C A N A D A CONSEIL DE LA JUSTICE
PROVINCE DE QUÉBEC ADMINISTRATIVE
2015 QCCJA 796 QUÉBEC, le 22 juin 2016
PLAINTE DE :
Nadia Poitras
À L'ÉGARD DE :
Carl Leclerc, juge administratif au Tribunal administratif du Québec
en prÉsence de : Me Anne Morin, membre du Conseil de la justice administrative, présidente du Comité et d’enquête et présidente de la Régie du logement
Marie Auger, membre du Conseil de la justice administrative
Lucie Le François, juge administrative au Tribunal administratif du Québec
RAPPORT DU COMITÉ D’ENQUÊTE
La plainte et la résolution du Conseil de la justice administrative
[1] Le 21 septembre 2015, le Conseil de la justice administrative recevait une plainte de Mme Nadia Poitras datée du 16 septembre 2015 dans laquelle elle se plaint de la conduite de Carl Leclerc, juge administratif au Tribunal administratif du Québec (ci-après le TAQ) lors de l’audience de sa cause, le 15 juillet précédent.
Elle expose en ces termes les motifs de sa plainte :
[2] «….Lors de l’audience du 15 juillet dernier, le juge Leclerc a fait preuve d’un grand manque de respect à mon égard. En plus d’être impoli, ses paroles et ses gestes étaient agressifs. Il a levé le ton à plusieurs reprises si fort, que les gens à l’extérieur l’ont entendu crier. Le juge Leclerc ne s’est pas abstenu de me ridiculiser. À plusieurs reprises, il a tenté de me rabaisser et a voulu faire en sorte que je me sente mal et coupable. Voir demande de récusion adressé au TAQ ».
[3] Elle joint à cette plainte une copie conforme d’une lettre adressée au président du TAQ, à la même date, dans laquelle elle expose notamment :
Objet : Demande de récusation
[4] (extraits de cette lettre au président du TAQ) :
« Ce n’est que le matin de l’audience, soit le 15 juillet 2015, que le juge Leclerc a choisi de procéder quand même. Le juge Leclerc a téléphoné au témoin [M. X] qui se trouve être mon ex-conjoint, et lui a demandé s’il était au courant ou non que nous avions une audience de prévue. [M. X] a répondu que non. Le juge Leclerc lui a alors demandé si un délai d’une heure lui était suffisant pour rassembler les documents nécessaires et s’il acceptait de témoigner par téléphone. À la demande du juge Leclerc, [M. X] a affirmé qu’il serait prêt et qu’il acceptait de procéder de cette façon. Nous avons donc ajourné pour une période d’une heure.
[5] Tout au long de la séance et ce, que ce soit en avant-midi ou en après-midi puisque nous avons pris une pause pour le dîner, le juge Leclerc a été impoli, agressif, a fait preuve d’un grand manque de respect et de paroles sarcastiques à mon égard. À la toute fin de celle-ci, j’ai dû lui dire que j’en avais assez entendu et j’ai quitté après qu’il ait mentionné qu’il rendrait jugement et que celui-ci nous serait transmis par la poste.
[6] Dès lors, il a été de mon intention de dénoncer au conseil de la magistrature les propos et les gestes répréhensibles du juge Leclerc. Il est évident que ce dernier ne respecte pas les règles de conduite prévues par les juges dans leur code de déontologie. Un juge, bien qu’il soit un être humain et qu’il ne soit pas exempt d’émotions, se doit d’observer ses règles en tout temps tant au tribunal que dans sa vie sociale. Il se doit d’avoir une conduite exemplaire, ce qu’il n’a pas eu lors de ma présence à votre cour.
[7] Étant donné que toute plainte formulée est transmise au juge dont il question, j’ai tenté de m’abstenir de la transmettre avant d’avoir reçu ledit jugement pour ne pas influencer de façon négative le jugement.
[8] Le 14 septembre, j’ai été informé au téléphone, par Madame Marie-France Dumas, Que le juge Leclerc avis pris la décision le 04 août dernier de rouvrir le procès pour permettre à [M. X] de se faire entendre de nouveau et de faire entente madame Nancy Tétreault qui est sa cousine.
[9] J’ai exprimé à Madame Dumas mon mécontentement face à cette procédure mais celle-ci m’a informé que le juge Leclerc détenait le pouvoir de rouvrir l’enquête bien que le procès ait déjà eu lieu en bonne et due forme selon les décisions du juge Leclerc.
[10] Suite aux évènements, je me tourne donc vers vous aujourd’hui afin que le dossier ci-haut mentionné soit retiré au juge Leclerc. J’ai fait la demande au Tribunal d’obtenir copie de l’enregistrement du procès et une plainte sera déposée en cette fin de journée au Conseil de la justice administrative.
[11] Je n’ai obtenu aucun motif valable de la part du juge Leclerc qui démontre la nécessité de la tenue d’un nouveau procès. Je trouve déplorable que ce dernier use de son pouvoir discrétionnaire pour saisir l’occasion de s’en prendre à moi de nouveau. Il a de plus retenu une date en convenance avec les disponibilités de [M. X] sans se soucier de mes disponibilités ….».(sic)
[12] Toujours le 16 septembre 2015, Mme Poitras requiert la récusation du juge administratif Leclerc compte tenu du fait qu’elle a l’intention de le dénoncer au «Conseil de la magistrature » et qu’elle conteste sa demande de réouverture d’enquête alors qu’il n’a pas requis ses disponibilités pour la date de cette audience, mais seulement celles de son ex-conjoint.
La recevabilité
[13] Le 2 décembre 2015, le Comité d’examen de la recevabilité des plaintes du Conseil de la justice administrative (ci-après CJA) juge recevable la plainte de Mme Poitras et demande au CJA de former un comité d’enquête.
[14] La recevabilité de la plainte repose sur les articles 3, 5, 6, 7 et 8 du Code de déontologie applicable aux membres du Tribunal administratif du Québec[1].
[15] Mme Poitras et le juge administratif Leclerc sont avisés, le 3 décembre suivant, de la recevabilité de la plainte ainsi que de la composition du comité d’enquête.
Décret de nomination de M. Leclerc, juge administratif
[16] Le juge administratif Carl Leclerc a été nommé le 17 février 2014, durant bonne conduite, membre avocat du TAQ, affecté à la section des affaires sociales.
L’enquête
[17] L’enquête se tient à Québec les 4 et 5 avril 2016 dans une salle d’audience du Tribunal administratif du travail.
Le déroulement de l’enquête
4 avril a.m.
[18] Le 4 avril, la présidente du comité, Me Anne Morin, informe la plaignante ainsi que le juge administratif Leclerc et son procureur que le comité écoutera toute l’audience du 15 juillet 2015. Mme Poitras requiert du comité l’autorisation de se retirer, car elle se sent perturbée d’avoir à réentendre cette audience. Le comité l’assure que seule l’écoute de l’enregistrement occupera le temps de l’audience de l’avant-midi. Mme Poitras confirme sa présence à la séance de l’après-midi.
4 avril p.m.
[19] Mme Poitras parcourt le cahier des notes sténographiques de 222 pages pour y relever des passages qu’elle entend reprocher au juge administratif Leclerc. Les propos du juge administratif sont rapportés au fur et à mesure avec celui du procureur de la partie intimé et de l’ancien conjoint de la requérante.
L’audience devant le TAQ du 15 juillet 2015[2]
[20] La question du litige devant le TAQ consistait à déterminer si la fille de Mme Poitras et de M. X était ou non en garde partagée aux fins du calcul du paiement de soutien à l’enfant de la Régie des rentes du Québec du mois de novembre 2010 à mars 2013 (pièce D-5).
[21] Le Comité retient de la preuve les éléments suivants :
[22] D’emblée, Mme Poitras souligne que le TAQ n’avait pas mis en cause, tel qu’il appert des notes sténographiques de l’audience, son ex-conjoint M. X, mais que ce dernier savait que la cause procéderait :
1er extrait page 5 (lignes 16 à 21)
16 … j’ai été informée
17 par le Tribunal administratif que monsieur
18 [X] ne serait pas assigné au dossier, qu’il
19 n’avait pas besoin d’être ici ce matin, mais il le
20 savait quand même, là, que la cause procéderait ce
21 matin.
[23] Un courriel du 8 juillet 2015, démontre que le père n’avait pas été assigné et que le juge administratif Leclerc le savait (D-1). La cause procède par voie téléphonique alors que M. X souligne qu’il ignorait qu’une audience se tiendrait.
[24] Mme Poitras souligne le « bashing » du juge administratif Leclerc alors que ce dernier remet en question sa version des faits en regard de la connaissance par M. X de la tenue de l’audience. Elle fait part du ton agressif, intimidant et inapproprié du juge administratif Leclerc. Elle précise que le juge administratif voulait lui mettre les mots dans la bouche :
2e extrait (propos du juge administratif et de Mme Poitras) pages 40 et 41
Bien, tu sais, déjà là il y a de la contradiction : d’est vingt-trois (23) mars, c’est vingt-cinq (25) mars, c’est dix-sept (17) juillet. Ça fait que, déjà là, monsieur se contredit dans l’autre version.
Q. On s’occupe de la contradiction, par exemple. On repassera, madame Poitras.
Ce matin, en entrant à l’audience, vous avez affirmé que monsieur était au courant qu’il y avait une audience ce matin.
Bizarrement, quand je lui parle au téléphone, il n’était pas au courant.
Ça fait que continuez votre témoignage, puis attardez-vous aux éléments que vous voulez me donner...
R. O.K.
Q. … plutôt que d’essayer de faire du «bashing» de votre ex-conjoint. On n’est pas ici pour ça.
R. Ah, je n’essaie pas de faire du «bashing».
Q. C’est exactement ce que vous étiez en train de faire, puis c’est ce que je considère que vous faisiez.
Là je vous demande de vous concentrer…
R. O.K.
Q. … sur les éléments pertinents au litige, c’est-à-dire : il y avait-il ou non une garde partagée pour [Y]…
R. O.K.
[25] Mme Poitras relate par la suite le questionnement du juge administratif Leclerc quant à une case cochée identifiant l’adresse du père pour la résidence de sa fille Y sur le document relatif à la fréquentation scolaire et une autre case cochée relative à la garde partagée.
[26] Il souligne que ses interventions sur la garde partagée ont été justifiées car il trouvait invraisemblable la version de la plaignante au sujet du formulaire à compléter relativement au service de garde
[27] Le juge administratif Leclerc reconnaît que Mme Poitras a été bousculée pour tester sa crédibilité et qu’il ne s’agit pas de la bonne façon de faire ces choses. Il souligne qu’il a été maladroit à cet égard.
3e extrait pages 48 à 51
«Identification de l’autorité parentale.
Cochez si garde partagée».
Q. On voit qu’il y a une coche qui a été faite là. Ce
n’est pas vous?
R. Encore là.
Q. Encore une fois, cette coche-là a été... ça aurait été inscrit par qui? Par monsieur?
Par monsieur, par l’école?
R. Bien, écoutez, quand je regarde
«Copie conforme : [Madame V]», monsieur pourra témoigner [madame V] c’est qui par rapport à lui un petit peu plus tard.
Q. [Madame V]?
R. Oui.
Q. O.K. Moi je ne vois pas ça mais …
R. Bien, le nom, «copie conforme : [madame V]».
Q. Ah ! O.K. L’étampe de la commission… de la polyvalente?
R. Oui, c’est ça.
Q. Très bien. O.K.
R. Ensuite de ça, en page 12, effectivement, c’est moi aussi qui a fait le changement d’adresse, l’ancienne adresse, [Adresse A] pour [Adresse B].
Q. Et sur ce - puis là, on voit :
«Adresse effective le.
L’enfant habite avec».
Puis là, c’est coché «Père et mère». Ça été raturé, puis ça a été - c’est coché «père». C’est vous qui cochez ça?
R. Je ne peux pas vous dire. J’ai … moi j’aurais coché «père et mère».
«Père», parce que … en tout cas.
Je ne peux pas … ça, honnêtement, là, je …
Q. Ça, vous ne le savez pas?
R. Je ne pourrais pas vous dire.
Moi j’avais coché «père et mère», là, mais …
Q. Parce qu’elle demeurait à la fois chez son père
puis chez sa mère à ce moment-là?
R. Non, elle demeurait avec moi. C’est parce qu’il
Fallait mettre l’adresse à papa pour qu’[Y]
puisse aller à [École A].
