitaine Massé d’exigences onéreuses ayant forcé le Club à renoncer à se servir de ce champ de tir. 

[128]       La perte financière du Club, s’il en est, associée à la suspension des activités de ses champs de tir à l’arme de poing et à la carabine se trouve ainsi reliée à la faute lourde des policiers de Brossard. 

Obligation de minimiser son préjudice

[129]       Brossard n’est pas responsable de la perte financière que le Club pouvait éviter[25].

[130]       Au printemps 2004, entre les mois de février et de mai, le Club allonge le champ de tir à l’arme de poing à 101 mètres.  Cet aménagement est d’une grande importance commerciale, puisqu’il rend à nouveau possible l’ajustement des carabines pour la chasse.

[131]       Avec le bénéfice du recul, le Club aurait eu intérêt à réaliser cet aménagement auparavant, peut-être même dès l’automne 2001 suite au refus de la SQ de se prononcer sur l’aménagement de tuyaux pour sécuriser à sa satisfaction le champ de tir à la carabine. 

[132]       Encore fallait-il concevoir cet aménagement et, surtout, y voir un intérêt financier probable.  Or, l’année financière du Club se termine le 31 décembre.  On ne peut reprocher à monsieur Ouimet d’avoir attendu, à compter de la délivrance des agréments du 21 février 2002, les résultats financiers d’au moins une année complète d’opération du champ de tir à l’arme de poing avant d’engager des frais pour rallonger ce champ de tir et remplacer six des dix postes de tir à l’arme de poing par des postes de tir à la carabine. 

[133]       Au procès, l’inspecteur Massé mentionne qu’un champ de tir pour arme à feu sans restrictions, tel que le champ de tir à la carabine du Club, n’a pas besoin d’agrément en septembre 2001.  Ceci ne devient nécessaire qu’à compter du 1er janvier 2003. 

[134]       Si ce champ de tir n’avait pas déjà été fermé, le Contrôleur des armes à feu aurait sans doute exigé des systèmes de protection additionnels à compter du 1er janvier 2003.  En raison de la faute de Brossard, le Club a donc été privé de l’exploitation du tir à la carabine jusqu’au 31 décembre 2002 inclusivement. 

[135]       En résumé, l’incident en litige a retardé de six mois la délivrance de l’agrément du champ de tir à l’arme de poing et a privé le Club de l’exploitation du tir permettant l’ajustement d’une carabine pour la chasse à compter du 15 mai 2001 jusqu’au 31 décembre 2002 inclusivement.

Quantum

[136]       Le montant accordé au Club en guise de réparation doit lui permettre de se replacer dans la situation qui aurait été sienne si Brossard n’avait pas commis de faute, sans pour autant l’enrichir à ses dépens[26].

[137]       Il convient d’abord d’estimer les revenus que le Club aurait réalisés de l’exploitation du champ de tir à l’arme de poing pendant la période de six mois comprise entre le 21 août 2001 et le 21 février 2002.

[138]       Il s’agit ensuite d’estimer les revenus que le Club aurait réalisés grâce au tir à la carabine du 15 mai 2001 et au 31 décembre 2002 inclusivement.

Perte de revenus du champ de tir à l’arme de poing

[139]       En 2001, ce champ de tir ne génère des revenus qu’entre le 1er janvier et le 24 avril.  Ces revenus proviennent exclusivement des trois locations à Brossard et totalisent 448,59 $.

[140]       L’indisponibilité d’autres champs de tir ailleurs qu’au Club ainsi que la tenue d’exercices de tir de combat à l’extérieur en janvier, février et avril, malgré des conditions saisonnières difficiles, justifient de conclure que Brossard aurait probablement continué d’utiliser ce champ de tir n’eut été de l’incident en litige.

[141]       Le tribunal arbitre à 670 $ le gain manqué par le Club à ce chapitre pendant la période de six mois comprise entre le 21 août 2001 et le 21 février 2002.

Perte de revenus du champ de tir à la carabine

[142]       Le Club compte 192 membres au 31 décembre 2001.  La seule activité qu’ils peuvent alors y pratiquer est le tir au pigeon.  En 2002, ce nombre passe à 222, puis à 300 en 2003.  Cet accroissement est principalement attribuable à l’ouverture du champ de tir à l’arme de poing. 

