Ville de Montréal c. Latulippe |
2018 QCCS 2356 |
||||
COUR SUPÉRIEURE |
|||||
(Chambre criminelle et pénale) |
|||||
CANADA |
|||||
PROVINCE DE QUÉBEC |
|||||
DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
||||
|
|
||||
|
|||||
N° : |
500-36-008321-161 |
||||
|
|
||||
|
|||||
DATE : |
LE 28 MAI 2018 |
||||
______________________________________________________________________ |
|||||
|
|||||
L'HONORABLE CLAUDE DALLAIRE, J.C.S. |
|||||
______________________________________________________________________ |
|||||
|
|||||
|
|||||
VILLE DE MONTRÉAL |
|||||
Appelante |
|||||
c. |
|||||
CHRISTIANNE LATULIPPE |
|||||
Intimée |
|||||
|
|||||
______________________________________________________________________ |
|||||
|
|||||
TRANSCRIPTION RÉVISÉE DES MOTIFS DU JUGEMENT RENDU ORALEMENT LE 26 AVRIL 2018 |
|||||
|
|||||
|
|||||
[1] Ce jugement fait suite à l’appel d’un verdict d’acquittement rendu le 27 octobre 2016, par le juge Gilles R. Pelletier, de la cour municipale de Montréal[1].
[2]
L’intimée, qui n’a pas réussi à
immobiliser son automobile à un panneau d’arrêt obligatoire parce qu’une plaque
de glace, cachée sous une mince couche de neige fraîche, l’en a empêchée, devait-elle
être acquittée de l’infraction prévue au Code de la sécurité routière (« C.s.r. »)[2],
si la preuve révèle qu’elle a fait preuve de diligence raisonnable dans la
conduite de son véhicule, ou aurait-elle dû être condamnée, sur la simple
preuve d’avoir fait défaut d’immobiliser son véhicule à l’endroit requis, parce
que l’infraction en est une de responsabilité absolue et qu’elle n’a pas
démontré une impossibilité absolue pour expliquer ce défaut, comme le soutient
la Ville?
[3] Depuis des dizaines d’années, les tribunaux classent l’infraction dont l’intimée a été accusée dans la catégorie des infractions dites de responsabilité absolue, alors que le juge de première instance arrive à la conclusion qu’il s’agit plutôt d’une infraction qui mérite d’être reclassée dans la catégorie des infractions de responsabilité stricte.
[4] Depuis l’arrêt que la Cour d’appel a rendu dans Ville de St-Jérôme c. Sauvé [3], le 14 février 2018, qui confirme la décision de notre collègue Guy Cournoyer dans Sauvé c. St-Jérôme (Ville de)[4], rendue dans le contexte d’une infraction au Règlement sur la circulation et le stationnement [5], la question de pose à savoir si l’état du droit doit aussi changer en ce qui a trait à la qualification de l’infraction que le Code de la sécurité routière prévoit lorsqu’une personne fait défaut d’effectuer un arrêt obligatoire à l’endroit requis.
[5] Cette infraction doit-elle être reclassée dans les infractions de responsabilité stricte et ouvre-t-elle la porte à une défense de diligence raisonnable, pour la contrer, comme le juge de première instance l’a décidé, ou doit-elle demeurer dans la catégorie des infractions de responsabilité absolue et n’être contrée que par la défense d’impossibilité absolue, comme elle l’a toujours été jusqu’à maintenant, tel que la Ville le soutient[6]?
[6] Voilà la principale question dont ce jugement dispose.
[7] Lorsqu’il a choisi de requalifier l’infraction et qu’il a conclu que l’intimée avait fait diligence raisonnable dans sa conduite hivernale, il a omis de donner l’opportunité aux deux parties de l’éclairer sur cette requalification de l’infraction et sur l’ouverture de cette défense. En ce faisant, a-t-il manqué à la règle audi alteram partem et devons-nous intervenir en appel, pour corriger cette omission?
[8]
Et dans l’affirmative, les pouvoirs d’appel que l’article
[9] Voilà les autres sujets dont traite ce jugement.
[10] Le 16 janvier 2015, au petit matin, il fait -9 oC; sur les routes, des rafales de vent soufflent à 49 km/h et le ressenti, en terme de température, est de -19 oC [7].
[11] L’intimée, qui doit se déplacer ce matin-là, décide de ne pas emprunter les grands axes et choisit plutôt d’emprunter le boulevard Gouin, dont la chaussée est tout de même partiellement enneigée.
[12] À l’intersection de la 132e avenue et du boulevard Gouin, il y a un panneau d’arrêt et un policier est posté tout près, dans une autopatrouille.
[13] Il voit le véhicule de l’intimée arriver à proximité de ce panneau de signalisation et estime alors la vitesse du véhicule à plus ou moins 25 km/h[8].
[14] À environ sept mètres avant l’intersection, donc à 22.9 pieds, il constate que le véhicule ralentit un peu, mais que lorsqu’il arrive à la ligne d’arrêt, il accélère de nouveau, plutôt que de s’immobiliser, d’où son intervention immédiate auprès de l’intimée, afin de lui remettre une contravention pour avoir fait défaut d’immobiliser son véhicule à un arrêt obligatoire, contrairement à ce que prévoit le C.s.r.
[15] L’intimée décide de plaider non coupable à cette infraction et l’audition a lieu le 14 mars 2016.
[16] Le policier qui a constaté l’infraction témoigne sur le contenu du constat qu’il a rédigé.
[17] L’intimée témoigne aussi sur l’ensemble des faits.
[18] En résumé, elle explique qu’elle voulait faire son arrêt, qu’elle a posé des gestes concrets pour y arriver, mais que son véhicule n’a pas réagi comme elle se serait attendue qu’il le fasse. Elle a alors compris qu’une plaque de glace était cachée sous la neige, à l’endroit précis où la ligne d’arrêt se trouvait, et que c’est ce qui l’a empêchée de compléter son arrêt.
[19] Pour étoffer son témoignage, elle produit des photos du site de l’infraction et de la plaque de glace, des rapports météo et un article de journal[9].
[20] De manière plus particulière, elle témoigne qu’à cause de la température ce matin-là, elle roulait lentement. Elle déclare aussi qu’elle connaissait la limite de vitesse applicable à cet endroit et qu’elle roulait en delà de celle-ci, sans toutefois préciser sa vitesse.