Q. C’est à des fins administratives?
R. Oui.
Q. Très bien.
R. C’est ça.
Q. Ensuite, page 13, on voit «l’élève demeure» -- là on est à la demande d’inscription... d’[Y] :
«À [École A]».
R. Hum. Pour la sixième (6e) année.
Ça, c’est encore moi qui a un changement d’adresse, toujours sur l’autre rive, là.
Q. «L’élève demeure avec».
Puis là c’est coché «garde partagée».
R. Encore une fois…
Q. Encore une fois, ce n’est pas vous? Ce n’est pas vous?
R. Je ne peux pas vous dire, Monsieur le juge. Honnêtement, là - bien, c’est parce que ça fait quelques années, là.
Q. Mais une chose est sûre, ce n’est pas vous.
Vous, vous n’avez jamais dit à aucune commission scolaire que c’est «père et mère»?
R. Moi je cocherais «père et mère», puis je vois qu’il n’est pas coché, là, puis il n’est pas hachuré.
Q. Non, c’est coché «garde partagée».
R. C’est ça.
Q. Mais ce n’est pas vous qui avez écrit ça?
R. Ça serait... moi j’aurais coché «père et mère» si
j’avais coché quelque chose, là.
Q. O.K. Donc, ce n’est pas vous en page 13 non plus.
Mais tout le reste du document, c’est votre
écriture?
R. Oui.
Q. Très bien.
[28] Le juge administratif Leclerc réagit par la suite avec rigueur au fait que Mme Poitras souligne que Mme Tétrault, une cousine de M. X aurait fait une fausse déclaration (page 55).
[29] Il souligne, à l’audience devant le Comité, que ses propos n’auraient pas dus être tenus, qu’il n’aurait pas dû remettre en question le jugement concernant la pension alimentaire rendu le 10 avril 2015 de la juge Armstrong (transcription d’un jugement rendu séance tenante le 21 janvier 2015) (pages 55, 56, 59, 63, 64 et 69).
[30] Selon le juge administratif Leclerc, quand on fait une accusation de fausseté « c’est une bombe » car le jugement ne dit pas cela (pages 56, 59, 62, 63 et 64). Il reconnaît à l’audience du Comité qu’il n’aurait pas dû réagir ainsi.
[31] Mme Poitras souligne qu’elle voulait expliciter sa pensée sur la crédibilité de Mme Tétreault, mais qu’elle s’est sentie critiquée, jugée et rabaissée et elle ne trouvait pas que le juge administratif était à l’écoute.
4e extrait pages 63 à 70
Vous me dites oui, et vous me produisez un document daté du dix (10) avril qui constitue la transcription du jugement rendu, séance tenante, le vingt et un ((21) janvier deux mille quinze (2015).
Et là, à bon droit, le procureur dit : «Bien, vous faites référence à quel paragraphe de ce jugement-là qui affirmerait que le document de madame Tétrault serait un faux?»
Et là, vous nous dites : «Bien, c’est pas dans ce document-là.»
R. Non, mais je me suis comme...
Q. Quel est le premier document que vous m’exhibiez,
là?
Vous me disiez : «J’ai lapreuve que c’est un faux.»
R. Bien non, mais... non, mais...
Q. Ce que vous avez dans les mains, c’est quoi?
R. Ça, c’est le jugement...
Q. C’est la page 7?
R. C’est le jugement de madame la juge qui considère
que monsieur a produit un faux document mais c’est
pour autre chose.
Q. C’est à quel page du jugement?
R. C’est la page 7.
Q. Quel paragraphe?
R. Le premier paragraphe.
Q. «À cet égard, le Tribunal considère que la cessation d’emploi de monsieur en date du 5 décembre est organisée avec la complicité de sa mère en prévision de l’audition fixée les 20 et 21 janvier.
En effet, madame [X], la mère de monsieur, est signataire de son avis de cessation d’emploi.»
R. Paragraphe 36 :
«Voici pourquoi le Tribunal en arrive à cette conclusion.
Monsieur travaille depuis 99 pour l’entreprise d’imprimerie de sa mère qui en est présidente et actionnaire majoritaire.
Monsieur dit qu’il occupait le poste de directeur d’usine et que, suite à d’autres mises à pied en décembre 2014, il ne restait qu’une seule employée dans l’entreprise, soit la comptable, et que ce sont maintenant ses parents qui dirigent l’usine avec le concours d’un travailleur autonome, encore sous contrat avec l’entreprise».
Q. Quel est le lien avec la déclaration de madame Tétrault?
R. Il n’y en a pas, Monsieur le juge, c’est ce que je vous dis.
Je vous ai remis ça, mais c’est un autre...
Q. Bien oui mais, c’est parce que ce que vous
annoncez -- il faut que les babines suivent les bottines, madame Poitras.
Vous annoncez que la preuve que... vous m’annoncez que la page 19 est un faux document, que vous entendez en faire la preuve.
Vous me produisez un document, puis je vous demande de m’expliquer où est-ce qu’on voit ça. Vous savez, quand un Tribunal rend une décision, s’il avait considéré que madame Tétreault avait produit un faux, il l’aurait écrit, non?
R. Là je vous ai...c’est parce que ce qui a été produit...
Q. Donc, la preuve que vous me produisez sous R-1 n’est absolument pas pertinente pour les fins de déterminer si le document, en page 19, est un faux.
Vous me produisez un autre document, que je cote sous R-2, qui est un «Avis relativement à l’objection de la déclaration écrite de Nancy Tétrault pour tenir lieu de témoignage».
- - - - -
PIÈCE R-2 PRODUITE
- - - - -
C’est ce qu’on appelle, communément dans le jargon, un 294.1 ou la réponse à 403. C’est technique mais ce n’est pas...
Et là, vous voulez faire la preuve de quoi, par rapport à tout ça?
R. Bien, que madame Tétrault -- bien, parce que lettre, qui est indiquée à la page 19, est signée de madame Tétrault.
Q. Oui.
R. Donc, madame Tétrault, ce que je voulais vous démontrer, c’est qu’elle est en mesure de produire des documents et de se faire assermenter pour dire des choses dans le but d’avantager monsieur mais ces choses-là ne sont pas réelles.
Q. O.K. Donc, madame Tétrault ment?
Dans son document, quand elle dit :
«La présente est pour vous attester que je suis la cousine de [X] ».
Bon. Ça, c’est vrai?
R. Hum hum.
«Monsieur [X], date de naissance, […]».
J’imagine que ça c’est vrai aussi?
R. Oui.
Q. «Que nous le voyons régulièrement».
Ça c’est … vous ne pouvez pas savoir ça bien bien.
«En conséquence, nous pouvons confirmer que ce dernier a la garde partagé une semaine sur 2, du vendredi au vendredi, de sa fille [Y], et ce, depuis octobre 2008.
Nous serons disponibles afin de répondre à toutes les questions concernant la présente.
Espérant le tout conforme».
Puis là, vous me dites, qu’est-ce qui est écrit là ce n’est pas …
R. Bien, ce que je vous dis, c’est que madame Tétrault - le document que je vous ai remis en P-2 - démontre qu’effectivement, pour avantager monsieur, elle est capable de composer …
Q. Non, ce n’est pas ça du tout que R-2 démontre. R-2 démontre simplement que votre avocate a refusé de reconnaître, comme étant véritable, la déclaration écrite produite.
Ce que ça entraîne comme conséquence, c’est l’obligation, pour la personne qui veut faire la preuve de la déclaration écrite, de l’assigner au procès puis de la faire entendre par le Tribunal. C’est tout.
Ce document-là ne prouve pas la fausseté de quoi que ce soit, là. Ça dit que votre avocate n’est pas d’accord à reconnaître la véracité d’un document, tout comme vous, vous n’êtes pas d’accord avec la véracité de ce qui est écrit.
Mais faites attention, madame Poitras. On est sous enregistrement actuellement, et ce que vous faites, là, là, vous dites qu’une travailleuse sociale a fabriqué un faux document.
C’est extrêmement grave ce que vous portez comme accusation.
R. Bien, c’est parce que si on regarde …
Q. Et vous me dites que ça a été reconnu par un jugement quand je vous questionne là-dessus et, après vérification, il s’avère que ce n’est pas vrai.
Ce n’est pas ça que le jugement dit, puis je peux prendre un temps pour me retirer, pour prendre connaissance du jugement total de la juge Armstrong, mais je vous invite, à ce stade-ci, soit à rétracter vos propos, qui sont hautement diffamatoires, voire vexatoires à l’endroit d’une professionnelle, que je ne connais pas d’ailleurs, ni d’Ève ni d’Adam, là mais je n’accepte pas, dans mon Tribunal qu’on essaie de me rouler dans la farine. Ça, c’est non.
R Mais je n’essaie de vous rouler dans la farine.
Q. Bien oui, parce que vous me dites qu’un jugement a reconnu que madame fabrique des faux documents. Or, le jugement que vous me produisez, il ne démontre pas ça; il ne conclut pas ça. À moins que vous m’indiquiez à quel endroit, puis dans quel page, comme le procureur de la Régie des rentes vous a demandé : « À quel endroit on a écrit ça dans le jugement?»
La juge Armstrong, est-ce qu’elle l’a vue madame Tétrault? Est-ce qu’elle a pu entendre son témoignage? Non.
Comment voulez-vous que je conclus que le document, en page 19, est un faux document, alors même que la juge Armstrong n’a même pas statué sur cette question-là. Franchement!
Je vais aller lire le jugement.
Suspension.
[32] Mme Poitras souligne alors qu’elle ne peut s’exprimer concernant la situation qu’elle décrit à l’égard de Mme Tétrault, elle se plaint du ton suggestif du juge administratif Leclerc. À ce sujet, l’écoute de l’audience démontre que le juge administratif Leclerc utilise un ton agressif envers Mme Poitras, qu’il s’exprime de manière irrespectueuse à son égard et l’empêche de s’expliquer tout en haussant le ton avant de lui lancer un « dernier avertissement » dans lequel il conclut : « Je vous avertis, madame Poitras, je n’accepterai pas qu’on me roule dans la farine » avant de suspendre pour lire le jugement de la juge Armstrong.
[33] Après cette pause, lors de l’audience du 15 juillet, le juge administratif Leclerc explique qu’il transmettra le jugement à M. X, ce qui explique la réouverture d’enquête qu’il a faite à la suite de l’audience.
[34] Au retour du juge administratif, Mme Poitras s’explique sur la garde de sa fille (page 71 et suivantes). Mme Poitras devient alors émotive et commence à pleurer. Les extraits pertinents des notes sténographiques démontrent le comportement du juge administratif Leclerc à cet égard :
5e extrait pages 73 à 76
R. Sauf que j’ai ajouté aussi que, malheureusement, [Y] puis papa n’avaient pas une bonne relation -- je m’excuse. [Y] puis papa n’ont...
M. [X]
mis en cause :
Pleurer... elle va pleurer.
R. Ils n’avaient pas une bonne relation.
Me CARL LECLERC, juge administratif :
Q. Vous la connaissez bien, monsieur [X].
Effectivement, madame Poitras se met à pleurer.
M. [X]
mis en cause :
O.K.
R. Il n’y avait pas une bonne relation.
Me CARL LECLERC, juge administratif :
Q. Mais ça, vous savez, la relation entre [Y] puis son père…
R. Non non, je le sais.
Q. Puis, monsieur va me dire la même chose par rapport à votre relation avec votre fille.
R. O.K. Je vais vous expliquer pourquoi. O.K.?
M. [X]
mis en cause :
Oui.
Me CARL LECLERC, juge administratif :
Q. Je ne pense pas que ce soit vraiment pertinent, mais brièvement.
R. O.K. Vous allez comprendre.
La relation était difficile...
Q. Je pense qu’il y a une relation difficile, effectivement, c’est celle entre Nadia Poitras et [X]. Puis ça, là, la première victime de ça, là, s’appelle [Y].
R. Hum hum.
M. [X]
mis en cause :
R. Oui.
Me CARL LECLERC, juge administratif :
Q. C’est triste, c’est pathétique qu’il en soit ainsi.
M. [X]
mis en cause :
Oui.
Me CARL LECLERC, juge administratif :
Q. Puis les messages qui vous ont été envoyés par la Cour supérieure, manifestement, vous ne les avez pas compris.
Continuez votre témoignage, s’il vous plaît.
