Elhouari et Pneus André Touchette inc. |
2008 QCCLP 3259 |
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[1] Le 20 mars 2008, monsieur Akacha Elhouari (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 20 février 2008 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST déclare irrecevable la demande de révision du travailleur datée du 30 août 2007 et produite à l’encontre de la décision initiale du 5 juillet 2007 parce que déposée en dehors du délai de 30 jours prévu à l’article 358 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
[3] Par sa décision initiale du 5 juillet 2007, la CSST suspend le versement de l’indemnité de remplacement du revenu du travailleur à compter du 6 juillet 2007, le tout en vertu des dispositions de l’article 142 de la loi.
[4] À l’audience tenue à Montréal le 23 mai 2008, seul le travailleur est présent. L’employeur, Pneus André Touchette inc., n’est pas représenté; il a cependant déposé une argumentation écrite au soutien de ses prétentions.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[5] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision rendue par la CSST le 20 février 2008 et de déclarer qu’il a présenté un motif raisonnable permettant de le relever des conséquences de son défaut d’avoir produit sa demande de révision dans le délai prévu à la loi et de déclarer celle-ci recevable.
[6] Quant au fond du litige, le travailleur demande de déclarer qu’il avait une raison valable de ne pas s’être présenté à ses traitements de physiothérapie après le 6 juillet 2007 et de déclarer que la CSST n’était pas justifiée de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter de cette date.
L’AVIS DES MEMBRES
[7] Les membres issus des associations d’employeurs et des associations syndicales sont d’avis que le travailleur a présenté un motif raisonnable justifiant le délai écoulé avant que ce dernier ne produise sa demande de révision. Ils sont d’avis, en conséquence, que la demande de révision produite par le travailleur le 30 août 2007 est recevable.
[8] Sur le fond du litige, les membres issus des associations d’employeurs et des associations syndicales sont d’avis que le travailleur a présenté une raison valable justifiant son absence à ses traitements de physiothérapie entre le 6 juillet 2007 et le 14 août 2007. Ils concluent, en conséquence, que la CSST ne pouvait pas suspendre le paiement de l’indemnité de remplacement du revenu du travailleur pendant cette période et qu’il y a lieu d’accueillir la requête du travailleur.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[9] La Commission des lésions professionnelles doit d’abord décider si la demande de révision produite par le travailleur à l’encontre de la décision initiale du 5 juillet 2007 est recevable.
[10] Le 1er alinéa de l’article 358 de la loi prévoit ceci :
358. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la Commission en vertu de la présente loi peut, dans les 30 jours de sa notification, en demander la révision.
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1985, c. 6, a. 358; 1992, c. 11, a. 31; 1996, c. 70, a. 40; 1997, c. 27, a. 14; 2006, c. 53, a. 26.
[11] En l’espèce, il appert que la demande de révision du travailleur n’a été produite que le 30 août 2007 et que cette dernière ne respecte donc pas le délai imparti par la loi.
[12] Par ailleurs, l’article 358.2 de la loi prévoit que la CSST peut prolonger le délai prévu à l’article 358 ou relever une personne des conséquences de son défaut de le respecter, s’il est démontré que la demande de révision n’a pu être faite dans le délai prescrit pour un motif raisonnable.
[13] Le travailleur occupe un emploi de poseur de pneus pour le compte de l’employeur, lorsque le 21 novembre 2006, il subit une lésion professionnelle.
[14] À compter du mois de décembre 2006, il est référé en physiothérapie.
[15] Le 31 mai 2007, le docteur A. J. Chan, médecin traitant, pose un diagnostic de déchirure partielle de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite et indique que l’état du travailleur est stable. Ce médecin indique que le travailleur sera en vacances du 6 juillet 2007 au 6 août 2007.
[16] Le 1er juin 2007, le travailleur avise l’agent d’indemnisation responsable de son dossier qu’il va quitter le pays pour aller passer des vacances en Algérie.
[17] À la demande de l’agent d’indemnisation, le travailleur produit une copie de sa carte d’embarquement qui confirme qu’il quitte le Canada le 6 juillet 2007 et qu’il sera de retour le 14 août 2007.
[18] C’est ainsi que la CSST rend la décision du 5 juillet 2007 suspendant l’indemnité de remplacement du revenu du travailleur à compter du 6 juillet 2007.
[19] Effectivement, le travailleur revient au pays le 14 août 2007. Le 16 août 2007, il revoit le docteur Chan qui fixe la consolidation de la lésion professionnelle à cette même date. Ce médecin est d’avis que la lésion entraîne une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique du travailleur ainsi que des limitations fonctionnelles.
[20] À l’audience, le travailleur déclare que le 1er juillet 2007, il a déménagé. Compte tenu des nombreux travaux de réparation à effectuer, il n’a pu occuper son logement immédiatement et il a dû demeurer chez un ami jusqu’au moment de son départ pour l’Algérie. Le travailleur indique également qu’à son retour, le 14 août 2007, comme les réparations n’étaient pas encore effectuées, il a résilié son bail et loué un autre logement situé dans le même immeuble que le logement qu’il devait occuper initialement. Le travailleur indique qu’entre le 14 août 2007 et le 30 août 2007, il n’avait donc pas vraiment de domicile et il était plutôt isolé compte tenu des circonstances. Il déclare avoir pris connaissance de la décision du 5 juillet 2007 vers le 20 août 2007.