[21] À l’approche du panneau de signalisation, elle dit avoir amorcé sa manœuvre d’arrêt en mettant son pied sur le frein, pour ralentir à l’avance, ajoute que son automobile n’a pas réagi comme elle l’anticipait et qu’elle a alors entendu le bruit caractéristique des freins ABS, qui grinçaient, bruit que le juge résume par l’onomatopée « CRRRRRRR » pour illustrer le témoignage de l’intimée sur ce sujet.
[22] L’intimée affirme que son véhicule a fini par s’immobiliser, mais un peu plus loin que l’endroit où il aurait dû, ce qui lui a fait déduire qu’elle venait de passer sur une plaque de glace invisible, cachée sous une mince couche de neige.
[23] Elle déclare qu’elle n’a jamais voulu faire son arrêt obligatoire de la façon dont elle l’a finalement fait, qu’elle voulait s’arrêter à ce panneau d’arrêt, et non plus loin. Elle ajoute que « c’est l’auto qui ne voulait pas arrêter [10]».
[24] Lors des représentations, la Ville plaide que la défense offerte par Mme Latulippe en est une de diligence raisonnable, alors qu’une telle défense ne peut être présentée pour contrer l’infraction reprochée, puisqu’il s’agit d’une infraction de responsabilité absolue.
[25] Elle ajoute que la preuve a démontré que le véhicule automobile de l’intimée ne s’est pas arrêté à l’endroit requis et que la présence d’une plaque de glace sur les lieux ne suffit pas pour accepter une défense d’impossibilité absolue, seule opposable à l’encontre de l’infraction reprochée, pour que l’intimée soit acquittée, la preuve présentée ne rencontrant pas l’ensemble des critères, sévères, reconnus par la jurisprudence.
[26]
Pour la Ville, l’argument principal justifiant que la défense
d’impossibilité ne soit pas retenue en l’espèce repose sur l’obligation qui
incombait à l’intimée d’adapter sa conduite à la saison hivernale, tel que
l’impose l’article
[27] Lors des représentations, personne ne soulève quoi que ce soit quant à un quelconque questionnement sur la qualification de l’infraction dont l’intimée est accusée, à savoir qu’elle ne serait peut-être pas de responsabilité absolue, mais plutôt de responsabilité stricte.
[28] Le 27 octobre 2016, après avoir longuement délibéré, le juge Pelletier acquitte l’intimée de l’infraction reprochée dans un jugement très étoffé de 29 pages.
[29] Dans son jugement, il conclut que l’infraction dont l’intimée est accusée en est une de responsabilité stricte et que la preuve démontre qu’elle a fait preuve de diligence raisonnable, d’où l’acquittement prononcé[11].
[30] Dans un premier temps, le juge aborde l’infraction comme si elle en était une de responsabilité absolue, donc comme elle est qualifiée depuis des lunes par la très grande majorité des juges saisis de dossiers dans lesquels ils disposent de cette infraction, et tel que le dossier lui a été présenté.
[31] Ensuite, le juge Pelletier étudie les éléments de preuve sous l’angle de la défense d’impossibilité absolue, qui est opposable à une telle infraction.
[32] Il révise tout d’abord le fardeau imposé à l’intimée pour démontrer le bien-fondé de cette défense, conclut que l’intimée a satisfait les deux conditions de recevabilité de cette défense, que la preuve doit produire ses effets, et que si tant est que l’infraction reprochée en soit une de responsabilité absolue, ce avec quoi il se dit être en désaccord, l’acquittement doit être prononcé[12].
[33] C’est ce désaccord avec la position soutenue par la Ville sur la qualification de l’infraction qui explique que le juge entreprenne ensuite l’analyse du dossier afin de déterminer si l’infraction doit être reclassée pour entrer dans la catégorie des infractions de responsabilité stricte.
[34] Après avoir fait une rétrospective étoffée des trois types d’infractions qui existent en droit pénal, il conclut qu’il est temps de requalifier l’infraction dont il doit disposer, et de la classer dans les infractions de responsabilité stricte[13].
[35] Au cours de son analyse, il s’inspire entre autres d’une décision que notre collègue Cournoyer a rendue dans l’affaire St-Jérôme (Ville de) c. Sauvé[14], décision qui était en appel au moment où le juge Pelletier rend son jugement, et plus particulièrement au paragraphe 49 de cette décision, où notre collègue se livre à une analyse fouillée qui le mène à la conclusion que l’infraction au règlement municipal dont il est saisi, qui est classée dans la catégorie des infractions de responsabilité absolue depuis la nuit des temps, doit être requalifiée de manière plus conforme aux principes fondamentaux du droit pénal exposés dans les arrêts récents que la Cour suprême a rendus, afin de l’inclure dans la catégorie des infractions de responsabilité stricte.
[36] Nous comprenons que c’est le jugement Sauvé qui inspire le juge de première instance dans sa décision de requalifier l’infraction dont l’intimée Latulippe est accusée, par analogie.
[37]
Procédant ensuite à l’analyse de l’infraction particulière dont il est
saisi, le juge Pelletier conclut que l’article
[38]
Selon lui, c’est plutôt l’article
[39] Référant à l’article 51 de la Loi d’interprétation[16], il conclut que ce n’est pas parce qu’une loi crée des obligations et qu’une personne ne les respecte pas qu’une infraction de responsabilité absolue est automatiquement créée[17].
[40] Après toute cette analyse, le juge conclut que l’infraction dont l’intimée est accusée en est une de responsabilité stricte et que la défense de diligence raisonnable est ouverte pour la contrer. Voici comment il s’exprime à ce sujet :
[131] Quoi
qu’il en soit, le Tribunal, à l’instar de la Cour supérieure dans Sauvé,
s’estime également lié par les autorités Sault Ste-Marie, Tétreault et Immeubles
Jacques Robitaille inc. L’infraction créée par l’article
(Références omises)
[41] Il analyse ensuite la preuve pour décider si elle démontre que l’intimée a fait preuve de diligence raisonnable dans sa conduite. Citant entre autres la décision Montréal (Ville de) c. Malo[18], il rappelle que le fardeau requis pour démontrer une telle défense est relativement exigeant[19].
