Perras et Location Napierville, automobiles et camions |
2009 QCCLP 8662 |
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[1] Le 12 mai 2008, monsieur Mario Perras (monsieur Perras) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 7 mai 2008, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 13 février 2008 et déclare que monsieur Perras n’a pas souscrit à une protection personnelle auprès de la CSST et qu’il n’a pas droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
[3] L’audience s’est tenue le 16 janvier 2009 à Saint-Jean-sur-Richelieu en présence de monsieur Perras et de son représentant. La compagnie Location Napierville, automobiles et camions (l’employeur) et la CSST sont également représentés.
[4] La cause a été mise en délibéré à la date de l’audience, soit le 16 janvier 2009.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[5] Monsieur Perras demande au tribunal de reconnaître, qu’au moment de subir son accident du travail le 7 novembre 2007, il était un travailleur au sens de la loi et qu’à ce titre, il a droit aux prestations prévues par la loi.
LES FAITS
[6] Il n’est pas contesté que monsieur Perras a subi un grave accident le 7 novembre 2007, alors qu’il travaillait à la construction d’un condo industriel appartenant à l’employeur. Il a subi un sévère traumatisme cérébrocrânien qui le laisse avec des séquelles importantes, notamment de sérieuses difficultés de mémoire. D’ailleurs, sa représentante demande au tribunal de ne pas tirer de conclusion sur la crédibilité de monsieur Perras en raison de ses difficultés de mémoire. Il a témoigné, mais sur des faits généraux, puisqu’il n’était pas en mesure de se rappeler des faits spécifiques pertinents à la présente cause.
[7] Le tribunal a également entendu le témoignage de l’épouse de monsieur Perras, madame Johanne Champagne, ainsi que celui du représentant et propriétaire de l’employeur, monsieur Robert Trudeau. Le tribunal a également eu le bénéfice des faits colligés au dossier.
[8] De l’ensemble de cette preuve, le tribunal retient ce qui suit.
[9] Monsieur Perras, jusqu’au 7 juillet 2007, est propriétaire et seul actionnaire de la compagnie 9065-9301 Québec inc. qui est établie sous le nom de Constructions Mario Perras inc. Monsieur Perras, lui-même menuisier, travaillait pour la compagnie et il avait aussi 10 autres employés.
[10] L’employeur opère dans le domaine de la location d’autos, de camions, d’outils et possède des condos industriels.
[11] L’employeur, par l’entremise de son actionnaire unique, monsieur Robert Trudeau, fait affaire avec monsieur Perras une première fois en 2003 où il lui demande de faire l’agrandissement d’un de ses condos industriels. Il est clair que le contrat ainsi conclu en était un d’entreprise, notamment en raison du fait que monsieur Perras agissait au nom de sa compagnie.
[12] La compagnie de monsieur Perras cesse ses activités vers le mois de novembre 2006 où elle est fermée auprès de la CSST. Monsieur Perras vend ensuite ses actions à une tierce personne le 7 juillet 2007. Le 9 juillet 2007, il fait une faillite personnelle. Il sera libéré de cette faillite un an plus tard, soit le 20 juin 2008.
[13] Vers le mois d’août 2007, monsieur Robert Trudeau rencontre monsieur Perras une première fois afin de discuter de l’agrandissement d’un autre de ses condos industriels. Les parties s’entendent pour se revoir à l’automne pour continuer les discussions.
[14] Les parties se revoient au mois d’octobre 2007. Ils discutent des plans d’agrandissement. Monsieur Robert Trudeau dessine sur un bout de papier son idée tout en spécifiant à monsieur Perras qu’il voulait un bâtiment identique à ce qu’il a construit en 2003.
[15] Les parties discutent ensuite de rémunération. Monsieur Perras exige 35 $ l’heure et ils s’entendent finalement sur un taux horaire de 30 $.
[16] Monsieur Perras dépose un extrait du décret de la construction pour l’année 2007, qui indique que le taux horaire d’un menuisier est de 30,40 $ l’heure.