R. Ensuite... bien, c’est ça. Malgré l’entente, à plusieurs reprises [Y] ne pouvait pas aller chez papa.
M. [X]
mis en cause :
Hein?
Me CARL LECLERC, juge administratif :
Q. Parce que son père lui confisquait la clé de son domicile. C’est ça?
R. Exactement.
Q. C’est tout écrit, ça.
Je vous répète, là, j’ai pris connaissance de toutes les pages du dossier.
R. Hum hum.
Q. J’ai lu toutes vos lettres, toutes les lettres de vos témoins, les lettres que vous avez faites faire par vos enfants. J’ai tout lu ça. Par votre ex-bru, j’ai tout lu ça.
R. O.K.
[35] Mme Poitras reproche par la suite au juge administratif Leclerc d’avoir été ironique et d’avoir fait part de ses opinions personnelles. Elle fait état aussi de la posture du juge administratif lorsqu’il a confirmé à M. X qu’effectivement elle s’était mise à pleurer. Le Comité note le manque de courtoisie et la partialité du juge administratif Leclerc. Il témoigne à la place de Mme Poitras alors que lui-même souligne qu’il est là pour écouter :
6e extrait page 76
Q. Puis, si vous voulez qu’on fasse le tour, on va le faire, là. Je vous laisse aller, mais je vous le dis, là. Je la connais bien, la situation, puis je suis... mais je suis là pour vous écouter sur votre version des faits.
R. O.K.
Q. Et c’est ça qu’il faut que vous me disiez, pas commencer à commenter, là.
Vous avez passé beaucoup de temps à commenter les choses de monsieur.
concentrez-vous sur les vôtres, c’est ça qui m’intéresse.
[36] Le juge administratif Leclerc explique, à cet égard, qu’il a réagi ainsi car M. X était au téléphone et qu’il n’aurait pas dû faire ce commentaire. Il reconnaît qu’il aurait dû faire une pause lorsque Mme Poitras s’est mise à pleurer.
[37] Lors du témoignage du juge administratif ce dernier explique, en ce qui concerne le témoignage de Mme Poitras, qu’il voulait recadrer le débat.
[38] Par ailleurs, le juge administratif Leclerc reproche à Mme Poitras d’affirmer que M. Michel Pierre est un fabricateur de document. Il explicite que son commentaire était gratuit même non souhaitable, mais que son objectif visait l’obtention de la version de Mme Poitras.
Voici l’extrait pertinent des témoignages :
7e extrait pages 79 à 81
Q. Est-ce que Michel Pierre est aussi un fabricateur de faux documents, selon vous ?
R. La seule chose que je peux vous dire, Monsieur le juge, c’est que monsieur Michel Pierre, effectivement, on l’a rencontré à plusieurs reprises.
Moi-même, de mon côté, quand j’ai quitté pour [Ville A], j’ai rencontré Michel, monsieur Michel Pierre pour le mettre au courant de ma décision.
M. [X]
mis en cause :
Hum.
R. C’est quelqu’un qui a été très impliqué dans notre dossier, c’est quelqu’un qui a été très important pour moi; il nous a aidés beaucoup. Puis j’ai mis, à ce moment-là, Michel Pierre au courant des démarches de monsieur concernant la garde partagée, puis …
Me CARL LECLERC, juge administratif :
Q. Vous êtes à quel moment?
R. Je lui ai présenté la lettre de la Régie des rentes, justement, qui démontrait … qui me demandait de fournir des documents, puis tout ça. Puis, à ce moment-là, et je vous l’affirme solennellement …
M. [X]
mis en cause :
R. Hum hum.
... c’est plate que monsieur Michel Pierre n’ait pas été assigné aujourd’hui...
Me CARL LECLERC, juge administratif :
Q. C’est vous qui êtes maître de votre preuve, vous n’aviez qu’à l’assigner si vous vouliez qu’il témoigne. Ce n’est pas …
R. Non, mais c’est un témoin de monsieur.
Q. Non. Si vous pensiez que des choses auraient pu être dites, là, c’est vous qui avez le pouvoir de l’assigner, là.
Ce n’est pas un témoin de monsieur. Monsieur est mis en cause, vous êtes la requérante. C’est vous qui n’êtes pas d’accord avec la décision. Monsieur est capable de vivre avec la décision. Si vous vous désistez de votre recours aujourd’hui, hein, c’est un choix unilatéral que vous allez faire. Monsieur, lui, il va vivre avec la décision qui a été rendue.
Il ne l’a pas contestée, lui, la décision. C’est vous qui la contestez. C’est vous qui avez le fardeau de prouver qu’elle n’est pas bonne, cette décision-là.
R. O.K.
Q. Donc, qu’est-ce que vous avez à me dire sur Michel Pierre?
R. Bien...
Q. Est-ce que c’est un faux document, le document du seize (16) janvier deux mille quatorze (2014), qu’on retrouve à la page 70 du dossier?
R. Bien, moi, ce que monsieur Michel Pierre m’a mentionné lorsque je l’ai rencontré avant notre départ au mois d’août, monsieur Michel Pierre…
[39] Relativement aux commentaires sur le fardeau de
preuve et à l’absence de M. Pierre, le juge administratif Leclerc souligne
qu’il a fait « de l’éducation » et que ce n’est pas « dénigré »
considérant l’application de l’article
[40] Plus loin, Mme Poitras reproche au juge administratif Leclerc, ses propos au sujet de la garde partagée en ce qu’ «il tient des propos offusquants et qu’il traite sa famille de dysfonctionnelle», des propos pourtant jamais écrits par la juge de la Cour supérieure :
8e extrait pages 84 à 89
Ce qu’elle dit, là, en page 71, madame [L]., là …
R. Hum hum.
Q. ... c’est que l’enfant est en garde partagée avec une fréquentation de, à partir du vingt-deux (22) octobre deux mille huit (2008), cinq (5) jours par semaine.
R. Hum hum.
Q. Et le père, à partir du vingt-six (26) octobre, aucun besoin du service de garde.
R. Hum hum.
Q. Ça vient juste confirmer, dans le fond, ce que monsieur se tue à dire depuis toujours, c’est-à-dire que l’enfant est en garde partagée. C’est ça que ça confirme, là.
Madame [L]., elle, est-ce qu’elle a... elle a-tu couché avec monsieur? C’est-tu une parente éloignée? C’est-tu une cousine de la fesse gauche? Est-ce qu’elle fait partie d’un complot ourdi pour vous nuire, madame Poitras?
Qu’est-ce que vous en dites de ça?
Parce que moi, ces éléments-là, ça m’apparaît que des éléments tierces.
R. Hum hum.
Q. Tu sais, ça, là, ce n’est pas des gens qui ont un intérêt à venir dire X ou Y ou Z.
Eux autres, là, ils font... ils travaillent pour le service de garde.
Elle écrit, elle, quel l’enfant est en garde partagée, comme monsieur Pierre écrit : bien, moi je suis travailleur social, j’ai suivi cette famille-là, qui est dysfonctionnelle, hein?
Il faut appeler un chat un chat, là.
R. Hum hum.
Q. Hein, des parents qui ne sont pas capables de se parler, là, c’est une dysfonction familiale, ça. Donc, lui il a suivi cette famille dysfonctionnelle-là pendant un certain temps, puis il nous écrit, en janvier deux mille quatorze (2014), que selon... non seulement ses observations mais aussi «les renseignements obtenus des parents». Ça, ça vous inclut. Bien, «cet enfant-là est en garde partagé une semaine/une semaine», c’est ça qu’il écrit, puis c’est ça l’objet du litige.
Ça fait qu’il faut que vous démolissiez ça avec une déchiqueteuse, madame Poitras, là, parce que ça c’est des preuves indépendantes.
Vous allez... je ne m’attends pas à ce que vous veniez me dire aujourd’hui que vous finissez par jeter la serviette, pour dire : ah! finalement, vous avez bien raison.
Ça fait des années que vous vous tuez à dire à la Régie que vous avez la garde exclusive d’[Y].
Monsieur, lui, ça fait des années qu’il dit le contraire. On a donc deux (2) versions totalement contradictoires, mais...
C’est un peu dans cet esprit-là que la Régie vous a écrit, en disant : ça nous prendrait des lettres de gens qui sont peut-être un peu à l’extérieur, hein, faisant peut-être, au passage, de nous remettre à monsieur qui avait envoyé des documents de sa famille, puis...
Mais ce n’est pas un reproche. Lui, il a fait ça dans une perspective de documenter, comme vous, vous l’avez fait en allant chercher votre fils puis sa blonde, son ex-blonde en plus, puis...
Tu sais, la Régie est pognée avec ça, elle est au prise avec deux (2) versions totalement contradictoires.
Moi, mon job à moi, là, c’est de déterminer qui, dans cette salle, ment. C’est ça ma job, dans le fond.
[41] Le juge administratif Leclerc souligne à ce propos qu’il comprend des commentaires de la juge Armstrong que la famille de Mme Poitras est dysfonctionnelle. Il reconnaît cependant que ce sont « ses mots » et non ceux de la juge. Il s’interroge sur le fait d’impliquer un enfant dans un litige pour une somme de plus ou moins 2000 $.
[42] L’écoute de l’enregistrement démontre par la suite que le juge administratif Leclerc s’est exprimé de manière personnelle, partiale, que le ton a monté et qu’il a émis des reproches à l’égard de la preuve de Mme Poitras et qu’il témoigne longuement à propos du litige en ces termes :
9e extrait pages 90 à 95
Q. ... qui a travaillé avec vous du mois de mai deux mille onze (2011) au mois de décembre deux mille onze (2011). Ça, c’est pendant presque six (6) mois, une demi-année.
Durant ce suivi, trente et une (31) rencontres ont été réalisées. Ça, ça veut dire que le travailleur social s’est rendu faire des rencontres de travailleur social avec une famille.
Puis, dans le cadre de son suivi, il a collecté des observations. Il a un dossier à votre nom, hein, qui est encore possiblement, physiquement, existant.
Vous auriez pu assigner monsieur Pierre, par subpoena, d’apporter avec lui son dossier. On aurait pu le voir à ce moment-là.
Il tient ça d’où, lui, l’histoire que vous êtes en garde partagée? Il as-tu inventé ça? C’est-tu le collègue de bureau de madame Tétrault qui, frustré du fait d’avoir à subir une plainte de votre part, contre elle, dans le cadre de l’exercice de sa profession, a pu demander à son «chummé/chummé», Michel Pierre, de vous faire une jambette en donnant raison à monsieur [X]?
Je ne le sais pas. Mais vous savez, on pourrait passer la journée à faire des hypothèses, mais ça ne fait pas preuve ça. Hein?
Tout ce qu’on sait, là, c’est que vous avez mis beaucoup d’énergie dans ce dossier-là, puis beaucoup d’énergie dans le litige que vous entretenez depuis trop longtemps avec le père de votre enfant. Puis aujourd’hui, vous êtes aux prises avec une réclamation, que vous contestez vigoureusement, mais pour laquelle vous n’êtes pas en mesure de démolir les deux (2) preuves indépendantes et distinctes qui sous-tendent la décision.
Ça peut être ça le constat, là. C’est difficile ce matin, là. Qu’est-ce qu’on fait avec ça?
Moi, comment je fais, comme juge, là, pour écarter la lettre du seize (16) janvier deux mille quatorze (2014), puis celle du vingt (20) janvier deux mille quatorze (2014)?
C’est «down the line», là, c’est ce qu’il me reste, hein, parce qu’après ça... j’écoute votre témoignage, qui est conforme à ce que vous avez toujours dit. Monsieur [X] va me raconter la même histoire qu’il a déjà écrite. C’est drôlement documenté, là. C’est écrit. Il ne va pas me dire … il ne va pas m’inventer une histoire différente de ce qu’il a écrit, puis vous non plus. Je ne m’attendais pas à ça ce matin.
C’est pour ça que je m’attarde à ces deux (2) éléments-là qui, eux autres, m’apparaissent un peu plus détachés, un peu plus dégagés, même si vous... si j’enlève du dossier les éléments qui sont en lien avec monsieur.
Parce que je peux comprendre que sa cousine elle a intérêt à donner un coup de main à son cousin. Ça, je suis capable de comprendre ça, puis je peux comprendre que madame Tétrault a peut-être même tourné les coins ronds, possiblement, en raison des liens d’amitié, des liens d’amour, des liens familiaux qui ont pu s’entretenir avec votre fille et son cousin.