[42] Il expose aussi certains cas de figure pour lesquels la défense de diligence raisonnable pourrait très bien ne pas réussir : lorsque la conduite se fait dans des conditions hivernales extrêmes, comme dans une tempête de neige, ou lorsqu’il y a de la pluie verglaçante. À l’opposé de ces cas, il évoque la conduite sur une route de campagne isolée[20].
[43] Tout en requalifiant l’infraction reprochée à l’intimée Latulippe, il ajoute que cet exercice ne devrait pas créer de « bar ouvert » ou d’échappatoire automatique permettant à tout un chacun d’éviter à tout coup une condamnation pour une telle infraction[21].
[44] Il se rassure aussi avec la conclusion du juge Pinard[22], dans Rodrigue c. Verdun (Ville de)[23], qui a lui aussi qualifié l’infraction qui nous intéresse comme en étant une de responsabilité stricte, tout en décidant que la preuve n’avait toutefois pas démontré de diligence raisonnable de l’accusé dans la conduite de son véhicule. Dans cette affaire, ce qui explique que l’accusé n’a pu immobiliser son véhicule à l’endroit requis par le panneau de signalisation indiquant un arrêt obligatoire est qu’il était en train de tenter d’échapper à la police, et qu’il conduisait donc de manière impulsive.
[45] À l’autre bout du spectre, et référant aux propos de notre collègue Pennou dans St-Hyacinthe (Ville de) c. Lussier [24], le juge Pelletier souligne que les tribunaux n’exigent pas que la personne qui soulève une défense de diligence raisonnable démontre qu’elle a pris toutes les précautions inimaginables pour éviter la commission de l’infraction et se dit alors convaincu que les tribunaux n’en viendront pas à faire indirectement ce que le législateur n’a certainement pas voulu qu’ils fassent directement, c’est-à-dire qu’une défense valable de diligence raisonnable pour contrer une infraction de responsabilité stricte devienne impossible à présenter.
[46] Revenant ensuite aux faits de son dossier, le juge Pelletier souligne que le fait que l’intimée n’ait pas réussi à immobiliser son véhicule à l’endroit prescrit, donc l'actus reus, n’est pas contesté en l’espèce.
[47] Il analyse ensuite le sérieux de la défense de diligence raisonnable présentée par l’intimée et les paragraphes 143 et 144 de son jugement exposent les éléments qui le mènent à la conclusion que l’intimée a déchargé son fardeau de preuve et que même si elle n’a pas pu effectuer son arrêt obligatoire à l’endroit requis, elle avait conduit de manière diligente et raisonnable.
[48] Le juge fait ensuite état des inconvénients auxquels la Ville pourrait faire face à la suite de la requalification qu’il a faite de l’infraction et discute de son pouvoir judiciaire, dans une section intitulée « épilogue », où il confirme que lors de l’audition, ce dossier lui est apparu comme étant simple, mais qu’il a réalisé son ampleur véritable au cours de son délibéré.
[49] Sur ce sujet, il ajoute qu’il aurait alors pu « rayer la cause du délibéré », ce qu’il n’a pas fait, parce qu’il jugeait qu’il y avait « de sérieux inconvénients tant le déséquilibre des forces en présence était évident », l’intimée n’étant pas représentée par avocat lors de l’audition[25].
[50] En décidant de ne pas rouvrir le dossier, en cours de délibéré, nous comprenons qu’il a choisi de faire primer le droit de l’intimée à un procès dans un délai raisonnable[26].
[51] Il termine son jugement par cette réflexion :
[160] Bien sûr, l’appartenance de l’infraction en litige à la catégorie des infractions de responsabilité stricte ouvre la porte à davantage de contestations et à plus de moyens de défense qu’auparavant. Bien sûr. Cette appartenance révisée est évidemment susceptible de générer quelques acquittements additionnels. Elle impose également, cette appartenance révisée, surtout aux tribunaux d’instance, l’obligation de devoir bien évaluer les moyens de défense que permettent les infractions de responsabilité stricte aux cas qui leur sont soumis. Bien sûr. Mais si ces contingences additionnelles devaient permettre, même de façon modeste, de préserver, voire de rehausser la confiance que tous mettent dans le système de justice de leur pays, il ne pourra, en bout de piste, n’y avoir que des gagnants, à tout point de vue.
[52] Abordons maintenant les questions en litige.
[53] Les cinq questions auxquelles nous devons répondre, dans le cadre de l’appel du jugement de la cour municipale logé par la Ville, sont les suivantes :
1o Les
articles
2o S’il s’agit d’une infraction de responsabilité absolue, le juge a-t-il erré en acquittant l’intimée au motif qu’elle avait présenté une défense valable d’impossibilité absolue?
3o Si l’infraction en est une de responsabilité stricte, le juge a-t-il erré en acquittant l’intimée de cette infraction au motif qu’elle avait présenté une défense valable de diligence raisonnable?
4o Le juge a-t-il violé la règle audi alteram partem en ne donnant pas aux parties la possibilité d’être entendues sur la question relative à la requalification de l’infraction?
5o La Cour supérieure, siégeant en appel, doit-elle retourner le dossier en première instance pour refaire le procès, ou peut-elle disposer de l’appel dans son entièreté?
[54] Selon la Ville, l’infraction en cause n’est pas une de responsabilité stricte, mais de responsabilité absolue.
[55] Comme le juge n’a pas offert aux parties de plaider sur ce sujet, il a commis une erreur de droit et sa conduite doit être sanctionnée par un tribunal d’appel comme le nôtre, selon les décisions Fraillon [27] et Lebrun [28].
[56] Le sujet de la qualification de l’infraction n’ayant pas été soulevé lors des plaidoiries, en ne donnant pas aux parties l’opportunité de plaider sur cette question, alors que la qualification de l’infraction est un sujet important et lourd de conséquences, le juge a manqué à la règle audi alteram partem ainsi qu’à son devoir de retenue judiciaire.
[57]
Dans un autre ordre d’idées, comme le juge part de l’article
[58]
Et en limitant son analyse au texte de l’article
[59] Puisqu’elle allègue que l’infraction dont est accusée l’intimée en est une de responsabilité absolue, la Ville soutient que la seule défense qui lui était opposable est celle de l’impossibilité absolue et qu’en l’espèce, l’une des deux conditions d’ouverture, l’invincibilité, n’a pas été démontrée[30].
