[1] Les appelants se pourvoient contre un jugement prononcé le 3 décembre 2013 par la Cour supérieure, district de Québec (l’honorable Claude C. Gagnon), qui rejette leur requête introductive d’instance en annulation de changement de bénéficiaires et de dispositions testamentaires ainsi qu’en réclamation de 352 177 $.
[2] Pour les motifs du juge Doyon, auxquels souscrivent les juges Bich et Bouchard, LA COUR :
[3] REJETTE l’appel, avec dépens.
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MOTIFS DU JUGE DOYON |
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[4] En Cour supérieure, les appelants recherchent l’annulation de diverses dispositions du testament de leur père et du changement de bénéficiaires d’une police d’assurance effectué par ce dernier. Ils réclament aussi de l’intimé 352 177 $. Le juge de première instance rejette leurs demandes, de même que la demande reconventionnelle de l’intimé de 15 000 $ en dommages-intérêts et de 15 000 $ en dommages exemplaires.
[5] Le présent appel met en cause la faculté et la liberté d’élire et, à un moindre degré, la liberté de tester, dans le contexte fort particulier d’un testament, d’un acte de donation et d’une fiducie mise en place au cours des années 1920 par M. F... B...
[6] Le juge de première instance résume ainsi les événements qui ont mené à la création de la fiducie et au jugement déclaratoire qui a suivi :
[3] Le 15 avril 1925, le sénateur F... B..., qui a alors 80 ans, rédige un testament par lequel il laisse ses biens à sept de ses huit enfants vivants ainsi qu’aux enfants d’H..., son fils décédé.
[4] Le 5 février 1929, profitant du mariage du cadet de ses enfants, le sénateur B..., son épouse, sept de ses enfants ainsi que la veuve d’H... interviennent au contrat de mariage pour y inscrire une donation de la quasi-totalité des biens du sénateur (98,4%) à ses enfants pour le bénéfice de leurs descendants. Les biens légués par testament ne représentent alors plus que 1,6% de la fortune qu’il laissera à son décès.
[5] Le donateur a ainsi créé huit souches et prévu un mécanisme complexe pour l’administration et la dévolution de ses biens afin de favoriser qu’ils soient conservés en une seule masse le plus longtemps possible avant d’être finalement transmis aux appelés, ses arrière-petits-enfants.
[6] La gestion et la conservation des biens donnés devenant plus compliquées en raison de l’évolution du droit et des règles fiscales, les fiduciaires décident de s’adresser à la Cour supérieure par requête pour jugement déclaratoire afin de dissiper les incertitudes que suscitent l’interprétation, l’application et la validité de certaines clauses de l’acte de donation et de la fiducie, en vue de procéder à un partage définitif du capital à compter du 1er janvier 1990.
[7] Saisi de 25 questions par les requérants, l’Honorable André Forget, alors à la Cour Supérieure, précise d’entrée de jeu que ses réponses sont toutes guidées par le principe voulant que la volonté du donateur soit respectée à moins qu’elle ne soit contraire à la loi ou à l’ordre public.
[7] Parmi les conclusions du jugement déclaratoire rendu par le juge Forget, voici celles qui sont pertinentes au présent appel :
DÉCLARE que l’institution légale créée à la donation contenue dans la pièce R-1 est essentiellement une fiducie;
DÉCLARE que les grevés de substitution ne peuvent actuellement réclamer que leur part leur soit remise à titre de propriétaire à charge de rendre;
DÉCLARE que la fiducie créée par l’acte de donation est valide depuis sa création;
DÉCLARE que la disposition dite de « faculté d’élire » contenue à l’art. 7 de l’acte de donation, est valide;
DÉCLARE que les enfants adoptés et les enfants naturels bénéficient des dispositions de l’acte de donation, au même titre que les autres enfants;
DÉCLARE que les fiduciaires ont le pouvoir de décider, après consultation des bénéficiaires, d’exécuter le partage définitif des biens de la fiducie, le ou vers le 1er janvier 1991, ou à toute autre date de leur choix; toutefois, si des grevés reçoivent des biens, ils recevront à charge de rendre aux appelés, conformément aux règles de la substitution.
[Le soulignement est du juge première instance.]
[8] Le juge de première instance souligne par ailleurs que, même s’il s’agit « essentiellement [d’]une fiducie, le langage employé par le donateur pour la dévolution de ses biens était celui d’une substitution ».
[9] La clause de « faculté d’élire » prévue à l’article 7 de l’acte de donation dont il est question dans le jugement déclaratoire est libellée de la façon suivante :
L’un quelconque des grevés de substitution pourra par acte entre vifs, ou par testament, changer les proportions des biens que ses descendants ou autres héritiers seraient autrement appelés à recueillir des biens donnés; il pourra exclure temporairement permanemment, ou conditionnellement l’un quelconque de ses descendants de tout [sic] part dans ou participation aux biens donnés; et toute disposition à ce sujet restera révocable par la personne qui l’aura adoptée.
[10] Notons que les parties à cet appel sont les appelés à la substitution créée par l’acte de donation, soit les arrière-petits-enfants de F... B... Leur père, R… B..., décédé le 9 juin 2011, était donc le petit-fils de F... B... et un fiduciaire. Par contre, comme les parties, de même que le juge Forget, ont utilisé l’expression « grevé de substitution de second rang », c’est ce terme que j’emploierai.
[11] En raison du partage définitif autorisé par le jugement déclaratoire, R… B... reçoit, au fil des ans, à charge de remettre le capital, 667 829,72 $, dont 595 833 $ en octobre 1990. Le reste sera perçu au cours d’années subséquentes.
