Cantin et Preverco inc. |
2013 QCCLP 752 |
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[1] Le 9 juillet 2012, monsieur Jonathan Cantin (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 31 mai 2012 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST déclare irrecevable la demande de révision de la décision rendue le 7 mai 2012 statuant sur les séquelles de la lésion professionnelle dont le travailleur a été victime. En conséquence, elle confirme la décision du 7 mai 2012 et déclare que la lésion professionnelle a entraîné une atteinte permanente à son intégrité physique de l’ordre de 8,80 %, ce qui donne droit à une indemnité pour préjudice corporel de 8 316,70 $.
[3] Une audience est tenue à Québec le 25 janvier 2013 en présence du travailleur représenté par avocat et du représentant de Preverco inc. (l’employeur).
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de ne pas accorder au rapport complémentaire du docteur Lemire un caractère liant aux fins de déterminer la présence ou l’absence, d’une atteinte permanente à son intégrité physique et de limitations fonctionnelles résultant de la lésion professionnelle du 28 février 2011. Il propose de reprendre le processus d’évaluation des séquelles de cette lésion ou de diriger son dossier au Bureau d’évaluation médicale.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations d'employeurs recommande de rejeter la requête du travailleur. Il soutient que le rapport du docteur Lemire, médecin traitant du travailleur, est un rapport qui, selon l’article 224 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), doit servir à déterminer les droits du travailleur. La loi n’autorise pas le travailleur à contester la décision de la CSST qui entérine l’opinion du médecin traitant. Il est donc d’avis que la demande de révision du travailleur est irrecevable.
[6] Le membre issu des associations syndicales recommande d’accueillir la requête du travailleur. Il considère que le rapport complémentaire du docteur Lemire doit être écarté n’ayant pas été obtenu à la suite d’un processus d’évaluation médicale conforme aux dispositions de la loi. À son avis, il y a lieu d’ordonner la reprise de ce processus et de soumettre le dossier au Bureau d’évaluation médicale.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[7] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer le pourcentage d’atteinte permanente à l’intégrité physique du travailleur qui résulte de la lésion professionnelle dont il a été victime le 28 février 2011.
[8] La décision de la CSST donne suite au rapport complémentaire du docteur Luc Lemire, chirurgien orthopédiste et médecin traitant qui se dit d’accord avec les conclusions du docteur J. Boivin, médecin désigné par la CSST, concernant les séquelles de la lésion professionnelle.
[9] Le travailleur soumet essentiellement que le rapport complémentaire du docteur Lemire ne lie pas la CSST aux fins de rendre une décision. En conséquence, la décision de la CSST, rendue en vertu de l’article 224 de la loi, en considérant que le rapport du docteur Lemire était liant, doit être annulée :
224. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 .
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1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.
[10] Rappelons d’abord brièvement les faits.
[11] Le travailleur, né en 1990, est manœuvre à l’emploi de l’entreprise Preverco inc., un fabriquant de planchers de bois franc. Au formulaire « Avis de l’employeur et demande de remboursement », l’accident survenu le 28 février 2011 est décrit comme suit :
En voulant enlever une latte coincée dans le convoyeur à la sortie de la déligneuse, son bras droit s’est fait emporté dans le mouvement du convoyeur et s’est ainsi fait cassé le bras. (sic)
[12] Le jour même, le médecin diagnostique une fracture ouverte de l’humérus droit. Le travailleur est opéré le 1er mars 2011 par le docteur Luc Lemire. La chirurgie consiste en un débridement et une réduction de fracture ouverte à l’humérus droit. Pendant la période de consolidation, le travailleur suit des traitements de physiothérapie.
[13] Le 14 septembre 2011, le docteur Lemire consolide la lésion au membre supérieur droit et signe un rapport final. Il y indique que la lésion entraîne une atteinte permanente à l’intégrité physique et des limitations fonctionnelles et précise qu’il produira le rapport d’évaluation conformément au Règlement sur le barème des dommages corporels[2] (le barème).
