Gauthier et Bar Bellevue 1998 |
2013 QCCLP 7427 |
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[1] Le 30 avril 2013, madame Marise Gauthier (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 26 février 2013 à la suite d'une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme une décision qu'elle a initialement rendue le 4 décembre 2012 statuant que madame Gauthier a subi, le 7 septembre 2011, une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion professionnelle du 28 août 2008, et ce, en raison du diagnostic de fibromyalgie. La CSST lui reconnaît le droit à l'indemnité de remplacement du revenu, mais uniquement jusqu'au 16 août 2012 parce que cette lésion a été consolidée à cette date et qu'il n'en résulte aucune atteinte ni limitation fonctionnelle supplémentaire à celles qui lui avait déjà été reconnues.
[3] La Commission des lésions professionnelles a tenu une audience le 31 octobre 2013 à Joliette en présence de madame Gauthier, de son représentant et de la représentante de la CSST. Bar Bellevue 1998 (l'employeur) n'était pas présent ni représenté. Le dossier a été mis en délibéré le 11 novembre 2013, à la suite de la réception de documents médicaux demandés à madame Gauthier au moment de l'audience et des commentaires des représentants des parties.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Madame Gauthier prétend que le rapport complémentaire sur lequel s'est fondée la CSST pour mettre fin au versement de l'indemnité de remplacement du revenu le 16 août 2012 doit être considéré comme invalide.
[5] Elle demande d'annuler la partie de la décision qui porte sur cette question et de retourner le dossier à la CSST pour actions appropriées en tenant compte des limitations fonctionnelles établies par le docteur Luc Dauphinais dans une lettre datée du 18 octobre 2013.
QUESTION PRÉLIMINAIRE
[6] Madame Gauthier n'a pas déposé sa requête dans le délai de 45 jours prévu par l'article 359 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), lequel se lit comme suit :
359. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue à la suite d'une demande faite en vertu de l'article 358 peut la contester devant la Commission des lésions professionnelles dans les 45 jours de sa notification.
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1985, c. 6, a. 359; 1992, c. 11, a. 32; 1997, c. 27, a. 16.
[7] Elle demande de la relever des conséquences de son défaut d'avoir respecté ce délai parce qu'un motif raisonnable justifie son retard.
[8] Le défaut de respecter ce délai de contestation de 45 jours rend la requête irrecevable à moins que le retard ne soit expliqué par un motif raisonnable, auquel cas elle peut être considérée comme recevable, comme le prévoit l'article 429.19 de la loi :
429.19. La Commission des lésions professionnelles peut prolonger un délai ou relever une personne des conséquences de son défaut de le respecter, s'il est démontré que celle-ci n'a pu respecter le délai prescrit pour un motif raisonnable et si, à son avis, aucune autre partie n'en subit de préjudice grave.
__________
1997, c. 27, a. 24.
[9] Lors de son témoignage, madame Gauthier explique qu'elle a reçu la décision le 6 mars 2013, ce qui fait que le délai de 45 jours expirait le 20 avril 2013.
[10] Elle a communiqué avec une agente de la CSST pour obtenir des informations sur la procédure de contestation et le 23 mars 2013, elle a transmis par télécopieur à la CSST une lettre de contestation de la décision.
[11] Une agente de la CSST l'a appelée pour lui dire qu'elle n'avait pas transmis sa contestation au bon endroit et elle l'a informée du fait qu'elle pouvait déposer sa contestation à la Commission des lésions professionnelles en remplissant le formulaire prévu à cette fin sur le site Internet de la Commission des lésions professionnelles, ce qu'elle a fait.
[12] N'ayant pas reçu de confirmation de la réception de sa contestation, elle a communiqué avec un agent de la Commission des lésions professionnelles qui lui a indiqué que sa contestation n'avait pas été reçue. Elle a rempli à nouveau un formulaire de contestation sur le site Internet de la Commission des lésions professionnelles que celle-ci n'a pas non plus reçu.
[13] Devant cette situation, elle a décidé de consulter un avocat qui l'a dirigée au groupe Pleins Droits de Lanaudière, lequel a transmis sa contestation à la Commission des lésions professionnelles le 30 avril 2013.
[14] Compte tenu du fait que les explications apportées par madame Gauthier témoignent d'un comportement diligent de sa part et compte tenu du fait que le retard n'est pas très long, la Commission des lésions professionnelles considère qu'un motif raisonnable a été établi pour justifier le retard et, en l'absence d’un préjudice grave pour une autre partie, il y a lieu de déclarer sa requête recevable.
[15] La membre issue des associations d'employeurs et le membre issu des associations syndicales souscrivent à cette conclusion.
LES FAITS
[16] Le tribunal retient les éléments suivants des documents contenus au dossier et du témoignage de madame Gauthier,
[17] Le 28 août 2008, madame Gauthier subit une lésion professionnelle dans l'exercice de son emploi de barmaid-serveuse chez l'employeur alors qu'elle est brutalisée par une personne lors d'un vol à main armée. La CSST reconnaît comme diagnostics de la lésion professionnelle une entorse cervico-dorsale et un état de stress post-traumatique.
[18] Jusqu'en mai 2009, madame Gauthier est suivie par la docteure Caroline Levac. Celle-ci part en congé de maternité et pendant son absence, soit de juin 2009 à mai 2010, le docteur Dauphinais, de la même clinique agit comme médecin qui a charge de madame Gauthier pour le suivi de sa lésion professionnelle.
[19] Le 23 juillet 2009, la docteure Suzanne Lavoie, physiatre, examine madame Gauthier à la demande de la CSST. Elle considère que l'entorse cervicale est consolidée au jour de son examen, sans nécessité de traitement additionnel et sans atteinte permanente à l'intégrité physique ni limitations fonctionnelles.