Tu sais, ça demeure la fille de son cousin, votre petite fille. Bon. Puis semble-t-il qu’ils se fréquentaient en plus en dehors de... dans la vie, là. Ça fait que, elle, elle en témoigne, elle dit: «Je l’ai vue, j’ai soupé avec elle le vendredi».
Vous, vous dites que votre fille n’a jamais passé le vendredi là.
R. Non, je ne vous dis pas qu’elle n’a jamais de vendredi là.
Q. Non mais vous dites : deux (2) dodos; deux (2) dodos, deux (2) jours, là, tu sais; il y a un paquet de monde qui ont conté des menteries pour monsieur [X], là; ça doit être un individu drôlement convaincant pour avoir convaincu autant de monde de mentir de façon éhonté.
Tous ces gens-là c’est tous des menteurs, selon votre théorie, là. Les seuls qui disent la vérité c’est vous, puis votre fils.
R. La seule chose que je peux vous dire, Monsieur le juge, c’est qu’effectivement, je pense qu’il y a plusieurs personnes qui ont voulu aider monsieur [X], puis c’est marqué, là, dans la lettre même de madame Tétrault.
Q. Mais c’est fait dans ce but-là, bien sûr. C’est fait dans le but de l’aider parce qu’il est aux prises avec une dame qui contredit ce que lui considère comme étant la réalité. Tout comme vous. Des gens qui sont venus à votre aide, il y en a. Hein? Votre fils, votre ex-belle-fille.
R. Oui, mais c’est des gens qui ont vécu avec moi.
Q. Lui aussi.
R. Bien...
Q. C’est ses voisins, c’est ses amis, c’est le grand-père de votre fille.
Vous êtes en train de me dire que vous allez rentrer votre fille dans la boîte aux témoins, là, puis elle va prêter serment, puis elle va venir me dire, sous serment, que son grand-père c’est un menteur, que son oncle c’est un menteur, que sa grand-mère c’est une menteuse, que la cousine de son père c’est une menteuse, que monsieur Pierre est un menteur, que madame…
Vous comprenez la situation dans laquelle vous placez vous-même votre fille aujourd’hui, là?
R. Je…
Q. Ça va être... ça ne sera pas plaisant, je vous le dis tout de suite, parce qu’elle va être confrontée, cette enfant-là. Puis elle a déjà été confrontée, ça apparaît de tous les jugements, de toute votre situation.
R. La seule preuve...
Q. Je suis loin d’être certain que c’est pertinent, au moment où on se parle, de faire entendre [Y], parce que je pense qu’[Y] a pu subir des influences elle aussi. C’est triste qu’il en soit ainsi.
R. La seule raison pourquoi qu’[Y] est ici ce matin, Monsieur le juge, c’est pour expliquer la situation. Si on s’est rendu avec monsieur Michel Pierre, s’il y a eu une demande de plan d’intervention faite à l’[École A], ce n’est pas pour rien.
Q. Je le sais. Votre enfant, elle a souffert énormément de la situation que vous lui... dans laquelle vous l’avez, vous et monsieur [X], conjointement, hein?
Il y a des messages qui vous sont envoyés sur l’autorité parentale, sur la communication. Manifestement, là, vous ne les comprenez pas, ces messages-là, parce que la première chose que vous me demandez ce matin, là, c’est de ne pas dire votre adresse à monsieur.
Comprenez-vous dans quel contexte vous placez cette enfant-là? Ça s’appelle un conflit de loyauté, ça, madame Poitras. Rien d’autre.
[43] Le juge administratif Leclerc souligne que ses propos relativement à la fille de Mme Poitras n’étaient pas souhaitables, mais que son objectif visait la protection de l’enfant.
[44] Le juge administratif Leclerc rappelle quant à l’extrait ci-haut que ses propos relatifs à la communication à l’adresse de la mère concernaient le jugement de la Cour supérieure qui indiquait que la mère devait faire connaître son adresse, alors que celle-ci indique que son adresse est confidentielle. Une lettre du 16 avril 2014 de la Régie des rentes confirme ce fait. Le juge administratif Leclerc admet que ce qu’il a dit à ce moment n’était pas souhaitable.
[45] Mme Poitras reproche maintenant au juge administratif Leclerc d’avoir questionné M. X alors qu’elle menait l’interrogatoire et de l’avoir empêché d’aller au fond de ses questions en intervenant et en répondant à la place de M. X dans l’extrait suivant :
10e extrait pages 107 à 111
Me CARL LECLERC, juge administratif :
Mais je ne comprends pas la... vous niez ça que l’enfant allait diner chez son père?
Mme NADIA POITRAS
requérante :
Non non non, ce n’est pas ça. C’est parce que...
Me CARL LECLERC, juge administratif :
Bon. Bien, ça sert à quoi, cette question-là?
Mme NADIA POITRAS
requérante :
C’est juste parce que [Y] elle avait des heures de diner quand même particulières, là, qui étaient de midi et vingt-cinq (12 h 25)...
Me CARL LECLERC, juge administratif :
Mais ça change quoi? Vous niez même pas le fait qu’elle allait diner chez monsieur.
Mme NADIA POITRAS
requérante :
Non.
Me CARL LECLERC, juge administratif :
Puis la Régie des rentes ne considère pas que... comme prépondérante...
Mme NADIA POITRAS
requérante :
Non, mais c’est parce que...
Me CARL LECLERC, juge administratif :
... la question des diners, là. Vous allez où avec ça? C’est une question de crédibilité, parce que vous voulez prouver que monsieur c’est un menteur?
Mme NADIA POITRAS
requérante :
Non non non non, c’est pas ça.
Me CARL LECLERC, juge administratif :
Bon, bien, c’est quoi l’objectif à ce moment-là?
Mme NADIA POITRAS
requérante :
C’est de démontrer que je...dans le fond, la Régie des rentes, là, l’allocation familiale, c’est pour le parent qui s’occupe de l’enfant, qui voit au bien-être de l’enfant.
Me CARL LECLERC, juge administratif :
Oui, oui.
Mme NADIA POITRAS
requérante :
Ça, on est d’accord à ce niveau-là.
[Y], sur les heures de diner, quand, justement, elle n’avait pas sa clé... [Y] c’est une petite fille que, si elle n’avait pas sa clé, elle ne mangeait pas. Puis ça, papa il le savait très bien. Elle ne voulait pas diner à l’école, elle ne voulait rien savoir de manger à l’école. Elle voulait juste manger…
Me CARL LECLERC, juge administratif :
Bien oui, mais ça change quoi? C’est arrivé trois, quatre (3-4) fois qu’il l’a punie en lui enlevant sa clé parce qu’elle foutait le bordel chez eux. Bon. Vous n’êtes pas d’accord avec cette méthode éducative-là, soit, là. Je comprends ça, là, mais ce n’est pas le bon débat ici, là. Puis ce n’est pas... je n’ai pas à trancher ça, moi, là, là. Je n’ai pas à trancher si monsieur avait raison ou non d’employer une méthode comme celle-là, qui m’apparaît questionnable mais... que voulez-vous, c’est son choix...
Mme NADIA POITRAS
requérante :
O.K.
Me CARL LECLERC, juge administratif :
... puis il me dit qu’il a fait ça parce qu’elle foutait le bordel. Bon. On a notre seuil de tolérance chacun, puis...
Mme NADIA POITRAS
requérante :
O.K.
Me CARL LECLERC, juge administratif :
Mais continuez avec vos questions mais peut-être s’attarder...
Mme NADIA POITRAS
requérante :
O.K. O.K., je vais vous poser une autre question.
Me CARL LECLERC, juge administratif :
... sur des éléments qui peuvent être déterminants.
Mme NADIA POITRAS
requérante :
Q. Comment que ça se passait quand [Y] était avec vous?
R. Je ne comprends pas la question.
Me CARL LECLERC, juge administratif :
Q. Comment ça se passait, la garde partagée? Ça allait-tu bien?
R. Oui, ça allait bien.
Q. Bon. Prochaine question.
[46] À ce sujet, le juge administratif Leclerc souligne qu’il a reformulé des questions pour mieux comprendre et qu’il a gardé un esprit ouvert car il ignorait quelle version des parents retenir jusqu’au témoignage de l’enfant.
[47] À une question posée par Mme Poitras, on note que le juge administratif Leclerc répond à la place de M. X. Puis, l’interrogatoire se continue alors que le juge administratif continue ses interventions incessantes, commente le jugement de la Cour supérieure et requiert de la plaignante qu’elle pose des questions pertinentes:
11e Extrait pages 116 à 119
Me Carl Leclerc, juge administratif :
Q. Bien, c’est parce qu’il y a eu un plan d’intervention, puis votre enfant avait eu des problèmes à l’école...
R. C’est ça.
Q. ... des troubles de comportement. C’est tout documenté, ça, madame [P]. Vous allez vous avec ça? Monsieur [X] il ne va pas nier ça. C’est écrit dans le dossier qu’il y a eu un plan d’intervention.
Mme NADIA POITRAS
requérante :
Ce que je veux dire, Monsieur le juge, c’est qu’on a eu à rencontrer madame [P] suite à une situation...
Me CARL LECLERC, juge administratif :
Difficile par rapport à l’enfant.
Mme NADIA POITRAS
requérante :
... qui s’est produite chez papa.
Me CARL LECLERC, juge administratif :
Ça ne change rien, ça. Ce n’est pas ça qui va me déterminer aujourd’hui s’il y a une garde partagée ou non.
Mme NADIA POITRAS
requérante :
Ce que je veux démontrer, que je veux vous dire, c’est que la relation elle était tellement conflictuelle, puis «conflictuelle» est un faible mot.
Me CARL LECLERC, juge administratif :
Je comprends, mais c’est pareil pour lui. Il dit la même chose de vous.
Mme NADIA POITRAS
requérante :
Oui, je suis d’accord.
Me CARL LECLERC, juge administratif :
Parfait. Passons à autre chose, là. Ce n’est pas déterminant. Madame [P] elle dit rien dans sa lettre.
Mme NADIA POITRAS
requérante :
Non non, je suis d’accord.
Me CARL LECLERC, juge administratif :
Bon. Puis quand bien même on m’expliquerait, là, que pendant six (6) ans il y a eu un suivi psycho-éducatif avec l’enfant, puis qu’elle a dû...
Mme NADIA POITRAS
requérante :
Là, il faut comprendre le...
Me CARL LECLERC, juge administratif :
... prendre une médication pour un trouble de déficit d’attention, qu’elle ait dû avoir recours à des services de psychologue parce que ses parents ne sont pas capables de se parler, hein, bien ça, ça ne changerait rien. Je suis capable de le lire, je suis capable de le constater. La Cour supérieure vous l’a écrit noir sur blanc : vous avez un problème, un problème de communication. Mais ça, ça ne semble pas... bien, ça ne semble pas percuter nulle part.
Continuez votre témoignage. Posez des questions pertinentes.
Mme NADIA POITRAS
requérante :
«Posez de squestions pertinentes».J’ai l’impression que tout ce que je dis ce n’est pas pertinent.
Me CARL LECLERC, juge administratif :
Effectivement ,il y a beaucoup de ce que vous dites qui n’est pas pertinent devant moi, parce que la décision quia été rendue, c’est une décision de la Régie des rentes du Québec.
Je ne suis pas un juge de la Cour supérieur en train de déterminer...
[48] L’écoute de l’audience démontre des marques d’impatience du juge administratif Leclerc, tel que le démontre l’extrait suivant relativement à la preuve présentée par Mme Poitras :
12e extrait pages 119 à 120
Me CARL LECLERC, juge administratif :
... il y a une décision qui a été rendue, vous n’êtes pas d’accord avec ça. Le coeur du noeud -- je reviens dans l’affaire, là --c’est est-ce que l’enfant était en garde partagée, oui ou non?
On a des versions diamétralement opposées des deux (2) parents.
Dans ce temps-là, il y a un réflexe naturel qui veut qu’on aille voir autre part, ailleurs. Puis dans cet ailleurs-là, il y a la page 70 et 71 qui m’apparaissent avoir été déterminantes. Je vous ai invitée à me faire vos représentations là-dessus. Vous êtes incapable de le faire par rapport à Michel Pierre, ni par rapport à madame [L].
Ça fait que là, je vous ai permise de poser des questions à monsieur [X], mais quand bien même vous m’étaleriez le dossier de votre enfant vis-à-vis les problématiques qu’elle a vécues... Je ne cherche pas de coupable, à savoir pourquoi...