[14] Le 19 septembre 2011, le travailleur remplit un formulaire et avise la CSST que le docteur Luc Lemire produira un rapport d’évaluation des séquelles. Un rendez-vous est d’ailleurs fixé au 16 novembre 2011.
[15] Le travailleur et sa mère, madame Suzie Déry, témoignent à l’audience. Le tribunal retient qu’ils se sont rendus ensemble au bureau du docteur Lemire pour l’évaluation des séquelles de cette lésion professionnelle. Le docteur Lemire a refusé de faire l’évaluation. Il a mentionné qu’une erreur avait été commise lors de la prise de rendez-vous puisqu’il ne procède pas à l’évaluation des séquelles d’une lésion professionnelle à l’hôpital. Il leur suggère de prendre un nouveau rendez-vous. La secrétaire inscrit le nom du travailleur sur une liste d’attente et les avise qu’il sera convoqué plus tard. D’ailleurs, le 16 novembre 2011, le docteur Lemire informe la CSST que le rapport d’évaluation sera fait ultérieurement.
[16] Madame Déry affirme avoir contacté au moins à deux reprises le bureau du docteur Lemire pour connaître la date du prochain rendez-vous. À chaque fois, on l’assure que le nom du travailleur figure sur la liste d’attente et qu’il sera appelé selon les disponibilités du docteur Lemire.
[17] Puis, dans une lettre du 31 janvier 2012 adressée à la CSST, le docteur Lemire explique qu’il ne pourra avoir de disponibilité pour faire l’évaluation des séquelles de la lésion professionnelle avant le mois de mai ou juin 2012. Le travailleur n’a pas reçu copie de cette lettre.
[18] Finalement, le travailleur est convoqué par la CSST, au bureau du docteur Jules Boivin, le 20 mars 2012. Le travailleur explique que la rencontre a duré une vingtaine de minutes, ce que confirme le rapport du docteur Boivin. Ce dernier y indique que le travailleur ressent une douleur constante et diffuse dans la région paracervicale droite au niveau de l’omoplate, et jusqu’aux doigts de la main. Il n’a pas d’engourdissement au membre supérieur droit. Toutefois, ces symptômes augmentent lorsqu’il sollicite le membre supérieur droit en force. À l’examen objectif, le docteur Boivin constate l’absence de douleur et de spasme à la palpation du rachis cervical. Les mouvements de la colonne cervicale sont normaux. Le docteur Boivin note ni douleur ni amyotrophie à l’épaule droite. Par contre, il y a un léger décollement du rebord vertébral de l’omoplate droite lorsque le travailleur effectue un « push up » contre le mur. Les manœuvres diagnostiques d’une lésion à la coiffe des rotateurs sont négatives. Le mouvement de rotation externe de l’épaule droite est limité à 70o, la normale étant de 90o.
[19] À l’examen du bras droit, le docteur Boivin décrit une importante cicatrice en forme de « S » blanchâtre et rosée, très apparente mesurant 17 cm de longueur par une largeur variant de 0,3 à 0,8 cm.
[20] L’examen neurologique des membres supérieurs est sans particularité. Toutefois, le travailleur allègue une hypoesthésie au membre supérieur droit touchant la face externe du bras, la face interne de l’avant-bras et le côté cubital de la main. Le docteur Boivin écrit :
Il s’agit d’un travailleur âgé de 21 ans qui, suite à un événement survenu au travail le 28 février 2011, présentait une fracture ouverte et déplacée de l’humérus droit qui a été traitée par réduction ouverte et fixation interne, le tout suivi d’une immobilisation temporaire et de séances de physiothérapie.
Subjectivement, M. Cantin m’affirme que sa condition clinique s’est améliorée, mais il se dit encore symptomatique et quelque peu limité sur le plan fonctionnel.
Sur le plan purement objectif, l’examen de ce jour montre une importante lésion cicatricielle au niveau de l’avant-bras droit et uniquement un léger déficit de 20 degrés de la rotation externe de l’épaule droite par rapport au côté gauche. Une discrète amyotrophie du bras droit est également observée chez ce travailleur droitier.
