98302451
COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES
RÉGION:MONTRÉAL, le 11 janvier 1999
RICHELIEU-SALABERRY
DEVANT LA COMMISSAIRE :Me Yolande Lemire
ASSISTÉE DES MEMBRES :Sarto Paquin
Associations d'employeurs
DOSSIER:
103465-62C-9807 Rita Latour
Associations syndicales
DOSSIER CSST: AUDITION TENUE LE :7 décembre 1998
114484223
EN DÉLIBÉRÉ LE:
DOSSIER BRP:
À :Valleyfield
JACQUES LEFEBVRE
77A, Victoria
Salaberry-de-Valleyfield, Québec
J6T A1A
PARTIE APPELANTE
et
PLASTI-DRAIN LTÉE
669, Route 201
St-Clet (Québec)
J0P 1S0
PARTIE INTÉRESSÉE
D É C I S I O N
Le 29 juillet 1998, le travailleur, M. Jacques Lefebvre, dépose à la Commission
des lésions professionnelles une contestation d'une décision rendue le 3 juillet
1998 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail.
Par cette décision, la CSST rejette la plainte logée par le travailleur en vertu de
l'article
32 de la loi à la suite de son congédiement survenu le 27 avril 1998.
Le travailleur et son procureur sont présents. Ils font entendre un témoin. Une
représentante de l'employeur et deux observateurs sont présents. Ils font
entendre un témoin.
La Commission des lésions professionnelles accorde au travailleur jusqu'au
14 décembre 1998 pour produire la preuve de ses gains et pertes depuis son
congédiement. Ces documents sont transmis à la Commission des lésions
professionnelles dans le délai prescrit.
OBJET DE L'APPEL
Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles
d'accueillir sa plainte et déclarer que l'employeur lui a imposé une sanction
parce qu'il a été victime d'une lésion professionnelle.
LES FAITS
Le travailleur est à l'emploi de l'employeur depuis juillet 1997 à titre de
journalier lorsque le 5 février 1998, il se coupe au pouce gauche en effectuant
son travail.
Le travailleur précise que de nombreux accidents se produisent à son poste de
travail car l'outil utilisé est inadéquat. Il est conçu pour couper du gyproc. Le
travailleur doit couper du plastique; or couper du plastique exige plus d'efforts
que couper du gyproc. C'est ainsi que les travailleurs se blessent.
Le 15 février 1998, M. Lefebvre subit une intervention au pouce gauche. Il
porte un plâtre pendant cinq semaines et reçoit ensuite des traitements de
physiothérapie.
La CSST accepte la réclamation que le travailleur fait à cette occasion.
Le 18 février 1998, le médecin du travailleur refuse d'autoriser l'assignation
proposée par l'employeur.
L'employeur produit sous la cote I-1 l'assignation proposée. Les travaux à
effectuer sont les suivants:
". entretien ménager, vider les poubelles, balayer, ramasser des tuyaux / bouts
de plastique sur le plancher;
. découper des échantillons pour tests de qualité et / ou aider confrères de
travail à les découper;
. tracer avec pinceau une marque sur tuyaux fabriqués s.v.p. préciser toute
limitation, nous pouvons accomoder le travailleur;
. faire des courses."
Le 6 avril 1998, le docteur Réal Lemieux, chirurgien-orthopédiste, examine le
travailleur à la demande de l'employeur. Son rapport est produit sous la cote I- 2.
Le docteur Lemieux diagnostique une section du tendon extenseur du pouce
gauche. Il prévoit que cette lésion sera consolidée environ quatre semaines plus
tard.
Il indique toutefois que le travailleur est capable d'effectuer des travaux légers
en évitant de forcer et pousser avec son pouce et de faire des mouvements
répétitifs. Le travailleur peut se servir de sa main droite car il a une bonne force
de la pince même s'il manque 50% des amplitudes au niveau du pouce.
Le docteur Lemieux est d'avis que les traitements ont été suffisants et adéquats.
Des traitements d'ergothérapie seraient bénéfiques en réhabilitation. Il y aura
atteinte permanente mais pas de limitation fonctionnelle.
Le 20 avril 1998, le médecin traitant autorise une assignation temporaire. Les
travaux autorisés sont:
. effectuer la découpe de pièces de plastique (pesant environ 8 on.) à l'aide
d'une scie à ruban; il guide les pièces avec la main gauche sans utiliser son
pouce, il retient la pièce avec la main droite;
. ramasser des tuyaux, bouts de plastique sur le plancher avec la main droite;
. vider les poubelles, faire des commissions;
. travail de jour: de 7h00 à 19h00: 40 hres/sem en moyenne
de nuit: de 19h00 à 7h00.