[12] À l’automne 1990, R… B... se présente chez son conseiller financier avec un chèque de la fiducie au montant de 581 140, 07 $ (la somme reçue a été amputée de 14 693,26 $ en raison d’un versement précédent). Il achètera une rente viagère, assortie d’une assurance-vie dont les bénéficiaires révocables sont les appelés, ses sept enfants, ce qui, en principe, devrait protéger le capital qui doit leur être transmis. La police d’assurance est toutefois de 563,897, 72 $ et elle ne couvre donc pas tout le capital reçu par R… B... Cela s’explique par un versement d’environ 17 000,00 $ fait lors de la souscription de la police en vue de bénéficier d’un rabais ultérieur sur les primes. La police ne couvre évidemment pas les quelque 72 000 $ reçus par la suite.
[13] D’importants événements surviennent à compter de 2001, lorsque l’une des filles de R… B..., C... B..., porte plainte contre lui en raison d’attouchements de nature sexuelle qui seraient survenus entre 1964 et 1987. La famille prend parti pour le père, si ce n’est G... B..., frère de C…[1], qui préfère demeurer neutre. C… est isolée et la plainte est abandonnée.
[14] En 2003, les souvenirs de S... B..., une autre fille de R… B..., sont ravivés et elle confronte son père en lui rappelant, elle aussi, des événements de nature sexuelle survenus durant son enfance et même plus tard. Le même sort est réservé à S… par sa famille. Son frère G… demeure toujours neutre.
[15] La police fait enquête et interroge leur père. Il évoque la survenance d’un événement alors que C... avait quelque 22 ans : il l’a enlacée dans une chambre d’hôtel, pour la consoler parce qu’elle pleurait, mais il nie toute connotation sexuelle à son geste. Il admet toutefois qu’ils étaient nus, au lit. Quant au reste, il affirme n’avoir jamais posé les gestes qu’on lui reproche.
[16] La police dépose son rapport, qui conclut que des accusations pourraient être déposées en lien avec les allégations de C... et S... B..., mais le substitut du procureur général s’y refuse en raison de l’insuffisance de la preuve.
[17] Le 5 mai 2006, R… B... fait un testament notarié. Par ce testament, il exerce sa faculté d’élire et change le nom des bénéficiaires de la police d’assurance en excluant ses filles C... et S... de même que son fils G…, tant du bénéfice de l’assurance que de la désignation d’appelé. En voici quelques clauses :
Attendu qu’aux termes de la susdite donation et du susdit jugement, je doit [sic] rendre aux appelés ce que j’ai reçu et que d’autre part je peux exclure l’un ou l’autre de ceux-ci à ce titre.
Exercice de la faculté d’élire
J’exerce par la présente la faculté d’élire qui m’a été accordée aux termes des susdits documents afin :
D’EXCLURE spécifiquement à titre d’appelés mes enfants au premier degré, C..., G… et S...; et,
D’ÉLIRE comme appelés, mes autres enfants au premier degré, qui m’auront survécus [sic], Si…, A…, J… et Ri… B...
Remise des biens aux appelés
Afin de faire, notamment, remise des biens que j’ai reçus de la succession F... B..., je donne et légue [sic] à titre particulier, aux appelés déterminés au sous-paragraphe 6.2.1, le produit de la police d’assurance que j’ai prise sur ma vie avec Assurance-vie Desjardins-Laurentienne portant le numéro 100640916 en parts égales entre eux.
[18] R… B... transmet en conséquence à la mise en cause une demande de modification de l’identité des bénéficiaires de la police d’assurance pour que ceux-ci soient désormais désignés par le terme « ayants droit », confirmant ainsi l’exclusion de C..., S... et G... B...
[19] Ce sont ces clauses testamentaires et cette modification à la police d’assurance qui sont la source du présent litige.
[20] R… B... décède le 9 juin 2011.
[21] Étant donné leur exclusion, les appelants intentent un recours en Cour supérieure, le 26 août 2011, contre l’intimé Si... B..., liquidateur de la succession de son père, enjoignant à la mise en cause de leur remettre 3/7 (286 212,73 $) du montant de l’assurance-vie et à la succession de leur verser 65 964, 88 $ à titre de dommages exemplaires, puisés à même le produit de l’assurance.
[22] Selon les appelants, leur père ne pouvait les « déshériter »[2] comme il l’a fait, puisque cela résultait d’un abus de droit (art. 6 et 7 C.c.Q.), la seule motivation étant la vengeance et les représailles, d’une part, en raison des plaintes de C... et de S..., et, d’autre part, en raison de la décision de G… de ne pas prendre parti contre ses sœurs. Ils auraient donc été traités injustement.
[23] De son côté, l’intimé nie l’existence d’agressions sexuelles, plaide qu’il n’y a pas d’abus de droit et conteste l’intérêt juridique des demandeurs. Comme on le sait, il réplique également, au nom de la succession, par une demande reconventionnelle en dommages-intérêts et en dommages punitifs en raison du comportement vexatoire des demandeurs à l’endroit de leur père ainsi que d’un abus d’ester en justice.
[24] Le 27 septembre 2011, la somme de 563 897,72 $, représentant le produit de l’assurance, ainsi que les intérêts, sont déposés en consignation par la mise en cause.
[25] Le juge de première instance rejette le recours, de même que la demande reconventionnelle de la succession.