[21] À son argumentation écrite, l’employeur plaide que le travailleur aurait dû contester la décision rendue le 5 juillet 2007 dès son retour au pays soit à compter du 15 août 2007. Il plaide que le travailleur n’a fourni aucun motif permettant d’expliquer le délai de deux semaines qui s’écoule avant la contestation du 30 août 2007 alors qu’il avait été informé, avant son départ pour l’Algérie, que l’indemnité de remplacement du revenu serait suspendue. L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer la demande de révision faite par le travailleur le 30 août 2007 irrecevable.
[22] De tout ce qui précède, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que le travailleur a bel et bien demandé la révision de la décision du 5 juillet 2007 dans le délai prévu à l’article 358 précité.
[23] En effet, compte tenu des délais normaux de la poste, lorsque la CSST rend la décision du 5 juillet 2007 et qu’elle la transmet au travailleur, ce dernier a quitté le pays et est en vacances en Algérie.
[24] Ce n’est donc qu’au retour du travailleur, le 14 août 2007, que celui-ci pouvait vraisemblablement prendre connaissance de la décision du 5 juillet 2007. Les circonstances particulières entourant le déménagement du travailleur et son obligation de résilier son bail expliquent bien pour quelles raisons le travailleur n’a pas immédiatement, dès le 14 août 2007, contesté la décision du 5 juillet 2007. Au surplus, le travailleur déclare n’avoir pris connaissance de cette décision que vers le 20 août 2007. Quoiqu’il en soit, même si la Commission des lésions professionnelles considérait que le 14 août 2007, le travailleur a dûment été notifié de la décision du 5 juillet 2007, il appert que la demande de révision faite par le travailleur le 30 août 2007 l’a été dans les 30 jours de la notification de cette décision, le tout conformément aux dispositions de l’article 358 de la loi.
[25] En conséquence, la Commission des lésions professionnelles estime que la demande de révision faite par le travailleur à l’encontre de la décision rendue le 5 juillet 2007 a été faite dans le délai prévu à la loi et que cette demande est recevable.
[26] La Commission des lésions professionnelles doit maintenant décider si la décision de la CSST de suspendre l’indemnité de remplacement du revenu du travailleur à compter du 6 juillet 2007 est bien fondée.
[27] L’article 142 (2) (c) prévoit ce qui suit :
142. La Commission peut réduire ou suspendre le paiement d'une indemnité :
2° si le travailleur, sans raison valable :
c) omet ou refuse de se soumettre à un traitement médical reconnu, autre qu'une intervention chirurgicale, que le médecin qui en a charge ou, s'il y a contestation, un membre du Bureau d'évaluation médicale, estime nécessaire dans l'intérêt du travailleur;
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1985, c. 6, a. 142; 1992, c. 11, a. 7.
[28] À l’audience, le travailleur déclare que dès le 31 mai 2007, le docteur Chan l’a autorisé à partir en vacances. Il précise qu’il est au Canada depuis le mois de juin 2006 et que le 6 juillet 2007, il retournait dans son pays, l’Algérie, pour la première fois. Il déclare qu’à l’époque, sa femme habitait encore là-bas et que toute sa famille demeure en Algérie.
[29] À son argumentation écrite, l’employeur plaide qu’en quittant le pays pour se rendre en Algérie, le travailleur a volontairement interrompu les traitements de physiothérapie prescrits justifiant alors la CSST d’appliquer l’article 142 de la loi.
[30] Des éléments de preuve au dossier, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que la raison invoquée par le travailleur pour justifier l’absence aux traitements de physiothérapie du 6 juillet 2007 au 14 août 2007 constitue une raison valable. En effet, le travailleur prévient la CSST de son voyage en Algérie dès le mois de juin 2007 après s’être assuré de l’autorisation de son médecin, docteur Chan, qui complète un rapport médical à cet effet. Il est difficile, dans ce contexte, de conclure que le médecin traitant du travailleur estimait nécessaire que ce dernier poursuive ses traitements; d’ailleurs, le docteur Chan considère que la lésion professionnelle est dûment consolidée dès le retour du travailleur au Canada. Au surplus, que le travailleur ait voulu retourner dans son pays après un an passé au Canada afin de revoir sa femme ainsi que les autres membres de sa famille, apparaît tout à fait raisonnable et non exagéré. Le témoignage du travailleur à ce sujet est apparu tout à fait crédible et n’a pas été contredit.
[31] En conséquence, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que la CSST n’était pas justifiée de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu du travailleur.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête du travailleur, monsieur Akacha Elhouari;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 20 février 2008 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE recevable la demande de révision du travailleur produite le 30 août 2007 à l’encontre de la décision initiale du 5 juillet 2007;
DÉCLARE que la CSST n’était pas justifiée de suspendre l’indemnité de remplacement du revenu du travailleur à compter du 6 juillet 2007;
DÉCLARE que le travailleur a droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu pour la période pendant laquelle celle-ci a été suspendue à compter du 6 juillet 2007.
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Me Danièle Gruffy |
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Commissaire |
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Me Éric Latulippe |
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LANGLOIS KRONSTRÔM DESJARDINS |
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Représentant de la partie intéressée |
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