Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
Modèle de décision CLP - avril 2013

Lambert Somec inc.

2015 QCCLP 250

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Québec

16 janvier 2015

 

Région :

Québec

 

Dossier :

543003-31-1405

 

Dossier CSST :

141191759

 

Commissaire :

Sophie Sénéchal, juge administratif

 

______________________________________________________________________

 

 

 

 

 

Lambert Somec inc.

 

Partie requérante

 

 

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 29 mai 2014, Lambert Somec inc. (l’employeur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) du 7 mai 2014, rendue à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a rendue initialement le 20 février 2014 et déclare que l’employeur doit être imputé de 5,62 % du coût des prestations dues en raison de la maladie professionnelle du 1er mai 2013, subie par le travailleur.

[3]           À l’audience tenue le 8 octobre 2014 à Québec, l’employeur est présent et représenté par procureure.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]           L’employeur n’est pas d’accord avec la décision de la CSST de lui imputer 5,62 % du coût des prestations de la maladie professionnelle subie par le travailleur. Il soumet qu’il n’a pas à être imputé des coûts de la maladie professionnelle. Subsidiairement, il soumet que cette imputation ne devrait être que de 0,54 % ou sinon, de 1,03 %.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[5]           Le tribunal doit déterminer l’imputation du coût des prestations de la maladie professionnelle du 1er mai 2013, en ce qui concerne l’employeur en cause.

[6]           L’article 328 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) se lit comme suit :

328.  Dans le cas d'une maladie professionnelle, la Commission impute le coût des prestations à l'employeur pour qui le travailleur a exercé un travail de nature à engendrer cette maladie.

 

Si le travailleur a exercé un tel travail pour plus d'un employeur, la Commission impute le coût des prestations à tous les employeurs pour qui le travailleur a exercé ce travail, proportionnellement à la durée de ce travail pour chacun de ces employeurs et à l'importance du danger que présentait ce travail chez chacun de ces employeurs par rapport à la maladie professionnelle du travailleur.

 

Lorsque l'imputation à un employeur pour qui le travailleur a exercé un travail de nature à engendrer sa maladie professionnelle n'est pas possible en raison de la disparition de cet employeur ou lorsque cette imputation aurait pour effet d'obérer injustement cet employeur, la Commission impute le coût des prestations imputable à cet employeur aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités ou à la réserve prévue par le paragraphe 2° de l'article 312.

__________

1985, c. 6, a. 328.

 

 

[7]           Lorsqu’il s’agit d’une maladie professionnelle, la CSST impute le coût des prestations de cette maladie à l’employeur pour qui le travailleur a exercé un travail de nature à engendrer cette maladie. Cependant, lorsqu’il s’agit d’un travailleur ayant exercé un travail de nature à engendrer la maladie chez plus d’un employeur, la CSST impute le coût des prestations de cette maladie à tous les employeurs pour lesquels il a exercé ce travail. Cette imputation du coût des prestations se fait alors en proportion de la durée de ce travail pour chacun de ces employeurs et de l’importance du danger que présentait ce travail chez chacun de ces employeurs.

[8]           Le second alinéa de l’article 328 implique d’une part l’identification de chacun des employeurs pour qui le travailleur a exercé un travail de nature à engendrer la maladie et d’autre part, la répartition du coût des prestations de cette maladie. Cette répartition se fait en tenant compte de la durée de l’exposition et en comparant l’importance du danger du travail chez chacun des employeurs identifiés.

[9]           La durée se mesure en fonction du temps d’exercice du travail de nature à engendrer la maladie alors que l’importance du danger que présente ce travail se mesure plutôt en fonction des facteurs de risque associés au développement de la maladie en question et au degré d’exposition du travailleur à de tels risques dans le cadre de son travail.

