DÉCISION
[1] Le 24 septembre 2001, Provigo Distribution (l'employeur) dépose une requête en révision à la Commission des lésions professionnelles à l'encontre d'une décision rendue le 6 août 2001.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles rejette la requête de l'employeur, confirme la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 3 novembre 2000, à la suite d'une révision administrative et déclare que la CSST pouvait imputer au dossier de l'employeur le montant de 12 654,60 $, représentant l'indemnité de remplacement du revenu due à monsieur Ronald Valois (le travailleur) pour la période du 7 décembre 1999 au 25 mai 2000.
[3] À l'audience, l'employeur et la CSST sont représentés par procureur.
L'OBJET DE LA REQUÊTE
[4] L'employeur demande de révoquer la décision rendue le 6 août 2001 et de retourner le dossier au greffe du tribunal pour la tenue d'une nouvelle enquête et audition sur le fond du litige.
[5] Au soutien de sa requête, l'employeur invoque que la Commission des lésions professionnelles :
1) a excédé sa compétence en statuant sur une question dont elle n'était pas saisie;
2) a commis une erreur en décidant de la validité de l'assignation temporaire alors qu'aucune contestation concernant cette assignation n'avait été déposée;
3) a commis une erreur manifestement déraisonnable en omettant de se prononcer sur la légalité de l'imputation effectuée par la CSST au dossier de l'employeur;
4) a erré en statuant que l'article 180 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., ch. A-3.001) (la loi) permettait à la CSST d'imputer les sommes concernées au dossier de l'employeur alors qu'aucune décision invalidant l'assignation temporaire n'a été rendue en première instance;
5) a omis de statuer et a fait défaut d'interpréter et d'appliquer les dispositions de la loi en matière d'imputation;
6) a commis un excès de compétence en concluant que la CSST était en droit d'indemniser l'employeur pour les sommes versées au travailleur.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[6] La Commission des lésions professionnelles doit décider s'il y a lieu de réviser ou révoquer la décision qu'elle a rendue le 6 août 2001.
[7] La révision ou révocation d'une décision est prévue à l'article 429.56 de la loi. Cette disposition se lit comme suit :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
________
1997, c. 27, a. 24.
[8] Cette disposition doit s'interpréter à la lumière de l'article 429.49 de la loi qui prévoit que la décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel.
[9] La requête de l'employeur, en l'espèce, se fonde sur le troisième alinéa de l'article 429.56, soit que la décision est entachée d'un vice de fond ou de procédure de nature à invalider la décision.
[10] La jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles[1] a interprété les termes «vice de fond ou de procédure de nature à invalider la décision» comme étant une erreur manifeste de droit ou de faits ayant un effet déterminant sur l'objet de la contestation. Ainsi, l'excès de compétence est considéré comme un vice de fond de nature à invalider la décision. Par ailleurs, la requête en révision ne peut servir de prétexte à l'institution d'un appel déguisé de la décision attaquée ni permettre de substituer une nouvelle interprétation à celle retenue par le premier commissaire.
[11] Pour les fins de la présente décision, la Commission des lésions professionnelles retient de l'analyse du dossier que le travailleur a subi une lésion professionnelle le 18 septembre 1998, que cette lésion a été consolidée le 25 mai 1999 avec atteinte permanente et limitations fonctionnelles. Le travailleur est admis en réadaptation et en attendant que la CSST se prononce sur sa capacité d'exercer un emploi, le médecin du travailleur autorise une assignation temporaire et ce, à partir du 18 octobre 1999. Cette assignation temporaire n'est pas contestée par le travailleur et celui-ci effectue cette assignation jusqu'au début décembre 1999.
[12] Le ou vers le 17 décembre 1999, la CSST est informée que le travailleur ne se présentait plus au travail mais que l'employeur continuait à le payer comme s'il effectuait son travail. Le travailleur a donc reçu son plein salaire pour la période comprise entre le 17 décembre 1999 et le 25 mai 2000 mais il n'a pas travaillé.