Le travailleur travaille à ce poste les 20 et 21 avril 1998.
Devant la CSST, il affirme s'être plaint à plusieurs reprises à son contremaître
que l'assignation proposée ne respecte pas ses limitations fonctionnelles et lui
avoir demandé de le faire travailler ailleurs dans l'usine. Son contremaître
refuse à cause des ordres de son patron.
À l'audience devant la Commission des lésions professionnelles, le travailleur
affirme demander à son contremaître, M. St-Germain, une assignation à un
autre poste parce qu'il a mal au pouce. Ce dernier refuse parce qu'on lui a
ordonné de le laisser sur cette machine.
M. St-Germain maintient devant la Commission des lésions professionnelles
la version donnée à la CSST. Jamais le travailleur ne se plaint que le poste
auquel il est assigné ne respecte pas ses limitations fonctionnelles. Le
travailleur lui dit plutôt qu'il ne se sent pas utile. Il n'aime pas ce travail et
préférerait conduire un chariot-élévateur.
On lui a ordonné d'assigner le travailleur à ce poste car il a mal au pouce et ce
travail est léger.
Les pièces à fabriquer pèsent 40, 50, 60 ou 90 grammes. Il s'agit d'accessoires
de drainage. Un autre employé, M. Leboeuf, travaille à ce poste et doit montrer
au travailleur comment effectuer le travail et poser des auto-collants sur les
pièces. Il s'agit d'un travail très facile, qui s'effectue d'une main.
À deux ou trois reprises, le travailleur opère des chariots élévateurs les 20 et
21 avril 1998, quand sa machine ne fonctionne pas et qu'il n'a rien d'autre à
faire. M. St-Germain aperçoit le travailleur sur un chariot élévateur à une
reprise. Il lui demande de cesser ce travail qui n'est pas celui auquel il est
assigné.
Un chariot élévateur a de trois à cinq manettes. Selon le travailleur, un
handicapé peut faire ce travail, qui est très facile.
Le travailleur est aussi d'avis qu'il aurait pu occuper le poste qu'il occupait au
moment de l'accident du 5 février 1998. À ce poste, il surveille les moules d'où
sortent des pièces. Ensuite, il sort des barres de drain d'un moule, fait des
échantillons, c'est-à-dire les coupe, les mesure, les met au réfrigérateur. Il parle
de ce travail avec un vif intérêt.
M. St-Germain déclare qu'à sa connaissance, jamais une assignation temporaire
dans l'usine n'a pas été respectée.
Il est très surpris lorsque le travailleur l'appelle le 23 pour lui dire qu'il n'entre
pas travailler pendant trois jours et voit son médecin le lendemain parce qu'il
a mal au pouce.
Le contremaître du travailleur avait déclaré à l'audience tenue devant la CSST
qu'il n'est jamais prévenu de l'absence du travailleur les 24, 25 et 26 avril 1998.
Il ne fait que constater l'absence.
Le travailleur décrit à la Commission des lésions professionnelles le travail
accompli les 20 et 21 avril 1998. Il manipule des pièces légères. Il faut sortir
ces pièces d'un moule.
Pour ce faire, il doit porter des gants car le moule est chaud. Il appuie le moule
sur lui et tire la pièce pour la sortir du moule. Il enlève ensuite ce qui reste de
plastique resté sur la pièce et passe la pièce dans une scie à ruban.
Le travailleur éprouve de la difficulté à faire cette étape car il doit guider la
pièce et la douleur à son pouce gauche lui rend cette tache difficile.
Il dépose ensuite la pièce sur une table et la laisse refroidir. Une fois refroidie,
il y pose une étiquette, l'emballe et la noue à l'aide d'une corde.
Le travailleur ne vide pas de poubelles, ne ramasse pas de tuyaux ni bouts de
plastique car on lui dit de travailler uniquement à la machine.
Le dossier contient un document préparé par l'employeur. Il contient les notes
suivantes:
«M. Lefebvre est entré en assignation temporaire les lundi et mardi 20 et 21
avril pour travailler comme journalier à opérer des machines par procédé
de soufflage. Il était en formation, travaillant avec M. Gaétan Leboeuf qui
lui montrait le travail. Ils étaient deux à faire un travail ou normalement une
seule personne travaille. M. Lefebvre ne devait pas utiliser sa main gauche
et il n'a pas rapporté de problème à son contremaître.
Il s'est plaint à M. Leboeuf, confrère de travail, qu'il n'aimait pas travailler
sur cette machine. Le contremaître l'a même vu à une occasion en train
d'opérer un chariot élévateur sans autorisation. Il lui a demandé de
retourner à son poste de travail.