[10]        Sur ce dernier aspect, il faut qu’une preuve prépondérante soit présentée permettant d’établir en quoi l’exposition chez un employeur comporte moins de risques que chez d’autres employeurs identifiés. Et ceci, non pas dans une optique de remettre en cause l’admissibilité de la maladie, mais bien de procéder à une juste répartition du coût des prestations de cette maladie entre les différents employeurs chez qui le travailleur a exercé un travail de nature à engendrer la maladie.

[11]        À défaut d’une preuve prépondérante permettant d’évaluer adéquatement l’importance du danger, le tribunal n’a d’autre choix que de s’en remettre au seul critère de la durée de l’exposition[2].

[12]        Dans la cause sous étude, le travailleur produit une réclamation à la CSST pour faire reconnaître l’existence d’une maladie professionnelle pulmonaire à compter du 1er mai 2013.

[13]        Le dossier du travailleur est acheminé au Comité des maladies pulmonaires professionnelles de Québec puis au Comité spécial des présidents. Il en ressort que le travailleur est atteint d’une maladie assimilable à l’amiantose. On lui reconnaît une atteinte permanente à l'intégrité physique de 11,50 % et on recommande qu’il ne soit plus exposé aux fibres d’amiante.

[14]        À l’histoire professionnelle, on reteint notamment que le travailleur a été ferblantier pendant plus de 40 ans et qu’au cours de ces années, il a œuvré pour divers employeurs. Son travail consistait surtout à la pose et la réparation de systèmes de ventilation, de climatisation ou de chauffage à air chaud. Il aurait été exposé à la fibre d’amiante sur certains chantiers où il devait démolir des murs isolés à l’amiante ou encore défaire des « docks » recouverts d’amiante. De tels travaux étaient effectués, à l’époque, sans aucune protection.

[15]        En raison de sa condition physique, il cesse de travailler en juin 2012 alors qu’il travaille pour l’employeur Paguy.

[16]        La CSST procède à l’analyse du dossier en vue de partager le coût des prestations de la maladie professionnelle entre divers employeurs chez qui le travailleur a pu effectuer un travail de nature à engendrer la maladie.

[17]        Le 5 juillet 2013, la CSST communique avec le travailleur et discute, entre autres, de son historique d’emplois. Le travailleur nomme 15 employeurs pour lesquels il aurait été en contact avec de l’amiante. L’employeur en cause fait partie de cette liste.

[18]        La procureure de l’employeur produit sous E-1, copie de la grille d’analyse préparée par la CSST aux fins de partager l’imputation des coûts. Les 15 entreprises identifiées sont mentionnées dans la grille, dont Somec inc., Somec Lambert et l’employeur.

[19]        À l’analyse de cette pièce, on constate que la CSST retient un total de 22 936 heures travaillées à titre de ferblantier pour l’ensemble de ces entreprises dont 1 291 heures chez l’employeur, ce qui correspond à une imputation de 5,62 %.

[20]        Le 20 février 2014, la CSST rend donc une décision par laquelle elle détermine que l’employeur doit être imputé de 5,62 % du coût des prestations découlant de la maladie professionnelle du 1er mai 2013. L’employeur demande la révision de cette décision.

[21]        Le 7 mai 2014, la CSST rend une décision à la suite d’une révision administrative. Elle confirme que l’employeur doit être imputé de 5,62 % du coût des prestations découlant de la maladie professionnelle du 1er mai 2013. Pour conclure ainsi, elle retient, entre autres, que :

De 1982 à 1983, de 1985 à 1986 et en 1988, le travailleur occupe un emploi de ferblantier chez le présent employeur, Lambert Somec inc. Dans le cadre de cet emploi, le travailleur est exposé à de l’amiante lors de la pose et la réparation de systèmes de ventilation, de climatisation et de chauffage à air chaud.

 

 

[22]        L’employeur dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles à l’encontre de cette décision, d’où le présent litige.

[23]        Le tribunal a entendu le témoignage de monsieur Stéphane Moisan, avocat. Il travaille chez l’employeur depuis 1989. Il s’occupe des contrats et de la santé et sécurité.