[26] Le juge souligne que la faculté d’élire « comprend évidemment celle d’exclure ». En l’espèce, l’aïeul F... B... a non seulement confié à R… B... le droit de « désigner, parmi ses descendants, ceux et celles qui bénéficieraient de la donation », mais il lui a aussi confié « celle de déterminer leurs parts respectives dans la fiducie ».
[27] C’est ce que R… B... a fait, en tout respect des termes de l’acte de donation, en exerçant un pouvoir qui est discrétionnaire. D’ailleurs, faut-il noter, F... B... a lui-même privé de son héritage l’un de ses propres enfants.
[28] En ce qui a trait à l’abus de droit et à la mauvaise foi, à supposer même que cette règle s’applique, le juge de première instance ne retient pas l’argument.
[29] En effet, même s’il estime que la preuve prépondérante permet de conclure qu’il y a eu agressions sexuelles à l’endroit des deux plaignantes, il n’y voit pas la cause de la décision prise par R… B... en 2006. Voici comment il s’exprime :
[58] Cela étant, il y a lieu de souligner que si, à la suite d’un procès où il avait été acquitté d’infractions de nature sexuelle, R… B... avait choisi de déshériter ses dénonciateurs, son choix, compte tenu de la liberté de tester, ne pourrait fonder un abus de droit. Le Tribunal est d’avis que la faculté d’élire exercée conformément à l’acte constitutif et qui ne va pas à l’encontre de la loi ou de l’ordre public échappe au contrôle des tribunaux.
[59] Il ne doit donc pas, parce que la preuve était à ce point insuffisante qu’elle ne pouvait même pas supporter le dépôt d’accusations, se retrouver dans une position plus inconfortable ou plus précaire que s’il avait été accusé et blanchi après un procès.
[60] De plus, la preuve démontre aussi de façon tout aussi prépondérante que ce n’est que trois ans après la décision du procureur de la poursuite de ne pas donner suite à la demande d’intenter des procédures que R… B... a décidé d’exercer la faculté d’élire que lui octroyait l’acte de fiducie.
[61] Dans l’intervalle, C... B... avait déjà coupé tout contact avec son père. S... B... avait, quant à elle, continué de téléphoner à son père pour lui réclamer sa part de la fiducie et pour lui laisser des messages souvent menaçants, insultants ou orduriers, où elle va même jusqu’à souhaiter sa mort.
[62] G... B... n’a, à partir du moment où il a refusé de prendre la part de son père ou de ses sœurs, plus eu de communication avec son père.
[63] Jusqu’à la mort de R… B... en 2011, aucune tentative de réconciliation n’a été entreprise par qui que ce soit, chaque côté demeurant ferme sur ses positions.
[64] Il est en conséquence inexact de soutenir que les demandeurs ont été déshérités par leur père uniquement en raison du dépôt des dénonciations criminelles. Il faut en effet ajouter à ce motif le piètre état de leurs relations avec leur père entre 2003 et 2011, et cela est encore plus évident en ce qui concerne G... B...
[…]
[68] La preuve soumise ici ne permet pas de conclure en l’espèce que R… B..., en exerçant la faculté d’élire, en léguant ses biens ou en modifiant l’identité des bénéficiaires de son assurance en cas de mort, ait agi de mauvaise foi. L’exercice de ses droits a certes un impact important sur trois de ses enfants, mais on ne peut pour autant conclure à de la mauvaise foi.
[69] Celui qui est sans nouvelles de ses proches ou qui n’a que des conversations truffées d’injures avec ceux-ci, même si ces derniers ont des bonnes raisons pour agir ainsi, est en droit de les exclure de son testament sans être taxé d’agir de mauvaise foi.
[Je souligne.]
[30] Ainsi, selon le juge, la raison principale de la décision de R… B... est le fossé creusé entre le père et ses trois enfants pendant toute cette période.
[31] En ce qui a trait à la défense et demande reconventionnelle, le juge estime « que le fait d’être appelés à la substitution constituée par leur arrière-grand-père confère aux demandeurs l’intérêt requis par l’article 55 C.p.c. pour contester l’exercice d’une faculté d’élire qui a pour effet de les exclure d’une dévolution de biens et de leur faire éventuellement subir un préjudice ». Il rejette la demande reconventionnelle en concluant qu’il n’y avait ni comportement vexatoire ni abus d’ester en justice de la part des demandeurs.
[32] Je suis d’avis que l’appel doit être rejeté.
[33] Pour répondre aux arguments des appelants, il me paraît approprié d’examiner trois sujets : la liberté de tester, la faculté d’élire et l’abus de droit.
[34] Les appelants soutiennent que le juge de première instance a erré en décidant que R... B... pouvait les déshériter en raison de leur conduite. En fait, ils abordent le sujet sous deux angles : le juge aurait erré, d’une part, en reprochant aux deux plaignantes leur conduite après les dénonciations et, d’autre part, en refusant d’admettre que cette conduite est la conséquence directe des abus sexuels. Je suis d’avis qu’ils ont tort.
[35] La liberté de tester est un principe bien connu en droit québécois[3]. Cette liberté est pratiquement illimitée. Certes, son application peut être restreinte par une règle de droit, par exemple l’interdiction de clauses illicites ou contre l’ordre public[4], les règles du patrimoine familial ou la survie de l’obligation alimentaire au décès[5], mais l’importance de la liberté de tester a été réitérée à maintes reprises. De plus, les faits de l’espèce ne permettent pas d’y voir une clause illicite ou contre l’ordre public.
[36] Comme l’écrit le professeur Pierre Ciotola :
La liberté absolue de disposer de ses biens par donation ou testament est la règle et pour y déroger, il faut une expression claire de la volonté du donateur ou du testateur ou une disposition de la loi[6].