[13] Le 13 juin 2000, la CSST transmet un chèque à l'employeur au montant de 12 654,60 $ représentant l'indemnité de remplacement du revenu à laquelle le travailleur avait droit pour la période concernée par le présent litige et impute l'employeur de ce même montant. Le détail du paiement est au dossier et indique que la somme portée à son compte bancaire représente l'ajustement de l'indemnité de remplacement du revenu pour la période du 17 décembre 1999 au 25 mai 2000. De plus, il est indiqué que le montant des indemnités a été établi sur la base du revenu brut assurable (49 689,79 $) et de la situation familiale de monsieur Ronald Valois.
[14] Le 7 juillet 2000, l'employeur conteste l'avis d'imputation en ces termes :
«En consultant le lien électronique en date du 7 juillet 2000, nous constatons que nous avons été imputé d'un montant de 12 654,60 $ qui représente un ajustement d'indemnité de remplacement du revenu pour la période du 7 décembre 1999 au 25 mai 2000 dans le dossier mentionné en rubrique. Période au cours de laquelle, nous avions payé notre travailleur tel que prévu à l'article 180 de la LATMP.
En conséquence, nous vous demandons de nous rendre une décision quant à cette imputation. A défaut de recevoir votre décision dans les 30 jours suivants la réception de notre lettre, nous allons considérer que l'imputation ci-jointe constitue une décision et nous vous demandons de diriger le tout en Révision administrative.»
[15] La décision du 13 juin 2000 est maintenue par la révision administrative, ce qui donne lieu à la contestation à la Commission des lésions professionnelles et la décision visée par la présente requête.
[16] L'employeur soumet comme premier motif de révision que le tribunal a excédé sa compétence en statuant sur une question dont elle n'était pas saisie et comme second motif, que le tribunal a erré en décidant de la validité de l'assignation temporaire. Ces deux motifs de révision soumis par l'employeur se recoupent et le tribunal en disposera en même temps.
[17] Ces moyens suscitent les questions suivantes : la Commission des lésions professionnelles a-t-elle statué sur une question dont elle n'était pas saisie ? A-t-elle disposé de la question de la validité de l'assignation temporaire et si oui, a-t-elle excédé sa compétence en le faisant ?
[18] Il est d'abord opportun de faire état des arguments que l'employeur a soumis au tribunal à l'audience du 27 juin 2001. Le commissaire les a résumés ainsi dans la décision du 6 août 2001 :
«L’employeur estime que la CSST ne pouvait imputer au dossier de l’employeur rétroactivement les sommes relatives à l’indemnité de remplacement du revenu, ni les sommes versées par l’employeur à titre d’assignation temporaire. L’employeur allègue que dans le cas d’une assignation temporaire, il n’y a rien qui l’empêche de verser au travailleur le montant total. Rien ne l’oblige à ne lui verser que la seule portion du travail effectué. Si un travailleur effectue vingt heures en assignation temporaire, l’employeur peut payer vingt heures, mais il peut, s’il le désire, payer 100% du temps de son travail.
L’employeur prétend que le travailleur n’ayant jamais contesté l’assignation temporaire, la CSST ne peut donc imputer à l’employeur des sommes dont seul le travailleur a été bénéficiaire. Au surplus, l’employeur invoque que rien ne l’oblige à recevoir le remboursement mentionné à l’article 61 de la loi de la part de la CSST.
Il estime que la CSST ne peut imputer à l’employeur ces sommes parce que c’est le travailleur qui est bénéficiaire de ces montants et non l’employeur.»
[19] Aux fins de son argument principal sur la légalité de l'imputation faite à son dossier, l'employeur a donc traité de la question de l'assignation temporaire.
[20] La Commission des lésions professionnelles situe ainsi l'objet de la contestation :
«L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision du 3 novembre 2000 et de déclarer que la CSST ne pouvait rétroactivement lui imputer un montant de 12 654,80 $, le travailleur ayant été en assignation temporaire et ayant été payé par l’employeur pour la période concernée.»