[143]       En 2004, le nombre de membres atteint 670.  Cet accroissement considérable est surtout attribuable à l’importante augmentation de membres s’adonnant exclusivement au tir au pigeon, soit 223 en 2003 et 488 en 2004.  Ces nouveaux membres consomment également une large part du matériel car les ventes de matériel doublent de 99 311 $ en 2003 à 204 319 $ en 2004. 

[144]       La méthode que propose l’expert Boyko ne peut être retenue : elle surestime la perte du Club reliée au tir à la carabine car elle suppose que l’accroissement des revenus du Club en 2004 provient entièrement de la reprise du tir à la carabine, ce qui n’est pas le cas.

[145]       Les revenus additionnels du Club en 2004 et 2005 se rapportant à la reprise du tir à la carabine sont de deux ordres : les frais d’inscription annuels et les autres revenus générés par les nouveaux membres.

[146]       La preuve ne permet pas de dégager la perte réelle du Club de 2001 à 2003 sans une appréciation quelque peu arbitraire.

[147]       Le Club attribue lui-même au tir à la carabine quatre adhésions en 2004 et 151 adhésions en 2005[27].  Or, les membres qui s’adonnent au tir à la carabine pratiquent aussi le tir au pigeon et, parfois, le tir à l’arme de poing[28].  Il est raisonnable de conclure que sans l’incident en litige, ces membres se seraient joints au Club en 2001 et 2002 respectivement.  On ne peut toutefois présumer qu’ils auraient accepté de payer des frais annuels d’inscription de plus de 100 $.

[148]       Le Club a donc droit aux frais d’inscription de 155 membres à 100 $ chacun    (15 500 $), plus la quote-part pouvant leur être attribuée des revenus nets du Club en 2004 et 2005, avant frais de location, soit 21 102,54 $ (4/670 X 105 183 $ = 627,95 $ + 151/1 018 X 138 034 $ = 20 474,59 $), formant un total de 36 602,54 $.

[149]       Il faut ajouter à ce chiffre la somme de 4 500 $ (300 $ X 15) en compensation du remboursement à 15 membres de leurs frais d’inscription de 300 $ en raison de la fermeture forcée du champ de tir à la carabine.

Les frais de location

[150]       Brossard plaide que seul le gain manqué net des frais de location (administration, dépréciation, taxes, permis et énergie) doit être compensé.  Ce moyen doit être rejeté. 

[151]       Même si le montant versé par le Club à une société liée relativement à ces frais fluctue énormément d’une année à l’autre, ces frais ne sont pas réellement des coûts variables qu’il est nécessaire d’encourir pour réaliser des bénéfices grâce à l’exploitation du tir à la carabine, contrairement, par exemple, au coût du matériel en rapport avec les revenus provenant de la vente de ce matériel. 

[152]       Il s’agit plutôt de coûts fixes qui se rattachent à l’exploitation des installations dans leur ensemble et dont le lien avec les activités de tir à la carabine est négligeable.

La véritable victime

[153]       Brossard plaide enfin que le gain manqué du fait de l’interruption du tir à la carabine au Club a réellement été subi par le propriétaire des installations et non par le Club lui-même lequel, à cet égard, plaiderait pour autrui.

[154]       La situation du Club est exceptionnelle.  Le propriétaire des installations et le Club sont des sociétés liées.  Leur arrangement permet au Club d’opérer, là où ses prédécesseurs n’ont pu y parvenir.

[155]       Brossard allègue l’existence d’un bail, mais ce bail n’a pas été prouvé, pas plus qu’une autre source de dette légale.  La preuve est davantage compatible avec la satisfaction par le Club d’une obligation naturelle[29] envers le propriétaire des installations : le montant des versements semble aléatoire et ne survient que si le Club dégage un bénéfice.

[156]       Privé d’une partie de ses gains par la faute de Brossard, le Club n’a pas été en mesure de remettre au propriétaire des installations une contribution corrélative à sa générosité.  Cette situation s’apparente à celle de la victime de la faute d’autrui qui continue néanmoins de bénéficier de sa pleine rémunération grâce à un employeur généreux[30], quoique dans le cas présent, le Club ne reçoive pas une double indemnisation.