[37] Il n’y en a pas ici.
[38] Comme l’indique notre Cour dans Pépin c. Caisse[7], il faut reconnaître « la primauté de la volonté du testateur, corollaire de la liberté de tester » primauté qui est « le principe interprétatif prééminent des dispositions législatives en la matière ».
[39] La Cour rappelle, dans Parent c. Stocola (Succession de)[8], que « notre droit reconnaît depuis 1774, la liberté absolue de disposer de ses biens à son décès ».
[40] Or, du principe de la liberté de tester découle le droit de révoquer, en tout temps, les dispositions testamentaires. Le testament est révocable, ce qui peut « s’opposer à l’espoir légitime de succéder »[9].
[41] L’auteur Jacques Beaulne cite à ce sujet l’extrait suivant d’un arrêt de la Chambre civile de la Cour de cassation française :
[…] la faculté de révoquer un testament constitue un droit discrétionnaire exclusif de toute action en responsabilité[10].
[42] La Cour de cassation applique ce principe à d’autres cas de droit discrétionnaire, comme le droit de renonciation en matière d’assurance[11]. La Cour d’appel de Paris le fait également pour le droit de rétractation en matière de droit de la construction[12]. Dans ces deux cas, il s’agit d’un droit discrétionnaire qui ne peut entraîner une quelconque responsabilité ni être sanctionné sur le terrain de la mauvaise foi.
[43] Il va de soi que la liberté de tester ne répond pas à toutes les questions qui doivent être tranchées ici. En effet, on pourrait prétendre que, par la clause testamentaire décrite plus haut, R... B... ne dispose pas vraiment de ses biens[13]. Par contre, il s’agit de la première étape de l’analyse, puisque les appelants remettent en question le pouvoir qu’avait leur père de les « déshériter » de la sorte. De plus, d’une certaine façon, cela recoupe un autre sujet sur lequel je reviendrai, soit la bonne ou la mauvaise foi de R... B... en prenant cette décision. Je souligne que le juge a estimé qu’il n’y avait pas de mauvaise foi.
[44] Pour le juge de première instance, même si les appelants avaient de bonnes raisons d’agir comme ils l’ont fait, cela n’emportait pas l’impossibilité pour R... B... de tester comme il le voulait et ce n’est pas sans considérer le témoignage des appelantes que le juge a conclu à l’absence de mauvaise foi.
[45] Il est vrai, comme le soulignent les appelants, qu’il faut encourager les victimes d’agressions sexuelles à dénoncer leurs agresseurs. Telle n’est toutefois pas la question. On ne peut qu’admettre, comme le souligne le juge, qu’une telle dénonciation, qu’elle soit justifiée ou pas, altérera nécessairement la relation entre le plaignant et la personne dénoncée.
[46] La preuve établit que, à la suite des dénonciations, la relation s’est, pour le moins, dégradée. C... B... a cessé de parler à son père en 2003, ne lui adressant ensuite que quelques lettres, et S... B... est devenue insistante et même menaçante envers son père afin qu’il lui remette sa part de la fiducie. Il en est de même de G... qui, depuis 2003, a coupé tous liens avec son père. Le juge de première instance a, à juste titre, considéré ces éléments, pour conclure que ce n’est pas seulement en raison des dénonciations qu’il les a déshérités, mais bien à cause « du piètre état de leurs relations avec leur père ».
[47] En d’autres mots, on peut comprendre la conduite des appelants si l’on tient compte du témoignage des deux sœurs. Par contre, cela ne change en rien la liberté qu’avait R... B... de tester comme il le voulait, sans avoir à se justifier. L’état des relations ne devenait qu’une explication, sans devoir être une justification. En d’autres mots, tout comme l’on ne peut forcer quelqu’un à donner à quiconque, on ne peut davantage le forcer à tester (autrement dit à procéder à une donation à cause de mort) en faveur de qui que ce soit.
[48] Je ne vois pas en quoi la Cour pourrait intervenir sur cette question. Je souligne au passage que les appelants n’invoquent pas, à bon droit d’ailleurs, une disposition de la Charte des droits et libertés de la personne.
[49] La loi permet au constituant (F... B...) de conférer à un tiers (R... B..., grevé de substitution) la faculté d’élire les bénéficiaires d’une fiducie, selon les termes déterminés par le constituant. On parle d’une délégation d’autorité. Voici les articles du Code civil du Québec et du Code civil du Bas Canada qui le précisent :
[50] Comme on l’a vu, la clause 7 de l'acte de fiducie confère précisément cette faculté d'élire aux grevés successifs, dans des termes on ne peut plus larges qui confirment leur absolue discrétion.
[51] R... B... avait donc l’autorité et le pouvoir discrétionnaire d’élire les bénéficiaires à la condition de demeurer dans les limites de l’acte constitué par F... B... On peut aussi poser la question différemment : le constituant avait-il le pouvoir d’exclure certains de ses descendants? Il l’avait évidemment et c’est d’ailleurs ce qu’il a fait en excluant l’un de ses propres fils.
[52] Le constituant a ici créé un acte qui confère de vastes pouvoirs au grevé de substitution. Il peut, notamment par testament, changer la proportion des biens que ses descendants peuvent être appelés à recevoir ou même en exclure certains de façon permanente. De plus, ces décisions demeurent révocables par le grevé.