[21] Un peu plus loin, elle énonce la question dont elle est saisie :
«La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la CSST était justifiée de rembourser l’employeur d’une somme de 12 654,00 $ et d’imputer à son dossier un montant équivalent, du fait que le travailleur n’a pas effectué de travail en assignation temporaire, entre le 7 décembre 1999 et le 25 janvier 2000.»
[22] Elle en dispose en concluant simplement au rejet de la contestation de l'employeur ce qui signifie, compte tenu des décisions rendues par la CSST les 13 juin et 3 novembre 2000, que l'imputation au dossier de l'employeur pour un montant de 12 654,60 $, représentant le montant des indemnités payables au travailleur pour la période du 7 décembre 1999 au 25 mai 2000, était bien fondée.
[23] Il ne fait donc aucun doute que la Commission des lésions professionnelles a statué sur l'objet de la contestation de l'employeur.
[24] Par ailleurs, la Commission des lésions professionnelles n'a pas disposé de la question de la validité de l'assignation temporaire bien qu'elle ait dû référer aux faits qui y étaient relatifs et examiner les effets de l'assignation temporaire et ce, aux fins de répondre aux arguments de l'employeur et décider de l'objet de sa contestation. La décision d'imputation découlant du contexte de l'assignation temporaire, la Commission des lésions professionnelles devait en tenir compte dans les motifs énoncés au soutien de sa décision.
[25] En effet, par sa décision du 6 août 2001, la Commission des lésions professionnelles déclare :
«En vertu de ces dispositions, (art. 179 et 180) l’employeur versera donc le salaire et les avantages liés à l’emploi que le travailleur occupait lorsque s’est manifesté sa lésion professionnelle, mais ce, dans la mesure où le travailleur effectue le travail qui lui est assigné temporairement.»
Si un travailleur refuse d’effectuer le travail qui lui est assigné, il doit obtenir une attestation de son médecin à cet égard. Sinon la CSST, en vertu de l’article 142 de la loi, peut suspendre le paiement d’une indemnité si le bénéficiaire refuse de faire ce travail, alors que son employeur lui offre de verser le salaire et les avantages prévus à l’article 180.
Au surplus, en vertu des dispositions de l’article 278, un bénéficiaire doit informer sans délai la Commission de tout changement dans sa situation qui peut influer sur un droit que la présente loi lui confère ou sur le montant d’une indemnité.
Aucune de ces dispositions n’autorise l’employeur à décider, une fois qu’une assignation temporaire est déterminée, de retourner le travailleur chez lui et de lui verser ainsi le salaire et les avantages, évitant ainsi de se voir imputer les sommes reliées à la lésion professionnelle du travailleur.»
[26] Le commissaire cite la décision rendue dans l'affaire Alain Pouliot et J.M. Asbestos inc.[2] et ajoute :
«Permettre à l’employeur de retourner un travailleur chez lui et considérer une telle situation comme équivalant à une assignation temporaire qui lui permet de ne pas être imputé des coûts constitue une interprétation qui n’est pas conforme aux dispositions des articles 179 et 180 de la loi. Si le travailleur n’effectue pas le travail qui lui est assigné, sans l’avoir contesté, il ne peut recevoir l’indemnité de remplacement du revenu prévue à l’article 44 de la loi, sous réserve évidemment que la CSST n’ait pas exercé son droit prévu à l’article 142 de la loi.
Il est évident qu’un travailleur qui est retourné chez lui ne bénéficie aucunement d’un travail chez l’employeur. Il est aussi évident qu’il ne sera pas incité à contester la décision de l’employeur de le retourner chez lui, lorsque ce dernier décide de lui verser l’ensemble des prestations.
On ne peut, sous le couvert d’une fausse assignation temporaire, tenter de diminuer ses cotisations à la CSST.
La décision de la CSST est, dans les circonstances, conforme à la loi.»
[27] Le présent tribunal considère que par sa décision du 6 août 2001, la Commission des lésions professionnelles n'a pas excédé sa compétence. En effet, le tribunal était saisi de la validité d'une imputation au montant de 12 654,60 $, au dossier de l'employeur et il a répondu à cette question.
