Thibault et Canadian Tire |
2015 QCCLP 5389 |
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[1] Le 23 janvier 2015, Michael Thibault (le travailleur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision rendue le 23 décembre 2014 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme la décision qu’elle a initialement rendue le 14 novembre 2014 et déclare que suite à la lésion professionnelle que le travailleur a subie le 19 mars 2014, ce dernier est redevenu capable d’exercer son emploi à compter du 16 juillet 2014, qu’il n’a plus droit à l’indemnité de remplacement du revenu prévue par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) et qu’il doit rembourser la somme de 134,67 $ à la CSST en raison de prestations versées en trop.
[3] Le travailleur et la CSST sont présents et représentés lors de l’audience tenue à Sept-Îles le 15 avril 2015. Bien que convoqué, l’employeur n’est pas représenté à l’audience, toutefois, son représentant a produit un argumentaire le 14 avril. L’affaire est prise en délibéré le 3 juin 2015 à la suite de la réception de notes cliniques et des arguments écrits complémentaires convenus à l’audience avec les parties présentes.
[4] Dans une lettre adressée au représentant de l’employeur le 7 mai 2015, le soussigné lui a refusé de produire un argumentaire supplémentaire suite aux documents produits par le travailleur et la CSST. Le tribunal a considéré en ces termes que l’employeur a renoncé à se faire entendre au-delà de l’argumentaire produit le 14 avril :
Je vous rappelle que vous avez été dûment convoqués à l’audience tenue Sept-Îles le 15 avril dernier. Vous et/ou votre cliente avez choisi de ne pas s’y présenter. II est normal de considérer dans ce contexte, que votre cliente renoncé à se faire entendre au sujet de toute nouvelle preuve et de répliquer aux arguments soumis.
Ainsi en a décidé la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Air Canada et Paquin (2013 QCCLP 5403) dans une situation tout à fait similaire:
[41] Ceci étant décidé, le tribunal désire répondre à l’employeur qui, dans l’argumentation qu’il soumet, demande au tribunal qu’on lui transmette toute nouvelle preuve soumise lors de l’audience par le travailleur afin de lui permettre d’y répliquer. II demande également qu’une nouvelle date d’audience soit fixée. Sur ce point, le tribunal rappelle a l’employeur qui a été dûment convoqué a une audience et qu’en ne s’y présentant pas, il renonce à se faire entendre et accepte que de nouvelles preuves soient offertes. Le tribunal détermine ainsi qu’il n’a pas à transmettre à une partie absente les preuves déposées en cours d’audience. En vertu de l’article 429.15 de la loi, la Commission des lésions professionnelles procède à l’instruction de l’affaire et rend sa décision, ce qui est le cas dans le présent dossier.
Lors de l’audience du 15 avril dernier, le soussigné a requis du travailleur qu’il produise les notes cliniques du docteur Duval pour la période de juin à septembre 2014. II a requis également des parties présentes un argumentaire sur le caractère liant ou non du rapport complémentaire du docteur Duval daté du mois d’août 2014 puisqu’il s’agit là d’un argument à la base de la thèse que fait valoir le travailleur en l’espèce, sans qu’il ait fait l’objet d’arguments détaillés à l’audience.
Dans ce contexte, je ne suis pas disposé à accorder un délai particulier à l’employeur afin qu’il puisse répliquer aux arguments du travailleur ou de la CSST étant donné qu’il a renoncé à le faire en audience.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
Le travailleur demande de déclarer qu’il n’est pas redevenu capable d’exercer son emploi le 16 juillet 2014 et qu’il a droit aux prestations prévues par la loi puisque sa lésion professionnelle n’était pas consolidée à ce moment.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations de travailleurs et le membre issu des associations d'employeurs émettent un avis unanime. Ils considèrent que le rapport complémentaire du docteur Louis-René Duval, émis le 14 août 2014, n’a pas d’effet liant au sens de l’article 224 de la loi. La preuve démontre par ailleurs qu’au 16 juillet 2014, le travailleur n’était pas en mesure de reprendre son emploi. Le travailleur a donc droit aux prestations que la loi prévoit et la CSST devrait poursuivre le traitement usuel de son dossier.
[6] Les membres sont également d’avis qu’il n’y a pas lieu de permettre à l’employeur de produire un argumentaire supplémentaire puisqu’il a délibérément choisi de ne pas se faire représenter à l’audience. Il a donc renoncé à répliquer au travailleur.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[7] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si, au 16 juillet 2014, le travailleur est en mesure de reprendre son emploi.
[8] Il convient de préciser au départ que le tribunal n’est pas saisi de la contestation d’une décision portant sur des questions médicales telles que la consolidation. La décision en litige ne porte que sur la capacité du travailleur à exercer son emploi et le droit à l’indemnité de remplacement du revenu en corollaire.
[9] Le travailleur a subi un accident du travail le 19 mars 2014, alors qu’il est âgé de 17 ans, dans les circonstances décrites à la réclamation qu’il produit à la CSST le 3 avril 2014 :
Au cours de mon travail, J’étais dans l’entrepôt, j’ai monté dans un échelle pour classe des bottes et je me suis cogné le derrière de la tête sur un poteau de métal qui rattachait deux étagères. [Sic]
[10] Le soir même, le travailleur consulte le docteur Duval à l’urgence. Ce dernier pose un diagnostic de contusion crânienne mineure après avoir procédé à un examen physique du travailleur selon les notes cliniques qui sont par ailleurs pratiquement illisibles. Le médecin croit alors que la consolidation sera atteinte dès le 21 mars suivant.