[60] Selon la Ville, ce n’est pas la plaque de glace cachée sous la neige à la ligne d’arrêt qui a empêché l’intimée d’arrêter son véhicule à l’endroit prescrit, mais la vitesse à laquelle elle roulait dans des conditions hivernales difficiles. Même si l’intimée savait qu’elle se trouvait dans une zone de 40 km/h et qu’elle a déclaré qu’elle ne roulait pas vite, elle n’a toutefois pas démontré à quelle vitesse précise elle roulait avant de ralentir à 25 km/h, environ sept mètres avant le panneau d’arrêt; cette condition étant d’interprétation restrictive, l’intimée n’aurait donc pas rencontré d’empêchement invincible selon le test de « toute personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances ».
[61] Ce serait donc la combinaison de la vitesse, de la température et de la distance de freinage qui aurait empêché l’intimée d’arrêter son véhicule à l’endroit requis, ce qui ne démontre aucune invincibilité.
[62] La Ville souligne que lorsque le juge de première instance réfère, au paragraphe 114 de son jugement, au paragraphe 7 du jugement Tétreault [31], il applique mal la démarche requise pour qualifier une infraction pénale :
« (…) Désormais, et depuis 2006, le seul élément qui doit servir à déterminer si une infraction est ou non de responsabilité absolue est le texte de la loi qui crée l’infraction. Toute autre considération étant étrangère.[32] »
[63] Puisque la Cour suprême, dans Tétreault, réitère les principes établis dans Sault Ste-Marie[33], et que l’analyse ne se limite pas au seul élément que le juge Pelletier a analysé, il y aurait ici une erreur révisable[34].
[64] Enfin, pour nous convaincre que l’infraction reprochée à l’intimée en est définitivement une de responsabilité absolue, la Ville fait une analogie avec les décisions rendues sur l’infraction prévue au C.s.r. quand une personne n’immobilise pas son véhicule lorsqu’un chauffeur d’autobus scolaire sort un panneau d’arrêt obligatoire pour faire entrer ou sortir des étudiants de son véhicule[35]. Elle nous rappelle qu’après avoir fait l’étude de tous les éléments qui doivent être analysés pour qualifier une infraction pénale, notre Cour, en 2012, a classé ladite infraction dans la catégorie des infractions de responsabilité absolue[36].
[65]
En conséquence, elle nous demande de conclure que les articles
[66] Puisque toute cette matière est bien complexe, la position de l’intimée est très simple : elle s’en remet à la Cour.
[67] Mais sur le fond, elle considère avoir présenté tous les éléments requis pour être acquittée de l’infraction dont elle a été accusée.
[68] Abordons maintenant différents éléments de droit à partir desquels nous devons effectuer notre analyse.
[69] Il est bien établi que la défense d’impossibilité absolue constitue un moyen de défense opposable à une infraction appartement au régime de la responsabilité absolue. Toutefois, ses conditions d’ouverture, l’extériorité et l’invincibilité, sont rigoureuses et strictes.
[70] Pour réussir, la personne accusée doit avoir été confrontée à un obstacle invincible dont la survenance ne lui est pas imputable. Elle doit avoir été dans l’impossibilité matérielle d’accomplir le devoir que la loi lui imposait.
[71] C’est habituellement sur le deuxième critère que cette défense achoppe.
[72] Si la personne savait ou aurait dû savoir que sa conduite risquait d’entraîner une situation incontrôlable, sa défense d’impossibilité absolue doit échouer. Si l’accusé a provoqué l’impossibilité ou s’il disposait d’un moyen d’obvier à la perpétration de l’infraction, la défense ne peut également réussir.
[73] Comme cette défense se mesure objectivement, pour réussir, il faut que toute personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances n’ait pu faire autrement.
[74] Cela présuppose donc l’absence de négligence de la part de l’accusé, ainsi qu’une impossibilité absolue et totale, et non seulement relative[37].
[75] La preuve doit donc être suffisamment caractérisée.
[76] Si l’accusé démontre qu’il n’a pas contribué à la survenance de l’événement incontrôlable, qu’il a tout mis en œuvre pour le surmonter afin de se conformer à la Loi et que toute autre personne aurait également échoué dans les mêmes circonstances, sa défense sera valable et il sera acquitté.
[77] Une analogie s’impose ici entre la défense d’impossibilité absolue et la défense de force majeure, en droit civil. En effet, cette dernière défense présuppose aussi la prévisibilité d’une situation par une personne diligente, prudente et avisée.
[78] Le caractère d’extériorité, comme le fait autonome de la nature, à titre d’exemple, de même que le critère de l’irrésistibilité, c’est-à-dire ce qui rend inutile et futile toute opposition de la personne, sont des éléments de la défense de force majeure, en droit civil.
[79] Voilà donc le contexte juridique dans lequel s’inscrit la défense d’impossibilité absolue, en matière pénale[38].
[80] Pour ce qui est du contexte juridique applicable à la caractérisation d’une infraction permettant de l’inclure dans les infractions dites de responsabilité stricte, ainsi que pour vérifier quels éléments sont requis pour qu’une défense de diligence raisonnable soit retenue, il faut lire la prochaine section, qui constitue le cœur de ce jugement.
[81] Le premier sujet dont il faut disposer est l’allégation de violation de la règle audi alteram partem.
[82] Dans son jugement, le juge énonce clairement qu’il se sent pris entre deux impératifs de justice : la règle audi alteram partem, d’un côté, et le droit de tout accusé de subir son procès dans un délai raisonnable, de l’autre.
[83] Nous sommes d’avis que lorsque le juge réalise que l’infraction dont il doit disposer mérite peut-être d’être requalifiée, au cours de son délibéré, il n’est pas confronté à deux impératifs de justice.
[84] En effet, à partir du moment où l’audition a déjà eu lieu, le droit de l’intimée de subir son procès dans un délai raisonnable a été respecté, car ce que les tribunaux cherchent à protéger par ce droit est la préservation de la preuve, c’est-à-dire éviter que la mémoire des témoins ne s’estompe avec le temps ou que la preuve documentaire disparaisse ou soit altérée.
[85] Même s’il a voulu bien faire, l’intimée n’étant pas représentée par avocat, le juge de première instance a tout de même manqué à l’une des obligations fondamentales qui lui incombaient, soit celle qui consiste à donner l’occasion aux parties de lui présenter leur point de vue sur une question aussi importante pour le sort du litige, en particulier, voire pour l’état du droit, de manière plus générale.