[20] Dans un rapport complémentaire rédigé le 30 septembre 2009, le docteur Dauphinais indique à la CSST qu'il n'est pas d'accord avec les conclusions de la docteure Lavoie. Il estime que la date de consolidation demeure indéterminée et que la condition cervicale de madame Gauthier nécessite encore des traitements. Il considère qu'il est trop tôt pour se prononcer sur l'existence d'une atteinte permanente à l'intégrité physique et il établit des limitations fonctionnelles, soit ne pas effectuer de mouvements répétitifs du cou ni forcer.
[21] Le 12 novembre 2009, le docteur Karl Fournier, orthopédiste, rend un avis en qualité de membre du Bureau d'évaluation médicale. Il décide que la lésion est consolidée au jour de son examen, soit le 5 novembre 2009, qu'elle ne requiert plus de traitements et qu'elle entraîne une atteinte permanente à l'intégrité physique de 4 % (4,40 % reconnu par la CSST), soit 2 % pour une entorse cervicale et 2 % pour une entorse dorso-lombaire. Il estime que des limitations fonctionnelles de classe I de l'Institut de recherche en santé et en sécurité du travail (l’IRSST) pour la colonne cervicale et pour la colonne dorso-lombaire doivent être établies, soit :
Colonne cervicale :
Classe 1 : restrictions légères :
Éviter d'accomplir de façon répétitive ou fréquente les activités qui impliquent de :
- soulever, porter, pousser, tirer des charges supérieures à environ 25 kg;
- ramper;
- effectuer des mouvements avec des amplitudes extrêmes de flexion, d'extension ou de torsion de la colonne cervicale;
- subir des vibrations de basse fréquence ou des contrecoups à la colonne vertébrale (ex : provoquées par du matériel roulant sans suspension).
Colonne dorsale :
Classe 1 : restrictions légères :
Éviter d'accomplir de façon répétitive ou fréquente les activités qui impliquent de :
- soulever, porter, pousser, tirer des charges de plus de 15 à 25 kg;
- travailler en position accroupie;
- ramper, grimper;
- effectuer des mouvements avec des amplitudes extrêmes de flexion, d'extension ou de torsion de la colonne lombaire;
- subir des vibrations de basse fréquence ou des contrecoups à la colonne vertébrale (ex : provoquées par du matériel roulant sans suspension).
[22] Le 17 novembre 2009, le docteur Claude Morel, médecin-conseil de la CSST, effectue avec le docteur Dauphinais un bilan médical téléphonique concernant surtout la lésion psychique subie par madame Gauthier. Il est fait mention que le membre du Bureau d'évaluation médicale a consolidé la lésion physique avec une atteinte permanente à l'intégrité physique et des limitations fonctionnelles.
[23] En janvier 2010, la docteure Levac recommence à suivre madame Gauthier pour sa condition psychique. Le 9 novembre 2010, elle indique à la CSST dans un rapport complémentaire qu'elle est d'accord avec l'opinion du médecin désigné de la CSST voulant que la lésion psychique soit consolidée parce qu’un plateau a été atteint.
[24] Le 31 mars 2011, la docteure Hélène Fortin, psychiatre, rend un avis en qualité de membre du Bureau d'évaluation médicale. Elle retient que la lésion psychique ne requiert plus de traitements et que la prise de psychotropes doit être diminuée progressivement pour être cessée dans un délai de six mois. Elle conclut que la lésion entraîne une atteinte permanente à l'intégrité psychique de 5 % (5,95 % reconnu par la CSST) et une limitation fonctionnelle voulant que madame Gauthier ne doive pas travailler dans un endroit où il y a un risque élevé de vol à main armée.
[25] Le 26 avril 2011, la CSST détermine que madame Gauthier est capable d'exercer l'emploi convenable de commis de magasin à rayons et elle l'informe qu'elle a droit à la poursuite de l'indemnité de remplacement du revenu pour une période maximale d'un an.
[26] Le 7 septembre 2011, la docteure Levac diagnostique une fibromyalgie comme condition « surajoutée ». Elle reprend ce diagnostic dans des rapports subséquents, mais le plus souvent, elle ne fait état que d'une douleur importante. Elle rencontre madame Gauthier une dernière fois le 9 juillet 2012 avant de partir en congé de maternité. Dans ses notes, elle indique qu’elle se plaint d’une difficulté à mobiliser son bras droit en raison d’une douleur cervicale et elle note une petite faiblesse à droite qui lui semble causée par la douleur, ce qui l’amène à ne pas consolider la lésion et à demander une consultation en neurologie.
[27] À compter du 10 août 2012, le docteur Dauphinais agit à nouveau comme médecin qui a charge de madame Gauthier. Dans ses notes de consultation, il fait mention du diagnostic de stress post-traumatique, d’une douleur diffuse qui est soulagée uniquement par un médicament, selon madame Gauthier ainsi que d’une cervicalgie avec irradiation à l’épaule droite. Il rapporte à son examen physique des mouvements de flexion antérieure et d’abduction de l’épaule droite limités à 30 degrés. Il prescrit de la médication et écrit « formule BS 3 mois ».
[28] Le 16 août 2012, le docteur René Parent, physiatre, examine madame Gauthier à la demande de la CSST. Dans son expertise, il mentionne à son résumé de l'historique du dossier que le docteur Fournier a établi des limitations fonctionnelles de classe I de l'IRSST au niveau cervical et lombaire, mais il ne dresse pas la liste des limitations identifiées par ce médecin.
[29] À la fin de son examen, il retient le diagnostic de fibromyalgie après avoir considéré les éléments suivants :
· Considérant le fait accidentel et les diagnostics retenus,
· Considérant les examens paracliniques et consultations disponibles au dossier,
· Considérant les plaintes subjectives de la patiente,
· Considérant mon examen objectif,
· Considérant l'absence d'une condition personnelle préexistante,
· Considérant que madame correspond aux critères diagnostiques de la fibromyalgie lorsqu'on applique les critères de l'American College of Rhumatology de 2010,
[...]