Mme NADIA POITRAS
requérante :
Je ne cherche pas à faire de coupable ou quoi que ce soit, Monsieur le juge.
Me CARL LECLERC, juge administratif :
Bon, bien... c’est quoi que vous voulez prouver par là? Que l’enfant a eu des problèmes? C’est noté dans le dossier.
(49) L’écoute de l’enregistrement démontre également l’impatience du juge administratif Leclerc alors que Mme Poitras interroge M. X :
13e extrait pages 121 à 122
Me CARL LECLERC, juge administratif :
Q. Est-ce que le fait que votre conflit avec votre enfant vous a déjà empêché d’exercer une garde partagée, monsieur [X]?
R. Non.
Q. Prochaine question.
Mme NADIA POITRAS
requérante :
C’est incroyable.
Me CARL LECLERC, juge administratif :
Là vous venez de dire «c’est incroyable». Qu’est-ce qui est incroyable? Le fait que j’aie posé votre question que vous voulez poser?
Mme NADIA POITRAS
requérante :
Non non, ce n’est pas ça, ce n’est pas.
Me CARL LECLERC, juge administratif :
C’est quoi qui est incroyable?
Mme NADIA POITRAS
requérante :
C’est le fait que le conflit entre lui et [Y]...
Me CARL LECLERC, juge administratif :
Pensez-vous sérieusement qu’il va passer aux aveux
aujourd’hui?
[50] Le juge administratif Leclerc explique au Comité qu’il a reformulé les questions posées dans l’extrait précédent pour comprendre les enjeux et qu’il voulait garder un esprit ouvert car « il ignorait qui pouvait le convaincre jusqu’à ce que l’enfant du couple témoigne».
[51] Le comité note que le juge administratif Leclerc reprend alors les propos de la fille de M. X qui souligne à son père « Moi, je ne veux pas te parler » pour en conclure que le père a exagéré dans son témoignage puis pour dire qu’il ne croit ni l’un ni l’autre et qu’il doute de la version du père.
[52] Il réitère qu’il est désolé de la perception de la mère de se sentir rabaissée et humiliée car il n’est pas misogyne.
[53] Le Comité note aussi les interventions du juge administratif Leclerc dans l’extrait suivant alors que M. X était interrogé par Mme Poitras. Le juge administratif intervient à plusieurs reprises à propos de la relation de sa fille et de son père lors de l’épisode d’une visite du père à Ville A qui ne concerne pas la période visée par le litige :
14e extrait pages 130 - 131
Me CARL LECLERC, juge administratif :
Q. Oui, l’événement...
R. Après ça, j’ai été voir l’école...
Q. Ça n’a pas été facile, mettons...
R. Oui.
Q. ... comme épisode, là.
R. Ah! ça l’est pas plus.
Q. C’est documenté dans le jugement de la Cour supérieure.
R. Oui.
Q. Ça ne faisait pas votre affaire qu’il sache où vous restiez. Ça ne faisait pas votre affaire qu’il aille dîner avec votre fille, qu’il avait pris contact.
Mme NADIA POITRAS
requérante :
Je n’avais absolument rien contre le fait qu’il dine avec [Y].
Me CARL LECLERC, juge administratif :
Ça fait que la juge de la Cour supérieur elle a inventé ça?
Mme NADIA POITRAS
requérante :
Je n’avais rien contre le fait qu’il dine avec [Y]. Ce que j’avais contre le fait, c’est qu’effectivement il puisse débarquer chez nous n’importe quelle heure, n’importe quand, comme il avait déjà fait.
Me CARL LECLERC, juge administratif :
Là il n’est pas débarqué dans la nuit, là?
R. Ah! c’est pas vrai, Nadia. C’est pas vrai.
Q. Il n’est pas débarqué dans la nuit. Il est allé diner avec sa fille.
R. Bien non, j’ai appelé le matin, puis je...
[54] L’intervention policière à Ville A lors de la visite de M. X à Ville A (pages 130 à 137) a fait l’objet d’un long débat alors que le Comité note que l’objet du litige ne visait que la détermination de la garde d’Y.
[55] On retrouve également des commentaires du juge administratif Leclerc sur cet épisode relativement au comportement de Mme Poitras et de ses appréhensions à l’égard de la visite de M. X à Ville A alors que la fille de Mme Poitras vit avec elle dans cette ville.
15e extrait pages 150 à 158
Me CARL LECLERC, juge administratif :
Et l’épisode de police, là, d’appeler la police, puis de se mettre à pleurer, puis d’avoir peur de monsieur, c’est-tu vrai, ça?
Mme NADIA POITRAS
requérante :
Bien, j’ai une version totalement différente de la chose. Moi j’ai [Y] qui m’a appelée, j’étais en train de déjeuner au restaurant. Je venais d’arriver au Cochon Dingue avec mon ami pour déjeuner, puis j’ai [Y] qui m’a appelée puis qui m’adit :«Maman, maman, papa il s’en vient.» Là j’ai dit : De quoi, “papa il s’en vient”?»
Me CARL LECLERC, juge administratif :
Oui, il s’en vient chercher sa fille pour aller diner parce qu’ils ont convenu ensemble d’aller diner.
Mme NADIA POITRAS
requérante :
Juste un instant. Non, mais ça c’est pas... c’est pas l’histoire du diner à l’école, là. Puis...
Me CARL LECLERC, juge administratif :
Non non non, ce n’est pas l’histoire du diner à l’école.
R. Non, c’est le quatorze (14) février deux mille quatorze (2014).
Q. C’est l’histoire du diner de la Saint-Valentin. C’est l’histoire du dimanche, le quinze (15) février deux mille quatorze (2014).
R. Oui.
Q. Puis c’est à cette époque-là que vous avez appelé la police, parce que vous, vous aviez peur de monsieur.
Elle vient d’où cette peur-là?
Mme NADIA POITRAS
requérante :
J’ai téléphoné à la police parce qu’[Y] m’a appelée, alors que je m’apprêtais à déjeuner avec mon ami...
Me CARL LECLERC, juge administratif :
Je comprends, mais vous...
Mme NADIA POITRAS
requérante :
... pour me dire que papa...
Me CARL LECLERC, juge administratif :
... aviez-vous peur de monsieur [X]?
Quand il me dit ça, il me ment?
Quand il me dit que vous avez appelé la police en pleurant, puis que la police...
Mme NADIA POITRAS
requérante :
Moi j’ai appelé... oui, effectivement, j’ai appelé la police.
Me CARL LECLERC, juge administratif :
...puis que vous pleuriez, puis que vous vous êtes mise à pleurer, vous aviez peur de monsieur. C’est vrai, ça?
Mme NADIA POITRAS
requérante :
Moi j’ai appelé à la police pour leur dire que monsieur [X] était en route pour ma maison, qu’il a appelé même [Y]...
Me CARL LECLERC, juge administratif :
Oui.
Mme NADIA POITRAS
requérante :
... pour lui dire qu’il était sur le pont...
Me CARL LECLERC, juge administratif :
Oui.
Mme NADIA POITRAS
requérante :
... qu’il arrivait à [Ville A]...
Me CARL LECLERC, juge administratif :
Oui.
Mme NADIA POITRAS
requérante :
... qu’il ne s’était jamais...
Me CARL LECLERC, juge administratif :
Avez-vous parti à pleurer en disant que vous aviez peur de monsieur?
Mme NADIA POITRAS
requérante :
Je ne peux vous dire.
Me CARL LECLERC, juge administratif :
Vous ne pouvez pas me dire?
Mme NADIA POITRAS
requérante :
Non.
Me CARL LECLERC, juge administratif :
Ça ne fait pas dix (10) ans de ça, là.
Mme NADIA POITRAS
requérante :
Bien, monsieur...
R. Oui.
Me CARL LECLERC, juge administratif :
C’est la Saint-Valentin l’année passée. Vous vous rappelez plein de détails, puis ça date de deux mille huit (2008).
Vous m’avez juré sous serment tantôt que ce n’est pas vous qui aviez mis le crochet sur la question de la garde partagée, mais là vous appelez la police, en plein milieu deux mille quatorze (2014), vous ne rappelez pas de cet événement-là?
Mme NADIA POITRAS
requérante :
Bien, je me souviens de l’événement. Je parlais (inaudible).
Me CARL LECLERC, juge administratif :
Mais avez-vous parti à pleurer devant la police ou non?
Mme NADIA POITRAS
requérante :
Au téléphone?
Me CARL LECLERC, juge administratif :
C’est facile comme question, ça.
Mme NADIA POITRAS
requérante :
Au téléphone, je ne pleurais pas, je ne parlais pas avec la police.
Me CARL LECLERC, juge administratif :
Non, rendue sur place, quand vous êtes arrivée, vous vous êtes sauvée et rentrée dans la maison en pleurant, vous aviez peur de monsieur. Que c’est ça qu’il me raconte, lui. C’est-tu vrai ce qu’il me dit?
Mme NADIA POITRAS
requérante :
Quand je suis arrivée, la police n’était pas là. Moi je suis restée dans ma voiture, effectivement.
R. Oui. Tu te souviens-tu que j’étais en face quand que t’étais dans ton auto ?
Me CARL LECLERC, juge administratif :
Q. Attendez, c’est moi qui pose … attendez!
R. Excusez, O.K.
Q. Quand monsieur[X] relate, là, sous serment, il me dit : «Écoutez, elle est parti à pleurer, elle a fait un show».
Mme NADIA POITRAS
requérante :
Oui, mais j’avais … bien oui, je me souviens, parce que j’étais prise dans ma voiture.
Me CARL LECLERC, juge administratif :
Bon !
Mme NADIA POITRAS
requérante :
Il était de l’autre côté de la rue.
Me CARL LECLERC, juge administratif :
Bon. Pourquoi vous aviez peur de monsieur?
Mme NADIA POITRAS
requérante :
Bien, parce qu’il est débarqué, puis qu’il est venu à côté de moi.
Me CARL LECLERC, juge administratif :
Mais pourquoi vous aviez peur de lui?
Mme NADIA POITRAS
requérante :
Bien oui, mais...
Me CARL LECLERC, juge administratif :
Il y a-tu une épisode... il vous a-tu menacé avec un couteau? Il avait-tu une arme à feu? C’est-tu un violent dangereux?
Pourquoi vous aviez peur du père de votre enfant? Vous n’avez pas toujours eu peur de lui parce que vous avez fait un enfant avec lui. Ça fait qu’un moment donné, il a dû avoir une période -- peut-être qu’elle a été courte, là, je le sais pas --mais il était une période...
R. Oui.
Q. ... où vous n’avez pas eu peur de lui. C’est arrivé comment, cette peur-là? Une peur qui justifie un adulte de partir à pleurer!
Mme NADIA POITRAS
requérante :
C’est la façon que monsieur [X] peut partir d’un homme qui...
Me CARL LECLERC, juge administratif :
C’est son impulsivité qui vous a fait pleurer?
Mme NADIA POITRAS
requérante :
Oui.
[56] L’écoute démontre que le juge administratif Leclerc frappe sur son bureau à une reprise alors qu’il démontre de l’impatience tout en haussant le ton et qu’il coupe la parole à Mme Poitras.
[57] Continuant à questionner Mme Poitras, le juge administratif poursuit l’audience en démontrant des signes d’impatience en utilisant un ton sarcastique et en coupant la parole à Mme Poitras. De plus, il commente personnellement l’attitude de Mme Poitras dans sa relation avec le père de son enfant et poursuit l’interrogatoire sur la visite du père à Québec:
16e extrait pages 161 à 163
Me CARL LECLERC, juge administratif :
... parce que monsieur est un exécrable personnage, puis c’est à telle enseigne que vous avez dû appeler la police, parce que vous aviez peur de lui. Je comprends ça. Comment vous pouvez concilier le fait que vous nous racontez tout ça, que depuis ce matin vous me le décrivez, vous me le dépeignez, puis vous l’avez dépeint aussi devant toutes les instances possibles et imaginaires comme étant le pire des pères. Vous voulez me dire aujourd’hui que votre souhait le plus sincère ça aurait été qu’il y ait une belle relation entre lui et votre fille? Franchement! Je ne vous crois pas.
Continuez. Parce que ça, ça s’appelle vouloir dorer la pilule, madame Poitras.
Mme NADIA POITRAS
requérante :
Je n’essaie pas de rien dorer...
