CSSS Haute-Yamaska |
2012 QCCLP 5073 |
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[1] Le 12 janvier 2012, CSSS Haute-Yamaska (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 4 janvier 2012 lors d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme, pour d’autres motifs, sa décision initiale du 14 septembre 2011 et déclare qu’elle est justifiée de refuser de reconsidérer la décision établissant un lien entre les frais de visites médicales survenues après la date de consolidation de la lésion professionnelle subie le 9 mars 2011 par le travailleur, monsieur Stéphane Darcy, et, en conséquence, que les frais de visites médicales postérieures à la date de consolidation retenue au dossier doivent demeurer imputés au dossier de l’employeur.
[3] L’employeur a renoncé à l’audience devant se tenir à Saint-Hyacinthe le 26 juin 2012 et a fait parvenir au tribunal, le 22 juin 2012, une argumentation écrite au soutien de sa position dans le dossier. Le dossier est mis en délibéré le 26 juin 2012.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il ne doit pas être imputé du coût des visites médicales du travailleur Stéphane Darcy après la date de consolidation de la lésion déterminée par le Bureau d’évaluation médicale, soit le 10 juin 2011.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[5] Le travailleur occupe un emploi de préposé aux bénéficiaires chez l’employeur lorsque le 9 mars 2011, il subit un accident du travail, se blessant au dos.
[6] Le 10 mars 2011, le travailleur consulte le Dr Deschamps qui pose le diagnostic d’entorse lombaire. De la médication anti-inflammatoire est prescrite ainsi qu’un arrêt du travail.
[7] Le 21 mars 2011, le même diagnostic est posé et l’arrêt du travail maintenu. Le Dr Deschamps rapporte une diminution des douleurs et des traitements de physiothérapie sont prescrits.
[8] Le 30 mars 2011, le travailleur est examiné, à la demande de l’employeur, par le Dr Éric Moretti qui retient le diagnostic de « douleur de type lombalgie sur une condition d’ostéo-arthrose dégénérative », condition qui, selon le Dr Moretti, n’est pas attribuable à l’événement allégué par le travailleur en date du 9 mars 2011. Par ailleurs, le Dr Moretti est d’avis que la lésion du travailleur doit donc être considérée consolidée, au point de vue administratif, le 9 mars 2011, mais le jour de son évaluation du point de vue médical. Il est également d’avis que la condition personnelle d’ostéo-arthrose dégénérative de la colonne lombosacrée du travailleur n’est pas consolidée.
[9] Le 11 avril 2011, le Dr Deschamps pose toujours le diagnostic d’entorse lombaire et ne consolide pas la lésion, maintenant les traitements de physiothérapie entrepris.
[10] Le 14 avril 2011, la CSST rend une décision par laquelle elle accepte la réclamation du travailleur comme accident du travail, retenant le diagnostic d’entorse lombaire. Cette décision sera maintenue lors d’une révision administrative et est devenue finale en raison du désistement par l’employeur de sa requête auprès de la Commission des lésions professionnelles.
[11] Le 1er mai 2011, le Dr Deschamps rapporte une amélioration de la condition du travailleur. Il maintient l’arrêt du travail ainsi que les traitements de physiothérapie en cours. Le 19 mai 2011, le médecin fait de semblables constats.
[12] Le 10 juin 2011, le travailleur est examiné par le Dr Mario Corriveau, chirurgien orthopédiste et membre du Bureau d'évaluation médicale qui est d’avis que la lésion du travailleur est consolidée le même jour, sans nécessité de soins ou traitements au-delà de cette date. Toutefois, le Dr Corriveau ne se prononce pas sur les questions de l’existence d’une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique pour le travailleur ni sur celle de l’existence de limitations fonctionnelles que pourrait conserver le travailleur des suites de sa lésion.
[13] Le 15 juin 2011, le Dr Deschamps produit un rapport médical dans lequel il note une bonne amélioration de la condition du travailleur. Le médecin maintient les traitements de physiothérapie jusqu’à la prochaine visite prévue le 6 juillet 2011.
[14] Le 27 juin 2011, la CSST écrit au Dr Deschamps pour l’informer de l’opinion émise par le Dr Corriveau du Bureau d’évaluation médicale consolidant la lésion du travailleur le 10 juin 2011 sans nécessité de traitements additionnels. On demande au médecin de produire un rapport final dans les meilleurs délais et d’y indiquer si, à son avis, le travailleur conserve de sa lésion une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique ou des limitations fonctionnelles.