[21] Le docteur Boivin dresse un bilan des séquelles. Il retient un déficit anatomo-physiologique de 1 % en relation avec une perte de 20o de la rotation externe de l’épaule droite (code 105 004 du barème). Il retient aussi un préjudice esthétique équivalent à 6,8 % de déficit anatomo-physiologique (code 224 233 du barème). Il ne décrit pas de limitations fonctionnelles en lien avec cette lésion professionnelle.
[22] Le 4 avril 2012, le docteur Lemire remplit un rapport complémentaire et il écrit ce qui suit :
Le DAP est conforme à l’examen physique.
L’item des limitations fonctionnelles est conforme au DAP.
[23] Donnant suite au rapport du docteur Lemire, la CSST rend deux décisions. Le 1er mai 2012, elle déclare que le travailleur est capable d’exercer son emploi depuis le 14 septembre 2011. Le 7 mai 2012, elle fixe à 8,80 % l’atteinte permanente à l’intégrité physique résultant de la lésion professionnelle du 28 février 2011. Le travailleur a contesté cette dernière décision.
[24] Les articles 204 et 205.1 de la loi prévoient ce qui suit :
204. La Commission peut exiger d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle qu'il se soumette à l'examen du professionnel de la santé qu'elle désigne, pour obtenir un rapport écrit de celui-ci sur toute question relative à la lésion. Le travailleur doit se soumettre à cet examen.
La Commission assume le coût de cet examen et les dépenses qu'engage le travailleur pour s'y rendre selon les normes et les montants qu'elle détermine en vertu de l'article 115 .
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1985, c. 6, a. 204; 1992, c. 11, a. 13.
205.1. Si le rapport du professionnel de la santé désigné aux fins de l'application de l'article 204 infirme les conclusions du médecin qui a charge du travailleur quant à l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, ce dernier peut, dans les 30 jours de la date de la réception de ce rapport, fournir à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport complémentaire en vue d'étayer ses conclusions et, le cas échéant, y joindre un rapport de consultation motivé. Le médecin qui a charge du travailleur informe celui-ci, sans délai, du contenu de son rapport.
La Commission peut soumettre ces rapports, incluant, le cas échéant, le rapport complémentaire au Bureau d'évaluation médicale prévu à l'article 216 .
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1997, c. 27, a. 3.
[25] En l’espèce, la preuve révèle que le docteur Lemire n’a pas informé le travailleur du contenu de son rapport. En effet, les témoignages du travailleur et de sa mère confirment plutôt qu’ils ont appris l’existence de ce rapport au moment où ils ont reçu la décision de la CSST.
[26] Certaines décisions reconnaissent que le défaut du médecin qui a charge de transmettre au travailleur le contenu du rapport final tel que prévu à l’article 203 ou encore du rapport complémentaire tel que prévu à l’article 205.1 de la loi, est fatal et vicie le processus. Dans l’affaire Geoffrey et Guy Millaire & fils inc. (F)[3], la Commission des lésions professionnelles en se référant à l’affaire Poulin et CRT Hamel et CSST[4], écrit ce qui suit :
[50] Dans l’affaire Mario Poulin et CRT - Hamel et CSST8 la Commission des lésions professionnelles a considéré que le défaut du médecin qui a charge de transmettre une copie du Rapport complémentaire au travailleur était fatal et viciait le processus.
[67] Tous ces éléments amènent le tribunal à conclure que le docteur Duquette n’a pas révélé au travailleur le 3 décembre 2009 le contenu de son rapport d’évaluation médicale rédigée en janvier 2010.
[68] Il ressort de ces faits que le docteur Duquette ne s’est pas conformé à l’exigence prévue au dernier alinéa de l’article 203 de la loi. Il n’a pas informé le travailleur du contenu de son évaluation.