[86] En l’espèce, la victime de cette violation n’est pas la personne qui se représentait seule, mais la Ville, qui croyait à juste titre que le débat fait lors de l’audition ne portait que sur une infraction de responsabilité absolue et sur la défense pouvant lui être opposée, alors que le dénouement de l’affaire est tout à fait différent, même si le juge s’est donné la peine de disposer aussi du litige sous l’angle initial, histoire de disposer des arguments soumis par la Ville à ce sujet.
[87] Nous sommes d’avis que cette question fondamentale, qui porte sur la requalification de l’infraction en litige, sur laquelle le juge élabore dans de nombreuses pages du jugement, et dont le résultat de son analyse change le cours bien établi des choses en matière pénale, ne pouvait être tranchée sans que la Ville ait à tout le moins l’opportunité de dire ce qu’elle en pensait. Cela est d’autant plus vrai que c’est la Ville qui subit les conséquences les plus importantes à la suite du jugement rendu.
[88] Pour ce seul motif, l’appel de la Ville est a priori bien fondé[39]. Nous insistons sur le caractère a priori bien fondé de cet appel, car la conclusion sur cette question demeure tout de même sans conséquence concrète sur le sort du pourvoi, comme tel.
[89] En effet, lors de l’audition que nous avons présidée, la Ville a eu l’occasion de se reprendre et de plaider de long en large sur les différents éléments qu’un tribunal doit évaluer pour qualifier ou requalifier une infraction pénale, ainsi que sur les divers éléments susceptibles de nous convaincre que le jugement de première instance était mal fondé, notamment du fait que la méthodologie utilisée par le juge n’était pas complète.
[90] L’appel ne justifie également pas que nous modifions le jugement de première instance[40], puisque les deux parties reconnaissent que le cas qui nous est soumis ne soulève pas de problème d’appréciation de la preuve en ce qui a trait à la crédibilité des témoins.
[91] Les seuls autres sujets en appel étant la qualification juridique de l’infraction, et l’appréciation de la preuve pour déterminer si l’intimée a fait diligence raisonnable dans sa conduite[41]; retourner le dossier en première instance afin de faire un nouveau procès n’aurait aucune valeur ajoutée pour disposer du dossier.
[92] Les questions soulevées étant mixtes de faits et de droit, de même que portant sur les défenses ouvertes pour contrer l’infraction reprochée, selon sa qualification[42], nous sommes d’avis que les pouvoirs d’appel que le législateur octroie à la Cour supérieure dans le Code de procédure pénale nous permettent de disposer du dossier dans son entièreté, et que c’est la meilleure solution qui s’offre aux parties, en l’espèce.
[93] Dans l’hypothèse où l’infraction en cause en soit une de responsabilité absolue[43], il faut vérifier si le juge a commis une erreur dans l’appréciation de la preuve l’ayant mené à la conclusion que l’intimée avait démontré être dans l’impossibilité absolue d’arrêter son véhicule.
[94] Dans un premier temps, la Ville reconnaît que le premier critère de la défense d’impossibilité absolue a été démontré[44].
[95] Quant au deuxième critère de la défense, l’invincibilité, que l’intimée n’aurait pas démontré, nous sommes d’avis que l’intimée a satisfait le fardeau qui lui incombait et que le juge n’a pas commis d’erreur manifeste et déterminante dans son analyse de la preuve et du droit applicable.
[96] En effet, l’intimée savait que la zone dans laquelle elle circulait imposait une limite de vitesse de 40 km/h et elle roulait à 25 km/h, environ sept mètres avant le panneau d’arrêt[45].
[97] Contrairement à ce que la Ville plaide, pour satisfaire son fardeau, nous sommes d’avis que l’intimée n’avait pas à témoigner sur la vitesse spécifique à laquelle elle roulait avant, comme cela aurait été le cas si elle avait été accusée d’avoir commis un excès de vitesse, à titre d’exemple.
[98] Ainsi, dans le contexte hivernal décrit dans la preuve, lorsque l’intimée appuie sur le frein, elle roule déjà prudemment, puisque l’approximation qu’elle a faite de sa vitesse démontre qu’elle roulait à peu près à la moitié de la vitesse maximale permise. Il faut souligner que cette vitesse n’a pas été remise en cause, le policier confirmant qu’à sept mètres du panneau d’arrêt, environ, l’intimée roulait à 25 km/h.
[99] Selon nous, lorsqu’elle applique les freins à 22.9 pieds du panneau de signalisation, environ, l’intimée freine à une distance raisonnable de ce panneau.
[100] De plus, elle témoigne qu’elle voulait arrêter son véhicule à l’endroit requis par le panneau de signalisation et que la raison pour laquelle elle n’a pas réussi à le faire est indépendante de sa volonté, la glace invisible, cachée sous de la neige, l’en ayant empêchée.
[101] Si l’on fait une analogie avec les calculs que le juge Provencher a faits dans la décision R. c. Roy [46], l’intimée a satisfait le fardeau requis pour être acquittée, puisque les faits de notre dossier démontrent que la manœuvre qu’elle a faite était quasi parfaite, à un pied près, environ.
[102] Il importe toutefois de souligner que la preuve dans notre dossier se distingue de celle présentée dans le dossier qui a donné lieu à l’arrêt Roy, car dans cette affaire, l’accusé roulait beaucoup plus vite que notre intimée, étant « passé comme une balle » au panneau d’arrêt, selon le jugement[47]. C’est d’ailleurs ce qui fait dire au juge saisi de l’affaire que l’accusé aurait pu prendre plus de précautions, ce qui n’est pas le cas dans notre dossier.
[103] S’il fallait refuser la défense d’impossibilité absolue dans le dossier de l’intimée, cela enverrait le message à tout un chacun que quand il fait froid et qu’il y a de la neige sur la route, il faut rester chez nous! Nous ne croyons pas que ce soit là le but recherché par le législateur.
[104] Puisque le juge reprend correctement les éléments de la défense qui s’appliquent à une infraction de responsabilité absolue et que son analyse de la preuve est conforme aux principes applicables à une telle défense, il n’y a aucune erreur manifeste et déterminante justifiant notre intervention, l’intimée ayant démontré les deux critères de cette défense d’impossibilité absolue.