[17] Selon ce que monsieur Robert Trudeau déclare à un inspecteur de la CSST lors d’une intervention effectuée le 28 janvier 2008, le chantier de construction était estimé à 50 000 $ et c’est l’employeur qui s’occupait d’octroyer les contrats de béton, d’électricité et autres. L’inspecteur le considère dès lors comme le maitre d’œuvre de ce chantier et lui fait part de ses responsabilités à ce titre.
[18] À l’audience, monsieur Robert Trudeau ajoute que c’est l’employeur qui fournissait les matériaux.
[19] Monsieur Perras se voit imposer le fils de monsieur Robert Trudeau, monsieur Stéphane Trudeau, qui fait office d’apprenti. Il est payé par l’employeur. C’est également monsieur Stéphane Trudeau qui tient compte des heures travaillées par monsieur Perras aux fins de sa rémunération.
[20] Lorsque le chantier est rendu au niveau de la toiture, monsieur Robert Trudeau demande à monsieur Perras d’engager un autre employé parce qu’il ne veut pas que son fils travaille sur la toiture. Il trouve cet aspect du travail trop dangereux. C’est pourquoi monsieur Perras engage l’apprenti en question, monsieur Guillaume Murray, mais c’est l’employeur qui le rémunère au taux horaire de 15 $ l’heure pour 9 heures de travail.
[21] Monsieur Robert Trudeau affirme également que monsieur Perras avait d’autres activités, notamment dans le domaine de la pose de portes et fenêtres et qu’il était libre de quitter le chantier de construction pour s’occuper de ses autres affaires s’il le désirait. Par contre, dans les faits, monsieur Perras a travaillé principalement, sinon uniquement, sur le chantier de construction du mois d’octobre 2007 au 7 novembre 2007, date de l’accident, travaillant en moyenne 40 heures par semaine.
[22] La seule facture que l’on retrouve au dossier est celle préparée par monsieur Robert Trudeau lui-même sur laquelle il indique qu’il s’agit d’une facture de Constructions Mario Perras inc. à Cantine Robert Trudeau inc. Sur cette facture, on retrouve les heures travaillées par monsieur Perras du 8 octobre 2007 au 7 novembre 2007, ainsi que les heures travaillées par monsieur Guillaume Murray, l’apprenti de monsieur Perras. La facture tient compte aussi d’une location de camion que monsieur Perras louait à d’autres fins de l'employeur. La facture est de 5 572,15 $ qui aurait été payée à monsieur Perras de la façon suivante :
- 858,00 $ en location de camion;
- 4 890 $ payé comptant;
- chèque no 4403 fait au nom de Constructions Mario Perras inc. daté du 2 novembre 2007 au montant de 930,00 $;
- chèque no 4404 fait au nom de Constructions Mario Perras inc. au montant de 645,00 $;
- chèque no 4405, toujours au nom de Constructions Mario Perras inc., pour 9 heures faites par l’apprenti à 15,00 $ l’heure, soit un montant de 135,00 $;
- chèque no 4410 fait au nom de Johanne Champagne en remplacement des chèques nos 4404 et 4403 ci-haut mentionnés, pour un montant total de 1 575,00 $.
[23] Madame Champagne rencontre monsieur Robert Trudeau et lui demande de considérer monsieur Perras comme un de ses employés. Elle lui demande aussi de refaire les chèques à son nom étant donné que la compagnie n’existait plus, ce qu’il accepte de faire tel qu’il est spécifié au paragraphe précédent. Par contre, il refuse d’admettre que monsieur Perras était un de ses employés.
[24] Il y a lieu également de préciser qu’au moment de cette rencontre, monsieur Perras était incapable d’agir puisqu’il était aux soins intensifs en raison de son accident du 7 novembre 2007.
L’AVIS DES MEMBRES
[25] La membre issue des associations syndicales est d’avis d’accueillir la requête de monsieur Perras. Elle est d’avis qu’il y avait un lien de subordination entre monsieur Perras et l'employeur qu’on peut constater par le fait que l'employeur lui a imposé son fils comme son adjoint et que ce dernier était en mesure de superviser son travail ainsi que de colliger ses heures de travail. Le mode de rémunération était basé sur un taux horaire de 30 $ l’heure qui est le taux fixé par le décret de la construction. Elle est d’avis que monsieur Perras n’en courait aucun risque de perte parce que tous les matériaux étaient fournis par l'employeur. Finalement, les seuls outils fournis par monsieur Perras sont ceux qui sont généralement fournis par un menuisier, comme c’est la coutume dans le domaine de la construction.