[69] Dans l’affaire Latulippe et CSST[5], le tribunal rappelle cette obligation du médecin et souligne ce qui suit :
[53] Dans l’affaire Lapointe et Sécuribus inc.7, la Cour d’appel, par l’opinion du juge Dalphond, mentionne ceci quant à l’obligation du médecin qui a charge d’informer le travailleur :
[32] La deuxième possibilité était de considérer que le médecin qui avait charge de l’appelante en juin 1998 était désormais le Dr Roy. Il demeure que l’appelante a allégué dès la décision de la CSST connue, qu’elle ignorait le contenu de ce rapport. En somme, elle a allégué violation de l’obligation faite à l’art. 203 in fine au médecin qui avait charge de l’informer. La CSST devait alors vérifier la véracité de l’allégation et, si bien fondée, conclure que le rapport final reçu du Dr Roy ne pouvait lier l’appelante en vertu de la Loi, car violant l’art. 203 de la Loi et la finalité sous-jacente, soit celle du droit du travailleur de choisir le médecin de son choix (art. 192) et d’être informé du contenu du rapport final de ce dernier.
[54] Dans l'affaire Bergeron et Fondations André Lemaire8, la Commission des lésions professionnelles mentionne ceci quant à l’obligation d’information du médecin qui a charge dans le cadre de l’article 212.1 de la loi9 :
[51] Le second motif qui amène le tribunal à ne pas accorder un caractère liant à l’information médicale complémentaire écrite du docteur Dextradeur réside dans le fait que la procédure de l’article 212.1 de la LATMP n’a pas été respectée notamment en ce qui concerne l’obligation du médecin qui a charge d’informer sans délai le travailleur du contenu de son rapport. Cette exigence n’est pas une simple formalité, mais bien une exigence de fond compte tenu des conséquences qu’a l’opinion du médecin qui a charge sur les droits du travailleur. Cette étape est le seul moment où le travailleur a l’occasion de faire valoir son point de vue et d’exercer le droit qui lui est dévolu à l’article 192 de la LATMP d’avoir recours au médecin de son choix si jamais il est en désaccord avec le contenu de ce rapport.
[55] Le tribunal considère que le Rapport complémentaire du docteur Maurais n’est pas suffisamment motivé et n’a pas le caractère liant nécessaire pour éviter une procédure d’évaluation médicale. De plus, le tribunal retient que le docteur Maurais avait l’obligation d’aviser sans délai le travailleur du contenu de son rapport et il n’a pas respecté ce qui est prévu par la loi quant à cet aspect.
[56] Le tribunal est donc d’avis d’annuler le Rapport complémentaire du docteur Maurais et de retourner le dossier à la CSST afin de recommencer la procédure d’évaluation médicale. En conséquence, les décisions rendues par la CSST les 16 décembre, 18 décembre et 21 décembre 2009 sont annulées.
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7 C.A. Montréal : 500-09-013413-034, 2004-03-19, jj. Forget, Dalphond, Rayle.
8 C.L.P. 334647-71-0712, 9 avril 2009, J.-C. Danis.
9 Cette disposition de la loi est similaire à ce que prévoit l’article 205.1 de la loi, mais dans le cas d’un rapport provenant du médecin désigné par l’employeur.
[70] Cette exigence du législateur ne constitue pas une simple formalité, mais bien une exigence de fond, et ce, en raison des conséquences que cela peut avoir sur les droits d’un travailleur.
[71] Or, la procédure d’évaluation ne doit pas prendre par surprise un travailleur comme cela est survenu dans le présent dossier. Le contexte entourant le dépôt par le docteur Duquette à la CSST le 19 janvier 2010 d’un rapport d’évaluation médicale, sans que le travailleur en reçoive une copie et qu’il ait eu l’occasion d’en discuter de nouveau avec ce dernier, ne rencontre pas les exigences du législateur.
[72] Devant une telle situation, le tribunal n’a d’autre choix que de conclure, tout comme l’a reconnu implicitement le docteur Duquette le 25 février 2010, que son rapport ne liait pas la CSST. Ce médecin a d’ailleurs demandé que l’évaluation des séquelles permanentes soit effectuée par un médecin désigné par la CSST.
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7 2010 QCCLP 7325 .
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8 2011 QCCRT 5996.
(leurs soulignements)
[27] Au surplus, en l’espèce, outre le non-respect de cette obligation, la preuve révèle aussi que le contenu du rapport complémentaire du docteur Lemire contredit en partie son rapport final du 14 septembre 2011.