[28] Le troisième motif invoqué au soutien de la requête est que la Commission des lésions professionnelles a omis de se prononcer sur la légalité de l'imputation effectuée par la CSST au dossier de l'employeur.
[29] Tel qu'expliqué précédemment, la Commission des lésions professionnelles a bel et bien disposé du bien-fondé de l'imputation faite au dossier de l'employeur. Peut-être l'employeur estime-t-il que la décision rendue n'est pas suffisamment motivée ?
[30] La Commission des lésions professionnelles est d'avis que la décision est suffisamment motivée. Bien qu'elle soit succincte, elle permet de comprendre le raisonnement du commissaire.
[31] La Cour supérieure dans l'affaire Robert Mitchell inc. et Commission des lésions professionnelles[3] énonce ce qui suit concernant les critères permettant de juger de la suffisance de la motivation d'une décision :
«[…] la Commission n'a pas besoin de commenter tous les faits, ni de trancher tous les arguments présentés, ni de s'expliquer longuement pourvu que l'on comprenne son raisonnement à la lecture de la décision.
[…]
Ce n'est pas parce que la motivation est brève qu'elle est incomplète ou arbitraire.»
[32] En effet, la Commission des lésions professionnelles, pour conclure à la légalité de l'imputation effectuée au dossier de l'employeur, s'autorise des dispositions suivantes de la loi :
44. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à une indemnité de remplacement du revenu s'il devient incapable d'exercer son emploi en raison de cette lésion.
Le travailleur qui n'a plus d'emploi lorsque se manifeste sa lésion professionnelle a droit à cette indemnité s'il devient incapable d'exercer l'emploi qu'il occupait habituellement.
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1985, c. 6, a. 44.
46. Le travailleur est présumé incapable d'exercer son emploi tant que la lésion professionnelle dont il a été victime n'est pas consolidée.
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1985, c. 6, a. 46.
179. L'employeur d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle peut assigner temporairement un travail à ce dernier, en attendant qu'il redevienne capable d'exercer son emploi ou devienne capable d'exercer un emploi convenable, même si sa lésion n'est pas consolidée, si le médecin qui a charge du travailleur croit que :
1° le travailleur est raisonnablement en mesure d'accomplir ce travail;
2° ce travail ne comporte pas de danger pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion; et
3° ce travail est favorable à la réadaptation du travailleur.
Si le travailleur n'est pas d'accord avec le médecin, il peut se prévaloir de la procédure prévue par les articles 37 à 37.3 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S - 2.1), mais dans ce cas, il n'est pas tenu de faire le travail que lui assigne son employeur tant que le rapport du médecin n'est pas confirmé par une décision finale.
________
1985, c. 6, a. 179.
180. L'employeur verse au travailleur qui fait le travail qu'il lui assigne temporairement le salaire et les avantages liés à l'emploi que ce travailleur occupait lorsque s'est manifestée sa lésion professionnelle et dont il bénéficierait s'il avait continué à l'exercer.
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1985, c. 6, a. 180.
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.
[…]
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1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
[33] En l'instance, le travailleur a subi un accident du travail et il a droit à l'indemnité de remplacement du revenu selon l'article 44 de la loi. À l'époque concernée, la lésion du travailleur n'était pas consolidée, le travailleur est donc présumé incapable d'exercer son emploi (article 46). Par ailleurs, l'employeur a assigné temporairement un travail à monsieur Valois en attendant qu'il redevienne capable d'exercer son emploi. Le médecin du travailleur a autorisé l'assignation temporaire et le travailleur ne s'est pas prévalu de son droit de contestation prévue à l'article 179 de la loi. L'article 180 prévoit que l'employeur verse au travailleur qui est ainsi assigné à un travail temporairement son salaire et les avantages liés à l'emploi. La preuve non contestée dans ce dossier révèle que le travailleur n'a pas fait le travail qui lui a été assigné temporairement pour la période comprise entre le 7 décembre 1999 et le 25 mai 2000. Dans ces circonstances, la CSST devait reprendre le versement des indemnités de remplacement du revenu car le travailleur y avait toujours droit, sa lésion n'étant pas encore consolidée. Les coûts de cette lésion devaient alors être imputés au dossier de l'employeur selon l'article 326 de la loi.