[26] Quant au membre issu des associations d'employeurs, il est d’avis de rejeter la requête de monsieur Perras. Pour lui, il est clair que le lien entre monsieur Perras et l'employeur était un contrat d’entreprise, tout comme cela avait été le cas en 2003.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[27] La Commission des lésions professionnelles doit décider si monsieur Perras, au moment de l’accident subi le 7 novembre 2007, était un travailleur au sens de la loi.
[28] Les définitions que l’on retrouve à la loi, pertinentes à cette analyse, sont les suivantes :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« employeur » : une personne qui, en vertu d'un contrat de travail ou d'un contrat d'apprentissage, utilise les services d'un travailleur aux fins de son établissement;
« travailleur » : une personne physique qui exécute un travail pour un employeur, moyennant rémunération, en vertu d'un contrat de travail ou d'apprentissage, à l'exclusion:
1° du domestique;
2° de la personne physique engagée par un particulier pour garder un enfant, un malade, une personne handicapée ou une personne âgée, et qui ne réside pas dans le logement de ce particulier;
3° de la personne qui pratique le sport qui constitue sa principale source de revenus;
4° du dirigeant d’une personne morale quel que soit le travail qu’il exécute pour cette personne morale;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1.
[29] De ces définitions, pour être considéré un travailleur au sens de la loi, monsieur Perras doit démontrer, par une prépondérance de preuve, l’existence d’un contrat de travail contre rémunération entre lui-même et l'employeur.
[30] La loi étant d’ordre public[2], les parties ne peuvent y déroger même par des stipulations claires. Ainsi, les parties ne peuvent, par une convention, fixer le statut de travailleur pas plus que monsieur Perras ne peut y renoncer. C’est la nature de la relation contractuelle telle qu’elle s’articule dans les faits qui sera déterminante[3].
[31] La notion de travailleur a été à maintes reprises discutée en jurisprudence, tant celle du présent tribunal que celles des tribunaux de droit commun. Essentiellement, les critères utilisés aux fins de départager le contrat de travail du contrat d’entreprise sont :
- le lien de subordination;
- le mode de rémunération;
- les risques de perte;
- la propriété des outils et du matériel.
[32] La détermination de la qualification du contrat est donc essentiellement une question de faits.
[33] Une personne ne peut prétendre au statut de travailleur s’il n’y a pas de lien de subordination entre elle-même et l’employeur. Lorsqu’on parle de lien de subordination, on parle de contrôle qui peut parfois être ténu. Il est suffisant, pour conclure à un lien de contrôle, que l’employeur fixe le cadre général de travail et conserve la faculté de superviser l’exécution[4].
[34] Qu’en est-il en l’espèce ?
[35] Il est plaidé par le procureur de la CSST que comme l’employeur n’avait aucune connaissance dans le domaine de la construction il ne pouvait donc pas y avoir de lien de subordination.
[36] Le tribunal n’est pas de cet avis. L’employeur a décidé d’agir à titre de maître d’œuvre de ce chantier de construction où il s’occupait de tous les contrats, incluant le contrat avec monsieur Perras, avec la compagnie de béton, avec les électriciens et l’achat des matériaux. On est donc loin de l’exemple donné par la procureure de la CSST qui utilisait l’analogie du propriétaire d’une résidence qui fait affaire avec un plombier.
[37] L’employeur a aussi établi les plans même s’ils étaient rudimentaires fixant ainsi le cadre général du travail. Il s’est aussi gardé la faculté de supervision en imposant le fils du propriétaire, monsieur Stéphane Trudeau, pour assister monsieur Perras et pour contrôler les heures travaillées. La rémunération de monsieur Perras était calculée sur la base des heures colligées par monsieur Stéphane Trudeau. C’est aussi l’employeur qui a exigé l’embauche d’une autre personne pour aider monsieur Perras à faire la toiture et qui en a assumé le coût.