[53] R... B... pouvait donc user de sa faculté d’élire de manière discrétionnaire[14], à la condition de respecter les termes de l’acte constitutif[15] et, entre autres, de n’élire ou exclure que ses descendants ou héritiers[16]. C’est le sens qu’il faut donner à l’acte constitutif. C’est d’ailleurs la seule raison pour laquelle la faculté d’élire peut ici être qualifiée de « limitée », c’est-à-dire que le grevé doit demeurer dans le cadre de la catégorie ou classe de personnes établie par l’acte constitutif[17].
[54] Par analogie, selon la Cour supérieure[18], lorsque l’acte constitutif stipule que le grevé de substitution pourra élire les bénéficiaires, parmi une catégorie définie, « comme il l’entendra », on peut alors employer l’expression « liberté absolue d’agir », à la condition de le faire à l’intérieur des ordres donnés par le constituant. Si les mots « comme il l’entendra » ne sont pas utilisés dans l’acte constitué par F... B..., la clause 7 en a le sens.
[55] En d’autres mots, puisqu’il demeurait dans les limites de la catégorie déterminée par son aïeul et qu’il respectait les autres dispositions de l’acte constitutif, R... B... avait pleinement le droit d’exercer sa faculté d’élire (et d’exclure) comme il l’a fait. Aucun contrôle ne peut être exercé sur cette décision[19], quelle qu’en soit la motivation, à moins que l’on applique à la faculté d’élire la règle prohibant les clauses illicites ou contre l’ordre public. Or, même si c’était le cas, j’ai souligné précédemment qu’il n’y a pas ici de telles clauses.
[56] Il faut toutefois se demander si la théorie de l’abus de droit permet de conclure autrement.
[57] On le sait : les appelants invoquent l’abus de droit ou la mauvaise foi avec laquelle leur père les a déshérités.
[58] La question est donc celle-ci : la théorie de l’abus de droit s’applique-t-elle à l’espèce et, si tel est le cas, y a-t-il eu abus de droit?
[59] Deux articles du Code civil du Québec sont particulièrement importants :
[60] Le juge de première instance rejette l’argument des appelants, après avoir souligné qu’il faut démontrer que l’exercice du droit a été fait de « façon à nuire ou de manière excessive et déraisonnable ». Je reproduis de nouveau, pour faciliter la lecture, les paragr. 68 et 69 de son jugement :
[68] La preuve soumise ici ne permet pas de conclure en l’espèce que R... B..., en exerçant la faculté d’élire, en léguant ses biens ou en modifiant l’identité des bénéficiaires de son assurance en cas de mort, ait agi de mauvaise foi. L’exercice de ses droits a certes un impact important sur trois de ses enfants, mais on ne peut pour autant conclure à de la mauvaise foi.
[69] Celui qui est sans nouvelles de ses proches ou qui n’a que des conversations truffées d’injures avec ceux-ci, même si ces derniers ont des bonnes raisons pour agir ainsi, est en droit de les exclure de son testament sans être taxé d’agir de mauvaise foi.
[61] On conviendra aisément qu’une telle question est une pure question de fait, qui, pour entraîner l’intervention d’une cour d’appel, requiert la démonstration d’une erreur manifeste et déterminante.
[62] Les appelants abordent cette question d’intervention sous deux axes :
1. il était impossible pour les deux plaignantes d’entretenir de bonnes relations avec leur père, et ce, en raison des agressions sexuelles. Le juge de première instance a donc erré en retenant leur conduite pour justifier la décision de les déshériter.
2. ayant conclu qu’il y avait eu agressions sexuelles, le juge ne pouvait retenir que la vengeance pour expliquer la décision de leur père, de sorte que ce dernier a nécessairement agi « de façon abusive, illégitime et de mauvaise foi, rendant ainsi nulles et de nuls effets toutes les décisions qui en découlent ».
[63] Ces arguments ne peuvent être retenus.
[64] En ce qui a trait au premier, j’ai déjà exprimé l’avis que le juge n’avait pas à trouver une justification. Il a décidé de le faire, mas il n’y était obligé. On comprend évidemment la réaction des deux plaignantes. On ne peut s’attendre à des rapports harmonieux avec son père lorsque l’on a été victime d’agressions sexuelles de sa part. Néanmoins, et c’est l’état du droit, selon l’acte constitutif, R... B... avait la faculté d’élire certains de ses enfants et d’en exclure d’autres. L’examen devait se terminer là, à moins que la règle de l’abus de droit ne s’applique. J’y reviendrai.
[65] Pour le deuxième, là encore si une justification est nécessaire, pour inférer de la preuve que seules la vengeance et les représailles en raison des plaintes expliquent la décision, les appelants se fondent uniquement sur le témoignage de l’intimé Si... B...
[66] Pourtant, en ce qui a trait à l’appelant G... B..., Si... B... témoigne avoir demandé à ce dernier s’il croyait que leur père était pédophile. Comme sa réponse était vague et qu’il ne voulait pas prendre parti pour son père ou ses sœurs, Si... B... a transmis l’information à son père qui, lui, dit-il, « a pris position ». L’avocat des appelants lui demande alors :
Q. OK. Et c’est la raison pour laquelle G... a également été déshérité?
R. Pas juste. Pas juste.
Q. Pourquoi?
R. Parce qu’à partir de ce moment-là, G... n’a jamais recontacté son père.
[…]
S. Il n’a jamais pris de ses nouvelles dans ses difficultés de santé, il n’a jamais… il était comme disparu de son radar.
[67] On voit bien qu’il n’y a pas que les plaintes qui soient en cause. Il y a aussi et surtout le rejet subséquent de son père par G...