[34] L'employeur a plutôt choisi de continuer à payer au travailleur son plein salaire alors que celui-ci ne faisait pas le travail assigné temporairement. Le premier commissaire indique que par cette manœuvre l'employeur a tenté de diminuer ses cotisations à la CSST en versant au travailleur son plein salaire alors qu'il était incapable d'effectuer le travail en assignation temporaire.
[35] Le procureur de la CSST soumet que la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles est une loi d'ordre public et que l'employeur ne peut, par des «manœuvres subterfuges», contourner la loi pour tenter de diminuer ses cotisations. Le procureur de l'employeur répond qu'aucune disposition de la loi ne permet à la CSST d'imputer rétroactivement au dossier d'un employeur une somme représentant des indemnités pour une période où il a versé un salaire à un travailleur.
[36] La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles établit un régime qui vise la réparation des lésions professionnelles et de conséquences qu'elles entraînent pour les bénéficiaires. Elle établit aussi le mode de financement de ce régime (chapitre IX).
[37] L'article 4 de la loi énonce qu'elle est d'ordre public. Les dispositions relatives au financement sont autant d'ordre public que celles relatives à la réparation.
[38] Les dispositions relatives au financement du régime se retrouvent aux articles 281 à 331.3 de la loi. Il faut de plus souligner que le chapitre X de la loi comporte, aux articles 332 à 348, des dispositions relatives aux employeurs tenus personnellement au paiement des prestations.
[39] L'article 281 de la loi prévoit ce qui suit :
281. La Commission perçoit des employeurs les sommes requises pour l'application de la présente loi.
________
1985, c. 6, a. 281; 1986, c. 58, a. 112.
[40] Les employeurs visés à l'article 281 sont les employeurs au sens de l'article 2 de la loi. Provigo Distribution est un employeur au sens de la loi et n'est pas un employeur tenu personnellement au paiement des prestations. Donc, il doit suivre le régime général et contribuer à son financement.
[41] Dans la détermination de la cotisation payable par les employeurs, la CSST tient compte, conformément aux règles prévues au chapitre X, de l'expérience associée au risque de lésions professionnelles qu'elle assure (article 284.1).
[42] Lorsqu'un employeur est impliqué dans une opération définie par règlement, la CSST peut, dans les cas et aux conditions prévus par ce règlement, déterminer l'expérience dont elle doit tenir compte afin de refléter le risque auquel sont exposés les travailleurs à la suite de cette opération et cotiser l'employeur en conséquence suivant les modalités particulières qu'elle peut également prévoir dans ce règlement (article 314.3).
[43] Pour que les employeurs tenus de cotiser au régime soient traités équitablement, il faut que l'expérience associée au risque de lésions professionnelles, qui est prise en compte dans la fixation de la cotisation, corresponde à la réalité et donc, que la CSST puisse prendre en compte tous les coûts que génèrent les lésions professionnelles subies par les travailleurs à leur emploi. Mais encore faut-il que la CSST soit informée de la survenance des lésions professionnelles et de tout autre facteur pertinent au traitement des réclamations et au versement des indemnités auxquelles un travailleur peut avoir droit.
[44] Le chapitre VIII de la loi est consacré à la procédure de réclamation et avis (articles 265 à 280). L'article 278 de la loi prévoit l'obligation pour le bénéficiaire d'informer sans délai la CSST de tout changement dans sa situation qui peut influencer sur un droit que la présente loi lui confère ou sur le montant d'une indemnité.
[45] Le fait pour un travailleur de se retrouver dans une situation d'assignation temporaire doit être porté à la connaissance de la CSST parce qu'il a un effet direct sur le montant de l'indemnité de remplacement du revenu. La fin de la période d'assignation temporaire doit, tout autant, être dénoncée à la CSST puisqu'elle a aussi un impact sur l'indemnité de remplacement du revenu.