[30] Il estime que la lésion est consolidée à la date de son examen, sans nécessité de traitements supplémentaires. Il conclut qu'il n'y a pas lieu d'ajouter une atteinte permanente à l'intégrité physique ni d'ajouter une limitation fonctionnelle à celles déjà reconnues à madame Gauthier.
[31] Le docteur Dauphinais revoit celle-ci le 21 septembre 2012. Il mentionne dans ses notes qu’il n’y a pas eu d’amélioration des douleurs diffuses chroniques avec la médication prescrite et qu’elle se plaint d’une aggravation de sa difficulté à mobiliser son bras droit, surtout à le « descendre », depuis l’examen du docteur Parent. Le médecin augmente la dose d’un médicament. La prochaine consultation est prévue le 18 octobre 2012.
[32] Dans une note datée du 17 octobre 2012, le docteur Dauphinais écrit : « Rapport complémentaire à remplir après la visite du 18/10/2012 pour la CSST ». Le 18 octobre, il mentionne dans sa note :
Note de la consultation :
1) stress post traumatique stable
2) entorse cervicale avec douleur épaule droite
persistance de la douleur raideur
tjs aussi handicapée
expert la consolidée le 16/08/2012 avec Dx de fibromyalgie
pte refuse cet opinion et ira voir son avocat.
++++ explic
pte en pleurs
Plan
intervention clinique 30
formule BS
reprenon cymbalta 30 die x 1 mois puis 60
RV 15/11/2012
[…]
Problems - Antécédents personnels
Problème retenu
1→ fibromyalgie 2→ entorse cervicale
Problèmes
1→ fibromyalgie
[sic]
[33] Le 6 novembre 2012, à la demande de la CSST qui veut savoir s’il est d’accord avec les conclusions sur la consolidation et les traitements, le docteur Dauphinais écrit ce qui suit dans un rapport complémentaire :
1) d'accord avec Dre Martine Martin
Consolidation le 16/8/2012
2) d'accord pas d'autre traitement à offrir [sic]
[34] La docteure Martin à laquelle il réfère est le médecin-conseil de la CSST qui lui a fait parvenir la demande de produire un rapport complémentaire.
[35] Dans une note rédigée le 7 novembre 2012, le docteur Dauphinais indique ce qui suit :
CSST
rapport complémentaire rempli
d'accord Dx= fibromyalgie [sic]
[36] Dans la note de consultation suivante du 15 novembre 2012, il écrit :
CSST
1) stresspost-traumatique stable
2) fibromyalgie
cf rapport de l'expert
explic ++++ et reconnaît qu'elle en souffre
3) entorse cervicale stable
4) avec augmentation du lyrica s’endot +++
donc réduirons la dose
E/P idem
[sic]
[37] Le 23 novembre 2012, le docteur Dauphinais remplit un nouveau rapport complémentaire à la demande de la CSST qui veut savoir s’il est d'accord avec les conclusions du docteur Parent voulant que la fibromyalgie n'ait pas entraîné d'atteinte permanente à l'intégrité physique supplémentaire ni de limitations fonctionnelles supplémentaires. Il répond :
1) d'accord avec Dr Parent
2) d'accord avec Dr Parent.
[38] Le 4 décembre 2012, la CSST rend la décision qui est à l'origine du litige que la Commission des lésions professionnelles est appelée à trancher. Elle met fin au droit à l’indemnité de remplacement du revenu au 16 août 2012, soit à la date de consolidation de la fibromyalgie.
[39] Le 22 janvier 2013, le docteur Dauphinais écrit dans sa note de consultation :
1) fibromyalgie douleurs +++
car a manqué de narcotique
a gagné contre la CSST
aurait eu 1 an de recherche d'emploi qui se terminerait en 04/2013
je lui ré-explique que j'étais d'accord avec le spécialiste et elle avait reçu une copie de ce que j'avais écrit. Deplus je lui ai rempli des formulaire du BS comme quoi elle était incapable au travail secondairement à sa fibromyalgie et non au Dx relié à la CSST.
2) stress post-traumatique stable
E/P pte souffrante. [sic]
[40] Madame Gauthier avait droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’au 4 avril 2013 parce qu’au moment de la récidive, rechute ou aggravation du 7 septembre 2011, elle avait droit à cette indemnité pour une période maximale d’un an à la suite de la détermination de l’emploi convenable de commis de magasin à rayons (décision du 26 avril 2011)[2].
[41] Il convient de mentionner que lors de son témoignage, madame Gauthier déclare que lors des consultations des 15 novembre 2012 et 22 janvier 2013, le docteur Dauphinais n'a pas discuté avec elle de consolidation, d'atteinte permanente à l'intégrité physique ni de limitations fonctionnelles et qu'il ne l'a pas examinée.
[42] Le 26 février 2013, la CSST confirme la décision qu'elle a rendue le 4 décembre 2012 en considérant que madame Gauthier ne pouvait pas contester l'opinion de son médecin sur la consolidation de la fibromyalgie, opinion qu'elle remettait en cause.
[43] Le 10 avril 2013, le docteur Dauphinais revoit madame Gauthier et mentionne ce qui suit dans sa note :
1) fibromyalgie
a vu son avocat qui était très étonné que la CSST reconnaisse la fibromyalgie reliée à son accident
Je revise le rapport du physiatre expert de 09/2012 avec la pte et je lui démontre bien qu'il reconaît le Dx de fibromyalgie mais ne parle pas de lien avec l'accident et deplus il ne recommande pas d'autre traitement ni de limitation supplémentaire.