[105] En qualifiant l’infraction qui nous intéresse d’infraction de responsabilité stricte, le juge de première instance a-t-il erré?
[106] Au final, nous sommes d’avis que non.
[107] Lorsqu’il requalifie l’infraction comme en étant une de responsabilité stricte, le juge Pelletier n’erre pas dans le résultat de son analyse.
[108] En effet, à la suite de l’arrêt de la Cour d’appel dans Sauvé[48] rendu en février 2018, dont le juge Pelletier n’a pas le bénéfice au moment de rendre jugement, le résultat de l’analyse du juge de première instance doit être maintenu.
[109] Mais en ce qui a trait à la méthodologie qu’il utilise pour arriver à cette conclusion, aux paragraphes 114, 126, 128 et 131 de son jugement, notre propos mérite un bémol, car sa méthode n’est pas tout à fait conforme à celle établie par le juge Mainville, j.c.a., dans l’arrêt Sauvé, aux paragraphes 64 et 65 de l’arrêt, car il limite son étude au texte de l’infraction reprochée[49], alors que la Cour d’appel confirme qu’il faut pousser l’analyse plus loin.
[110] Toutefois, son erreur de méthodologie ne justifie pas le maintien de l’appel ni le retour du dossier en première instance pour y refaire un nouveau procès, puisque nos pouvoirs d’appel permettent de corriger le tir et de finaliser ce dossier.
[111] Donc, s’il y a un bémol à apporter à la méthodologie utilisée par le juge de première instance, il n’y a pas de double bémol justifiant le retour du dossier en première instance, car nous pouvons refaire l’exercice auquel le juge Mainville convie les juges dans ce type d’analyse, comme nous nous emploierons à faire, dans les prochains paragraphes.
[112] En l’espèce, nous sommes d’avis qu’il est possible de faire une analogie entre l’infraction dont l’intimée est accusée et celle relative au Règlement municipal sur le stationnement qui était en litige dans le dossier Sauvé, pour conclure que l’infraction à l’étude en est bel et bien une qui doit être reclassée dans la catégorie des infractions de responsabilité stricte.
[113] À la lecture de l’arrêt Sauvé, il est clair que l’analyse des dispositions législatives qui créent l’infraction est très importante; c’est même l’élément primordial. Mais cela dit, dans Sauvé, le juge Mainville précise qu’il faut poursuivre l’analyse de la loi afin d’en vérifier le caractère général ou, si l’on préfère, d’en comprendre l’économie générale[50].
[114] Voici les motifs nous justifiant de maintenir la qualification de l’infraction à laquelle le juge Pelletier en est arrivé.
[115] Tout d’abord, la démarche comporte plusieurs étapes.
[116] À la première étape, l’infraction qui apparaît au Code de la sécurité routière[51] bénéficie de la présomption voulant qu’elle en soit une de responsabilité stricte[52]. Cela signifie que ce n’est que si le texte qui la crée fournit des indices sérieux qu’elle ne semble pas en être une de responsabilité stricte que la présomption pourra être renversée.
[117] En
l’espèce, les articles
[118] Pour
comprendre la démarche du juge Pelletier, voici le contenu des deux articles,
ainsi que celui de l’article
368. Le conducteur d’un véhicule routier ou d’une bicyclette qui fait face à un panneau d’arrêt doit immobiliser son véhicule et se conformer à l’article 360.
À un passage à niveau, il ne peut poursuivre sa route qu’après s’être assuré qu’il peut franchir ce passage sans danger.
360. À moins d’une signalisation contraire, face à un feu rouge clignotant, le conducteur d’un véhicule routier ou d’une bicyclette doit immobiliser son véhicule et céder le passage à tout véhicule qui, circulant sur une autre chaussée, s’engage dans l’intersection ou se trouve à une distance telle qu’il y a danger d’accident.
509. Quiconque contrevient à l’un des articles 320, 322, 326, 331, 335, 365, au paragraphe 7.1° de l’article 386, à l’un des articles 388 ou 391, au premier alinéa de l’article 407, à l’un des articles 415, 416, 417.1, 418, 421.1, 473.1, 483, 492.2, 492.4 à 492.6 ou 502 et toute personne autre que le conducteur d’une bicyclette qui contrevient à l’un des articles 349, 350, 359, 359.1, 360, 362 à 364, 367 à 371, 404, 405, 408 à 411, 421, 478 ou 479 commet une infraction et est passible d’une amende de 100 $ à 200 $.
(Nos soulignements et nos emphases)
[119] À notre
avis, l’article
[120] Cela ne
nous permet pas de conclure à la présence d’indices justifiant de s’écarter de
la présomption voulant que l’infraction prévue à l’article
[121] Le mot doit,
qui se retrouve dans l’article
[122] Dans l’arrêt Sauvé, le mot doit se trouve à l’article 41 du Règlement et les mots quiconque contrevient se trouvent à l’article 103 dudit Règlement. Et nous référant aux paragraphes 64, 65, 68 et 69 de cet arrêt, nous sommes d’opinion qu’une analogie presque parfaite s’impose entre l’infraction qui nous est soumise et celle que les juges Cournoyer et Mainville ont analysée:
[64] Comme je l’ai déjà noté plus haut, il est maintenant bien établi que le libellé du texte législatif est le facteur principal et prépondérant afin de décider s’il y a lieu de repousser la présomption de responsabilité stricte pour y substituer la responsabilité absolue. Un libellé qui laisse clairement entendre « que la culpabilité suit la simple preuve de l’accomplissement de l’acte prohibé », mène à la responsabilité absolue. Selon cette exigence, les termes et expressions utilisés aux articles 40, 41 et 103 du Règlement reproduits ci-haut au paragraphe Error! Reference source not found. — soit « doit », « il est défendu », « nul ne peut » et « quiconque contrevient » — ne sont pas indicatifs de responsabilité absolue.
[65] D’abord, on retrouve les termes « il est interdit » dans les dispositions étudiées par la Cour suprême dans les arrêts Chapin et les termes « doit » et « nul ne peut » dans Ville de Lévis. Dans ces deux arrêts, la Cour suprême est d’avis que ces mots ne sont pas indicatifs d’une intention claire de créer une infraction de responsabilité absolue. Si les termes utilisés dans le Règlement sont catégoriques, on n’y énonce pas une interdiction absolue de se stationner dans les espaces concernés, mais plutôt une réglementation de l’emplacement et de la durée du stationnement.