[24]        Il explique d’abord que l’employeur existe depuis 1984, à la suite d’une fusion des compagnies Somec inc. et Marcel Lambert inc. L’employeur est donc une entité distincte de Somec inc. et de Somec Lambert, laquelle a été une coentreprise temporaire créée pour un projet spécifique au début des années 1980.

[25]        Ce faisant, il précise que l’employeur est un entrepreneur en électricité, en mécanique de bâtiments et en procédés. Il exécute ainsi des travaux de tuyauterie, de ventilation et climatisation de même que d’installation de machineries industrielles. Il ne fournit de tels services que pour de gros chantiers  comme des barrages, centrales électriques, hôpitaux ou centres commerciaux.

[26]        L’entreprise compte deux divisions, soit celle concernant la fabrication de pièces ou équipements et l’autre, la construction. Il s’agit de deux divisions distinctes avec des travailleurs différents et des conventions collectives différentes. Le travailleur, ferblantier, oeuvrait au sein de la seconde division, soit celle ayant trait à la construction et particulièrement dans le secteur de l’installation de conduites de ventilation et climatisation.

[27]        Les travaux d’installation peuvent s’effectuer dans un bâtiment neuf ou dans un bâtiment existant. Lorsqu’il s’agit d’un bâtiment existant, les travaux d’installation débutent une fois les travaux de démolition (stripping) terminés.

[28]        Le tribunal a également entendu le témoignage de monsieur André Galichan, retraité.

[29]        Il agit comme gérant de projet de 1984 à 2008 pour le compte de l’employeur alors que préalablement, il a agi à titre de surintendant pour le compte de Somec inc.

[30]        Comme gérant de projet, de 1984 à 2008, il s’assurait de la réalisation des travaux touchant l’installation de la ventilation et climatisation sur les différents chantiers. Il pouvait visiter chaque chantier une fois par mois et pouvait avoir jusqu’à 150 travailleurs à superviser. Le travailleur faisait partie de ce nombre. Il pouvait s’agir de chantiers à la Baie James, de centrales hydroélectriques, d’aéroports ou de centres de services.

[31]        Le travailleur a œuvré sur des chantiers à la Baie James. Il s’agissait alors de constructions neuves. Le travail consistait à l’installation de conduites de ventilation et de climatisation. L’isolation des conduites était assurée par d’autres corps de métier. Le matériel de conduites de ventilation et de climatisation ne contenait pas d’amiante et l’isolation se faisait avec de la fibre de verre. Il n’y avait pas d’amiante sur ces différents chantiers.

[32]        Le relevé des heures de la Commission de la construction du Québec indique que le travailleur a effectué un total de 42 961,70 heures de 1971 à 2012 (ferblantier ou autres). Pour le travailleur, à titre de ferblantier, on enregistre pour l’employeur en cause 1 064,50 heures en 1985, 196,50 heures en 1986 et 29,50 heures en 1988.

[33]        Monsieur Galichan explique que les 1 064 heures enregistrées en 1985 ont été effectuées pour des travaux d’installation de ventilation et climatisation à la Baie James. Il en va autrement, selon lui, pour celles effectuées en 1986 (196,50 heures) ou 1988 (29,50 heures). Le peu d’heures enregistrées, pour ces deux années (226 heures), ne peut justifier un déplacement vers la Baie James.

[34]        En argumentation, la procureure convient que l’employeur n’est pas en mesure de prouver la nature du travail exercé pour ces 226 heures. Étant donné le temps écoulé, l’employeur n’a plus de données à ce sujet. Considérant cette situation injuste pour l’employeur, elle demande donc un transfert de l’imputation selon le troisième alinéa de l’article 328 de la loi.

[35]        D’emblée, le tribunal indique qu’il ne peut souscrire à cette demande de transfert de l’imputation. Il ne voit pas en quoi la situation exposée peut s’avérer injuste pour l’employeur au sens développé par la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles. Surtout dans un contexte où il a pu faire témoigner monsieur Galichan, lequel est venu donner plusieurs détails sur le travail effectué à l’époque, bien avant 1986 ou 1988.