Me CARL LECLERC, juge administratif :
O.K.
Mme NADIA POITRAS
requérante :
...mais pas du tout. J’essaie juste de dire qu’est-ce qu’il en est, qu’effectivement, [Y]...puis, elle aussi elle aurait aimé ça passer du temps avec son père, puis encore aujourd’hui elle aimerait ça en passer du temps avec son père.
Me CARL LECLERC, juge administratif :
Hum. À telle enseigne qu’elle n’a même pas pu aller diner avec lui parce que vous avez appelé la police. Tu sais, comment vous conciliez ça? Vous voudriez qu’elle passe du temps de qualité avec son père mais, malheureusement, quand son père vient faire un tour à [Ville A], il traverse les quelques centaines de kilomètres qui le séparent de son enfant, il convient avec elle d’aller diner avec elle, puis il a pour accueil un accueil policier. C’est ça qu’il faut comprendre?
Puis ça, vous dites que c’est constant avec le fait de vouloir que votre fille établisse une relation?
Mme NADIA POITRAS
requérante :
Bien, la version que moi j’ai eue, c’est un appel de ma fille au restaurant comme quoi que papa était...
Me CARL LECLERC, juge administratif :
Que papa s’en venait.
Mme NADIA POITRAS
requérante :
... que papa s’en vient à la maison.
Me CARL LECLERC, juge administratif :
C’est ça qu’il me dit aussi monsieur [X]. Il me dit : «J’ai téléphoné à ma fille», qu’il m’adit.- «Je vais appeler maman.»
Mme NADIA POITRAS
requérante :
Puis que là papa il est avec Geneviève, puisqu’[Y] ne voulait pas voir Geneviève.
[58] Le juge administratif Leclerc commente personnellement le fait que la fille de Mme Poitras ne souhaitait pas voir la conjointe de son père dans l’extrait suivant :
17e extrait pages 163 à 164
Me CARL LECLERC, juge administratif :
Ah! Parce que là... voyez-vous, vous ne m’avez même pas dit ça tantôt.
Ça fait que vous, vous avez voulu protéger votre enfant de la méchante belle-mère, puis vous avez appelé la police en prétendant...
Mme NADIA POITRAS
requérante :
Je dis pas que c’est une méchante belle-mère, je ne la connais même pas. Je sais juste qu’il y a un conflit.
[59] Le Comité note également le ton moralisateur du juge administratif en ce qui concerne l’ampleur du dossier judiciaire de Mme Poitras :
18e extrait page 166
Me CARL LECLERC, juge administratif :
«Comme ça a toujours été», c’est ce qui explique que le plumitif, depuis quatre-vingt-dix-neuf (99), comporte cent trente-huit (138) pages. C’est ça?
Mme NADIA POITRAS
requérante :
[Y] ne tenait pas à voir Geneviève.
Me CARL LECLERC, juge administratif :
Non non, ça je vous ai entendu, là. Mais quand vous me dites «comme ça a toujours été»...
Tu sais, vous vous présentez comme étant une «facilitatrice» des belles relations entre un père et sa fille.
Mme NADIA POITRAS
requérante :
Je n’ai pas dit ça.
Me CARL LECLERC, juge administratif :
Mais le dossier dit totalement, mais totalement le contraire, madame. Totalement. Tu sais, on est rendu loin dans l’aventure, là, puis celle qui a le plus payé dans tout ça, là, c’est [Y]
[60] Le juge administratif Leclerc commente également ainsi les relations entre Mme Poitras et sa fille en se demandant s’il est utile d’entendre son témoignage car « elle a déjà assez souffert » :
19e extrait page 170, lignes 14 à 17
Me CARL LECLERC, juge administratif :
14 Je ne pense pas qu’on va faire entendre [Y], je
15 ne pense pas. Elle a déjà assez souffert
16 énormément de votre manque de communication
17 évident.
Puis, il commente :
20e extrait page 171 ligne 19 :
19 « Elle a été placée dans un contexte désagréable, d’être confrontée……
[61] Le juge administratif Leclerc explique au Comité qu’il a douté de la version du père à compter du témoignage de la fille lorsque celle-ci a témoigné car elle ne voulait pas parler à son père :
21e extrait page 124, lignes 14 à 21
14 J’ai dit : «[Y], j’ai dit, papa c’est pas des
15 troubles avec maman qu’il a». J’ai dit : «Papa,
16 c’est des troubles avec toi, ça fait que j’ai dit,
17 c’est avec toi que papa veut régler ça.»
18 Elle dit : «Moi je ne veux pas te parler».
19 Bien, j’ai dit : «Tu ne veux pas me parler? Bien,
20 je pense que t’as des affaires à vivre avec maman
21 à [Ville A]».
[62] Malgré ce fait, à la fin de l’audience, le juge administratif Leclerc conclut en commentant négativement le comportement de Mme Poitras envers sa fille compte tenu de son implication dans le litige :
22e extrait pages 217 à 219
Me CARL LECLERC, juge administratif :
Vous avez entendu votre fille comme moi, puis là ce que vous me demandez, c’est de conclure que votre fille est venue mentir devant moi?
M. [X]
mis en cause :
Oui.
Me CARL LECLERC, juge administratif :
O.K.
Puis j’imagine, madame Poitras, vous, vous dites que vous n’avez pas influencé votre fille d’aucune façon, puis qu’elle a rendu un témoignage libre et volontaire. C’est ça que vous nous dites?
Mme NADIA POITRAS
requérante :
[Y] vous a mentionné qu’effectivement elle est au courant de tout ce qu’il se passe parce que malheureusement, effectivement, je travaille beaucoup.
Me CARL LECLERC, juge administratif :
Vous avez empoisonné votre fille avec votre litige. C’est ça que vous avez fait.
Mme NADIA POITRAS
requérante :
Moi personnellement?
Me CARL LECLERC, juge administratif :
Oui, madame.
Mme NADIA POITRAS
requérante :
Vous êtes en train de m’accuser d’avoir empoisonné ma fille?
Me CARL LECLERC, juge administratif :
Empoisonné votre fille avec votre litige. Puis, monsieur [X], vous avez aussi empoisonné votre fille.
Vous êtes des parents qui avez, par votre comportement belliqueux, empoisonné votre fille, tout ça pour quelques centaines de dollars. C’est déplorable! Je ne peux que déplorer l’attitude de chacun des parents de cette enfant-là qui est venue et qui m’est apparue totalement démolie. Elle me dit elle-même : «Quand j’en parle pas, je va bien.» Il commencerait être sérieusement temps qu’on arrête de l’empoisonner, de lui empoisonner la vie avec vos litiges comme parents. Il serait sérieusement temps.
Puis, prenez ça comme vous voulez, madame Poitras, j’assume mes paroles. Je considère, tout comme la juge Armstrong, que cette enfant-là est la plus grande victime de votre chicane entre vous deux (2).
[63] Dans sa plainte, Mme Poitras reproche au juge administratif Leclerc de lui avoir parlé de cette manière et que ce dernier n’avait pas le droit de lui dire qu’elle avait eu un « comportement belliqueux tout ça pour quelques centaines de dollars».
[64] Le juge administratif Leclerc termine son témoignage relativement à ses propos à l’égard de Mme Poitras, quant à son influence sur le témoignage de sa fille et le fait que cette dernière ait été empoisonnée par le litige (pages 217-218) en expliquant que selon sa perception, la mère avait parlé à sa fille du présent conflit et qu’il s’agit d’une question monétaire.
[65] Mme Poitras réplique qu’elle a fait attention à ce que sa fille ne soit pas impliquée dans le dossier et qu’on ne peut lui reprocher ce fait.
[66] Le juge administratif Leclerc, à l’audience devant le Comité, reconnaît que ses propos n’étaient pas souhaitables mais qu’ils doivent être placés dans leur contexte car il ne voulait pas que l’enfant soit impliquée. Il ajoute qu’il voulait faire passer un message.
[67] Après avoir indiqué que la décision serait rendue dans les trois prochains mois, le juge administratif Leclerc requiert de Mme Poitras de ne pas impliquer son enfant dans la lecture de la décision en commentant personnellement les conséquences de cette lecture :
23e extrait page 219 ligne 21 à la ligne suivante 18
21 Une décision écrite sera rendue au cours des trois
22 prochains mois.
23 Et je vous demanderais d’avoir la décence de ne
24 pas impliquer votre enfant dans la lecture de ce
25 jugement. Ça ne la concerne pas.
1 C’est drôlement préoccupant que d’entendre une
2 enfant de cet âge-là venir s’effondrer lorsqu’on
3 lui pose une question.
4 Et bizarrement, hein, comment ça se fait que cette
5 enfant-là me dit : «Je le sais pas, j’aime mieux
6 pas m’en souvenir parce que si je dis quelque
7 chose, je sais pas ce que ça va faire».
8 C’est parce que nécessairement il y a un adulte
9 qui lui a dit que son témoignage pourrait
10 entraîner des conséquences et, comme l’adulte qui
11 passe le plus de temps avec elle c’est vous...
12 Mme NADIA POITRAS
13 requérante :
14 (Inaudible).
15 Me CARL LECLERC, juge administratif :
16 ... bien, nécessairement, c’est vous qui avez trop
17 parlé et/ou parfois par votre comportement ou soit
18 par vos attitudes, vous avez empoisonné votre
19 fille.
[68] Lors de cet échange final, le juge administratif Leclerc hausse le ton et Mme Poitras sanglote. Dans son témoignage, le juge administratif reconnaît avoir interrompu Mme Poitras à quelques reprises et de parler fort tout en soulignant avoir sous-estimé la fragilité de Mme Poitras.
Excuses et explications du juge administratif Carl Leclerc
[69] Le juge administratif Leclerc souligne avoir une expérience de 13 ans comme avocat plaideur. Il présente ses excuses pour la perception négative de Mme Poitras à son égard. Il regrette de ne pas avoir reporté l’audience à cause de l’absence de M. X (voir pièce D-2). Il souligne avoir été directif envers la plaignante pour avoir l’ensemble du portait et reconnaît l’avoir interrompue à quelques reprises pour la recadrer.
[70] Il admet parler fort car son frère est sourd et avoir sous-estimé la fragilité de Mme Poitras.
[71] L’utilisation du mot « bashing » n’était pas souhaitable et peut avoir été perçu comme blessant et s’en excuse. Il regrette d’avoir été trop transparent en tant que juge. Il ajoute qu’il trouve dommage que Mme Poitras se soit sentie rabaissée, qu’elle ait eu cette perception car il se dit lui-même féministe.
Plaidoirie
La Plaignante
[72] La plaignante rappelle les difficultés rencontrées lors de cette audience ainsi que les sentiments qui l’ont habitée, notamment le sentiment d’impuissance.
[73] Elle s’est sentie blessée de ne pas avoir pu présenter sa cause en raison du parti pris du juge administratif Leclerc. Elle exprime sa peine quand le juge administratif, en plus de lui avoir dit qu’elle n’avait pas été une bonne mère, affirme qu’il assumait ses paroles.
Plaidoirie du procureur du juge administratif
[74] L’avocat de l’intimé, Me Binet mentionne que le juge administratif Leclerc souhaitait cerner le débat et ne souhaitait pas disposer du litige comme s’il s’agissait de questions relatives au droit de la famille.
[75] Il souligne que le juge administratif Leclerc essaie de guider Mme Poitras sur le droit de la preuve. Me Binet ajoute que Mme Poitras a été affectée de façon subjective car elle ne connaît pas les règles de preuve. Selon sa plaidoirie, celle-ci était sensible aux propos du juge administratif Leclerc.
[76] Quant aux paroles touchant la fille de Mme Poitras, il affirme que le juge administratif a parlé avec son cœur et qu’Y a convaincu ce dernier qu’il n’y avait pas de garde partagée entre ses parents.
[77] Me Binet convient que le juge administratif Leclerc n’a pas suspendu la cause lorsque la plaignante a pleuré. Il indique également que cela aurait été souhaitable, mais qu’elle n’a pas été humiliée.
[78] Me Binet soumet une décision pour démontrer que le Comité doit rechercher une gravité objective pour établir la crédibilité des témoignages rendus. Les termes utilisés par le juge administratif Leclerc lorsqu’il parle de se faire «rouler dans la farine» sont non souhaitables, mais acceptables.