[38] D’autre part, il n’y a aucun doute que monsieur Perras avait une obligation de prestation personnelle envers l’employeur. Jamais n’a-t-il été question au cours de l'audience que les travaux pouvaient être faits par quelqu’un d’autre que Monsieur Perras. Le seul fait qu’il s’adjoigne de l’aide ponctuelle n’a pas non plus pour effet d’amoindrir le lien de subordination[5].
[39] Dans les faits, monsieur Perras avait très peu de contrôle. Tout ce qu’il apportait au projet était sa propre prestation de travail, ce qui est l’objet même d’un contrat travail.
[40] La preuve démontre aussi que la prestation de travail de monsieur Perras a été régulière pendant la durée du projet même si, en théorie, il pouvait vaquer à d’autres occupations. En effet, monsieur Perras faisait en moyenne 40 heures par semaine, ce qui le rendait non disponible pour d’autres occupations, mais surtout le rendait économiquement dépendant de l’employeur. D'autre part, le seul fait de jouir d’une certaine latitude dans l’horaire de travail n’est pas en soi suffisant pour conclure à l’absence d’un lien de subordination[6].
[41] Si on regarde maintenant les autres critères, on constate à prime abord que le mode de rémunération, à savoir le taux horaire fixé par le décret de la construction pour un menuisier, s’apparente à celui d’un travailleur.
[42] L’entrepreneur assume les risques de perte découlant de tout contrat d’entreprise qu’il entreprend d’exécuter. En l’espèce, monsieur Perras n’avait aucun risque de perte puisqu’il n’assumait que sa prestation de travail. On ne demandait rien d’autre de monsieur Perras et surtout il n’était rémunéré que pour cela. Tous les autres aspects du projet de construction étaient assumés par l’employeur.
[43] Le fait que monsieur Perras était propriétaire de ses outils n’importe pas puisqu’il s’agit d’un élément tout à fait accessoire.
[44] En terminant, le tribunal tient à préciser que le fait que monsieur Perras a agi à titre d’entrepreneur lors du premier contrat de construction en 2003 n’est pas pertinent à l’analyse de la présente cause puisque le fardeau de monsieur Perras était de démontrer qu’il avait le statut de travailleur au moment de l’accident du travail. Or, au moment de l’accident du travail, monsieur Perras n’était plus propriétaire de l’entreprise, n’agissait pas à titre d’entrepreneur en charpenterie-menuiserie et, il se relevait d’une faillite personnelle.
[45] De l’ensemble de la preuve présentée, le tribunal est donc d’avis que le contrat entre l'employeur et monsieur Perras est un contrat de travail et, de ce fait, au moment où il subit sa lésion professionnelle le 7 novembre 2007, il était un travailleur au sens de la loi.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de monsieur Mario Perras;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 7 mai 2008, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que monsieur Mario Perras est un travailleur au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles;
DÉCLARE que monsieur Mario Perras a subi une lésion professionnelle le 7 novembre 2007;
DÉCLARE que monsieur Mario Perras a droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
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Norman Tremblay |
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Mme Marie Lachance |
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Gestion conseil CPC |
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Représentante de la partie requérante |
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Me Leyka Borno |
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Panneton, Lessard |
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Représentante de la partie intervenante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] Article 4 de la loi.
[3] BARREAU DU QUÉBEC, SERVICE DE LA FORMATION PERMANENTE, Développements récents en droit du travail, coll. « Formation permanente », Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1998, p. 102; Boa-Franc inc. et Succession Yvan Paquet, 238838-03B-0407, 22 novembre 2005, P. Brazeau, (05LP-182).
[4] Jean-Yves BRIÈRE et Jean-Pierre VILLAGGI, Le contrat de travail : vos droits, vos obligations, Publications CCH/FM, 1996, 267 p.
[5] Agropur, coopérative c. Commission des lésions professionnelles, 29 janvier 2008, C.S. Montréal, 500-17-034354-061, j. Picard.
[6] Gaston Breton inc. et Union des routiers, brasseries, liqueurs douces et ouvriers de divers industries (Local 19999), 500-28-000281-808, 15 octobre 1980.
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