[11] Le 21 mars, le travailleur consulte, à nouveau à l’urgence, cette fois, la docteure Émilie Fournier. Dans un rapport à la CSST, elle note une contusion crânienne et une augmentation des symptômes, des difficultés de concentration et de lecture. Elle identifie un diagnostic de TCC léger et ajoute « commotion cérébrale + ». Elle repousse la consolidation à moins de 60 jours et prescrit un arrêt « complet » de deux semaines. Elle complète également un certificat prescrivant un arrêt des études.
[12] Le 1er avril, le docteur Pierre Gauthier prolonge l’arrêt du 1er au 25 avril.
[13] Le 5 mai, le même médecin prolonge l’arrêt de travail pour deux mois, sans indiquer la durée prévue de la consolidation.
[14] Le 16 juin, le docteur Duval complète un rapport médical à l’intention de la CSST. Il pose un diagnostic de séquelles de TCC mentionnant une « aggravation d’une condition personnelle préalable ». Il dirige le travailleur en neuropsychologie vers madame Marie-Claude Roberge en vue de la « poursuite de réadaptation ». Il prescrit alors un accompagnement du travailleur en vue d’une expertise à Montréal à la demande de l’employeur[2].
[15] Ce jour-là, le docteur Duval a parlé au téléphone avec madame Roberge. Cette dernière a complété le même jour un bilan des interventions faites auprès du travailleur, faisant également état de sa conversation téléphonique avec le médecin. Il convient de reproduire la lettre de madame Roberge puisqu’elle fait largement l’historique pertinent de la condition du travailleur :
Michaël Thibault est un jeune homme de 18 ans qui a subi plusieurs traumatismes craniocérébraux légers depuis son enfance (à l’âge de 4-5 ans, en 1re ou 2e année, en 6e année, puis trois autres traumatismes craniocérébraux légers se seraient produits par la suite en jouant au hockey, dont celui de septembre 2012). En mars 2013, il a été référé en neuropsychologie au Centre de protection et de réadaptation de la Côte-Nord par le docteur Pierre Langevin, neurologue-pédiatre, pour un traumatisme craniocérébral léger en septembre 2012. Une évaluation en neuropsychologie faite à l’automne 2013 révéla de la fatigabilité et de légères difficultés exécutives (fluctuations attentionnelles, sensibilité aux distracteurs, diminution de l’attention partagée, difficulté à organiser l’information de manière efficace, ce qui peut avoir un impact sur la manipulation de l’information en mémoire à court terme et sur la qualité de l’encodage en mémoire à long terme). Des interventions ont par la suite été faites au centre de réadaptation permettant à Michaël d’apprendre et d’appliquer des stratégies compensatoires, ainsi qu’auprès du milieu scolaire de manière à ce qu’il puisse avoir accès à des accommodations en milieu scolaire.
Cependant, en janvier dernier, Michaël reçu un ballon de volleyball sur la tête, ce qui a exacerbé ses symptômes postcommotionnels, dont des étourdissements, des nausées, de la confusion et de l’irritabilité. Puis, le 19 mars dernier, Michaël s’est cogné la tête contre une barre de métal, alors qu’il était au travail. Il a consulté aux urgences du Centre de santé et de services sociaux de Sept-Îles le jour même et une contusion crânienne a été diagnostiquée. Deux jours plus tard, Michaël me contacta, m’informant de l’apparition de nouveaux symptômes (nausées, étourdissements) et l’exacerbation de ses symptômes antérieurs (ralentissement de sa vitesse de traitement de l’information, difficultés attentionnelles, maux de tête, fatigue). Je lui recommandai de retourner consulter aux urgences du Centre de santé et de services sociaux de Sept-Îles.
Les évidences cliniques démontrent un effet cumulatif de multiples traumatismes craniocérébraux dans le temps. Plus spécifiquement, les personnes ayant subi plusieurs traumatismes craniocérébraux sont plus à risque de se blesser à nouveau (cerveau fragilisé par le premier impact) et démontrent une récupération plus lente, ainsi que des changements à long terme au niveau de la structure et/ou des fonctions du cerveau. Conséquemment, les impacts de janvier et mars 2014 sont à mon avis des sous- commotions qui, combinés à une condition personnelle préexistante (cerveau fragilisé par plusieurs traumatismes craniocérébraux légers antérieurs), ont exacerbé le syndrome postcommotionnel résiduel de Michaël.
Présentement, Michaël est suivi au Centre de protection et de réadaptation de la Côte- Nord en neuropsychologie et en éducation spécialisée. Il est également suivi en chiropractie par Marco Coulombe. Il est Indemnisé par la Commission de la santé et de la sécurité du travail depuis et n’a pas repris le travail au Canadian Tire, ni l’école au Cégep de Sept-Îles. Il a tenté de reprendre deux cours (français et anglais) au cours des mois d’avril et de mai, avec difficulté. Il a dû abandonner ces deux cours étant donné la persistance de ses symptômes. Il n’a pu non plus reprendre ses loisirs, dont les activités sportives.
Michaël rapporte principalement de la fatigue, des difficultés attentionnelles et mnésiques, des maux de tête et des étourdissements. Au plan émotionnel, Michaël présente une humeur triste et anxieuse qu’il n’arrive plus à contrôler, pour laquelle la combinaison de traitements pharmacologique et psychothérapeutique pourrait être efficace. Il demeure extrêmement fatigable et peut difficilement se concentrer sur de longues périodes de temps, tel qu’observé en thérapie. Sa détérioration l’inquiète beaucoup, particulièrement étant donné qu’il a été accepté au programme de génie civil au Cégep de Beauce en septembre prochain. Suite à une rencontre avec Michaël et ses parents la semaine dernière, nous avons convenu de poursuivre la réadaptation à notre centre et de procéder à une réévaluation en neuropsychologie en août prochain. Michaël se réinscrira au Cégep de Sept-Îles afin de faire un ou deux cours de base à l’automne prochain, tout en poursuivant sa réadaptation. Il se renseignera auprès du Cégep de Beauce s’il peut différer son admission à la session d’hiver de manière à récupérer le plus possible.