[68] On ne peut limiter l’analyse au 5 mai 2006, lorsque R... B... rédige son testament et exclut les appelants. Il faut aussi tenir compte des années qui ont suivi, d’autant que R... B... avait toujours la possibilité de révoquer ce testament. En d’autres mots, la conduite ultérieure devait être prise en compte, comme le juge l’a fait.
[69] Or, les années qui ont suivi ont donné lieu à d’acerbes échanges, notamment entre S... et son père, échanges qui permettent de comprendre la conclusion du juge. Par exemple, elle laisse des messages téléphoniques menaçant son père de ruiner sa réputation s’il ne répond pas à ses demandes à propos des modifications à la police d’assurance. Elle lui souhaite de « crever ». Elle le menace pour obtenir l’argent auquel elle dit avoir droit.
[70] On peut alors comprendre le juge de faire état de « messages souvent menaçants, insultants ou orduriers, où elle va même jusqu’à souhaiter sa mort ».
[71] Entretemps, C... B... n’a aucun contact avec son père, tout comme son frère G...
[72] Enfin, la preuve établit que ce n’est que trois ans après la décision du substitut de ne pas porter d’accusation, et donc plusieurs années après les plaintes, que R... B... a exclu les trois appelants des bénéfices de la fiducie. Cela tend à démontrer que R... B... n’a pas déshérité les trois appelants uniquement en raison des plaintes. Il faut, comme le mentionne le juge, « ajouter à ce motif le piètre état de leurs relations avec leur père entre 2003 et 2011 ».
[73] Voilà pourquoi je suis d’avis que les appelants ne démontrent pas d’erreur manifeste et déterminante à l’égard de la conclusion du juge sur l’absence de mauvaise foi et ce, sans même tenir compte des autres témoignages qui peuvent soutenir sa conclusion.
[74] En fait, cette seule conclusion suffirait à rejeter l’appel, puisque, en l’absence de mauvaise foi, on peut difficilement concevoir qu’il y ait abus de droit, les art. 6 et 7 C.c.Q. exigeant la bonne foi.
[75] Il est vrai que la norme s’est élargie et que l’exercice raisonnable du droit, comme le ferait une personne prudente et diligente, peut aussi constituer une facette de l’obligation d’exercer ses droits de bonne foi :
[…] La mauvaise foi et la malice dans l'exercice d'un droit contractuel ne sont plus les critères exclusifs pour apprécier s'il y a eu abus d'un droit contractuel. Le critère de l'individu prudent et diligent peut également servir de fondement à la responsabilité résultant de l'abus d'un droit contractuel. Il peut y avoir abus d'un droit contractuel lorsque celui-ci n'est pas exercé de manière raisonnable, c'est-à-dire selon les règles de l'équité et de la loyauté[20]. […]
[Je souligne.]
[76] Or, ici, il ne s’agit pas de l’exercice d’un droit contractuel. De plus, ce principe ne changerait rien, puisque les propos du juge de première instance mènent nécessairement à la conclusion que R... B... a agi de façon raisonnable dans l’exercice de ses droits.
[77] Cependant, même s’il n’est pas nécessaire de trancher la question vu les conclusions factuelles du juge de première instance, je me propose d’aborder la question de l’application ou non de la théorie de l’abus de droit lorsque sont en cause la liberté de tester et la faculté d’élire, étant donné que la question a été plaidée abondamment et pour prévoir les cas où il y aurait mauvaise foi.
[78] Je rappelle que dans Houle c. Banque Canadienne Nationale, la Cour suprême souligne que « la théorie de l’abus des droits contractuels [fait] aujourd’hui incontestablement partie du droit québécois »[21].
[79] L’abus de droit régit aujourd’hui tous les rapports contractuels. Comme le mentionnent les auteurs Baudouin et Deslauriers, « on retrouve, à l’heure actuelle, la théorie de l’abus de droit appliquée à tous les contrats, même innomés »[22].
[80] Comme l’exprime le professeur Paul-André Crépeau dans ce passage cité dans Houle c. Banque Canadienne Nationale :
Il s'agit essentiellement de reconnaître qu'un droit, quelle qu'en soit la source, ne saurait être absolu. Tout droit a une finalité propre; il est concédé en vue de la satisfaction d'impératifs sociaux ou de besoins économiques et non pas pour l'assouvissement des instincts de vengeance ou de méchanceté. C'est dans cette perspective que l'on doit envisager l'exercice des droits contractuels. Un ordre juridique, pâle reflet de l'ordre moral, doit certes souffrir l'égoïsme; il ne saurait en tout cas tolérer la malice[23].
[Références omises.]
[81] On ne peut exercer ses droits en se laissant guider par la seule vengeance ou la méchanceté. Les appelants y ajoutent « les représailles ».
[82] La nécessité d’agir selon les exigences de la bonne foi ne requiert toutefois pas nécessairement une intention malicieuse. L’auteure Brigitte Lefebvre écrit :
Dans sa deuxième acception, la bonne foi se veut une norme de comportement objective qui n’est pas nécessairement reliée à l’intention de la personne. Ainsi, un contractant peut enfreindre les exigences de la bonne foi tout en ayant un comportement tout à fait légitime à ses propres yeux et aucune intention caractérisée. La bonne foi est une notion qui s’apprécie objectivement en fonction des standards de loyauté de la société[24].