[…]
[68] Si les expressions « doit », « il est défendu », « nul ne peut » et « quiconque contrevient » devaient conduire nécessairement à la responsabilité absolue, ce serait là la négation de la présomption d’interprétation très forte énoncée dans Sault Ste-Marie et reprise constamment par la suite.
[69] En conclusion, les expressions « quiconque contrevient », « doit », « il est défendu » et « nul ne peut » ne sont pas déterminantes pour conclure à une responsabilité absolue et ne sont donc pas suffisantes à elles seules pour écarter la présomption très forte de responsabilité stricte[54].
(Références omises)
[123] Pour déterminer l’intention du législateur et faire échec à la présomption du législateur, il faut ensuite franchir une autre deuxième étape : vérifier ce que l’économie générale de la Loi révèle ainsi que la nature et l’importance de la sanction[55].
[124] Pour ce qui est de l’économie générale de la Loi, l’objet visé par le Code de la sécurité routière se trouve à l’article 1 et se lit ainsi :
1. Le présent code régit l’utilisation des véhicules sur les chemins publics et, dans les cas mentionnés, sur certains chemins et terrains privés ainsi que la circulation des piétons sur les chemins publics.
Il établit les règles relatives à la sécurité routière, à l’immatriculation des véhicules routiers et aux permis dont l’administration relève de la Société de l’assurance automobile du Québec ainsi qu’au contrôle du transport routier des personnes et des marchandises.
[…]
(Nos soulignements et nos emphases)
[125] Cette Loi vise la sécurité du public sur les routes et cherche entre autres à éviter les accidents sur les routes du Québec; cela passe entre autres par la minimisation des dangers aux intersections, comme l’infraction qui nous concerne le démontre[56].
[126] En ce qui a trait à la sanction liée à l’infraction, elle n’est pas très importante (une amende variant entre 100 et 200 $).
[127] Dans le dossier de Sauvé, l’amende pour l’infraction au Règlement sur le stationnement variait entre 30 $ et 75 $.
[128] Une certaine analogie peut donc être faite quant à l’importance relative de la sanction.
[129] Abordons maintenant les conséquences de la requalification de l’infraction sur l’efficacité de l’administration municipale.
[130] Le fait de requalifier l’infraction qui sanctionne le défaut d’effectuer un arrêt obligatoire pour l’inclure dans les infractions de responsabilité stricte plutôt que de la laisser dans la catégorie des infractions de responsabilité absolue, comme elle l’a toujours été, est-il susceptible de créer des « raz-de-marée » de recours ingérables, pour reprendre l’expression du juge Mainville?
[131] C’est ici que ses propos, aux paragraphes 83, 84, 86 et 88 de l’arrêt Sauvé, nous paraissent pertinents :
[83] De fait, l’argument de l’efficacité administrative est la négation même de la présomption d’interprétation portant sur la responsabilité stricte pour les infractions réglementaires, telle qu'énoncée dans l’arrêt Sault Ste-Marie. Cet argument ne saurait donc être retenu. Au surplus, selon l’auteur Don Stuart, la crainte que la défense de diligence raisonnable embourbe les tribunaux trahit un manque de confiance envers le bon sens des juges de fait.
Even in the case of a minor offence such as speeding, the “half-way house” approach [la responsabilité stricte] may be preferable to the harsh rule that a conviction will follow mere proof of the act. Why should blameless accused b[e] deprived of the opportunity of advancing a defense in court? The fear of bogus defenses making a mockery of the law or clogging up the courts, betrays an unhealthy disrespect for the common sense of triers of fact.
[84] D’ailleurs, le jugement entrepris classifiant les infractions de stationnement sous la responsabilité stricte a été largement suivi depuis par les cours municipales du Québec sans qu’il s’en soit suivi un raz-de-marée de défenses de diligence raisonnable. De fait, seulement quelques décisions invoquant les défenses de diligence raisonnable ont pu être répertoriées, dont une seule accueille cette défense. Quoi qu'il en soit, raz-de-marée ou non, l'argument soumis par la DPCP a été écarté dans Sault Ste-Marie et Chapin.
[…]
[86] L’article 103 du Règlement prévoit une peine objectivement peu importante pour une infraction à l’article 41 du Règlement. Il s’agit d’une amende de 30 $ à 75 $ à laquelle s’ajoutent les frais de la poursuite. Malgré cela, compte tenu des autres facteurs applicables et principalement de la rédaction législative de l’infraction en cause, il n’y a pas lieu d’écarter la responsabilité stricte dans ce cas-ci. Si la gravité de la peine est un facteur à considérer dans l’analyse, une peine, si minime soit-elle, ne peut conduire à elle seule à la conclusion qu’il y a là une indication législative claire de responsabilité absolue.
[…]
[88] Il faut éviter que le système de justice pénale soit source d’injustice ou soit perçu comme tel. Ce système doit privilégier les droits des citoyens et non celui de « l’efficacité administrative » au sens bureaucratique du terme, ce qui ne signifie pas qu’il doive être inefficace. Il n’y a d’ailleurs aucune antinomie entre la justice et l’efficacité bien comprise. Exclure les défenses de diligence raisonnable et d’erreur de fait sur le simple fondement que les infractions de stationnement ne conduisent qu’à des amendes minimes serait transformer celles-ci en impôts déguisés. Ce n’est pas là l’objet d’un système de justice pénale fondé sur la primauté du droit et respectueux de tous les citoyens.
(Références omises)
[132] En l’espèce, il est manifeste que les critères élaborés par la Cour d’appel aux paragraphes 72, 78, 79 et 80 de l’arrêt Sauvé nous permettent de faire une analogie pour arriver à la même conclusion que celle de notre collègue Cournoyer, que la Cour d’appel a maintenue, en février 2018.
[133] Ainsi, même si le chemin que le juge de première instance a emprunté était un raccourci et qu’il n’y a pas lieu de cautionner sa méthodologie, n’empêche qu’à la fin de l’analyse, sa conclusion que l’infraction en est une de responsabilité stricte, n’a rien de révisable.
[134] Disposons enfin de la preuve qui a permis au juge de conclure que l’intimée avait fait preuve de diligence raisonnable et qu’elle devait en conséquence être acquittée de l’infraction de responsabilité stricte dont elle était accusée.