++++ explic
elle pensera à la possibilité de faire une demande RRQ
support
augmentation de ses douleurs +++ pire au réveil [sic]
[…]
[44] Il n’est pas fait mention d’un examen physique dans cette note de consultation.
[45] À compter du 6 mai 2013, la docteure Levac reprend le suivi médical de madame Gauthier. Dans un rapport médical rédigé le 22 mai 2013 à l'attention de la CSST, elle mentionne que la fibromyalgie est encore présente et incapacitante.
[46] Le 27 juin 2013, madame Gauthier revoit le docteur Dauphinais pendant les vacances de la docteure Levac. Il écrit dans sa note ce qui suit :
1) fibromyalgie
a besoin d’une attestation comme quoi elle demeure inapte au travail sec à sa fibromyalgie d’accord
2) doit faire remplir sa formule pour le BS et ne peut attendre le retour du dre Levac
3) [...]
E/P BEG
[47] Il écrit sur un certificat que madame Gauthier demeure inapte au travail à cause de la fibromyalgie. Il rédige également un rapport médical à l'attention de la CSST dans lequel il fait mention de la fibromyalgie.
[48] Le 16 juillet 2013, la docteure Levac mentionne qu’il y a peu de changement à la condition de madame Gauthier depuis la consultation précédente.
[49] Le 18 octobre 2013, le docteur Dauphinais rédige la lettre suivante à l'attention du représentant de madame Gauthier :
J'ai relu attentivement le rapport du Dr René Parent du 16/08/2012. Je suis d'accord avec le diagnostic de fibromyalgie.
Effectivement, je remplaçais ma consœur Dr Caroline Levac qui était en congé de maternité en 2012. Je n'avais pas de copie de l'expertise du Dr Karl Farmer daté du 11/11/2009 sur laquelle le Dr Parent se basait. Je ne pouvais donc pas m'y référer. Je croyais que la fibromyalgie dont Mme Gauthier souffrait était davantage une maladie personnelle qu'une conséquence à son accident de travail comme l'arthrose l'est dans plusieurs cas.
Il est certain que lors de ma dernière évaluation de Mme Gauthier, cette dernière avait des limitations fonctionnelles plus importantes que celles citées dans le rapport du Dr Farmer. Elle n'avait aucune résistance à l'effort, ne pouvait pousser, tirer, forcer avec poids de plus de 5 lbs avec bras droit et ne pouvait faire de mouvements répétitifs du cou. Cependant, il est noté que Mme Gauthier est gauchère.
En espérant que ces renseignements vous soient utiles dans l'étude de ce dossier. [sic]
[50] Il s’agit du docteur Fournier plutôt que du docteur Farmer auquel il réfère.
[51] Lors de son témoignage, madame Gauthier explique qu'elle n'a pas revu le docteur Dauphinais après la consultation du 27 juin 2013.
L’AVIS DES MEMBRES
[52] La membre issue des associations d'employeurs est d’avis que la requête doit être rejetée.
[53] Elle estime que le rapport complémentaire du 23 novembre 2012 du docteur Dauphinais constitue un rapport valide qui ne pouvait pas être modifié parce qu’elle considère, comme le plaide la représentante de la CSST, que ce médecin ne pouvait pas ignorer que la fibromyalgie était une lésion professionnelle. Elle conclut que madame Gauthier n’avait plus droit à l’indemnité de remplacement du revenu en raison de la fibromyalgie à partir du 16 août 2012.
[54] Le membre issu des associations syndicales est d'avis que la requête doit être accueillie.
[55] Il retient que le rapport complémentaire du 23 novembre 2012 n’est pas valide parce qu’il n’est pas motivé et que le docteur Dauphinais reconnaît avoir fait une erreur en considérant que la fibromyalgie était une maladie personnelle. Il estime que les limitations fonctionnelles établies par ce médecin dans sa lettre du 18 octobre 2013 doivent être retenues et il conclut que madame Gauthier a droit à l’indemnité de remplacement du revenu en raison de la fibromyalgie après le 16 août 2012.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[56] La Commission des lésions professionnelles doit décider s'il y a lieu d'annuler la partie de la décision de la CSST qui concerne la fin du droit à l'indemnité de remplacement du revenu en regard du diagnostic de fibromyalgie.
[57] Lors de l’audience, le représentant de madame Gauthier soumet dans un premier temps que le rapport complémentaire produit par le docteur Dauphinais le 23 novembre 2012 est invalide parce que ce dernier n'a pas informé madame Gauthier du contenu de son rapport. Il dépose une décision de la Commission des lésions professionnelles au soutien de sa prétention[3].
[58] Cet argument est fondé sur le dernier alinéa de l’article 203 de loi qui se lit comme suit :
203. Dans le cas du paragraphe 1° du premier alinéa de l'article 199, si le travailleur a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique, et dans le cas du paragraphe 2° du premier alinéa de cet article, le médecin qui a charge du travailleur expédie à la Commission, dès que la lésion professionnelle de celui-ci est consolidée, un rapport final, sur un formulaire qu'elle prescrit à cette fin.
Ce rapport indique notamment la date de consolidation de la lésion et, le cas échéant :
1° le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur d'après le barème des indemnités pour préjudice corporel adopté par règlement;
2° la description des limitations fonctionnelles du travailleur résultant de sa lésion;
3° l'aggravation des limitations fonctionnelles antérieures à celles qui résultent de la lésion.
Le médecin qui a charge du travailleur l'informe sans délai du contenu de son rapport.
__________
1985, c. 6, a. 203; 1999, c. 40, a. 4.
[59] La jurisprudence est partagée quant à savoir s’il s’agit d’une simple formalité ou au contraire d’une obligation réelle du médecin qui a charge du travailleur qui vise notamment à ne pas prendre le travailleur par surprise. Quoi qu’il en soit, madame Gauthier ne peut prétendre avoir été prise par surprise par le contenu du rapport du docteur Dauphinais.