[46] Pendant la période que dure une assignation temporaire conforme à la loi, l'employeur verse au travailleur qui fait le travail qu'il lui assigne temporairement le salaire et les avantages liés à l'emploi que ce travailleur occupait lorsque s'est manifestée sa lésion professionnelle et dont il bénéficierait s'il avait continué à l'exercer (article 180). Le versement de l'indemnité de remplacement du revenu à laquelle le travailleur a droit parce qu'incapable de reprendre son emploi, est suspendu. Aucune indemnité ne lui est donc payable à ce titre, compte tenu du salaire qu'il doit recevoir de son employeur. L'employeur, quant à lui, ne voit pas imputé à son dossier, pour cette période, le coût qui, autrement, découlerait du versement de l'indemnité de remplacement du revenu pour cette même période.
[47] Toutefois, lorsque la période d'assignation temporaire prend fin, le versement de l'indemnité de remplacement du revenu doit reprendre et ce, jusqu'au début de l'exécution d'une nouvelle assignation ou jusqu'à ce que la CSST rende une nouvelle décision ayant un effet sur le versement de l'indemnité de remplacement du revenu. La reprise du versement de l'indemnité de remplacement du revenu générera alors des coûts qui seront imputés au dossier de l'employeur conformément à l'article 326 de la loi.
[48] En l'espèce, l'employeur a continué à verser au travailleur un salaire comme s'il faisait le travail alors que le travailleur était incapable d'effectuer l'assignation temporaire. En agissant ainsi, l'employeur se trouve à avoir court-circuité le régime et porté atteinte à son caractère équitable.
[49] La Commission des lésions professionnelles, dans l'affaire Institut Armand Frappier et als et CSST[4] nous rappelle ce qui suit :
«Or, il est reconnu que la législation en matière d'accidents du travail et de maladies professionnelles est le résultat d'un pacte social entre les syndicats, les employeurs et le gouvernement à l'effet d'exclure les accidents du travail du domaine de la responsabilité civile avec en contrepartie pour les travailleurs le droit à une compensation en cas de lésion professionnelle146.
Aussi une mutuelle d'assurance a donc été créée par voie législative, dont les coûts sont maintenant assumés par l'ensemble des employeurs. Le législateur ne faisait que traduire la volonté des employeurs pour un régime de responsabilité sans faute tout en permettant aux travailleurs d'être indemnisés sans avoir le fardeau de poursuivre leurs employeurs en cas d'accident. Il ne s'agit pas d'un geste unilatéral du gouvernement comme en matière fiscale, les parties cherchant à favoriser une saine justice, de meilleures relations de travail et une paix sociale ont convenu d'un nouveau contrat social pour mettre fin ainsi à un système trop onéreux sur le plan financier et humain.
La Cour suprême a reconnu à maintes reprises (Bell Canada147, Béliveau St-Jacques148, Re Validity)149 que ce régime d'assurance public est obligatoire et comporte trois aspects principaux ainsi décrits par le juge Sopinka dans l'affaire Pasiechnyk150 :
«[…] (1) l'indemnisation et la réadaptation des travailleurs blessés, (2) l'interdiction de poursuivre en justice, et (3) la caisse des accidents. Comme nous l'avons vu précédemment, les trois sont essentiels au régime conçu par Meredith et l'implanté par chaque législateur provincial. La Commission a un rôle à jouer à l'égard de chacun de ces aspects.
[…]
«Le troisième aspect du régime, à savoir la caisse des accidents, relève également de la Commission. Celle-ci a la responsabilité de maintenir la caisse et de percevoir des cotisations auprès des employeurs. Elle établit des catégories d'industries […] et peut subdiviser ces catégories selon les dangers qu'elles présentent […]. La Commission cotise ensuite les employeurs de chaque catégorie selon un pourcentage de leur masse salariale qu'elle considère suffisant pour indemniser les travailleurs blessés des industries de cette catégorie […]. Il existe des dispositions qui permettent de percevoir des cotisations supplémentaires auprès d'employeurs qui comptent des accidents mortels.