Lors d’une conversation téléphonique le 16 juin 2014, je vous ai présenté le dossier de Michaël, que vous étiez supposé rencontrer pour la première fois le 2 juillet prochain. Je vous ai demandé, à la demande de la Commission de la santé et de la sécurité du travail, une prolongation de l’arrêt de travail du client, une prescription pour un suivi en réadaptation à notre centre et une note indiquant que Michaël nécessite un accompagnateur pour ses déplacements s’il doit aller en expertise étant donné la persistance de ses symptômes. Vous aviez rempli le formulaire de la Commission de la santé et de la sécurité du travail tout en me parlant. Nous avions aussi convenu que je contacterais Michaël afin qu’il passe à la clinique pour faire enregistrer sa carte d’assurance maladie pour le formulaire de la Commission de la santé et de la sécurité du travail. Étant donné les symptômes persistants de Michaël, nous avions également convenu que vous tenteriez de le rencontrer avant le 2 juillet 2014, si possible, afin d’optimiser les Interventions faites auprès de ce dernier. Nous avions également convenu que je vous enverrais le rapport d’évaluation en neuropsychologie fait à l’automne dernier et cette lettre bilan pour votre dossier médical.
Je tiens sincèrement à vous remercier d’avoir pris le temps de me parler le 16 juin 2014 et de prendre en charge le dossier de Michaël. Vous pouvez me contacter si vous avez des questions. Vous trouverez mes coordonnées au bas de la première page de cette lettre.
[Nos soulignements]
[16] Outre l’historique particulier relatif à l’état du travailleur, le tribunal retient de cette lettre que le docteur Duval n’a probablement pas vu le travailleur le 16 juin 2014 bien qu’il ait complété le rapport à la CSST. Il est plutôt question d’un premier rendez-vous à titre de médecin qui a charge que le 2 juillet 2014[3].
[17] Le 2 juillet apparemment, le docteur Duval voit le travailleur pour la première fois, outre la consultation à l’urgence dans la nuit du 19 au 20 mars précédent. Le rapport qu’il complète pour la CSST est laconique. Il mentionne simplement « séquelles de TCC léger » ainsi qu’un suivi mensuel. Il dirige le travailleur vers la docteure Danielle Lavoie, neurologue et en neuropsychologie. Il indique que la consolidation est prévisible dans moins de 60 jours. Il n’y a aucune note relatant cette visite. Il n’est pas possible de savoir s’il y a eu un examen clinique détaillé.
[18] Le 16 juillet, le docteur Jacques Potvin, neurochirurgien, complète un rapport d’expertise à l’intention de l’employeur. Malgré les symptômes que lui rapporte le travailleur, le médecin rapporte un examen physique normal. Il s’exprime comme suit :
SYNTHÈSE ET DISCUSSION
En résumé, il s’agit d’un jeune homme ayant présenté de multiples commotions cérébrales dans le passé qui ont été qualifiées de «légères». L’évaluation neuropsychologique avait révélé un patient légèrement ralenti, mais qui avait semble-t-il repris une activité normale jusqu’aux événements décrits du 19 mars 2014.
À la suite d’un trauma crânien d’apparence très banale (il n’a pas eu de perte de conscience, pas de véritable céphalée, pas nausées ni de vomissements), il présente un ralentissement psychomoteur qui apparaît tout à fait disproportionné avec l’importance du traumatisme.
L’examen d’aujourd’hui ne montre aucune évidence clinique de séquelle de ce traumatisme craniocérébral léger.
[19] Le docteur Potvin retient un diagnostic de TCC léger. Il retient également que la consolidation « pour cet événement » est le 16 juillet, soit le même jour. Il suggère néanmoins un examen par résonance magnétique pour confirmer l’absence d’aggravation de sa condition par rapport à un examen passé en mars 2013. Enfin, il ne retient aucune atteinte permanente ni limitations fonctionnelles.
[20] Le 29 juillet, le travailleur voit la docteure Lavoie. Les notes cliniques révèlent l’état du travailleur selon ce médecin. Elle note la présence de céphalées holo-céphaliques serratives une à deux fois par semaine contrôlées au moyen de Tylenol extra-fort et des nausées selon la sévérité des céphalées. Elle rapporte que le travailleur se sent dans le brouillard, il a la vue trouble, des problèmes d’équilibre, de la tristesse et de l’irritabilité. Elle rapporte une amélioration progressive.
[21] Les notes concernant l’examen physique sont à peine visibles, mais elles révèlent une diminution des sensations tactiles et à la piqûre de l’hémivisage gauche.
[22] Le médecin note que le travailleur est suivi au centre de réadaptation et en chiropractie. Elle suggère de continuer les omégas 3. Elle donne néanmoins un congé de neurologie au travailleur.
[23] Le 5 août, le travailleur revoit le docteur Duval pour la seconde fois. Il mentionne toujours les « séquelles de TCC » et un suivi mensuel. Il ajoute toutefois la présence de symptômes anxieux réguliers. Il maintient le suivi en neuropsychologie au Centre de protection et de réadaptation de la Côte-Nord (CPRCN).