[157]       Vu le rôle préventif de l’obligation de réparer[31], une telle situation ne soulage pas l’auteur d’une faute de sa responsabilité civile envers la victime.

Intérêts, indemnité additionnelle et frais

[158]       Le 1er mai 2003, le Club a mis en demeure Brossard de lui payer la somme de 660 000 $ en dédommagement de l’incident en litige.

[159]       Le dédommagement accordé par le présent jugement portera intérêt au taux légal à compter de cette dernière date[32], laquelle servira également de point de départ de l’indemnité additionnelle[33].

[160]       Certaines annexes au rapport de l’expert Boyko ont été beaucoup plus utiles que son rapport et son témoignage.  Ses frais, liquidés à la somme de 13 500 $, seront donc compris dans les dépens.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

CONDAMNE la Ville de Brossard à payer à Club de tir L’Acadie la somme de 46 772,54 $ avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’art. 1619 C.c.Q. à compter du 1er mai 2003.

Avec dépens, y compris les frais de l’expert Boyko liquidés à la somme de 13 500 $.

 

 

                                                                        

Louis-Paul Cullen, j.c.s.

 

Me André J. Noreau

Me Margi Yee

ANDRÉ J. NOREAU & ASSOCIÉS

Procureurs de la demanderesse

 

Me Louis Bouchart d'Orval

Montgrain McClure Gibeau

Procureurs de la défenderesse

 

Dates d’audience :

12 au 19 février 2007

 

 



[1]     L.C. 1995, c. 39 (L.R.C. ch. F-11.6).

[2]       Conformément au paragr. 29(2) de la Loi.

[3]     D-25, photo 38.

[4]     P-10B.

[5]     P-2, p. 27.

[6]     P-2, p. 27.

[7]     Art. 1434  et 1458 C.c.Q

[8]     Visible à l’arrière plan de la photo 39 de la pièce D-25.

[9]     Voir D-20, photo 43.

[10]    En vertu de l’art. 1458 C.c.Q.

[11]    Art. 35 C.c.Q.

[12]    Université de Montréal c. Côté, J.E. 2006-485 (C.S.), paragr. 27.

[13]    Fondation québécoise du cancer c. Patenaude, J.E. 2007-38 (C.A.), paragr. 73, 74 et 77.

[14]    Art. 1611 al. 1 C.c.Q.

[15]    Art. 1613 C.c.Q.

[16]    Art. 1607 et 1613 C.c.Q.

[17]    Baudoin, J,-L, et Jobin, P.-G., Les Obligations, 5e éd., Cowansville, Les Éditions Yvon Blais Inc., 1998, au paragr. 824.

[18]    Pineau, J. et Gaudet, S., Théorie des obligations, 4e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2001, au paragr. 464.

[19]    Fontaine c. Colombie-Britannique (Official Administrators), [1998] 1.R.C.S. 424.

[20]    Chartré c. Exploitation agricole et forestière des Laurentides Inc., [2002] R.J.Q. 1623 (C.A.).

[21]    Baudoin, J.-L. et Deslauriers, P., La Responsabilité civile, 6e éd., Cowansville, Les Éditions Yvon Blais Inc., 2003, paragr. 566.

[22]    St-Jean c. Mercier, [2002] 1 R.C.S. 491 , paragr. 98 à 104.

[23]    P-2, p. 28.

[24]    Paragr. 101 de la défense.

[25]    Art. 1479 C.c.Q. 

[26]    Précité note 17, au paragr. 841.

[27]    P-5A, annexe “E”.

[28]    P-5A, document III.

[29]    Précité note 17, au paragr. 25.

[30]    Précité note 28, no 36 au no 373, p. 307, et précité note 17, no 210, p. 123.

[31]    Québec, Ministère de la justice, Commentaires du ministre de la Justice: le Code civil du Québec, t. 2, Québec, publications du Québec, 1993, p. 993-994, art. 1608.

[32]    Art. 1618 C.c.Q.

[33]    Art. 1619 C.c.Q.

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