[60] En effet, à la lecture des notes de consultation du docteur Dauphinais des 17 octobre 2012, 15 novembre 2012 et 22 janvier 2013, on comprend que ce dernier a discuté à quelques reprises avec madame Gauthier de l’expertise du docteur Parent et des conclusions que ce médecin a retenues.
[61] Plus précisément, dans la note du 22 janvier 2013, il écrit : « je lui ré-explique que j’étais d’accord avec le spécialiste et elle avait reçu une copie de ce que j’avais écrit ».
[62] Comme deuxième argument, le représentant de madame Gauthier soumet que le rapport du 23 novembre 2012 n’est pas valide parce que le docteur Dauphinais ne motive pas les réponses qu’il a données à la CSST. Cet argument est fondé sur l’article 205.1 de la loi qui se lit comme suit :
205.1. Si le rapport du professionnel de la santé désigné aux fins de l'application de l'article 204 infirme les conclusions du médecin qui a charge du travailleur quant à l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, ce dernier peut, dans les 30 jours de la date de la réception de ce rapport, fournir à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport complémentaire en vue d'étayer ses conclusions et, le cas échéant, y joindre un rapport de consultation motivé. Le médecin qui a charge du travailleur informe celui-ci, sans délai, du contenu de son rapport.
La Commission peut soumettre ces rapports, incluant, le cas échéant, le rapport complémentaire au Bureau d'évaluation médicale prévu à l'article 216.
__________
1997, c. 27, a. 3.
[63] Il dépose une décision de la Commission des lésions professionnelles au soutien de son argument[4].
[64] Effectivement, le docteur Dauphinais n’explique pas les raisons pour lesquelles il estime que la fibromyalgie n’entraîne pas de limitations fonctionnelles supplémentaires à celles déjà reconnues. Nous reviendrons sur cette question un peu plus loin.
[65] Dans l’argumentation écrite qu’il a transmise après l’audience avec les notes de consultation du docteur Dauphinais, le représentant de madame Gauthier ne reprend pas les arguments plaidés lors de l’audience, mais il soumet plutôt que le docteur Dauphinais a changé d’opinion. Il écrit ce qui suit :
Nous vous soumettons que ces notes confirme dans un premier temps le témoignage de la travailleuse à l’effet qu’il n’y a pas eu d’examen physique lors des visites du 18 octobre 2012, 15 novembre 2012 et 22 janvier 2013.
De plus, en page 15 de 25, le Dr Dauphinais écrit en date du 22 janvier 2013 « De plus je lui ai rempli des formulaires du BS comme quoi elle était inapte au travail secondairement à sa fibromyalgie et non au Dx relié à la CSST. »
Également en date du 10 avril 2013, le Dr Dauphinais écrit en page 17 : «je revise le rapport du physiatre expert de 09/2012 avec la pte et je lui démontre bien qu’il reconnaît le Dx de fibromyalgie mais ne parle pas de lien avec l’accident et deplus il ne recommande pas d’autre traitement ni de limitation supplémentaire.»
Les notes du Dr Dauphinais confirme le contenu de sa lettre du 18 octobre 2013 à l’effet qu’il croyait que la fibromyalgie était davantage une maladie personnelle.
Ainsi, nous vous soumettons que le Dr Dauphinais a changé d’opinion après avoir pris connaissance du fait que le diagnostic de fibromyalgie a été reconnu en relation par la CSST et pris connaissance des limitations fonctionnelles détaillées au rapport du Dr Karl Fournier. Ce changement d’opinion s’avère donc motivé et rencontre le critère de motivation requis par la jurisprudence lorsqu’un médecin change son opinion. [sic]
[66] Dans l’argumentation complémentaire qu’elle a fait parvenir après avoir pris connaissance des notes de consultation du docteur Dauphinais, la représentante de la CSST soumet ce qui suit :
[...]
À la consultation de celles-ci, il apparaît clairement d’abord que le Dr. Dauphinais est le médecin traitant de la travailleuse. Surtout, il apparaît aussi très clairement que le Dr. Dauphinais savait bien qu’il traitait une travailleuse qui était en arrêt de travail suite à une lésion professionnelle et donc, était indemnisée par la CSST. En effet, le titre de la première consultation du 10 août 2012 est « CSST* ». De plus, à la note de consultation du 17 octobre 2012, il est écrit : « Rapport complémentaire à remplir après la visite du 18/10/2012 pour la CSST* ». Également, à la note de consultation du 7 novembre 2012, il est encore une fois indiqué comme titre « CSST » et inscrit tout de suite en bas « rapport complémentaire rempli d’accord Dx = fibromyalgie* ». Il en est de même pour la note suivante du 15 novembre 2012*, également titrée « CSST » et énumérant les diagnostics dont en « 2) fibromyalgie, cf rapport d’expert, explic ++++ et reconnaît qu’elle en souffre ». L’ensemble des notes cliniques démontrent en effet que le Dr. Dauphinais qui titrait ses notes de consultation « CSST » ne pouvait pas ne pas savoir qu’il s’agissait en fait d’une lésion professionnelle. Ceci s’ajoute en plus au rapports médicaux de la CSST qu’il remplissait à chaque visite en mentionnant le diagnostic de fibromyalgie et les rapports d’expertise mentionnant le diagnostic et les circonstances de son apparition, soit suite à une lésion professionnelle. De plus, il faut retenir qu’une limitation fonctionnelle est une restriction ou une réduction de la capacité physique ou psychique de se comporter ou d’accomplir une activité quotidienne, personnelle ou professionnelle d’une façon ou dans les limites considérées normales. L’évaluation d’une limitation fonctionnelle n’aurait pas été différente de toute façon peu importe la provenance de la fibromyalgie. [sic]
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* Note non reproduite.