[24] Les notes cliniques révèlent que le docteur Duval n’a pas encore pris connaissance du rapport de la docteure Lavoie. Il note néanmoins l’amélioration des symptômes anxieux, de la concentration et de la mémoire « malgré une tolérance faible aux activités soutenues ».
[25] Le docteur Duval prévoit une consolidation dans moins de 60 ours et un rendez-vous un mois plus tard. Il suggère un retour à l’école « en traitement fractionné ». Il « insiste » sur les étapes de consolidation et la prévision de faire des études à temps partiel.
[26] Le 14 août, le docteur Duval complète un rapport complémentaire à l’intention de la CSST où il mentionne :
Je suis d’accord avec les conclusions du docteur Potvin, Jacques à savoir
- Consolidation 2014/07/16
- ᴓ atteinte permanente ᴓ limitations fonctionnelles
En rapport avec l’événement du 2014/03/19
______
Att Le suivi médical et en réadaptation au CPRCN sera pour suivi vs séquelles de TCCL multiples.
[27] Les notes cliniques déposées révèlent pour le 14 août que le docteur Duval aurait discuté de sa position lors de la dernière visite du travailleur le 5 août, qu’il accepte les conclusions du docteur Potvin, qu’il expédie le formulaire à la CSST et qu’il en informe le travailleur au moyen d’un message sur la boîte vocale.
[28] Le tribunal constate que le docteur Duval ne devait toutefois pas avoir en main le rapport du docteur Potvin au moment de la rencontre avec le travailleur le 5 août.
[29] Le 4 septembre, le travailleur revoit le docteur Duval pour un suivi mensuel. Les notes cliniques révèlent l’absence d’examen objectif. Le médecin note essentiellement les appréhensions du travailleur. Le docteur Duval ne mentionne pas de période de consolidation à ce moment.
[30] Le 5 septembre, le docteur Duval répond partiellement aux interrogations de la CSST concernant le diagnostic de la lésion professionnelle et l’atteinte permanente relative au diagnostic de TCC léger. Il croit que le diagnostic de TCC léger simple est conforme à l’état clinique du travailleur bien qu’il soit difficile selon lui de départager les diagnostics de contusion crânienne et de TCC ici. Il ne traite pas de l’atteinte permanente toutefois associée à ce diagnostic.
[31] Le 8 octobre, le docteur Duval revoit à nouveau le travailleur. Il rapporte la fragilité du travailleur malgré l’amélioration de la concentration. Il retient toutefois une période de consolidation de moins 60 jours. Il ne semble pas y avoir eu d’examen clinique. Au rapport d’évolution qu’il complète à l’intention de la CSST, il note « évolution lente, mais favorable ».
[32] Le dossier du travailleur est finalement dirigé vers le Bureau d'évaluation médicale. Le docteur Guy Bouvier, neurochirurgien, examine le travailleur pour déterminer uniquement le diagnostic à retenir. Dans l’avis qu’il émet le 24 octobre, le docteur Bouvier décrit un examen physique normal. Il retient le diagnostic de TCC léger essentiellement à partir de ce que lui a décrit le travailleur au sujet de l’événement. Il partage donc l’opinion du docteur Potvin sur le diagnostic.
[33] Le 9 décembre, le travailleur revoit le docteur Duval qui note une nette régression du « pattern » anxieux et d’appréhension. Il mentionne de bons résultats scolaires et des tâches adaptées à des horaires réduits bien tolérés. Il ne semble pas y avoir d’examen objectif détaillé. Il note simplement « ORL : n ». Il retient toutefois une consolidation « CSST » de plus de 60 jours et le maintien des horaires adaptés à l’école.
[34] Le 27 janvier 2015, le docteur Duval retient à nouveau une consolidation à plus de 60 jours. L’examen neurologique lui apparaît normal, sauf un trouble d’attention et de l’anxiété qui limitent la concentration.
[35] Le 2 février 2015, madame Roberge complète un rapport de réévaluation en neuropsychologie. Elle expose notamment que le travailleur est suivi au Centre de protection et de réadaptation de la Côte-Nord (CPRCN) depuis septembre 2013 en raison de multiples traumatismes crâniens légers dont le plus récent à l’époque est survenu en septembre 2012 ayant causé un syndrome postcommotionnel. Alors qu’il poursuivait son traitement, il a reçu un ballon de volleyball sur la tête en janvier 2014 et en mars 2014, il a subi son accident du travail.
[36] La neuropsychologue traite également de l’examen neuropsychologique et de son analyse. Elle retient que le profil du travailleur met en évidence un ralentissement psychomoteur et de légers déficits attentionnels compatibles avec un syndrome postcommotionnel. Il y aurait un effet cumulatif de plusieurs traumatismes craniocérébraux antérieurs. Les traumatismes de janvier et de mars 2014 ont exacerbé ce syndrome. En termes de limitations fonctionnelles et de pronostics neuropsychologiques, madame Roberge écrit :
Depuis mars 2014, une légère amélioration de la condition de Michaël a été notée suite aux interventions en réadaptation, lui permettant de reprendre un cours au cégep. Cependant, ses limitations fonctionnelles sont importantes et il ne peut accomplir plusieurs habitudes de vie simultanément. Lorsqu’il va bien, il peut assister à son cours et faire quelques loisirs, comme marcher avec son chien. Toutefois, lorsque les exigences se multiplient en nombre et en complexité, sa fatigue cognitive augmente et exacerbe par la suite plusieurs de ses symptômes postcommotionnels, incluant les étourdissements, les capacités attentionnelles, la vitesse de traitement de l’information et d’exécution, ainsi que la capacité à gérer les facteurs de stress. La prise de médicaments est un élément essentiel contribuant aux progrès notés chez Michaël. Notons toutefois que ce dernier n’avait aucunement besoin de prendre de médicament pour gérer son anxiété avant mars 2014. Des gains fonctionnels sont toujours anticipés avec une meilleure gestion de l’énergie. Cependant, il demeure difficile de déterminer si la condition de Michaël s’améliorera davantage advenant le cas où un plateau de récupération serait observé; ses limitations fonctionnelles seraient ainsi considérées comme étant permanentes.