[79] En terminant, Me Binet signale que le juge administratif Leclerc a tiré une leçon de la présente plainte et qu’une réprimande serait « terrible ». Il souligne que ce dernier n’avait pas l’intention de nuire et que la décision de procéder à l’audience par téléphone avec M. X avait pour objectif d’aider Mme Poitras. Il souligne le peu d’expérience du juge administratif Leclerc et son absence d’arrogance. Il conclut en plaidant la bonne foi du juge administratif malgré la perception que l’on peut avoir.
Réplique de Mme Poitras
[80] Mme Poitras souligne ne pas avoir eu l’espace nécessaire pour présenter son dossier qu’elle ne se retrouvait donc plus et que son témoignage était conséquemment décousu.
[81] Elle souligne que le juge administratif Leclerc n’avait pas le droit d’affirmer qu’elle avait empoisonné la vie de sa fille et qu’il doit assumer les conséquences de ses paroles. Elle réitère qu’elle veut le bien-être de sa fille et souligne que les paroles du juge administratif Leclerc n’avaient pas sa place.
[82] Elle adresse au juge administratif Leclerc un message et se demande s’il est sincère et s’il prend conscience qu’en tant que juge, il doit traiter les gens avec respect. « On est des êtres humains » dit-elle.
[83] Elle affirme qu’elle a ressenti de la frustration et de la peine et qu’elle espère qu’il est sincère dans ses propos. Il n’aurait pas fait preuve d’objectivité (ex. : babines suivent les bottines).
[84] Elle interpelle le Comité et s’interroge si les excuses reçues par le juge administratif étaient sincères. Elle précise qu’elle s’est sentie jugée et souligne que certaines choses ne se disent pas.
[85] Si elle avait pu, elle aurait été représentée par un avocat car elle se sentait émotive et trop impliquée dans ce dossier.
[86] Elle se demande si le juge administratif Leclerc a réellement compris l’objet de ses plaintes compte tenu de la plaidoirie de Me Binet. Elle aurait souhaité être traitée avec respect même si elle ignorait comment présenter sa preuve et indique qu’elle aurait aimé que le procès se déroule objectivement.
[87] Elle distingue l’attitude du juge administratif Leclerc de celle de la juge Armstrong qui traite les justiciables de « façon polie ». Il importe donc de penser au bien-être de l’enfant sans « rabaisser le ou les parents ».
[88] Elle reproche au juge administratif Leclerc son ton de voix et son attitude lorsqu’elle a pleuré. Elle s’est sentie ridiculisée.
[89] Elle déplore l’attitude du juge administratif Leclerc lorsqu’il met en évidence un comportement belliqueux pour quelques centaines de dollars, car la scolarisation de sa fille nécessite 16 000 $ pour un cours. Elle compare le procès du TAQ à celui de la Cour canadienne de l’impôt dans lequel le procès pour déterminer la garde d’Y n’avait duré qu’une quinzaine de minutes.
Analyse
[90] Le Comité doit donc déterminer si le juge administratif Leclerc a commis une faute déontologique en vertu de l’une ou de plusieurs de ses obligations.
[91] Tel que l’a expliqué la Cour suprême sous la plume du juge Gonthier, « [l]a règle de déontologie, en effet, se veut une ouverture vers la perfection. Elle est un appel à mieux faire, non par la sujétion à des sanctions diverses, mais par l’observation de contraintes personnellement imposées »[3].
[92] Le Code de déontologie applicable aux membres du Tribunal administratif du Québec contient, entre autres, les obligations déontologiques suivantes :
3. Le membre exerce sa charge avec honneur, dignité et intégrité; il évite toute conduite susceptible de la discréditer.
5. Le membre doit, de façon manifeste, être impartial et objectif.
6. Le membre fait preuve de respect et de courtoisie à l'égard des personnes qui se présentent devant lui, tout en exerçant l'autorité requise pour la bonne conduite de l'audience.
7. Le membre exerce ses fonctions sans discrimination.
8. Le membre fait preuve de réserve dans son comportement public.
[93] Pour déterminer si Carl Leclerc, dans l’exercice de ses fonctions de juge administratif, a eu un comportement qui constitue un écart par rapport aux normes de conduite prévues à son Code de déontologie, le Conseil doit analyser le comportement du juge à la lumière des circonstances de l’affaire:
La question n’est pas de savoir si les plaignants ont eu raison de se plaindre, mais bien, s’il y a eu dérogation aux règles de déontologie une fois toutes les circonstances de l’affaire connues. Lorsque le comité d’enquête analyse le bien-fondé ou non d’une plainte, il doit tenir compte, non seulement des apparences, de ce qui s’est passé, mais analyser les circonstances et se demander si, compte tenu de ces circonstances, le comportement d’un juge constitue une faute déontologique.[4]
[94] Par ailleurs, dans l’affaire Lamoureux c. L’Écuyer[5], le Conseil de la magistrature énonçait ce qui suit :
Cependant, pour conclure à un manquement déontologique, il faut que l’acte reproché comporte une gravité objective suffisante pour que, dans le contexte où il a été posé, cet acte porte atteinte à l’honneur, la dignité ou l’intégrité de la magistrature.
[95] Pour déterminer la « gravité objective » du comportement reproché, le Comité applique la norme de la « personne raisonnable, impartiale et renseignée »[6].
[96] Dans tous les cas, le Comité doit ultimement évaluer la conduite du juge administratif sous l’angle de la préservation du respect et de la confiance que le public peut espérer avoir à l’égard du corps des juges administratifs et du système de justice administrative dans son ensemble.
[97] Car rappelons-le, « l'objet premier de la déontologie, à l'opposé, est de prévenir toute atteinte et de maintenir la confiance du public dans les institutions judiciaires »[7].
[98] En l’espèce, le Comité considère que le comportement du juge administratif Leclerc constitue effectivement, et à plusieurs égards, un écart marqué par rapport à la conduite que le public est en droit d’attendre de la part d’un juge administratif. Le Comité est d’avis que l’image de la justice administrative a été sérieusement entachée, tout comme aurait pu l’être la confiance d’une personne raisonnable, impartiale et renseignée.
[99] En effet, le juge administratif Leclerc a tout au long de l’audience et à répétition, interrompu la plaignante, s’est invité à faire des commentaires et a omis de cerner les enjeux à la question en litige soit celle du partage de la garde.
L’honneur, la dignité et l’intégrité :
[100] En ce qui concerne l’intégrité, le Conseil canadien de la magistrature a déjà énoncé ce qui suit dans un document intitulé « Principes de déontologie judiciaire » :
Les juges doivent s’appliquer à avoir une conduite intègre, qui soit susceptible de promouvoir la confiance du public en la magistrature. [8]
[101] On peut retenir de cette citation que le devoir d’intégrité est étroitement lié à l’image que les juges administratifs renvoient au regard des justiciables et plus largement à celui du public.
[102] Comme l’a déjà affirmé la Cour suprême, « […] les qualités personnelles, la conduite et l’image que le juge projette sont tributaires de celles de l’ensemble du système judiciaire et, par le fait même, de la confiance que le public place en celui-ci »[9].
[103] Dans le même arrêt, la Cour suprême reconnaissait également que les juges sont tenus à des exigences d’un niveau très élevé en ce qui concerne leur conduite générale :
La population exigera donc de celui qui exerce une fonction judiciaire une conduite quasi irréprochable. À tout le moins, exigera-t-on qu'il paraisse avoir un tel comportement. Il devra être et donner l'apparence d'être un exemple d'impartialité, d'indépendance et d'intégrité. Les exigences à son endroit se situent à un niveau bien supérieur à celui de ses concitoyens.
[104] Au surplus, comme l’a déjà expliqué le Conseil de la magistrature du Québec, « le Code de déontologie n'est pas une énumération de règles fixes, ni l'énumération de limites imposées à la conduite d'un juge, en deçà desquelles deviendrait permis ce qui n'est pas autrement prohibé »[10].
[105] De par son comportement en salle d’audience, le juge administratif Leclerc n’a certainement pas projeté une image positive de la justice administrative. En ce sens, il a manqué à son devoir d’intégrité, ainsi qu’à celui qui lui impose de faire preuve d’une attitude empreinte d’honneur et de dignité. En effet, le Comité retient ses reproches et ses commentaires personnels relativement au témoignage de Mme Poitras. Le juge administratif a manqué de sérénité ce qui jette un doute certain sur la dignité dont il doit faire preuve, même s’il prétend que le ton fort de sa voix s’explique car son frère souffre de surdité. L’intonation et son ton cassant projettent un manquement à la patience dont le juge administratif Leclerc devait faire preuve.
[106] Le public est en droit de s’attendre à ce que les juges administratifs soient des exemples de retenue, de contenance et de magnanimité lorsqu’ils président une audience. Cela est d’autant plus vrai lorsque des parties se présentent seules devant un tribunal.
[107] Il est en effet notoire que de devoir se présenter au tribunal peut, pour le non-initié, s’avérer une source d’appréhension importante. Cela s’explique en bonne partie par l’autorité et la gravité qui sont, dans l’esprit du public en général, certains des attributs de la magistrature. C’est d’ailleurs en partie cette image qui nourrit la confiance que le public porte aux juges et qui les mène à s’adresser aux tribunaux.
[108] Il n’est donc pas souhaitable ni justifié qu’un juge administratif, quelles que soient les circonstances, abuse de sa position pour s’en prendre directement et personnellement à un justiciable ou pour intimider ce dernier.
[109] Le Comité considère que la « démonstration de force » à laquelle ont assisté les personnes présentes à l’audience présidée par le juge administratif Leclerc était non seulement disproportionnée mais surtout complètement inappropriée. Ce comportement n’avait tout simplement pas sa place.
Le respect et la courtoisie :
[110] Il appert des enregistrements numériques et de la retranscription des audiences que le juge administratif Leclerc n’a pas été suffisamment serein, calme et poli envers la plaignante.
[111] Un juge administratif n’a pas à agir en sphinx impassible, comme cela a déjà été dit[11]. Dans le cadre d’une audience, un juge administratif peut devoir faire preuve de fermeté. Il peut aussi avoir à signaler son mécontentement ou son impatience, mais il doit cependant s’assurer de demeurer respectueux et courtois en toutes circonstances. Il doit également faire preuve de mesure.
[112] Mme Poitras a fait preuve quant à elle d’un calme, d’un respect et d’une courtoisie sans faille et à la toute fin de l’audience seulement a adressé des reproches au juge administratif quant à la nature de ses propos quand il lui disait sur un ton accusateur qu’elle avait «empoisonné sa fille » avec le litige et qu’elle et son conjoint avaient un comportement « belliqueux ».
[113] À de nombreuses reprises, le juge administratif Leclerc interrompt la plaignante, se permet des insinuations, formule des reproches, répond aux questions, lance des accusations et émet des commentaires inutiles qui visent la personne même de la plaignante. Plusieurs de ces commentaires débordent le cadre de ce qui est pertinent et nécessaire à la cause, notamment lors des débats relatifs à la visite de M. X à Ville A alors que le comportement parental et personnel de Mme Poitras est remis en cause bien que cette question ne touche pas l’objet du litige devant le TAQ.
[114] L’écoute des enregistrements laisse penser que le juge administratif a décidé de faire payer un prix à la plaignante en s’acharnant sur son cas, au point où on se demande s’il n’en fait pas une affaire personnelle. Pour quelle raison? Il n’est pas possible de le dire, mais aucune justification ne peut, dans tous les cas, excuser ni le ton ni certains propos du juge administratif même si ce dernier explique qu’il s’agissait de faire la lumière dans le cadre d’un débat contradictoire.
[115] Le Comité est d’avis que la conduite du juge administratif, tout au long de l’audience, est suffisamment grave pour entacher l’image que se fait un justiciable raisonnable de la justice et du corps des juges administratifs.