[...]
[67] L’article 224 de la loi prévoit que la CSST est liée par les conclusions du médecin qui a charge d’un travailleur sur les questions médicales énoncées à l’article 212 de la loi, soit le diagnostic de la lésion professionnelle, les traitements qu’elle requiert, sa consolidation et le fait qu’elle entraîne ou non une atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique et des limitations fonctionnelles. Ces articles se lisent comme suit :
212. L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut contester l'attestation ou le rapport du médecin qui a charge du travailleur, s'il obtient un rapport d'un professionnel de la santé qui, après avoir examiné le travailleur, infirme les conclusions de ce médecin quant à l'un ou plusieurs des sujets suivants :
1° le diagnostic;
2° la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion;
3° la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits;
4° l'existence ou le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur;
5° l'existence ou l'évaluation des limitations fonctionnelles du travailleur.
L'employeur transmet copie de ce rapport à la Commission dans les 30 jours de la date de la réception de l'attestation ou du rapport qu'il désire contester.
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1985, c. 6, a. 212; 1992, c. 11, a. 15; 1997, c. 27, a. 4.
224. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212.
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1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.
[68] Malgré le caractère liant du rapport final du médecin qui a charge du travailleur, la jurisprudence reconnaît qu’il demeure possible dans certaines circonstances que le médecin puisse modifier les conclusions qu’il a énoncées dans son rapport.
[69] Dans la décision Vandette et Habitation Terrasse St-Michel ltée[5], la Commission des lésions professionnelles résume comme suit l’état de la jurisprudence sur cette question :
[27] Tant la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles que la Commission des lésions professionnelles ont discuté à plusieurs reprises dans quelle mesure un rapport final pouvait être modifié par un médecin traitant.
[28] La lecture de la jurisprudence sur la question permet d’établir qu’une demande visant à considérer un amendement ou un deuxième rapport médical final modifiant le rapport initial émis par le médecin traitant doit être examinée avec beaucoup de sérieux. Le sérieux de la démarche vise à éviter d’ébranler inutilement le principe de la stabilité juridique des décisions considérant que l’opinion du médecin traitant fonde les décisions de la CSST puisque cet organisme est lié à cette opinion. Il vise également à éviter de permettre au travailleur de faire de façon détournée ce que la loi ne lui permet pas de faire, soit de contester l’opinion de son médecin traitant.
[29] Dans l’affaire Boissonneault et Imprimerie Interweb inc.2, la Commission des lésions professionnelles a précisé que seules des circonstances exceptionnelles pouvaient permettre un amendement au rapport médical émis par le médecin traitant aux fins d’éviter qu’un travailleur tente par ce moyen de contester l’opinion de son médecin traitant.
[30] La jurisprudence a considéré que certaines situations ne permettaient pas de modifier le rapport émis par le médecin traitant. Il s’agit de situations où le travailleur consulte un autre médecin ou un spécialiste pour obtenir une opinion différente3. Lorsque le médecin du travailleur diminue les limitations fonctionnelles pour accommoder le travailleur qui veut retourner chez son employeur4. Également, lorsque le médecin émet une nouvelle opinion médicale sans autres explications5. Dans ces situations, le tribunal a considéré qu’il s’agissait pour le travailleur d’une façon indirecte de contester le rapport de son médecin traitant.
[31] Par ailleurs, la jurisprudence6 a reconnu qu’une erreur matérielle manifeste ou une situation inattendue constituent des circonstances exceptionnelles permettant de modifier un rapport final. Ainsi, une erreur d’écriture ou une amélioration exceptionnelle de l’état de santé du travailleur permettraient de modifier le rapport final du médecin traitant.
[32] La jurisprudence a considéré que certaines situations permettaient de modifier le rapport final du médecin traitant. Lorsque le médecin fait une erreur de lecture d’une radiographie7, qu’il a égaré un protocole radiologique8, ou que lui-même admet avoir commis une erreur9. Dans ces situations, l’erreur est généralement prouvée. Il s’agit toujours de circonstances bien particulières appuyées par les éléments de la preuve. Seules des circonstances suffisamment sérieuses permettent de modifier un rapport final.
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2 89991-61-9707, 29 juin 1998, J. L’Heureux.
3 Geoffroy et Coopérative fédérée du Québec, [1996] C.A.L.P. 643.
4 Molson Outaouais ltée c. CSST, D.T.E. 92T-491 (C.S.).
5 Gérald Paquette Entrepreneur Électricien et Associés inc. et Gauthier, C.L.P. 237681-64-0406, 11 mai 2006, J.-F. Martel.
6 Lab. Chrysotile inc. et Dupont, [1996] C.A.L.P. 132; Rivard et Hydro-Québec, C.L.P. 212822-61-0307, 22 mars 2004, G. Morin; Lachance et Gestion Loram inc., [2004] C.L.P. 1015, révision rejetée, C.L.P. 214050-64-0308, 20 mai 2005, L. Boucher.
7 Couture et Ferme Jacmi Senc, C.L.P. 162026-03B-0105, 16 novembre 2001, G. Marquis.
8 Teinturerie Perfection Canada inc. et Mbokila, C.L.P. 167421-72-0108, 23 mai 2002, D. Lévesque, (02LP-45).
9 Desruisseaux c. C.L.P., [2000] C.L.P. 556 (C.S.); Leguë et Serge Côté Fondation enr. C.L.P. 223740-04-0401, 15 juin 2004, J.-F. Clément.
[70] Dans le présent dossier, le fait que le docteur Dauphinais ait changé d’opinion sur la question des limitations fonctionnelles deux semaines avant l’audience et au surplus, à la demande du représentant de madame Gauthier, incite à penser que la lettre qu’il a rédigée le 18 octobre 2013 en est une de complaisance et que son changement d’opinion n’est pas justifié par des considérations suffisamment sérieuses pour qu’on y accorde une valeur probante.