Présentement, les incapacités physiques, cognitives et affectives de Michaël l’empêchent de reprendre l’école à temps partiel (il ne peut faire qu’un cours à la fois), ainsi que son travail antérieur ou tout autre emploi rémunéré compétitif tout en allant à l’école. Un arrêt de travail prolongé est recommandé afin de poursuivre les interventions en réadaptation pendant la période scolaire. Advenant une amélioration de ses capacités, nous tenterons une réintégration progressive au travail à temps partiel durant la période estivale, avec l’accord de son employeur. Nous tenterons aussi une inscription à deux cours en septembre 2015. Il est important de noter que le pronostic du retour à l’école/travail à temps plein est présentement réservé et jugé non favorable advenant le cas d’un plateau de récupération, étant donné la complexité et la chronicité de la condition médicale de Michaël. Il est possible qu’il ne puisse reprendre ses deux habitudes de vie telles qu’antérieurement. Une réévaluation des limitations fonctionnelles et des pronostics est recommandée la fin de la période estivale.
[Nos soulignements]
[37] Le 19 mars 2015, le docteur Duval repousse à nouveau la consolidation à plus de 60 jours et note une « atteinte permanente + ». Il semble favoriser une réorientation scolaire. Il ajoute qu’il ne croit pas à une assignation temporaire de travail pour le moment. Le médecin note « trouble organique de la personnalité et du comportement dus à une affection, une lésion et un dysfonctionnement cérébraux-séquelles de TCCL multiples ». Il note « assignation temporaire de travail difficile de façon prolongée ». Il envisage toujours la consolidation dans plus de 60 jours.
[38] Le 26 mars, le docteur Duval demande une consultation en psychiatrie pour le travailleur.
[39] Le 7 avril, le docteur Duval écrit une lettre au sujet de l’état du travailleur dans laquelle il fait siennes les constatations de madame Roberge du 2 février 2015. Il écrit ceci :
Notre avis est de nouveau sollicité en rapport avec les événements du 2014-03-19. Nous sommes d’avis que le contexte médical est bien document [sic] au rapport de Madame Marie-Claude Roberge du 2015-02-20 et adhérons aux constatations de celle-ci.
Nonobstant le fait que les événements décrits le 2014-03-19 ne sont pas les seuls en cause, il n’en demeure pas moins que, chronologiquement, on note des déficits fonctionnels plus marqués chez Monsieur Michaël Thibault à partir de cette date. Dans ce contexte, on ne pas exclure que les événements qui y sont décrits auraient pu contribuer à l’aggravation des déficits fonctionnels du patient.
[Nos soulignements]
[40] Lors de l’audience, la mère du travailleur, madame Marie-Josée Stea, offre un témoignage chargé d’émotions. Elle fait état des traumatismes crâniens dont a souffert le travailleur. Elle décrit le tempérament actif, sociable, sportif et travaillant de son fils avant mars 2014 en comparaison avec son état postérieur, totalement différent. La marche est pénible de même que la concentration. Il tolère mal la lumière.
[41] Elle se souvient qu’au moment de l’expertise de la part du docteur Potvin. Elle affirme que le travailleur ne pouvait même pas tolérer le « tic-tac » de l’horloge, il ne pouvait écouter la télévision ni marcher pour simplement faire le tour du « bloc ».
[42] Aujourd’hui, elle note qu’il peut écouter la télévision un peu, soit une heure environ entrecoupée de pauses; la lumière le dérange moins; il peut suivre des cours à l’école, mais pas davantage que deux heures consécutives.
[43] Le travailleur offre également son témoignage. Il décrit d’abord le fait accidentel. Il décrit « sa vie » avant et après l’accident du travail comme étant deux opposés. Il se dépeint comme étant auparavant « plus actif que les autres », sportif et allant à l’école à temps plein tout en travaillant à temps partiel. Il avait beaucoup d’amis et était sportif. Par la suite de l’accident, il ne pouvait plus aller à l’école, se concentrer ni même écouter la télévision .il ne pouvait plus suivre les conversations avec ses amis.
[44] Tout cela recommence à peine, dit-il.
[45] Au 16 juillet 2014, il se souvient qu’il « passait » ses journées chez lui; il souffrait de phonophobie; il avait peu de contact avec ses amis et il n’avait « aucune activité ». Il note aujourd’hui des améliorations.
[46] Le travailleur reconnaît que le docteur Duval est son médecin qui le suit encore.
[47] Le représentant du travailleur reconnaît que le docteur Duval est le médecin qui a charge du travailleur. Il soutient toutefois que le 2 juillet et le 5 août 2014, ce médecin ne « consolidait » pas le travailleur.
[48] Il rappelle que le 16 juin 2014, le docteur Duval mentionnait une aggravation d’une condition personnelle.
[49] Il admet que le 14 août, le docteur Duval se dit d’accord avec le docteur Potvin pour consolider sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles mais uniquement eu égard à l’événement du 19 mars 2014, tout en poursuivant le suivi au CPRCN en réadaptation. Cela est reconnu par le membre du Bureau d'évaluation médicale, le docteur Bouvier.