[135] Après révision des motifs exposés sur ce sujet, nous sommes d’avis que l’intimée a satisfait le fardeau qui lui incombait de présenter des éléments démontrant que son comportement de conductrice, le jour où le policier lui a remis la contravention à l’origine du litige, était empreint de diligence raisonnable.
[136] En terminant, dans l’hypothèse où l’on puisse être en désaccord avec les conclusions auxquelles nous en arrivons, nous sommes d’avis que le jugement rendu sur la base de l’hypothèse que l’infraction commise en était une de responsabilité absolue, n’a pas à être révisé, car l’intimée était dans l’impossibilité absolue d’immobiliser son véhicule, de sorte que le juge devait prononcer un verdict d’acquittement, comme il l’a fait.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[137] REJETTE l’appel[57];
[138] CONFIRME l’acquittement de l’intimée;
[139] AVEC les frais applicables dans les circonstances.
|
|
|||
|
|
|
||
|
|
|||
Me Marc-Antoine Lavallée |
|
|||
Cour municipale de Montréal |
|
|||
Avocat de l’appelante |
|
|||
|
|
|||
Mme Christianne Latulippe |
|
|||
Pour l’intimée, se représentant seule |
|
|||
|
|
|||
Date d’audience : |
Le 24 mai 2017. Toutefois, les parties ont convenu qu’il était opportun de prolonger le délibéré dans l’attente du jugement de la Cour d’appel dans l’affaire Sauvé qui a été rendu le 14 février 2018. |
|||
[1]
Montréal (Ville de) c. Latulippe,
[2] RLRQ, c. C-24.2.
[3]
[4]
[5] R.R.V.M., c. C-4.1.
[6]
À quelques exceptions près. Voir Rodrigue c. Verdun (Ville de), 2
avril 1998, Cour supérieure,
[7] Rapport météo D-3, et notes sténographiques pages 14-15.
[8] Case C du constat, notes sténographiques, page 25 et paragraphe 143 du jugement.
[9] Ce dernier, après que le juge ait rejeté l’objection de la Ville formulée à l’encontre du dépôt de cette pièce.
[10] Notes sténographiques, pages 16,18, 30.
[11] Il se prononce aussi sur la preuve présentée, dans l’hypothèse où il s’agisse d’une infraction de responsabilité absolue, même si ce n’est pas le ratio decidendi de sa décision.
[12] Par. 38 et 42 du jugement.
[13] Par. 121 du jugement.
[14]
[15] Par. 123 et 124 du jugement.
[16] RLRQ, c. I-16.
[17] Par. 128 du jugement.
[18] C.S., J.E. 1991-443 (QCCS).
[19] Par. 133 du jugement.
[20] Par. 135 à 137 du jugement.
[21] Par. 139 du jugement.
[22] De notre Cour.
[23] Préc., note 6.
[24]
[25] Par. 153 du jugement.
[26] Par. 154 du jugement.
[27] R. c. Fraillon (C.A.Q.), [1990] J.Q. no 2011, p. 3.
[28]
Longueuil (Ville de) c. Lebrun,
[29]
Lévis (Ville) c. Tétreault;
Lévis (Ville) c. 2629-4470 Québec
inc.,
[30] Lors du jugement oral, la soussignée a fait un lapsus en utilisant le mot extériorité au lieu d’invincibilité, lapsus que nous nous permettons de corriger, puisqu’autrement, les motifs exposés par la suite ne feraient pas de sens. Voir paragraphes 10 et 11 du mémoire de l’appelante.
[31] Voir par. 29 du mémoire de la Ville.
[32] Voir aussi par. 115 du jugement, sur ce sujet.
[33]
R. c. Sault Ste-Marie (Ville),
[34] Voir par. 58 de l’arrêt Sauvé.
[35] Code de la sécurité routière, préc., note 2, art. 460.
[36]
Chaput c. Montréal (Ville de),
[37] Montréal (Ville) c. Danechrad, [1994] J.Q. no.2307, par. 9.
[38] Que ce soit directement, avec l’aide des principes en droit pénal, ou indirectement, par analogie avec ceux de la défense de force majeure, en droit civil, qui aide à comprendre ce qui doit être démontré.
[39] Il l’est, mais cela n’aura pas de conséquence en bout de piste, puisque l’acquittement doit être maintenu, tel que nous le verrons plus loin.
[40] Au sens d’un verdict d’acquittement.
[41] Bien entendu, il y a aussi l’appréciation de la preuve sous l’angle de la défense d’impossibilité absolue, mais ce n’est pas l’objet principal du pourvoi, selon nous, et cela peut aussi bien être accompli en appel, sans devoir retourner le dossier en première instance.
[42] Questions de droit.
[43] Ce qui n’est pas notre conclusion.
[44] P. 4, par. 9 à 11 du mémoire.
[45] Donc, avant d’amorcer sa démarche de diminution de vitesse et de freinage.
[46] [1996] J.Q. no 4931, cité par la Ville.
[47] Id., par. 3 du jugement Roy.
[48] Ville de Saint-Jérôme c. Sauvé, préc., note 3.
[49]
Soit l’article
[50] Voir par. 70 et ss de l’arrêt Sauvé.
[51] Comme toute autre infraction, d’ailleurs.
[52] Par. 38 à 40 et 47 de l’arrêt Sauvé.
[53]
Longueuil (Ville de) c. Lachapelle,
[54] Voir aussi par. 59 à 62.
[55] Par. 48 de l’arrêt Sauvé.
[56] Dans Sauvé, l’objet du Règlement sur le stationnement était le suivant, à l’article 1 :
1º la circulation sur les chemins publics dont l’entretien est à la charge de la Ville, au moyen de règles de sécurité qui s’ajoutent à celles du Code de la sécurité routière, (L.R.Q., chapitre C-24.2);
2º le stationnement sur le domaine public et sur les terrains privés;
[…] Voir à ce sujet Montréal (Ville de) c. Malo, [1991] J.Q. no.244, par. 11 et Hull (Ville) c. Desjardins, [2001] J.Q. no. 3306, par. 17.
[57] L’appelante avait raison de porter le dossier en appel sur la question de la violation de la règle audi alteram partem, mais à la fin de l’analyse, cette conclusion n’a aucune incidence sur le sort du dossier, d’où le rejet de l’appel.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.