[36]        Certes, l’employeur n’est pas en mesure de justifier la nature du travail effectué par le travailleur pour certaines périodes. Cette seule impossibilité à justifier la nature du travail ne peut se traduire en une injustice donnant ouverture à un transfert de l’imputation. Pour le tribunal, il s’agit d’un problème de preuve et non d’imputation injuste.

[37]        Ceci étant, à défaut de retenir ce premier argument, la procureure soumet que l’imputation au dossier de l’employeur ne devrait être que de 0,54 %. Pour ce faire, elle demande de considérer le total des heures enregistrées à la Commission de la construction du Québec de 1971 à 2012 (42 961,70), d’en soustraire les heures effectuées à la Baie James en 1985 (1 064,50). Sur le résultat obtenu (41 897,20), considérer les 226 heures dont on ne peut justifier la nature des travaux, ce qui donnerait une imputation de 0,54 % au dossier de l’employeur.

[38]        Sinon, elle suggère que le partage de l’imputation devrait être de 1,03 % considérant les données de la pièce E-1, soit un total de 22 936 heures, duquel on devrait soustraire 1 064,50 pour un nouveau total de 21 871,50 heures.

[39]        Ceci étant, le tribunal est d’avis que l’employeur en cause ne doit être imputé que de 1,03 % du coût des prestations de la maladie professionnelle du 1er mai 2013.

[40]        Pour ce faire, le tribunal retient comme prépondérant l’exercice fait par la CSST avec la collaboration du travailleur, pour identifier les employeurs pour lesquels il aurait exercé un travail de nature à engendrer la maladie diagnostiquée. Cet exercice s’avère plus fiable que simplement référer à la compilation des heures fournie par la Commission de la construction du Québec, sans plus de détails.

[41]        Pour les 15 employeurs identifiés par le travailleur, on totalise 22 936 heures. L’employeur en cause fait partie de ces 15 employeurs identifiés et ce, pour un total de 1 291 heures.

[42]        Considérant donc une exposition totale de 22 936 heures, le tribunal estime qu’il y a lieu d’en soustraire 1 064,50 heures.

[43]        Ces 1 064,50 heures correspondent aux heures effectuées par le travailleur en 1985 pour le compte de l’employeur. Selon le témoignage crédible de monsieur Galichan, alors gérant de projet chez l’employeur, ces heures ont été travaillées à la Baie James. Le travail effectué par les ferblantiers à la Baie James ne comportait aucune exposition à l’amiante. Ceux-ci utilisaient des matériaux exempts d’amiante et l’isolation des tuyaux se faisait à l’aide de fibre de verre.

[44]        Tenant compte de cette preuve, il y a lieu de considérer un total de 21 871,50 heures (22 936 - 1 064,50) et de considérer 226 heures d’exposition chez l’employeur en cause (1 291 - 1 064,50).

[45]        Ce faisant, l’employeur doit être imputé de 1,03 % (226 heures / 21 871,50 heures) du coût des prestations de la maladie professionnelle du 1er mai 2013 subie par le travailleur.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête déposée le 29 mai 2014 par Lambert Somec inc., l’employeur;

INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail du 7 mai 2014, rendue à la suite d’une révision administrative;

ET

 

DÉCLARE que Lambert Somec inc. doit être imputé de 1,03 % du coût des prestations découlant de la maladie professionnelle du 1er mai 2013 subie par le travailleur.

 

__________________________________

 

SOPHIE SÉNÉCHAL

 

 

 

 

Me Mélanie Desjardins

BOURQUE, TÉTREAULT & ASSOCIÉS

Représentante de la partie requérante

 

 



[1]           RLRQ, c. A-3.001.

[2]           Garage Michel Potvin inc. et Moreau, C.L.P. 117675-31-9905, 2 mai 2000, M.-A. Jobidon.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.