[50] Le représentant note que de mars à juillet 2014, aucune évolution médicale n’est notée alors que par la suite, il y a eu amélioration. C’est dire qu’en juillet 2014, la condition du travailleur n’a pas atteint un plateau.
[51] Ainsi, le représentant soutient que malgré que la CSST soit liée généralement par les rapports du médecin qui a charge d’un travailleur, il y a des circonstances exceptionnelles où ce rapport n’est pas liant. Il cite l’affaire Wetherall et Entreprise Renaud Rioux[4], J...T... et Commission scolaire A[5] et Djuma et Unidindon[6].
[52] Il soutient qu’ici précisément, le rapport complémentaire du docteur Duval n’aurait pas dû lier la CSST puisqu’il n’était pas clair et que les rapports subséquents du docteur Duval sont plutôt à l’effet contraire, notamment quant à la consolidation. Le représentant s’étonne d’ailleurs du fait que le médecin consolide la lésion sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles en exprimant son accord avec le docteur Potvin, tout en maintenant la référence en réadaptation au CPRN en raison de TCCL multiples.
[53] Il soutient que le docteur Potvin a retenu le 16 juillet 2014 comme étant la date de consolidation pour l’événement du 19 mars 2014 et non nécessairement que la condition liée au diagnostic de TCCL l’était. La preuve révèle que cette condition s’est plutôt aggravée. Le rapport complémentaire du docteur Duval complété le 14 août mentionne que son accord avec l’opinion du docteur Potvin quant à la consolidation, l’absence d’atteinte permanente et de limitations fonctionnelles est en rapport avec l’événement de mars 2014. D’ailleurs, le docteur Duval maintient le suivi médical et la réadaptation eu égard au diagnostic de TCCL multiples.
[54] Le représentant du travailleur fait état de contradictions entre le rapport complémentaire et les rapports médicaux contemporains du même médecin, les 29 juillet et 5 août notamment. Jamais le docteur Duval n’a consolidé le travailleur outre dans le fameux rapport complémentaire du 14 août. Au contraire, par la suite, il constate les difficultés variables, maintient le suivi et la réadaptation.
[55] En somme, il retient que le rapport complémentaire du docteur Duval ne doit pas être retenu comme étant liant. Le docteur Duval s’y est exprimé de façon contradictoire par rapport à l’ensemble de la preuve médicale. Bien qu’il se soit dit en accord avec le docteur Potvin, il a complété le suivi du travailleur de façon régulière sans jamais le consolider.
[56] Le représentant fait donc valoir que le rapport complémentaire en est un de complaisance, que les conclusions de ce rapport sont fausses et que le docteur Duval n’avait pas la compétence pour examiner cette question précise.
[57] Ainsi, en écartant le rapport complémentaire, le représentant constate que la lésion professionnelle n’a jamais été consolidée. Dans ce contexte, la preuve ne révèle pas que le travailleur est redevenu capable d’exercer son emploi. Il a donc droit à l’indemnité de remplacement du revenu.
[58] Le représentant de l’employeur a fait valoir par écrit avant l’audience que la capacité du travailleur doit bien être établie au 16 juillet 2014. La décision rendue par la CSST le 23 décembre 2014 à la suite d’une révision administrative est donc bien fondée.
[59] Il insiste sur le fait que tous les intervenants sont liés par le rapport du médecin qui a charge du travailleur, ici le docteur Duval. Le travailleur ne peut d’ailleurs pas contester l’opinion de son propre médecin, en l’occurrence le rapport complémentaire du 14 août 2014 sur lequel s’est appuyée la CSST pour déclarer la capacité du travailleur. Ce rapport est clair et sans ambiguïté quant à ses conclusions. Le travailleur en a été informé en temps utile sans qu’il ait fait valoir son désaccord. Il remplit les conditions qui lui confèrent un caractère liant[7].
[60] Le représentant de l’employeur fait valoir qu’il n’est pas contesté que le docteur Duval est le médecin du travailleur. Il soutient qu’il possédait « assurément » une connaissance suffisante de son état de santé pour l’avoir suivi à compter du 16 juin 2014, et disposer d’un compte-rendu complet de son état complété par la neuropsychologue, madame Roberge, et l’avoir évalué de façon contemporaine, le 5 août 2014.
[61] À cet égard selon lui, les rapports de madame Roberge de février et la lettre du docteur Duval du 7 avril 2015 ne peuvent être utilisés pour changer la décision antérieure du 14 novembre 2014 ne portant que sur la capacité et non sur des constatations médicales. D’ailleurs, en aucun temps le docteur Duval ne change les conclusions de son rapport complémentaire du 14 août 2015.
[62] Le procureur de la CSST, malgré l’empathie qu’il dit éprouver à l’égard du travailleur, partage le point de vue exprimé par l’employeur. Il mentionne que la loi est d’ordre public et ne doit pas servir « d’assurance tout risque ».
[63] Ici, croit-il, le travailleur tente de faire indirectement ce qu’il ne peut faire directement, soit de faire modifier les conclusions de son propre médecin. La question en litige ne vise ici que la capacité du travailleur à exercer son emploi. Il ne s’agit pas d’un litige sur des questions médicales ou sur l’existence d’une récidive, rechute ou aggravation.
[64]
Selon le procureur, le rapport complémentaire du docteur Duval en
date du 14 août 2014 lie la CSST. Elle devait rendre une décision de
capacité sur la base de ce rapport dans lequel il exprime son accord avec les
conclusions du docteur Potvin quant à la consolidation de la lésion
professionnelle au 16 juillet 2014, sans atteinte permanente ni limitations
fonctionnelles. Les propos du docteur Duval quant au suivi médical et à la
réadaptation au CPRCN n’est pas en lien avec la lésion strictement issue de
l’événement du 19 mars 2014, mais avec des lésions personnelles antérieures.
