Section des affaires sociales
En matière d'indemnisation
Référence neutre : 2015 QCTAQ 07958
Dossier : SAS-Q-178527-1110
LISE BIBEAU
c.
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC
et
COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL (IVAC)
[1] Vu sa requête, la requérante demande au Tribunal d’infirmer une décision du 30 août 2011 de l’agent de révision de la Direction de l’indemnisation des victimes d’actes criminels, ci-dessous désignée la mise en cause (I.V.A.C).
[2] Dans cette décision en litige, la mise en cause maintient la décision initiale du 27 avril 2011.
[3] Somme toute, la mise en cause est d’avis que les actes reprochés relatifs à la période de septembre 2010 à mars 2011 inclusivement ne sont pas inclus dans l’annexe I des crimes couverts par la Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels (RLRQ, chapitre I-6), plus particulièrement vu l’article 3 a) de cette loi.
[4] Dans sa requête adressée au Tribunal, la requérante reproche à la mise en cause d’avoir assimilé les événements aux crimes d’exhibitionnisme, actes indécents de sorte à ne pas se voir indemnisée par la Loi. Elle demande donc au Tribunal d’assimiler ces événements à du harcèlement sexuel, de l’intimidation. Elle prétend d’ailleurs que des accusations furent portées et que le dossier criminel évolua depuis.
[5] Le jour de l’audience devant la soussignée, seul le procureur du Procureur général est présent. La requérante et le représentant de la mise en cause ne sont pas présents. La soussignée n’a pas été informée des motifs expliquant l’absence de la requérante alors que celle-ci fut convoquée, suivant l’extrait du plumitif retrouvé au dossier.
[6] Dans le présent contexte, la soussignée s’autorise de l’article 100 de la Loi sur la justice administrative, afin d’instruire et décider de l’issue du recours malgré l’absence de ces parties.
[7] Pour décider, le Tribunal dispose d’une preuve documentaire constituée du dossier administratif remis par la mise en cause préalablement à cette audience, alors paginé 1 à 37. S’ajoutent la requête introductive du recours de la requérante et les documents qu’elle annexa au soutien de son recours. Les documents annexés sont constitués de sa déclaration au service de police au jour du 13 janvier 2011 et du 7 février 2011, copie de la dénonciation déposée le 11 mars 2011 par le Juge de paix, une déclaration du 17 mars 2011, copie du rapport du service psychologique donné à la requérante daté du 21 février 2011 et notes évolutives, décision de l’IVAC et correspondances, déclarations des 12 juillet et 13 juillet 2011 ainsi que du 26 juillet 2011, copie d’une nouvelle accusation portée (article 145 (5.1) b) du Code criminel), copie du jugement du 28 juillet 2011 reconnaissaient l’accusé coupable suivant les articles 145 (5.1) b), 264 (1) 3) b), 173 (1) b), 174 (1) b), 264 (1) 3) b) et énumération de conditions à respecter, rapport de situation relatif à la semaine du 15 août 2011 et des 24 et 25 août 2011, rapport d’évaluation psychologique du 11 octobre 2011 et extrait d’un article relatif à Dre Marie-France Hirigoyen.
[8] À titre informatif, le procureur du Procureur général remet à la soussignée un extrait du plumitif criminel et pénal confirmant les chefs d’accusation portés contre R. j. P. et retrouvés dans la copie du jugement du 28 juillet 2011.
[9] Aucun témoignage ne fut présenté à l’audience.
[10] Toutefois, des documents retrouvés au dossier du Tribunal préalablement déposés avant l’audience, notamment des déclarations de la requérante faites aux policiers, il ap-pert que celle-ci fut visée par les agissements d’un voisin habitant la résidence devant chez elle. Étant à l’intérieur de chez lui, il se présentait à la fenêtre ou à la porte donnant devant la résidence de la requérante et il se masturbait à la vue de celle-ci. Puis il se rendait chez elle pour lui offrir de l’argent et/ou l’invitait à avoir des relations sexuelles. Il observait ses faits et gestes alors que la requérante était à son domicile ou dans le voisinage.
[11] En raison des comportements déviants de ce voisin, la requérante développa des troubles psychologiques, de l’anxiété au point qu’on lui conseilla de quitter sa résidence quelque temps afin d’oublier et de se refaire une santé.
[12] Elle dut recourir à des intervenants psychosociaux et à de la médication afin de se relever.
[13] Pour elle, au regard de la gravité des actes et du caractère répétitif, il s’agit d’actes assimilables à une agression sexuelle et à de l'intimidation. De sorte qu’elle est d’opinion que la mise en cause aurait dû accepter sa demande de prestation présentée le 28 mars 2011 et faire droit à sa demande de révision, compte tenu de ses commentaires écrits.