Il a appelé au travail vendredi matin pour dire qu'il ne rentrerait pas, qu'il
avait mal au pouce. Ce fut la première nouvelle qu'on en avait, il ne s'est
plaint de rien.
Assignation temporaire: voir ci-joint
Il devait également décoller des étiquettes mais comme il a deux mains et
il est droitier, il devait les décoller avec son pouce de la main droite. Il a
fait de nombreuses erreurs pendant ces deux nuits et nous avons dû jeter
aux rebuts une partie de ce qu'il a produit... Il a visiblement démontré de la
mauvaise volonté.»(sic)
Au bas de cette page apparaît le résumé d'une conversation téléphonique de
l'employeur avec le médecin du travailleur le 27 avril 1998 à 11h15.
Il est noté: "Il vient de le voir, son pouce n'est pas enflé, il fonctionne
relativement bien. Il pouvait effectuer l'assignation temporaire qu'il a autorisée,
et l'a dit au travailleur. Pour lui, il le revoit le 6 mai et sera consolidé. Il aurait
pu le consolider aujourd'hui même, il lui donne le bénéfice du doute. Il va faire
cesser la physio le 6 mai. Il est prêt à témoigner si le cas va plus loin."
Le travailleur déclare qu'il ne décolle pas d'étiquettes les 20 et 21 avril 1998.
Toutefois, il en colle à chaque nouvelle pièce moulée, environ 20 à l'heure. Le
travailleur reconnaît qu'il a pu mal exécuter son travail de découpage de pièces
en raison de ses douleurs au pouce; ces pièces ne répondaient pas aux normes.
Le travailleur souligne le fait que décoller des étiquettes ne fait pas partie des
tâches énumérées sur le formulaire d'assignation temporaire.
Le contremaître, M. St-Germain, explique que des pièces doivent être jetées
non pas parce que des étiquettes y sont mal collées ou décollées mais parce que
les pièces qui ne répondent pas aux normes de qualité sont mêlées aux bonnes
pièces et qu'il devient impossible de les démêler. Cette situation se produit car
les étiquettes sont enlevées des mauvais produits.
M. St-Germain ne voit pas le travailleur décoller des étiquettes. Il ne peut
affirmer si c'est le travailleur ou son compagnon, M. Leboeuf, qui exécute ce
travail.
Devant la CSST, le travailleur déclare que la douleur et l'enflure
n'apparaissent qu'à la fin de la journée du 21 avril et s'accentuent au cours des
jours suivants.
À l'audience devant la Commission des lésions professionnelles, le travailleur
affirme que son pouce est un peu enflé et raide lorsqu'il arrive au travail le 20
avril 1998. Rapidement, son pouce enfle et à la fin du quart de travail, il ne plie
plus du tout.
En terminant son quart de travail, le travailleur se rend recevoir ses traitements
de physiothérapie puis rentre chez lui dormir. Il applique des compresses sur
son pouce au cours de la journée.
Il revient au travail à 19h et travaille 12 heures. En terminant, son pouce est
très enflé et ne plie plus. Le travailleur se rend à ses traitements de
physiothérapie. Il rentre ensuite chez lui, se repose, applique des compresses
sur son pouce.
Dans la soirée du 22, il se repose à nouveau car il est en congé les 22 et 23
avril 1998.
Il continue à appliquer des compresses. Le travailleur croit que les compresses
suffiront à faire rentrer le tout dans l'ordre. Toutefois, le 23 en fin d'après-midi,
son pouce est encore enflé; il téléphone alors à son contremaître, M. St- Germain, pour prévenir qu'il n'entre pas travailler les 24, 25 et 26. Il informe
l'employeur qu'il verra son médecin le lendemain.
M. St-Germain corroborre cette déclaration.
Le travailleur décide de s'absenter trois jours parce que selon lui, c'est ce que
son médecin lui recommandera.
Le lendemain, il constate que le bureau du médecin est fermé, comme à tous
les vendredis. Il ne consulte pas ailleurs parce qu'il sait que le traitement à
donner lorsqu'il y a oedème est l'application de glace et du repos. Il ne juge pas
nécessaire de consulter un autre médecin.
Le travailleur ne reparle pas à l'employeur les 24, 25 et 26 avril 1998. Il déclare
ne pas connaître les conséquences d'une absence au travail.
Le 27 avril 1998, le travailleur consulte son médecin. À l'audience, le
travailleur affirme que lors de sa visite chez son médecin le 27 avril 1998, son
pouce est enflé. Ce dernier ne l'examine pas. Il le voit rapidement, dans la
porte.