[71] Toutefois, après analyse des rapports et des notes de consultation de ce médecin, le tribunal estime qu’il y a lieu d’accorder une valeur probante à cette lettre et de donner suite à la demande de madame Gauthier, et ce, pour les raisons suivantes.
[72] Comme le plaide son représentant, le rapport complémentaire du 23 novembre 2012 du docteur Dauphinais n’est pas motivé.
[73] Dans la décision Bernard et Constructions Scandinaves inc.[6], la Commission des lésions professionnelles formule les commentaires suivants sur cette question :
[46] Autant l’article 205.1 que l’article 212.1 prévoient que le rapport complémentaire est rédigé par le médecin qui a charge du travailleur « en vue d’étayer ses conclusions ».
[47] La jurisprudence* enseigne que pour se conformer à ces dispositions, le médecin qui a charge du travailleur doit étayer son avis pour permettre de comprendre, du moins sommairement, les raisons qui l'amènent à changer son opinion, dans la mesure où il change effectivement d’opinion. Dans l’affaire Sifonios et Circul-Aire inc.*, la juge administrative Crochetière spécifie que l’expression « étayer ses conclusions » implique « que le médecin énonce les éléments sur lesquels il appuie ses conclusions et donne des explications ».
[48] En outre, pour en venir à la conclusion que le médecin qui a charge du travailleur a changé d’opinion pour se rallier aux conclusions du médecin de l’employeur ou de la CSST, il faut que sa nouvelle opinion soit « claire et limpide »* ou, exprimé autrement, que son rapport complémentaire « ne présente aucune ambiguïté et ne porte pas à interprétation »*.
[49] À défaut d’être conforme à ces exigences, autant celle voulant que la nouvelle opinion soit « étayée » que celle exigeant qu’elle ne puisse prêter à confusion, le rapport complémentaire sera jugé irrégulier et n’aura aucun caractère liant*.
[50] Dans l’affaire Landry et Recyclage Trans-Pneus inc.*, la juge administrative Burdett écrit à ce sujet :
[58] Étant donné que les conclusions médicales du médecin qui a charge sont liantes et ne peuvent être contestées par le travailleur, l'opinion exprimée par ce médecin se doit d'être claire, ne pas présenter d'ambiguïté et ne pas porter à interprétation. Le simple fait de se dire en accord avec les conclusions du médecin désigné est insuffisant3. Le rapport complémentaire ne présente donc aucun caractère liant pour la CSST et doit être écarté4.
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3,4 [Références omises]
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* Note non reproduite.
[74] Le 9 juillet 2012, la docteure Levac estime qu’il est trop tôt pour consolider la lésion à cause d’une difficulté qu’éprouve madame Gauthier à mobiliser son bras droit, difficulté que note également le docteur Dauphinais le 10 août lorsqu’il prend la relève de la docteure Levac puisqu’il rapporte que les mouvements de flexion antérieure et d’abduction de l’épaule droite sont limités à 30 degrés alors que l’amplitude normale est de 180 degrés.
[75] Les notes des consultations suivantes des 21 septembre et 18 octobre 2012 ne font pas mention d’une amélioration de la condition de madame Gauthier, mais plutôt d’une détérioration, selon ce que rapporte madame Gauthier. Dans sa note du 15 novembre 2012, le docteur Dauphinais mentionne que son examen physique demeure inchangé ( E/P idem )[7].
[76] Dans ce contexte, qu’est-ce qui a amené le docteur Dauphinais à considérer que non seulement la fibromyalgie était consolidée le 16 août 2012, soit six jours après qu’il ait noté des limitations importantes de la mobilité de l’épaule droite, mais de plus qu’elle n’entraînait pas de limitations fonctionnelles supplémentaires à celles déjà reconnues? On n’est pas en mesure de le savoir à la lecture de son rapport complémentaire du 23 novembre 2012 ni de sa note de consultation du 18 octobre précédent.
[77] Au surplus, le docteur Dauphinais commet une erreur en se disant d’accord avec l’absence d’aggravation des limitations fonctionnelles antérieures alors que de son propre aveu, il ne connaissait pas ces dernières au moment où il a émis cette opinion.
[78] Un autre élément qui justifie la Commission des lésions professionnelles à retenir la conclusion à laquelle elle en vient réside dans le fait que toute la démarche de ce médecin à propos de la fibromyalgie est ambiguë et confuse.
[79] Ainsi, même s’il a rempli un rapport complémentaire le 23 novembre 2012 ou des rapports médicaux à l’attention de la CSST[8], il apparaît clair qu’au départ, ce médecin considérait que la fibromyalgie était une maladie personnelle qui n’était pas reliée à la lésion professionnelle qu’avait subie madame Gauthier. La note suivante qu’il a rédigée le 22 janvier 2013 ne laisse place à aucune ambigüité : « Deplus je lui ai rempli des formulaire du BS comme quoi elle était incapable au travail secondairement à sa fibromyalgie et non au Dx relié à la CSST [sic] ».
[80] De plus, même après avoir été informé que la fibromyalgie avait été reconnue par la CSST en relation avec l’accident du travail, le docteur Dauphinais semble faire preuve d’une méconnaissance de la notion de lésion professionnelle et de ses conséquences en continuant de considérer qu’il s’agissait d’une maladie personnelle et en traitant celle-ci comme telle. Sa note suivante du 10 avril 2013 est très éloquente à ce sujet :
a vu son avocat qui était très étonné que la CSST reconnaisse la fibromyalgie reliée à son accident
Je revise le rapport du physiatre expert de 09/2012 avec la pte et je lui démontre bien qu'il reconaît le Dx de fibromyalgie mais ne parle pas de lien avec l'accident et deplus il ne recommande pas d'autre traitement ni de limitation supplémentaire. [sic]
[81] L’argument de la représentante de la CSST voulant qu’il « ne pouvait pas ne pas savoir qu’il s’agissait en fait d’une lésion professionnelle » n’apparaît pas supporté par la preuve au dossier. Au contraire, malgré qu’il ait été informé de la décision de la CSST et pour une raison qui demeure inconnue, le docteur Dauphinais a continué de traiter la fibromyalgie comme s’il s’agissait d’une maladie personnelle.