[28] La jurisprudence du tribunal reconnaît que le médecin qui a charge puisse modifier son opinion et qu’il accepte les conclusions du médecin désigné par la CSST ou par l’employeur[6].
[29] En l’espèce, le docteur Lemire contredit ses propres conclusions antérieures et il doit motiver ce changement d’opinion, ce qu’il n’a pas fait à l’égard des limitations fonctionnelles.
[30] Tel que mentionné précédemment, il est important que le médecin qui a charge étaye ses nouvelles conclusions puisque le travailleur ne peut pas les contester. L’article 358 de la loi prévoit en effet ce qui suit :
358. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la Commission en vertu de la présente loi peut, dans les 30 jours de sa notification, en demander la révision.
Cependant, une personne ne peut demander la révision d'une question d'ordre médical sur laquelle la Commission est liée en vertu de l'article 224 ou d'une décision que la Commission a rendue en vertu de la section III du chapitre VII, ni demander la révision du refus de la Commission de reconsidérer sa décision en vertu du premier alinéa de l'article 365 .
Une personne ne peut demander la révision de l'acceptation ou du refus de la Commission de conclure une entente prévue à l'article 284.2 ni du refus de la Commission de renoncer à un intérêt, une pénalité ou des frais ou d'annuler un intérêt, une pénalité ou des frais en vertu de l'article 323.1 .
Une personne ne peut demander la révision du taux provisoire fixé par la Commission en vertu de l'article 315.2 .
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1985, c. 6, a. 358; 1992, c. 11, a. 31; 1996, c. 70, a. 40; 1997, c. 27, a. 14; 2006, c. 53, a. 26.
[31] L’affaire Guitard et Peinture G. & R. Lachance inc.[7] porte beaucoup de similitudes avec le cas sous étude. Dans cette affaire, le médecin qui a charge du travailleur avait d’abord rempli un rapport final et souligné que la lésion professionnelle entraînait une atteinte permanente à l’intégrité physique et des limitations fonctionnelles. Puis, dans un rapport complémentaire, il entérine les conclusions du médecin désigné de la CSST et, en ce faisant, il contredit son propre rapport final.
[32] Le tribunal conclut que le médecin qui a charge n’avait pas exercé de manière responsable le rôle très important que lui confère le fait d’être médecin qui a charge, selon la loi. Il conclut qu’il serait injuste que le travailleur soit empêché de contester son opinion. Entre autres, dans cette affaire, on peut lire ce qui suit :
[22] La jurisprudence exige donc que le rapport du médecin qui a charge doit être clair, qu’il ne présente pas d’ambiguïté et qu’il ne porte pas à interprétation3. La soussignée partage ce point de vue maintenant bien établi. La nécessité de protéger l’intégrité et la liberté de jugement du médecin qui a charge est soulignée par le tribunal dans l’affaire Multi-Marques inc. et Massé4.
[23] L’exigence développée par la jurisprudence permet de s’assurer que le médecin qui a charge a modifié son opinion en toute connaissance de cause, en considérant toutes les données pertinentes et après avoir sérieusement réfléchi à la question. Son jugement professionnel doit être exercé de manière responsable.
[24] Dans le présent cas, il est tout à fait raisonnable de croire que les examens réalisés par le docteur Lavallée jusqu’à la consolidation de la lésion étaient orientés vers le traitement de la lésion. Jusqu’à ce moment, il n’était en effet d’aucune utilité pour le travailleur ou le médecin de connaître même sommairement l’ampleur de l’atteinte permanente et la description précise des limitations fonctionnelles.
[25] L’évaluation de l’atteinte permanente et la description des limitations fonctionnelles impliquent une revue détaillée de l’histoire, un examen complet et une certaine appréciation de la fonction. Ce genre d’examen n’est pas réalisé dans le cadre de la pratique médicale courante.
[26] Faute du moindre examen spécifiquement orienté vers la question, le tribunal ne voit pas comment le docteur Lavallée pouvait émettre une opinion éclairée sur le quantum de l’atteinte permanente et sur la description des limitations permanentes dont le travailleur en particulier est porteur. Il semble qu’il ait choisi de s’en remettre à l’évaluation faite par le docteur Beaupré.