[14] Pour sa part, à l’audience, le procureur du Procureur général prétend que la décision en litige s’avère bien fondée, en faits et en droit. Il rappelle la teneur de l’annexe 1 de la Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels, vu l’article 3 a) de cette loi. En raison des accusations portées contre le voisin de la requérante et pour lesquelles il fut reconnu coupable, rien n’est relatif à une agression sexuelle. À cela, il ajoute qu’au regard des accusations de harcèlement criminel (article 264 (1) 3) b) du Code criminel) portées, demeurent qu’il ne s’agit pas d’un crime énoncé à l’annexe de la Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels.
[15] C’est ainsi que peut se résumer le déroulement de l’audience, la preuve documentaire et les prétentions écrites de la requérante et arguments du procureur du Procureur général.
APRÈS CONSIDÉRATION DE L’ENSEMBLE DE LA PREUVE ET DES ARGUMENTS DES PARTIES, LE TRIBUNAL DÉCIDE COMME SUIT :
[16] Bien que le Tribunal puisse admettre que la requérante a vécu des événements troublants et difficiles, n’en demeure pas moins que celui-ci doit rendre une décision gouvernée par les règles de droit et les faits mis en preuve.
[17] Ceci nous amène donc à nous référer à la Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels, notamment l’article 3 a) et qui se lit comme suit :
3. La victime d'un crime, aux fins de la présente loi, est une personne qui, au Québec, est tuée ou blessée:
a) en raison d'un acte ou d'une omission d'une autre personne et se produisant à l'occasion ou résultant directement de la perpétration d'une infraction dont la description correspond aux actes criminels énoncés à l'annexe de la présente loi;
[…]
1971, c. 18, a. 3; 1976, c. 10, a. 2; 1999, c. 40, a. 148.
[18] Cet article nous rapporte à l’annexe de cette loi. À celle-ci, le législateur a précisé que ce ne sont pas toutes les victimes d’actes criminels qui sont admissibles, mais les victimes de crimes énumérés à cette annexe. Ainsi, sont visées, les victimes des crimes suivants :
(Article 3)
CODE CRIMINEL
(Lois révisées du Canada (1985), chapitre 46)
Articles Description de l'infraction
65 participation à une émeute
76 détournement d'un aéronef
77 acte portant atteinte à la sécurité de l'aéronef en vol ou mettant l'aéronef hors d'état de voler
78 transport d'armes offensives et de substances explosives à bord d'un aéronef
80 manque de précautions suffisantes avec des explosifs, quand ils causent la mort ou des lésions corporelles
81 le fait de causer intentionnellement des lésions corporelles ou la mort au moyen d'une substance explosive
86 le fait de braquer une arme à feu ou d'user d'une arme à feu de manière dangereuse
153 rapports sexuels avec une personne du sexe féminin âgée de moins de 14 ans ou de moins de 16 ans
155 inceste
180 nuisance publique causant du tort
215 l'omission de fournir les choses nécessaires à l'existence
218 abandon d'un enfant
220 le fait de causer la mort par négligence criminelle
221 le fait de causer des lésions corporelles par négligence criminelle
229 meurtre
234 homicide involontaire coupable
239 tentative de meurtre
244 le fait de causer intentionnellement des lésions corporelles
245 le fait d'administrer un poison
246 le fait de vaincre la résistance à la perpétration d'une infraction
247 trappes susceptibles de causer la mort ou des lésions corporelles
248 le fait de nuire aux moyens de transport
258(1) conduite dangereuse d'un bateau ou d'un objet remorqué
258(4) conduite d'un bateau pendant que la capacité de conduire est affaiblie
262 le fait d'empêcher de sauver une vie
265 voies de fait commises au moyen d'un véhicule automobile
266 voies de fait
267 agression armée ou infliction de lésions corporelles
268 voies de fait graves
269 infliction illégale de lésions corporelles
270 voies de fait pour empêcher l'application de la loi
271 agression sexuelle
272 agression sexuelle armée
273 agression sexuelle grave
279(1) enlèvement
279(2) séquestration illégale
343 vol qualifié
423 intimidation par la violence
430(2) méfait qui cause un danger réel pour la vie des gens
433 crime d'incendie
436 le fait de causer un incendie si l'incendie entraîne une perte de vie
437 fausse alerte
1971, c. 18, annexe; 1976, c. 10, a. 12; 1985, c. 6, a. 503.
Conformément à l'article 17 de la Loi sur la refonte des lois (chapitre R-3), le chapitre 18 des lois de 1971, tel qu'en vigueur au 31 décembre 1977, à l'exception des articles 25 et 27, est abrogé à compter de l'entrée en vigueur du chapitre I-6 des Lois refondues.
[19] À défaut de pouvoir qualifier ou assimiler les présents événements reprochés par la requérante aux crimes ou à l’un de ceux retrouvés à cette annexe, la demande de prestation ne peut être acceptée par la mise en cause. Cela, en dépit du tort causé à la victime. Ces crimes énumérés sont un choix du législateur qu’il n’appartient pas à la soussignée ni au Tribunal de contourner.