[…]» (notre soulignement)
La Cour d'appel du Québec s'est également prononcée sur les prélèvements d'employeurs en vertu de la LAT et de la LATMP sur lesquels reposent le financement du régime d'indemnisation, dans les affaires Daishowaet Kraft General Foods. Dans Daishowa, la Cour d'appel, après avoir rappelé que la LAT offre aux travailleurs du Québec depuis 1931 un régime législatif d'assurance et de responsabilité collective sans égard à la faute, ajoute151 :
«Les employeurs sont ceux et les seuls qui contribuent au fond (sic) d'accidents. Les compensations payables aux travailleurs en raison d'accidents survenus sont payées à même ce fonds dont le financement est assuré par la CSST (la Commission des accidents du travail à l'époque de la LAT.
La LATMP a introduit des modifications législatives qui ont influé sur l'application du mode de financement. Cette loi impose toujours aux employeurs les coûts de la santé et de la sécurité du travail. Les cotisations sont fixées à partir des salaires déclarés par l'employeur, de sa classification dans une unité selon l'activité économique exercée, prenant en compte les risques particuliers à cette unité évaluée selon l'expérience.»
(notre soulignement)
Dans Kraft General Foods, le juge Dussault pour la Cour s'exprime comme suit quant au financement du régime d'indemnisation créé par la LATMP152 :
«[…]
Le financement du régime d'indemnisation.
Ce régime est basé sur le principe d'une mutuelle d'assurance. Ainsi, la CSST prélève auprès des employeurs une cotisation annuelle qui lui permet de verser des indemnités aux travailleurs admissibles. Le montant de la cotisation des employeurs est défini d'après les salaires des travailleurs durant l'année, en fonction d'un taux de cotisation fixé par la CSST. L'employeur est cotisé annuellement au taux applicable à l'unité dans laquelle il est classé, selon l'activité qu'il exerce.
Afin que la cotisation tienne compte de l'expérience propre à chaque employeur la CSST a adopté les règlements précités, soit le Règlement sur le taux personnalisé, le Règlement sur l'ajustement rétrospectif de la cotisation et le Règlement sur le système de cotisation basé sur le mérite ou le démérite des employeurs.
[...]» (notre soulignement)
Le Tribunal constate, à la lecture de ces décisions, que les tribunaux supérieurs appelés à commenter ou à se prononcer sur le mode de financement des régimes d'assurance en matière de lésions professionnelles n'ont jamais laissé entendre que les cotisations d'employeurs en vertu de ces régimes pouvaient être facultatives, mais qu'au contraire elles ont un caractère obligatoire puisque toute la survie de ces régimes en dépend et qu'elles en sont le fondement même. […]»
(notre soulignement)
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146 Supra, par. 134
147 Précitée, note 67
148 Précitée, note 68
149 Précitée, note 69
150 Précitée, note 66, 910-912
151 Précitée, note 28, 2-3
152 Précitée, note 28, 1020
[50] Les sommes perçues par la CSST servent au paiement des dépenses prévues par ces régimes, notamment au paiement des prestations suite à la survenance d'une lésion professionnelle. Les cotisations d'employeurs qui constituent le fondement de ces régimes et servent à garantir leur survie, ont un caractère obligatoire.
[51] En l'instance, il est évident que l'employeur en traitant le travailleur comme si l'assignation temporaire se poursuivait, cherchait à diminuer les coûts de la lésion professionnelle. La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles ne permet pas une telle façon d'agir qui dénature complètement le régime mis en place et menace son existence. Des règles claires et précises ont été prévues pour assurer le bon maintien du régime de santé et sécurité au travail et tous les employeurs ont l'obligation de respecter ces règles.
[52] Le procureur de l'employeur soumet qu'il a le droit de verser un salaire à un travailleur même si ce dernier n'exerce pas un travail.
[53] Le choix de verser un salaire à un employé qui ne se présente pas au travail appartient certainement à l'employeur. Cependant, lorsque cet employé est victime d'un accident du travail, les parties sont assujetties à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles et l'employeur a alors l'obligation d'agir de façon à ce que les objectifs prévus à cette loi soient réalisés et non de façon à empêcher leur réalisation.