[83] Par ailleurs, une conduite abusive peut avoir plusieurs formes. Les auteurs Baudouin, Jobin et Vézina estiment que l’évolution de l’abus de droit a mené au résultat suivant :
[…] La troisième voie est encore plus exigeante sur le plan comportemental : constitue un abus de droit tout exercice négligent, de même que tout usage d’un droit qui est déraisonnable, c’est-à-dire incompatible avec la conduite d’un individu prudent et diligent. En substance, on se rapproche de la notion de faute ordinaire, mais il ne faut pas les confondre[25].
[84] Jusqu’à quel point ces principes sont-ils transposables à un contexte de libéralité?
[85] D’une part, je le répète, la question de l’exercice d’un droit contractuel n’est pas en cause. D’autre part, les deux droits (liberté de tester et faculté d’élire) sont de nature discrétionnaire. Or, toujours dans Houle c. Banque Canadienne Nationale, la juge L’Heureux-Dubé fait une mise en garde et souligne qu’il faut faire la distinction entre les droits discrétionnaires et les droits contrôlés. Le droit contractuel est un droit contrôlé et la théorie de l’abus de droit s’y applique aisément, à la différence, ajoute-t-elle, que « les droits "discrétionnaires" ne se prêtent pas facilement à l'abus »[26].
[86] Les auteurs Baudouin, Deslauriers et Moore y voient, à première vue, une protection contre l’application de la théorie de l’abus de droit :
[U]ne nuance doit également être apportée pour l’exercice, de plus en plus rare de nos jours, d’un droit purement discrétionnaire. A priori ces droits n’étant soumis à aucun contrôle devraient être à l’abri de l’abus de droit. On peut ainsi penser à la liberté illimitée de tester, au droit de demander le partage, de renoncer ou d’accepter une succession ou les bénéfices d’un régime matrimonial. […]
Ainsi défini, le domaine de l’abus des droits est plus restreint qu’il n’apparaît à première vue. Il n’existe donc, à notre avis, que dans l’hypothèse où le détenteur d’un droit subjectif, dont l’exercice n’est pas purement discrétionnaire, cause un préjudice à autrui, en exerçant ce droit sans, pour autant, en dépasser les limites législatives[27].
[Références omises.]
[87] Contrairement au droit de résiliation unilatérale du contrat de travail à durée indéterminée, considéré dans Ponce c. Montrusco & Associés inc.[28], qui est intrinsèquement préjudiciable à l’autre partie, la liberté de tester et la faculté d’élire ne le sont pas. Ainsi, ce qui justifiait une application circonstanciée des art. 6 et 7 C.c.Q. dans Ponce, malgré qu’il s’agisse d’un droit discrétionnaire, n’existe pas ici. De plus, ce dernier arrêt portait sur un droit contractuel.
[88] En effet, on ne peut prétendre qu’il y ait quoi que ce soit d’intrinsèquement préjudiciable à la décision de déshériter ou d’exclure une personne, alors que ce n’est pas un droit que possède cette personne. Il n’existe pas un droit d’hériter, comme il n’existe pas un droit à l’élection. Tout au plus peut-on parler d’un espoir d’hériter. Or, un tel espoir ne saurait, à lui seul, être générateur « d’obligation pour la succession »[29].
[89] Par ailleurs, même si, en raison de l’acte de donation initial créé par F... B..., on pouvait prétendre à un contrat, d’où l’application des art. 6 et 7 C.c.Q., il reste que les appelants ne sont pas des parties contractantes et ne peuvent invoquer le respect de leurs droits contractuels. D’ailleurs, leur père, qui ne faisait qu’exécuter les volontés de son grand-père, ne peut lui-même être considéré comme un donateur[30].
[90] Comme le précise la juge L’Heureux-Dubé dans Houle :
Il s'ensuit logiquement que si l'abus d'un droit contractuel doit donner ouverture à la responsabilité contractuelle, seules les parties au contrat, à l'exclusion des tiers, peuvent alors se plaindre de la violation de cette obligation contractuelle[31].
[91] En somme, la théorie de l’abus de droit impose d’agir de bonne foi et de ne pas utiliser son droit de manière à nuire à autrui. Or, en ce qui a trait à la liberté de tester, comment peut-on agir de manière à nuire à un tiers lorsque ce dernier n’a pas de droit à faire valoir? La notion de préjudice peut difficilement se concevoir lorsque ce préjudice consiste à être privé d’une succession à laquelle on n’a aucun droit, même si l’espoir est présent. Il y aurait « préjudice » dès lors qu’un successible serait exclu de la succession de son parent. Or, il ne peut en être ainsi étant donné la liberté de tester.
[92] Par ailleurs, en ce qui concerne la faculté d’élire, on pourrait peut-être dire que, étant donné la substitution, il y aurait ici plus qu’un simple espoir, vu ce que l’on pourrait appeler un « droit éventuel aux biens substitués » (art. 1235 C.c.Q.). Par contre, en l’espèce, le droit éventuel des appelants ne suffirait pas pour contrecarrer la décision prise par leur père. Sa faculté d’élire et la liberté de choix dont elle est assortie fragilisent d’autant la capacité des appelants d’intervenir dans ce choix, de sorte que leur situation se rapproche bien davantage du simple espoir que d’un droit véritable.
[93] Il ne peut y avoir préjudice dès qu’une personne est exclue. Comment le législateur aurait-il alors pu autoriser, par l’article 1283 C.c.Q., l’exercice d’un tel droit discrétionnaire (« comme il l’entend / as he sees fit ») s’il pouvait toujours être qualifié de « préjudiciable »?
[94] En somme, on ne peut parler de préjudice au sens retenu pour qu’il y puisse y avoir abus de droit. Cette théorie est donc ici inapplicable.