[…]
[28] La Commission des lésions professionnelles conclut que le rapport complémentaire du 12 mai 2010 ne lie pas la CSST. Le remède à apporter peut être celui prévu à l’article 221 de la loi :
221. Le membre du Bureau d'évaluation médicale, par avis écrit motivé, infirme ou confirme le diagnostic et les autres conclusions du médecin qui a charge du travailleur et du professionnel de la santé désigné par la Commission ou l'employeur, relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, et y substitue les siens, s'il y a lieu.
Il peut aussi, s'il l'estime approprié, donner son avis relativement à chacun de ces sujets, même si le médecin qui a charge du travailleur ou le professionnel de la santé désigné par l'employeur ou la Commission ne s'est pas prononcé relativement à ce sujet.
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1985, c. 6, a. 221; 1992, c. 11, a. 23.
[29] Dans le meilleur intérêt de la justice, il convient de référer le dossier au Bureau d’évaluation médicale afin qu’il se prononce sur la question de la description de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles, plutôt que d’ordonner au docteur Lavallée de produire un rapport d’évaluation médicale après avoir examiné le travailleur ou encore de permettre au travailleur de choisir un autre médecin pour le faire.
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3 Guillemette et Consortium Cadoret, Savard, Tremblay, Casault et C.S.S.T., précitée note 2; Tremblay et Providence Notre-Dame de Lourdes, C.L.P. 247398-71-0411, 24 février 2006, C. Racine, révision rejetée [2007] CLP 508 , requête en révision judiciaire rejetée, C.S. Montréal, 500-17-038220-0778, 7 octobre 2008, j. Marcelin.
4 C.L.P. 296035-61-0608, 1er mars 2007, G. Morin.
[33] Tous ces principes tirés de la jurisprudence s’appliquent au cas sous étude. Le tribunal conclut que le rapport complémentaire du docteur Lemire ne peut être un rapport liant au sens de l’article 224 de la loi. Il est d’avis que le rapport doit être invalidé et, qu’en conséquence, les décisions rendues les 1er et 7 mai 2012 doivent être annulées.
[34] Le tribunal ordonne le retour du dossier à la CSST afin que celui-ci soit soumis au Bureau d’évaluation médicale pour qu’il se prononce sur l’existence et l’évaluation d’une atteinte permanente à l’intégrité physique et l’existence et l’évaluation des limitations fonctionnelles découlant de la lésion professionnelle survenue le 28 février 2011.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de monsieur Jonathan Cantin;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 31 mai 2012 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE nul le rapport complémentaire signé le 4 avril 2012 par le docteur Luc Lemire;
ORDONNE à la Commission de la santé et de la sécurité du travail de soumettre le dossier au Bureau d’évaluation médicale afin qu’il se prononce sur la description de l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles qui résultent de la lésion professionnelle subie le 28 février 2011 par monsieur Jonathan Cantin.
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MARIE BEAUDOIN |
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Me Solange Bouchard |
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T.U.A.C. (LOCAL 509) |
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Représentante de la partie requérante |
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Me Ève St-Hilaire |
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RAYMOND, CHABOT, GRANT, HORTON |
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Représentante de la partie intéressée |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] R.R.Q., c. A-3.001, r. 2.
[3] 2012 QCCLP 5218 .
[4] 2011 QCCRT 5996.
[5] 2010 QCCLP 7325 .
[6] Ouellet et Métallurgie Noranda inc., C.L.P. 190453-08-0209, 9 septembre 2003, Monique Lamarre; Guillemette et Consortium Cadoret, Savard, Tremblay et C.S.S.T., C.L.P. 276152-09-0511, 31 mars 2006, R. Arsenau; Sifomios et Circul - Aire inc., 2007, QCCLP 4440; Les aliments O Sole Mio inc. et Abu-Eid, 2007 QCCLP 4317 ; 2011 QCCLP 2731 .
[7] C.L.P. 418501-31-1008, 14 avril 2011, G. Tardif.
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