[15] Le même jour, la CSST donne suite à l’avis du membre du Bureau d'évaluation médicale et déclare que les soins ou traitements ne sont plus justifiés depuis le 10 juin 2011, date de consolidation de la lésion, et que la CSST doit cesser de les payer. Par ailleurs, la CSST détermine que le travailleur continuera de recevoir des indemnités de remplacement du revenu jusqu’à ce qu’elle se soit prononcée sur la capacité du travailleur à exercer un emploi.
[16] Cette décision de la CSST, contestée par l’employeur, sera maintenue à la suite d’une révision administrative le 17 août 2011. Cette dernière décision est devenue finale à la suite du désistement par l’employeur de sa requête auprès de la Commission des lésions professionnelles.
[17] Le 6 juillet 2011, le Dr Deschamps produit un rapport final. Il consolide la lésion du travailleur à cette date, sans atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique ni limitations fonctionnelles.
[18] Le 7 septembre 2011, après avoir pris connaissance de son relevé d’imputation du 8 août 2011 qui indique l’imputation de frais d’assistance médicale au-delà du 10 juin 2011, l’employeur demande que soient retirées de son dossier « toute [sic] sommes imputées au-delà de la date de consolidation, soit le 10 juin 2011 ». [1]
[19] Le 14 septembre 2011, la CSST refuse d’accorder à l’employeur le retrait des frais qu’il revendique. Cette décision sera confirmée en révision administrative le 4 janvier 2012, car l’employeur n’a pas démontré l’absence de relation entre les visites médicales du 15 juin et du 6 juillet 2011 et la lésion professionnelle du travailleur.
[20] L’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] énonce le principe général selon lequel le coût des prestations dues « en raison d’un accident du travail » est imputé à l’employeur du travailleur :
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.
L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.
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1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
[21] Récemment, la Commission des lésions professionnelles, dans une formation de trois juges administratifs, a rendu une décision importante concernant l’imputation des coûts relatifs aux visites médicales effectuées, comme en l’espèce, après la date de consolidation d’une lésion professionnelle consécutive à un accident du travail sans nécessité de traitements additionnels, sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles. Il s’agit de l’affaire Centre hospitalier de l’Université de Montréal-Pavillon Mailloux et CSST[3] dans laquelle la Commission des lésions professionnelles en arrive à la conclusion suivante :
[447] En conclusion, le tribunal rappelle que :
a) les employeurs ont un intérêt réel à demander le retrait de leur dossier d’expérience des coûts relatifs aux visites médicales effectuées après la date de la consolidation d’une lésion attribuable à un accident du travail sans nécessité de traitements additionnels, sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle, même si ces coûts considérés individuellement peuvent sembler minimes;
b) le premier alinéa de l’article 326 de la loi constitue le fondement juridique d’une telle démarche;
c) l’employeur doit agir dans le délai de trois ans prévu à l’article 2925 du Code civil du Québec;
d) le point de départ de ce délai est la date où il prend ou il aurait dû prendre connaissance de l’imputation de coûts postérieurs à la date de la consolidation de la lésion professionnelle sans nécessité de traitements additionnels, sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle;
e) toutefois, conformément à ce qui est édicté à l’article 2878 du Code civil du Québec, le tribunal n’a pas à suppléer d’office le moyen résultant de la prescription et à soulever d’office un tel délai;
f) l’article 2 de la loi énonce qu’une lésion professionnelle peut faire l’objet d’une guérison ou d’une stabilisation;
g) une lésion professionnelle guérie est celle qui entraîne un rétablissement complet du travailleur et, donc, une non-nécessité de soins ou de traitements et une absence d’atteinte permanente et de limitation fonctionnelle;
h) une lésion professionnelle guérie ne génère plus de conséquences médicales et n’est donc plus sujette à l’indemnisation, sauf si la preuve révèle des situations particulières permettant d’écarter un tel constat;
i) la consolidation d’une lésion professionnelle sans nécessité de traitements, sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle entraîne la fin de l’imputation des coûts relatifs aux visites médicales au dossier d’expérience des employeurs, sans égard au fait que cette consolidation soit déterminée par le médecin qui a charge du travailleur ou qu’elle soit acquise au terme d’un processus d’évaluation médicale et de décisions rendues par la CSST ou par la Commission des lésions professionnelles;
j) le fardeau de la preuve qui incombe à l’employeur est donc de démontrer que les coûts des visites médicales dont il requiert le retrait de son dossier d’expérience émanent d’un accident du travail et sont générés après la date de la consolidation de la lésion professionnelle sans nécessité de traitements additionnels, sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle;
k) les frais relatifs à la procédure d’évaluation médicale doivent toutefois, s’ils n’ont pas déjà été retirés du dossier d’expérience de l’employeur, demeurer imputés à ce dossier puisqu’ils sont toujours générés en raison de la lésion professionnelle et qu’ils sont essentiels à la détermination des conséquences médicales finales de cette lésion.