[65] Sur le caractère liant du rapport complémentaire, le procureur de la CSST fait valoir que les conditions généralement reconnues par la jurisprudence sont réunies ici. Le docteur Duval est le médecin du travailleur. Il avait une connaissance personnelle et suffisante de l’état, « fine » même, du travailleur au moment de la production de son rapport. Il a étayé ses conclusions de façon suffisamment claire pour expliquer son changement de position par rapport à ses rapports antérieurs[8]. Enfin, il n’a jamais cherché à modifier ses conclusions alors qu’il a eu l’occasion de le faire, notamment lorsque la CSST lui a demandé de préciser le diagnostic.
[66] De tout cela, le tribunal doit déterminer si le travailleur est redevenu capable de reprendre son emploi le 16 juillet 2014 et s’il a droit à l’indemnité de remplacement du revenu après cette date.
[67] La loi prévoit en effet le droit à l’indemnité de remplacement du revenu durant la période d’incapacité :
44. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à une indemnité de remplacement du revenu s'il devient incapable d'exercer son emploi en raison de cette lésion.
Le travailleur qui n'a plus d'emploi lorsque se manifeste sa lésion professionnelle a droit à cette indemnité s'il devient incapable d'exercer l'emploi qu'il occupait habituellement.
__________
1985, c. 6, a. 44.
[68] L’article 57 de la loi identifie le moment où l’indemnité de remplacement du revenu prend fin :
57. Le droit à l'indemnité de remplacement du revenu s'éteint au premier des événements suivants :
1° lorsque le travailleur redevient capable d'exercer son emploi, sous réserve de l'article 48;
__________
1985, c. 6, a. 57.
[69] Par ailleurs, la loi prévoit une présomption d’incapacité tant que la lésion professionnelle n’est pas consolidée.
46. Le travailleur est présumé incapable d'exercer son emploi tant que la lésion professionnelle dont il a été victime n'est pas consolidée.
__________
1985, c. 6, a. 46.
[70] La loi prévoit également que la CSST est liée par un rapport émis par le médecin qui a charge du travailleur :
224. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212.
__________
1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.
[71] La consolidation, l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles sont des sujets mentionnées au premier alinéa de l’article 212 de la loi.
[72] La jurisprudence prévoit cependant des cas qualifiés d’exceptionnels où dans certaines circonstances, il est possible de considérer la CSST, et par conséquent le tribunal, non liés par un rapport médical du médecin du travailleur[9], notamment un rapport complémentaire[10].
[73] Dans le cas présent, la CSST s’est appuyée sur le rapport complémentaire du docteur Duval émis le 14 août 2014 afin de déterminer le 14 novembre que le travailleur est redevenu capable de reprendre son emploi à compter du 16 juillet 2014.
[74] Ce rapport complémentaire, essentiellement, fait mention de l’accord du docteur Duval avec les conclusions du médecin désigné de l’employeur, le docteur Potvin, émises le 16 juillet et portant notamment sur la consolidation, l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles.
[75] Le rapport complémentaire est le seul de la part du médecin du travailleur qui retient que la consolidation de la lésion professionnelle est atteinte au 16 juillet 2014. Ce rapport maintient toutefois un suivi et de la réadaptation au CPRCN en raison de TCCL multiples.
[76] Les rapports antérieurs et postérieurs du docteur Duval repoussent tous sauf un la consolidation et maintiennent le suivi mensuel. Le docteur Duval continue à voir le travailleur pratiquement tous les mois jusqu’au moment de l’audience en avril 2015.
[77] Un seul rapport n’en traite pas. Il s’agit du rapport du 4 septembre 2014. Tous les autres rapports liés à une visite du travailleur en font état.
[78] Le représentant du travailleur prétend que le rapport complémentaire ne doit pas lier la CSST aux fins de rendre la décision capacité.
[79] Qu’en est-il?
[80] Dans l’affaire Unidindon[11], notamment et les autres citées plus haut, il est reconnu que le rapport du médecin qui a charge, pour être liant, ne doit présenter aucune ambiguïté ni contradiction et ne pas porter à interprétation. L’opinion du médecin doit être motivée et établie en toute connaissance de cause, laquelle doit être récente et suffisamment complète. Il doit apparaître que le jugement professionnel du médecin a été exercé de façon responsable sans être indûment influencé que ce soit par un autre médecin ou un travailleur. Cela est particulièrement le cas lorsqu’il apparaît que le médecin qui a charge change son opinion par rapport à ses derniers rapports contemporains. Le retournement d’opinion du médecin peut avoir des conséquences sérieuses, notamment parce que le travailleur ne peut contester ce changement.
[81] Dans le cas présent, le docteur Duval est bien entendu le médecin qui a charge du travailleur. Il a toutefois pris charge du travailleur réellement qu’à partir du 2 juillet 2014.
[82] L’analyse des rapports médicaux à ce sujet révèle que ce médecin a vu une première fois le travailleur à l’urgence dans la nuit du 19 au 20 mars 2014. Par la suite, il ne l’a revu que le 2 juillet 2014. Le rapport et les notes cliniques révèlent que le docteur Duval n’a tout probablement pas vu le travailleur le 16 juin ou ne l’a pas examiné. La date d’inscription du travailleur au registre du docteur Duval est d’ailleurs le 2 juillet 2014[12].
[83] Par la suite, il n’a revu le travailleur que le 5 août. Il semble qu’à ce moment, le docteur Duval n’a pas encore vu le rapport du docteur Lavoie, neurologue, dont la consultation était le 29 juillet.