[95] Pour ces motifs, j’en viens à la conclusion que ni les restrictions législatives, ni l’ordre public, ni même les motivations sous-jacentes au choix de bénéficiaires ne peuvent faire échec à la liberté de tester et au pouvoir discrétionnaire afférent à la faculté d’élire. La faculté d’élire est, au même titre que la liberté de tester, un droit discrétionnaire et la théorie de l’abus de droit est, dans ces circonstances, inapplicable.
[96] Enfin, même si j’avais tort et que la théorie de l’abus de droit s’appliquait, j’estime que les conclusions de fait du juge de première instance démontrent qu’il n’y a pas eu un tel abus, conclusions que les appelants ne démontrent pas être fondées sur une ou des erreurs de fait manifestes et déterminantes.
[97] Dans ces circonstances, les appelants n’ont évidemment pas droit aux dommages exemplaires qu’ils réclament et les arguments subsidiaires de l’intimé n’ont pas à être examinés.
[98] Je propose donc de rejeter l’appel, avec dépens.
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FRANÇOIS DOYON, J.C.A. |
[1]Note : l’utilisation à l’occasion du seul prénom ne vise qu’à alléger le texte et ne saurait constituer un manque de respect.
[2] J’utiliserai le verbe « déshériter », parce que les appelants utilisent ce terme et que, par sa simplicité, il décrit bien la situation. Il y a plutôt ici exclusion de la succession en retirant aux appelants le statut d’appelé et modification de l’identité des bénéficiaires de la police d’assurance.
[3] Code civil du Québec, art. 703 et 706; Jacques Beaulne, Droit des successions, 4e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2010, n° 358, p. 219.
[4] Jacques Beaulne, Droit des successions, 4e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2010, n° 424, p. 261 à 265. Par exemple, l’art. 756 C.c.Q.
[5] Jacques Beaulne, Droit des successions, 4e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2010, n° 362, p. 222.
[6] Pierre Ciotola, Des principes usuels d'interprétation des testaments et les décisions rendues en 2007, (2008) 110 R. du N. 37, p. 39.
[7] 2009 QCCA 1697, au paragr. 134.
[8] 2009 QCCA 1286, au paragr. 19.
[9] Code civil du Québec, art. 704; Jacques Beaulne, Droit des successions, 4e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2010, n° 351, p. 214.
[10] Cass. Civ. 1re, 30 novembre 2004, n° 02-20.883, F-P+B, p. 1 in fine; Jacques Beaulne, Droit des successions, 4e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2010, n° 352, p. 215.
[11] Cass. civ. 2e, 15 décembre 2011, n° 10-24.430, F-D, p. 6-7.
[12] C.A. Paris, 3 juin 2010, n° 09/07129, p. 5.
[13] John Brierley, Powers of Appointment in Quebec Civil Law (Second Part), (1993) 95 R. du N. 242, notamment au paragr. 28
[14] C’est d’ailleurs ce qui confère à une fiducie le qualificatif de fiducie discrétionnaire : Jacques Beaulne, Droit des fiducies, 2e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2005, n° 238, p. 218. Art. 1283 C.c.Q.
[15] Par exemple, Québec (Curateur public) c. A.N. (succession de), 2014 QCCS 616, paragr. 49. Jacques Beaulne, Droit des fiducies, 2e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2005, n° 243, p. 222.
[16] Je rappelle cet extrait de la clause 7 : « […] changer les proportions des biens que ses descendants ou autres héritiers seraient autrement appelés à recueillir […] il pourra exclure temporairement, permanemment, ou conditionnellement l’un quelconque de ses descendants […].
[17] Éric Prud’homme, « Chronique - Réflexions sur la faculté d’élire dans le domaine des fiducies testamentaires », dans Repères, février 1998, EYB1998REP115, p. 2. Jacques Beaulne, Droit des fiducies, 2e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2005, n° 246, p. 225.
[18] Denis c. Denis, J.E. 99-1519.
[19] Jacques Beaulne, Droit des fiducies, 2e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2005, n° 243, p. 222.
[20] Houle c. Banque Canadienne Nationale, [1990] 3 R.C.S. 122, p. 124.
[21] Houle c. Banque Canadienne Nationale, [1990] 3 R.C.S. 122, p. 164.
[22] Jean-Louis Baudouin et al., La responsabilité civile, 8e éd., vol. 1, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, n°1-233, p. 218.
[23] Paul-André Crépeau, Le contenu obligationnel d'un contrat, (1965), 43 R. du B. can. 1, à la p. 26.
[24] Brigitte Lefebvre, Liberté contractuelle et justice contractuelle : le rôle accru de la bonne foi comme norme de comportement, dans S.F.P.B.Q., vol., 129, Développements récents en droit des contrats (2000), Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2000, p. 49, à la p. 61.
[25] Jean-Louis Baudouin et al., Les obligations, 7e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, n° 157, p. 257.
[26] Houle c. Banque Canadienne Nationale, [1990] 3 R.C.S. 122, p. 147.
[27] Jean-Louis Baudouin et al., La responsabilité civile, 8e éd., vol. 1, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, n°1-213, p. 208, paragr. 1-216.
[28] 2008 QCCA 329.
[29] Centre hospitalier Baie-des-Chaleurs c. Hayes, 2006 QCCS 4697, paragr. 64, 77; Jacques Beaulne, Droit des successions, 4e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2010, n° 353, p. 216.
[30] Deschênes c. Gagné, 2007 QCCA 123, paragr. 68, 70 et 73.
[31] Houle c. Banque canadienne nationale, [1990] 3 R.C.S. 122, p. 156.
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