[82] Comment expliquer autrement le fait qu’il ait envisagé avec madame Gauthier une demande de rente d’invalidité à la Régie des rentes du Québec (10 avril 2013) ou encore qu’il lui ait fourni des certificats d’incapacité de travail en raison de la fibromyalgie afin qu’elle puisse bénéficier de prestations d’aide sociale?
[83] Doit-on interpréter dans le même sens le fait qu’il n’ait pas indiqué à la CSST que la fibromyalgie entraînait des limitations fonctionnelles relativement sévères, comme il le fait dans sa lettre du 18 octobre 2013, dans la mesure où la notion de limitations fonctionnelles est intimement liée à celle de lésion professionnelle dans le régime des accidents du travail? Cet élément participe certainement à rendre ambigüe et confuse la démarche du docteur Dauphinais à l’égard de la fibromyalgie.
[84] Dans la mesure où les conclusions du médecin qui a charge d’un travailleur ont un caractère liant en vertu de l’article 224 de la loi et qu’elles peuvent entraîner des effets importants sur les droits du travailleur, celui-ci n’a pas à supporter les conséquences de rapports ambigus, confus ou erronés de son médecin, comme c’est le cas ici[9].
[85] Les limitations fonctionnelles établies par le docteur Dauphinais dans la lettre du 18 octobre 2013 semblent fondées sur un examen physique plus récent que ceux effectués à la période contemporaine du rapport complémentaire du 23 novembre 2012.
[86] Le tribunal décide néanmoins qu’il y a lieu d’accorder une valeur liante à sa conclusion sur cette question puisque les limitations fonctionnelles qu’il a établies peuvent correspondre à la condition que présentait madame Gauthier au cours des mois d’août à novembre 2012 et par la suite, telles que décrites dans les notes de consultation de ce médecin. Il appartiendra à l’employeur ou à la CSST de recourir à la procédure d’évaluation médicale s’ils estiment que ces limitations fonctionnelles ne sont pas justifiées.
[87] Après considération de la preuve au dossier, des arguments soumis par les représentants des parties et de la jurisprudence, la Commission des lésions professionnelles en vient donc à la conclusion que le rapport complémentaire du docteur Dauphinais du 23 novembre 2012 est invalide et que la fibromyalgie a entraîné les limitations fonctionnelles suivantes établies par ce médecin dans sa lettre du 18 octobre 2013 que l’on peut décrire comme suit :
Aucune résistance à l'effort, ne peut pousser, tirer, forcer avec des poids de plus de 5 livres avec le bras droit et ne peut faire de mouvements répétitifs du cou.
[88] Compte tenu de cette conclusion, la décision portant sur la capacité de travail de madame Gauthier et la fin du droit de l’indemnité de remplacement du revenu en raison de la fibromyalgie doit être annulée et le dossier doit être retourné à la CSST pour actions appropriées.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
DÉCLARE recevable la requête de madame Marise Gauthier;
ACCUEILLE la requête de madame Gauthier;
MODIFIE la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 26 février 2013 à la suite d'une révision administrative;
DÉCLARE invalide le rapport complémentaire du 23 novembre 2012 du docteur Luc Dauphinais;
ANNULE la partie de la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 26 février 2013 portant sur la fin du versement de l’indemnité de remplacement du revenu en raison de la fibromyalgie;
DÉCLARE que la fibromyalgie a entraîné les limitations fonctionnelles suivantes établies par le docteur Dauphinais dans sa lettre du 18 octobre 2013 :
Aucune résistance à l'effort, ne peut pousser, tirer, forcer avec des poids de plus de 5 livres avec le bras droit et ne peut faire de mouvements répétitifs du cou.
DÉCLARE que madame Gauthier a droit à la poursuite du versement de l’indemnité de remplacement du revenu en raison de la fibromyalgie après le 16 août 2012;
RETOURNE le dossier à la Commission de la santé et de la sécurité du travail pour actions appropriées.
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Claude-André Ducharme |
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Me Éric Lemay |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Marie-France Quintal |
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VIGNEAULT THIBODEAU BERGERON |
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Représentante de la partie intervenante |
[1] L.R.Q. c. A-3.001.
[2] Note évolutive du dossier du 20 décembre 2012.
[3] Cantin et Preverco inc., 2013 QCCLP 752.
[4] Caron et Aro inc., 2013 QCCLP 5441.
[5] C.L.P. 284515-71-0603, 18 avril 2007, F. Juteau; au même effet : Fournier et Habitations HPR inc., 2011 QCCLP 4933; Bruneau et Les industries April inc., 2011 QCCLP 6919.
[6] 2012 QCCLP 2618.
[7] La note du docteur Dauphinais contredit le témoignage de madame Gauthier à ce sujet. Notons également que dans sa note du 22 janvier 2013, ce médecin fait également mention d’un examen physique.
[8] Il convient de mentionner à cet égard que si le docteur Dauphinais a fait parvenir des rapports médicaux à la CSST, comme le mentionne la représentante de la CSST dans son argumentation complémentaire, ils ne sont pas au dossier. Le seul rapport médical « CSST » au dossier qui émane de ce médecin est celui du 27 juin 2013 qui a été déposé au dossier par le représentant de madame Gauthier.
[9] Bruneau et Les Industries April inc., 2011 QCCLP 6919.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.