[54] Le quatrième motif invoqué par l'employeur au soutien de sa requête est que la Commission des lésions professionnelles a erré en statuant que l'article 180 de la loi permettait à la CSST d'imputer les sommes concernées au dossier de l'employeur alors qu'aucune décision invalidant l'assignation temporaire n'a été rendue en première instance.
[55] Or, d'une part, pour les raisons déjà susmentionnées, la CSST n'avait pas à rendre une décision sur la validité de l'assignation temporaire. Le travailleur ne l'avait pas contestée et la Commission des lésions professionnelles ne l'a pas invalidée. Le tribunal a constaté que le travailleur ne l'effectuait plus à partir du 7 décembre 1999 et, dans ce cas, la loi prévoit une reprise du versement de l'indemnité de remplacement du revenu.
[56] D'autre part, la Commission des lésions professionnelles n'a pas déclaré dans la décision du 6 août 2001 que l'article 180 permettait à la CSST d'imputer les sommes concernées au dossier de l'employeur. Le commissaire a plutôt écrit :
«Permettre à l'employeur de retourner un travailleur chez lui et considérer une telle situation équivalant à une assignation temporaire qui lui permet de ne pas être imputé des coûts constitue une interprétation qui n'est pas conforme aux dispositions des articles 179 et 180 de la loi.»
[57] Le premier commissaire ne fait qu'indiquer que la solution à laquelle il doit en arriver quant au bien-fondé de la décision d'imputation doit être cohérente avec les dispositions de la loi, dont celles prévues aux articles 179 et 180.
[58] Le cinquième motif soumis à l'appui de la requête est que la Commission des lésions professionnelles a omis de statuer et a fait défaut d'appliquer les dispositions de la loi en matière d'imputation.
[59] Le présent tribunal considère que par sa décision du 6 août 2001, la Commission des lésions professionnelles a statué et a appliqué les dispositions de la loi en matière d'imputation. C'est l'article 326 de la loi qui permet à la CSST d'imputer le montant de 12 654,60 $ au dossier de l'employeur.
[60] L'employeur soumet comme sixième motif de révision que la Commission des lésions professionnelles a commis un excès de compétence en statuant que la CSST était en droit d'indemniser l'employeur pour les sommes versées au travailleur.
[61] La Commission des lésions professionnelles devait statuer sur l'imputation faite et le remboursement effectué. Il fallait nécessairement, à cette fin, qu'elle s'interroge sur le versement de l'indemnité de remplacement du revenu au travailleur. Le tribunal n'a pas excédé sa compétence, il a plutôt exercé sa compétence.
[62] Finalement, à l'audience, l'employeur soumet que la Commission des lésions professionnelles n'a pas discuté dans sa décision des conséquences pour le travailleur de cette imputation au dossier de l'employeur. Il soumet que le travailleur a reçu 100 % de son salaire alors que l'indemnité de remplacement du revenu représente seulement 90 % de son salaire. La décision rendue par la Commission des lésions professionnelles crée donc des effets pour le travailleur et celui-ci n'a pas été convoqué à l'audience du 27 juin 2001.
[63] Le travailleur n'a pas été convoqué lors de la première audience puisque le litige en question ne le concernait aucunement. Le fait que le travailleur ait reçu son plein salaire de l'employeur alors qu'il n'y avait pas droit n'est pas un motif justifiant de conclure que la CSST n'avait pas le droit de cotiser l'employeur. Il appartiendra à l'employeur de régler avec le travailleur, s'il y a lieu, la question de la différence entre le salaire reçu et l'indemnité de remplacement du revenu à laquelle il avait droit.
[64] La Commission des lésions professionnelles considère que l'employeur n'a pas fait la preuve que la décision du 6 août 2001 est entachée d'un vice de fond ou de procédure de nature à l'invalider.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête en révision de l'employeur, Provigo Distribution (Div. Maxi).
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Santina Di Pasquale |
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Commissaire |
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Synergest inc. (Me Claude Stringer) |
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Représentant de la partie requérante |
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Panneton Lessard (Me Robert Morin) |
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Représentant de la partie intéressée |
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AVIS :
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