[84] Le 14 août, le jour où il complète le rapport complémentaire en cause, il ne semble pas que le docteur Duval voit le travailleur, mais il semble l’informer du fait au moyen d’un message vocal qu’il se déclare d’accord avec le docteur Potvin.
[85] Ainsi, bien que le docteur Duval soit le médecin du travailleur, il ne semble pas, au 14 août 2014, avoir vu le travailleur de façon régulière encore. D’ailleurs, le dossier ne fait état d’aucun examen clinique de la part du docteur Duval effectué de façon contemporaine.
[86] Dans ce contexte, il est difficile de considérer que le docteur Duval avait une connaissance suffisamment complète de la condition du travailleur au moment de compléter le rapport complémentaire.
[87] De plus, ce rapport qui apparaît clair au départ se révèle ambigu, puisque le docteur Duval retient d’une part les conclusions du docteur Potvin sur la consolidation, l’absence d’atteinte permanente et de limitations fonctionnelles, mais d’autre part maintient la réadaptation et le suivi médical eu égard à des séquelles de TCC multiples. Le mot « multiples » doit forcément englober le dernier événement.
[88] C’est dire que le rapport complémentaire du docteur Duval laisse place à interprétation.
[89] Il est vrai que le docteur Duval n’a pas cherché à corriger l’opinion émise dans son rapport complémentaire au moment où la CSST le questionne sur le diagnostic à retenir en septembre 2014 où la CSST l’informe que le diagnostic de TCC léger entraîne un déficit anatomo-physiologique de 1 %, même sans déficit permanent. Elle lui demande s’il retient le diagnostic du docteur Potvin et, également, s’il maintient l’absence d’atteinte permanente. L’opinion que livre alors le docteur Duval sur le diagnostic est nébuleuse au point où la CSST dirige le dossier au Bureau d'évaluation médicale uniquement sur cette question.
[90]
Le docteur Duval souligne dans sa réponse à la CSST au sujet du
diagnostic qu’il s’agit d’un cas complexe et qu’il est difficile de départager
les diagnostics. D’ailleurs, Il ne répond tout simplement pas à
la question sur l’atteinte permanente.
[91] Le docteur Duval continue néanmoins à suivre le travailleur pour un diagnostic de TCC léger et repousse continuellement la consolidation en dépit de son rapport complémentaire du 14 août 2014. Le suivi qu’il assure laisse clairement entendre que le dossier du travailleur n’est pas clos dans son esprit.
[92] Dans ce contexte, il est difficile de considérer que l’opinion du docteur Duval émise dans le rapport complémentaire du 14 août 2014 est précise et motivée ou basée sur une connaissance suffisante du dossier. Cela porte à croire que le docteur Duval a été à ce moment influencé par le rapport détaillé du docteur Potvin et apparemment plus complet en terme d’examen que les siens.
[93] Le tribunal retient que l’opinion du docteur Duval dans son rapport complémentaire n’a pas été émise de façon responsable ou rigoureuse à ce moment compte tenu de sa connaissance du dossier.
[94] En fait, il semble que le suivi qu’il a apporté par la suite à la condition du travailleur jusqu’au moment de l’audience est sans rapport avec l’opinion émise dans le rapport complémentaire.
[95] En tout état de cause, le tribunal conclut que le rapport complémentaire du 14 août 2014 du docteur Duval ne liait pas la CSST. Celle-ci ne pouvait retenir que la condition du travailleur était rentrée dans l’ordre ou qu’elle était consolidée sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles le 14 juillet 2014.
[96] C’est dire que la lésion n’était pas consolidée à ce moment et qu’il était prématuré pour la CSST de déclarer que le travailleur était redevenu capable de reprendre son emploi.
[97] L’évaluation du dossier du travailleur doit donc être poursuivie conformément à la loi. Le travailleur a notamment droit à l’indemnité de remplacement du revenu.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la contestation de monsieur Michaël Thibault, le travailleur;
INFIRME la décision rendue le 23 décembre 2014 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur n’est pas capable de reprendre son emploi le 14 juillet 2014 et qu’il a droit l’indemnité de remplacement du revenu prévue à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
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Jacques David |
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Dominic Lemieux |
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SYNDICAT DES MÉTALLOS |
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Représentant de la partie requérante |
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Martin Légaré |
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MÉDIAL CONSEIL SANTÉ SÉCURITÉ INC. |
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Représentant de la partie intéressée |
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Me René Fréchette |
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PAQUET THIBODEAU BERGERON |
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Représentant de la partie intervenante |
[1] RLRQ, c. A-3.001.
[2] Cela est mentionné aux notes évolutives de la CSST en date du 12 juin 2014.
[3] Les notes évolutives du 12 juin 2014 sont au même effet.
[4] 2009 QCCLP 5803.
[5] 2011 QCCLP 8228.
[6] 2013 QCCLP 1402, requête en révision rejetée 2015 QCCLP 745.
[7] Labrie et Fondations Geodex inc., 2014 QCCLP 40.
[8] Lemire et Relais Routier Petit inc., 2012 QCCLP 437 et Mallet et Popote roulante Salaberry Valleyfield, 2013 QCCLP 1723.
[9] Whetherall et Entreprises Renaud Rioux (Les), précitée note 4.
[10] Unidindon inc. et Djuma, précitée note 6.
[11] Précitée note 6. Voir aussi Guitard et Peinture G. & R. Lachance inc., 2011 QCCLP 2731.
[12] Cela apparaît des notes cliniques déposées après l’audience.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.