[22] Puis, appliquant cette grille d’analyse aux faits de différents litiges dont elle devait disposer, la Commission des lésions professionnelles retient, dans le litige portant le numéro 391701-62-0910, que les frais d’assistance médicale postérieurs à la date de consolidation retenue au dossier du travailleur, à la suite d’une décision de la Commission des lésions professionnelles entérinant un accord entre les parties, devaient être retirés du dossier de l’employeur, à l’exception des frais relatifs à la confection du rapport final par le médecin du travailleur. À cet égard, le tribunal énonce ceci :
[538] Il faut donc donner son plein effet à cette décision de la Commission des lésions professionnelles et conclure que les soins ou traitements de même que les visites médicales effectuées au-delà du 2 mars 2004 n’étaient plus reliés à la lésion professionnelle.
[539] Dans ces circonstances, le tribunal conclut que l’employeur a démontré que les coûts relatifs à ces traitements et à ces visites médicales ne peuvent être assimilés à des « prestations dues en raison d’un accident du travail » et qu’en conséquence, il n’a pas à les supporter.
[540] Cependant, le tribunal constate que la visite médicale du 30 août 2004 est utile à la détermination des conséquences médicales finales de la lésion professionnelle puisque, à cette date, le médecin qui a charge du travailleur établit qu’il ne résulte aucune atteinte permanente ni limitation fonctionnelle de l’accident du travail subi par le travailleur le 21 février 2004.
[541] Les coûts relatifs à ce rapport final daté du 30 août 2004 doivent donc demeurer imputés au dossier d’expérience de l’employeur.
[23] Le soussigné fait sienne cette grille d’analyse.
[24] Dans le présent cas, la preuve démontre que la CSST a imputé au dossier de l’employeur le coût de deux visites médicales effectuées après la date de consolidation de la lésion professionnelle sans nécessité de traitements additionnels alors qu’il n’en résulte aucune atteinte permanente ni limitations fonctionnelles.
[25] En fonction des critères mentionnés dans la décision précitée, le tribunal conclut que l’employeur a démontré que les coûts relatifs à la première visite médicale, celle du 15 juin 2011 au cours de laquelle le Dr Deschamps maintenait la nécessité de poursuivre les traitements de physiothérapie entrepris, malgré l’avis du Bureau d’évaluation médicale à l’effet contraire, ne doivent pas lui être imputés. De l’avis du soussigné, il ne peut s’agir dans ce cas de « prestations dues en raison d’un accident du travail » et, en conséquence, il n’a pas à les supporter.
[26] Par contre, tout comme dans l’affaire Centre Hospitalier de l’université de Montréal, précitée, le soussigné est d’avis que les frais relatifs à la consultation médicale du 6 juillet 2011, au cours de laquelle le médecin traitant a produit son rapport final, déterminant alors que le travailleur ne conservait pas de séquelles permanentes de sa lésion, doivent demeurer au dossier de l’employeur.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE en partie la requête de CSSS Haute-Yamaska, l’employeur, déposée le 12 janvier 2012;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 4 janvier 2012 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que l’employeur ne doit pas supporter les coûts relatifs à la visite médicale effectuée par monsieur Stéphane Darcy le 15 juin 2011, mais que ceux relatifs à la production du rapport final, lors de la visite du 6 juillet 2011, doivent demeurer imputés au dossier de l’employeur.
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Michel Watkins |
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[1] Note du tribunal : tel qu’il appert de l’argumentation produite par l’employeur, celui-ci réclame que les frais d’assistance médicale postérieurs au 10 juin 2011 soient retirés de son dossier. À cet égard, il identifie expressément à cette argumentation deux rapports médicaux, soient ceux du 15 juin 2011 et du 6 juillet 2011, lesquels sont apparus sur le relevé des sommes imputées du mois d’août 2011, relevé ayant enclenché la présente demande de l’employeur auprès de la CSST. Le tribunal n’a retrouvé aucun autre rapport médical que ceux-ci au dossier. Par ailleurs, le tribunal ne dispose d’aucune information quant à l’imputation des frais de physiothérapie dans le présent dossier et ignore même si le travailleur a pu en recevoir après le 10 juin 2011, alors que la CSST a déterminé dans sa décision du 27 juin qu’elle devait cesser de payer pour ces traitements après le 10 juin 2011. Dans ce contexte, le tribunal n’entend se prononcer que sur les seuls rapports médicaux du 15 juin et du 6 juillet 2011 dont les frais ont été imputés au dossier de l’employeur.
[2] L.R.Q., c. A-3.001
[3] 2012 QCCLP 2553 , requête en révision judiciaire pendante.
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