Le pouvoir d’intervention du juge administratif et le devoir de réserve :
[116] Le devoir de réserve qui s’impose aux juges administratifs est intimement lié à l’obligation de faire preuve manifeste d’impartialité et d’objectivité. La Cour suprême s’est d’ailleurs prononcée ainsi :
Le devoir de réserve lié à la charge de magistrat est un principe fondamental. En soi, il est une garantie supplémentaire de l'indépendance et de l'impartialité judiciaires et vise à assurer que la perception du justiciable ne soit pas affectée sous ce rapport. La valeur d'un tel objectif s'apprécie pleinement, d'ailleurs, lorsqu'il est rappelé que les juges demeurent les seuls arbitres impartiaux à qui l'on peut recourir dans les cas où les autres modes de résolution de conflits s'avèrent infructueux. Le respect et la confiance qui s'attachent à cette impartialité commandent donc tout naturellement que le juge soit à l'abri de remous et de controverses susceptibles d'entacher la perception d'impartialité que doit dégager son comportement. [12]
[117] Le Comité n’entend pas remettre en question l’indépendance judiciaire dont jouissent les juges administratifs. Comme l’exprimait le Conseil de la justice administrative dans l’affaire Chartrand c. Perron[13] :
[43] Il n’est pas contesté que l’un des piliers sur lesquels repose notre système de justice, ce qui inclut la justice administrative, est l’indépendance et l’immunité dont doit jouir le juge administratif dans ses fonctions d’adjudication. Cette indépendance est l’un des éléments essentiels pour qu’existe et soit maintenue la confiance du public dans le système de justice.
[118] Cela dit, la Cour suprême a déjà expliqué pourquoi l’indépendance judiciaire ne peut pas être absolue :
Même dans le cadre de l’appel, qui vise à corriger les erreurs contenues dans la décision originale et à tracer la voie à suivre pour l’élaboration de principes juridiques utiles, le juge dont la décision fait l’objet d’une demande de révision n’est pas appelé à justifier cette décision. On ne lui demande pas d’expliquer, d’approuver ou de désavouer la décision ou la déclaration contestée par l’appel, et l’issue de l’appel suffit pour que justice soit rendue aux personnes auxquelles l’erreur du juge de première instance a causé préjudice. Dans certains cas, cependant, les actes et les paroles d’un juge sèment le doute quant à l’intégrité de la fonction judiciaire elle-même. Lorsqu’on entreprend une enquête disciplinaire pour examiner la conduite d’un juge, il existe une allégation selon laquelle l’abus de l’indépendance judiciaire par ce juge menace l’intégrité de la magistrature dans son ensemble. Le processus d’appel ne peut pas remédier au préjudice allégué.[14]
(nos soulignements)
[119] Dans l’affaire Association Lien Pères Enfants de Québec c. Cartier[15], le Conseil de la magistrature du Québec opinait comme suit :
[33] Mais au nom de l’indépendance judiciaire, et sous son manteau, un juge peut-il se permettre de tout dire, sans même se soucier de l’image projetée dans le public et de ses effets sur la confiance dans le système judiciaire?
[34] Répondre par l’affirmative, reviendrait à nier l’interdépendance de ces deux notions judiciaires.
[…]
[37] S’il fallait soutenir cette prétention, ce serait inévitablement prétendre que l’indépendance judiciaire est un privilège du juge, sans plus, et non une garantie fondamentale à tout citoyen d’être entendu par un Tribunal impartial.
[120] Il faut donc pleinement comprendre, à la faveur de cet enseignement, que l’indépendance judiciaire des juges administratifs ne permet pas à l’un d’entre eux d’exprimer sa pensée sans faire preuve de réserve, tout en se disant protégé par l’indépendance judiciaire.
[121] En l’espèce, le juge administratif Leclerc a clairement franchi le seuil d’intervention que lui autorise son rôle et que balisent les règles déontologiques. Il n’a su faire preuve de la réserve nécessaire et s’est interposé inopinément dans les débats au point où un observateur raisonnable et informé pourrait douter de son impartialité et de son objectivité.
[122] Il a notamment utilisé son droit d’intervention de manière excessive, voire abusive. Il s’est montré extrêmement incisif, argumentant inutilement avec la plaignante tout au long de l’audience en usant d’un ton souvent agressif, cassant ou logé sous le signe du sarcasme. Cette façon de faire a certainement pu jeter un doute sur son impartialité.
[123] En particulier, le Comité note que l’ensemble du débat relatif au comportement de Mme Poitras lors de la visite du père à Ville A se situe en février 2014, alors que la demande au TAQ a trait à une demande rétroactive.
La discrimination :
[124] En ce qui concerne l’accusation de discrimination, que la plaignante porte à l’encontre du juge administratif, le Comité ne considère pas que l’attitude affichée lors de la tenue des audiences puisse être considérée comme une telle faute déontologique.
[125] La discrimination survient essentiellement
lorsqu’une distinction, une exclusion ou une préférence fondée sur une
caractéristique personnelle détruit ou compromet le droit à l’égalité.
L’article
10. Toute personne a droit à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l'orientation sexuelle, l'état civil, l'âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l'origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l'utilisation d'un moyen pour pallier ce handicap.
[126] Il y a discrimination lorsqu'une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit.
[127] En l’espèce, rien ne permet de conclure que le comportement adopté par le juge administratif ait pu constituer une telle distinction, exclusion ou préférence, bien qu’il se soit montré partial à l’endroit de Mme Poitras et qu’il ait manqué de sérénité à son égard par le manque de contrôle dont il a fait preuve.
Le Comité conclut donc qu’il n’y a pas de faute déontologique à cet égard.
La sanction
[128] Dans l’affaire Association Lien Pères Enfants de Québec c. Cartier[16], le Conseil de la magistrature du Québec résume comme suit sa fonction en ce qui concerne la détermination de la sanction appropriée :
[38] La mission première du Comité d’enquête est essentiellement réparatrice à l’égard de l’ensemble de la magistrature.
[39] Il doit donc veiller à préserver l’intégrité de cette magistrature pour maintenir le respect et la confiance du public dans notre système judiciaire.
[40] En recommandant une sanction à l’égard d’un juge, le Comité d’enquête exerce un rôle éducatif et préventif pour éviter toute autre atteinte à l’intégrité de la magistrature.
[129] Cela est d’ailleurs conforme aux enseignements à cet effet du juge Gonthier de la Cour suprême du Canada :
Le Comité a donc pour mission de veiller au respect de la déontologie judiciaire pour assurer l'intégrité du pouvoir judiciaire. La fonction qu'il exerce est réparatrice, et ce à l'endroit de la magistrature, non pas du juge visé par une sanction. Sous cet éclairage, au chapitre des recommandations que peut faire le Comité relativement aux sanctions à suivre, l'unique faculté de réprimander, de même que l'absence de tout pouvoir définitif en matière de destitution, prennent tout leur sens et reflètent clairement, en fait, les objectifs sous-jacents à l'établissement du Comité: ne pas punir un élément qui se démarque par une conduite jugée non conforme, mais veiller, plutôt, à l'intégrité de l'ensemble.[17]
(soulignements du juge)
[130] Considérant que la plainte formulée par Mme Poitras à l’égard du juge administratif Leclerc est fondée, il y a lieu de se demander quelle est la sanction appropriée.
[131] Il importe d’insister, comme l’a déjà mentionné le Conseil de la magistrature du Québec, sur le fait que la sanction à une faute déontologique comporte notamment une fonction éducative et préventive pour l’ensemble du corps des juges administratifs :
[82] En plus de cette fonction réparatrice, il est approprié de considérer cette autre fonction essentielle d’un Comité d’enquête pour l’ensemble de la magistrature : son rôle éducatif.
[83] Le Code de déontologie remplit, à vrai dire, un rôle d’éducation et d’orientation préventive quant à la conduite à adopter pour un juge, sans dicter à ce dernier des règles précises. Les décisions du Comité d’enquête viennent illustrer et traduire, pour l’ensemble de la magistrature, par des cas d’espèce, la norme de conduite souhaitable et réaliste découlant de l’un ou l’autre des articles du Code et de l’esprit de celui-ci.[18]
(soulignements du juge)
[132] Cela dit, une réprimande à l’encontre d’un juge constitue généralement une sanction sévère[19].
[133] En l’espèce, le juge administratif Leclerc, a manqué à plusieurs obligations déontologiques, et ce, tout au long de l’audience, tel qu’en font foi les enregistrements. Le comportement du juge administratif Leclerc peut être qualifié de très grave, voire d’inacceptable. Une atteinte importante a été portée à l’image de la justice administrative dans son ensemble, et le Comité est d’avis que la réprimande ne constitue pas le remède approprié.
[134] En audience devant le Comité, le juge administratif s’est excusé de la perception que madame avait de lui-même. Bien qu’il ait admis à quelques reprises que certaines interventions ou agissements n’étaient pas souhaitables, il a expliqué les raisons qui les justifiaient comme acceptables. L’absence d’auto-critique de sa part laisse transparaître un manque de remords quant à sa conduite tout au long de l’audience.
[135] Le Comité estime qu’un message fort doit par ailleurs être transmis au public ainsi qu’au corps des juges administratifs. Il faut rappeler que les normes déontologiques de respect, de courtoisie, d’honneur, de dignité, d’intégrité et de réserve sont plus que de simples énoncés de principe et ne sont pas à prendre à la légère.
[136] Contrairement aux juges qui relèvent du Conseil de la magistrature du Québec, les juges administratifs du TAQ peuvent faire l’objet de trois sanctions différentes. Outre la réprimande et la recommandation de destitution, le Conseil de la justice administrative peut en effet, également, recommander une suspension.
[137] Avec regret, l’audition des enregistrements numériques a démontré le ton cassant et le langage excessif du juge administratif Leclerc. Il n’a pas fait preuve de réserve et de courtoisie lors des débats. L’attitude et le comportement du juge administratif Leclerc qui explique sa gestion d’audience par son désir d’être à la recherche de la vérité ne peut expliquer son comportement compte tenu du calme et de la courtoise dont Mme Poitras a fait preuve tout au long de l’audience.
[138] L’impatience démontrée à plusieurs reprises par le juge administratif Leclerc atteste un manque de respect et de civilité. Le Comité en vient à la conclusion que le juge administratif Leclerc a commis les manquements déontologiques reprochés et que la plainte est bien fondée à l’exception de celle touchant la discrimination.
[139] La réprimande ne constitue donc pas la sanction appropriée en l’espèce compte tenu de l’ensemble des reproches tout au long de l’audience, et ce, jusqu’à la toute fin.
[140] Cependant, le Comité ne saurait aller jusqu’à recommander la destitution du juge administratif comme il s’agit d’une première offense. À lumière de l’ensemble des circonstances relevées par la preuve, le Comité est d’avis qu’une suspension de soixante jours sans salaire serait effectivement la sanction appropriée.
Conclusion
Pour ces motifs, le Comité d’enquête
DÉCLARE la plainte fondée relativement aux articles 3, 5, 6 et 8 du Code de déontologie applicables aux membres du Tribunal administratif du Québec.
RECOMMANDE au Conseil de la justice administrative la suspension, sans rémunération, du juge administratif Carl Leclerc, membre du Tribunal administratif du Québec, pour une période de soixante jours.
Conformément à l’article
ANNE MORIN__________________________
Anne Morin, présidente du Comité d’enquête
MARIE AUGER__________________________
Marie Auger
LUCIE LE FRANÇOIS______________________
Lucie Le François
Procureur du juge administratif : Me Richard Binet
[1] RLRQ, chapitre J-3, r.1.
[2] Le lecteur comprendra que les textes en retrait sont des extraits des notes sténographiques de l’audience du 15 juillet 2015 et que les autres textes sont les interventions de madame Poitras et du juge administratif Leclerc, des 4 et 5 avril 2016. De plus, des remarques ou précisions du Comité d’enquête sont inscrits pour la compréhension des extraits.
[3]Ruffo c. Conseil de la magistrature, [1995] 4 R.C.S. 49.
[4]Gallup
c. Duchesne,
[5]
[6]Chartrand c. Perron, 2011 QCCJA 525.
[7]Ruffo c. Conseil de la magistrature, Op. cit., note 3.
[8]Conseil canadien de la magistrature, Principes de déontologie judiciaire, 2004, Ottawa, p.13.
[9]Re Therrien, [2001] 2 R.C.S. 35.
[10]Descoteaux c. Duguay (C. Mag., 1998-03-18),
[11]Bettan c. Dumais, 2000 CMQC 55.
[12]Ruffo
c. Conseil de la magistrature,
[13]Op. cit., note 6.
[14]Moreau-Bérubé
c. Nouveau-Brunswick (Conseil de la magistrature),
[15] 2002 CMQC 68.
[16]Op. cit., note 15.
[17]Ruffo c. Conseil de la magistrature, Op. cit., note 12.
[18]Bergeron c. Pagé, 2003 CanLII 42307 (QCCM).
[19]Ruffo c. Conseil de la magistrature, Op. cit., note 12, motifs du Juge Sopinka, dissident.
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