[20] Ici, au regard de la preuve documentaire et notamment du contenu des déclara-tions de la requérante présentées aux policiers expliquant en détail les faits et gestes du voisin, le Tribunal ne peut les assimiler à l’un ou à des crimes listés à cette annexe de la loi.
[21] Pas plus, malgré les prétentions de la requérante, ne peut-il les assimiler au crime d’agression sexuelle prévu à l’article 271 du Code criminel. Dans l’arrêt R. v. Ewanchuk[1], les éléments à considérer pour conclure à un crime d’agression sexuelle sont notamment : l’attouchement, la nature sexuelle des attouchements, l’absence de consentement, et l’intention ou l’aveuglement volontaire.
[22] De sorte que ces événements pris individuellement ou dans leur ensemble ne sauraient constituer, malgré l’aspect répétitif, un ou des crimes d’agression sexuelle.
[23] Par ailleurs, ce crime moindre de harcèlement criminel (article 264 (1) (3) b)) n’est pas contenu à cette liste retrouvée à l’annexe.
[24] Aussi, l’on ne peut assimiler les événements au crime de « nuisance publique causant du tort » prévu à l’article 180 du Code criminel et listé à cette annexe. Tel qu’on l’entend, plus particulièrement suivant la jurisprudence canadienne, il s’agit d’un crime afférant à une nuisance générale, mettant en danger la vie, la sécurité ou la santé du public. Au Code criminel, à l’article 180 (1) et (2), on peut en lire la définition :
180. (1) Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de deux ans quiconque commet une nuisance publique, et par là, selon le cas :
a) met en danger la vie, la sécurité ou la santé du public;
b) cause une lésion physique à quelqu’un,
Définition
(2) Pour l’application du présent article, commet une nuisance publique quiconque accomplit un acte illégal ou omet d’accomplir une obligation légale, et par là, selon le cas ;
a) met en danger la vie, la sécurité, la santé, la propriété ou le confort du public;
b) nuit au public dans l’exercice ou la jouissance d’un droit commun à tous les sujets de Sa Majesté au Canada.
[25] Ainsi définie, la question qui se pose est qui est ce « public »? Suivant la jurisprudence, cela ne peut viser une personne ou un petit groupe de personnes. [2]
[26] Un cas typique d’application de l’article 180 du Code criminel est l’affaire R. c. Thornton.[3] En donnant son sang à la Croix-Rouge, monsieur Thornton avait l’obligation de faire preuve de diligence suivant l’article 216 du Code criminel d’alors. Il a manqué à cette obligation en ne révélant pas que son sang contenait des anticorps VIH, de sorte qu’on le trouva coupable d’un acte de nuisance au public puisque ces agissements devenaient susceptibles de mettre en danger la vie, la sécurité et la santé du public.
[27] Ce cas illustre bien ce qu’est ce crime. De sorte qu’au regard des faits révélés par les déclarations de la requérante faites aux policiers et ici présentées, de toute évidence, il ne s’agit pas d’événements assimilables au crime de nuisance publique. Cela, malgré qu’il s’agisse d’un voisin qui présente des agissements déviants à l’endroit de certaines personnes de son voisinage.
[28] Il est vrai que ce crime n’a pas été soulevé par la requérante, au stade de ses prétentions. Toutefois, nous estimions nécessaire d’apporter ces précisions compte tenu de la forme générique que prend l’énoncé de ce crime, de sorte à donner lieu à maintes interrogations.
[29] Pour le reste, rien de la preuve présentée et des commentaires et arguments offerts ne sauraient orienter autrement notre analyse et nos conclusions.
[30] Si les conditions d’ouverture sont remplies, la requérante pourra présenter un recours civil en dommages-intérêts contre ce voisin.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL[4] :
- REJETTE le recours présenté par la requérante.
Bernard, Roy (Justice-Québec)
Me Alexandre Hodder
Procureur de la partie intimée
[1] Extrait de Tremeear’s Criminal Code, Ed. Carswell, page 417.
[2] Comme dans le cas des pêcheurs de la baie Placentia, à Terre-Neuve, dans Hickey c. Electric Reduction Co of Canada (1970), 21 DLR (3d) 368 (Nfld SC) [Hickey]. Dans Rex c. Lloyd (1803), 4 Espinasse 200 (Nisi Prius), les habitants de trois chambres de Clifford’s Inn, à London, n’étaient pas considérés comme un public suffisant pour intenter une mise en accusation contre les propriétaires de l’atelier de fabrication d’étain adjacent.
[3] R. c. Thornton, [1993] 2 R.C.S. 445, 82 C.C.C. (3d) 530.
[4] Le Tribunal a autorisé une réduction du quorum à un seul membre, par ordonnance rendue en vertu de l’article 82, alinéa 3 de la Loi sur la justice administrative.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.