Le médecin est très contrarié car il a reçu un autre appel téléphonique de
l'employeur. L'employeur a déjà envoyé au médecin cinq demandes
d'autorisation d'assignation temporaire. Le médecin conseille au travailleur de
se concentrer sur son travail car il pourrait perdre son emploi. Il met fin aux
traitements de physiothérapie même si deux semaines additionnelles sont
prévues.
Cette visite a lieu entre 10h et 11h. Le médecin recommande au travailleur de
retourner au travail léger en n'utilisant pas sa main blessée.
Selon le travailleur, le médecin met fin aux traitements de physiothérapie pour
l'aider car il croit que son emploi est menacé, qu'il le perdra s'il doit encore
recevoir des traitements.
Le travailleur téléphone ensuite à l'employeur et demande une assignation à un
autre poste. Il apprend qu'il est congédié.
La directrice des ressources humaines déclare à la CSST qu'elle n'est jamais
informée que le travailleur conteste son assignation temporaire.
Le 24 avril 1998, elle est informée qu'il s'absente du travail. Il en va de même
des 25 et 26 avril 1998.
Le 24 avril 1998, elle transmet à la CSST les informations suivantes:
«Assignation temporaire de Jacques Lefebvre" dossier: 114484223
M. Lefebvre ne s'est pas plaint de quoi que ce soit au niveau travail lundi
et mardi, deux autres travailleurs sont en ass. temp. et pas de problème n'ont
été rapportés. ce fut une surprise de constater son absence.»(sic
)
Le 27 avril 1998, la directrice des ressources humaines communique avec le
médecin du travailleur pour l'informer de la situation et de la probable visite
du travailleur.
La directrice des ressources humaines décide de congédier le travailleur parce
que le médecin ne justifie pas les absences des 24, 25 et 26 avril 1998. Elle
considère que le travailleur abandonne son emploi en ne s'y présentant pas trois
journées consécutives, contrairement à la convention collective applicable au
travailleur.
Le même jour, elle informe le travailleur par téléphone de ses perte
d'ancienneté et congédiement et confirme le tout par écrit avec référence à la
convention collective.
Le travailleur consulte alors son syndicat qui lui dit ne pouvoir rien faire pour
lui à cause de l'article 9.06 de la convention collective qui prévoit que
l'employeur peut mettre fin à un emploi après trois jours consécutifs d'absence
non justifiée.
Le travailleur fait entendre comme témoin un compagnon de travail, M. Pierre
Cyr. Celui-ci déclare que les 20 et 21 avril 1998, il voit le travailleur car il le
transporte au travail dans sa voiture.
Le travailleur lui montre ses pouces. L'un est plus raide que l'autre. Le
travailleur ne lui parle pas de son travail, qu'il a de la difficulté à effectuer son
travail. Il ne voit le travailleur que les 20 et 21 avril 1998.
Le 6 mai 1998, le travailleur revoit son médecin qui déclare la lésion
consolidée et autorise le travailleur à reprendre son travail régulier le
lendemain.
Le travailleur ne lui demande rien, pas de certificat afin de justifier ses
absences des 24, 25 et 26 avril 1998 malgré son congédiement du 27 avril
1998.
Le 12 mai 1998, le travailleur dépose à la CSST une plainte contre l'employeur.
Il allègue avoir été congédié parce qu'il a été victime d'une lésion
professionnelle.
AVIS DES MEMBRES
Le membre issu des associations d'employeurs est d'avis que la plainte est non
fondée compte tenu des contradictions dans le témoignage du travailleur. Il
n'appartient pas à la Commission des lésions professionnelles d'apprécier la
sévérité de la sanction imposée par l'employeur. La convention collective
prévoit un congédiement en cas d'absence non motivée de trois jours ou plus. Le travailleur s'absente trois jours, sans motiver son absence. L'employeur est
en droit d'appliquer la convention collective.
Le membre issu des associations syndicales est d'avis que la raison du
congédiement du travailleur est le fait qu'il est victime d'une lésion
professionnelle. Les documents au dossier démontrent que dès que possible,
l'employeur s'ouvre une porte au congédiement en parlant de pièces
défectueuses et de mauvaise volonté. D'ailleurs seul le travailleur est congédié
alors que la preuve ne démontre pas clairement qu'il est responsable du
mauvais étiquetage.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La Commission des lésions professionnelles doit décider si la plainte logée par
le travailleur contre son employeur pour congédiement injustifié, est bien
fondée.
À cette fin, la Commission des lésions professionnelles analyse les faits mis en
preuve en regard des articles 32, 253 et 255 de la Loi instituant la Commission
des lésions professionnelles et modifiant diverses dispositions législatives(1):
32.
L'employeur ne peut congédier, suspendre ou déplacer un
travailleur, exercer à son endroit des mesures discriminatoires ou de
représailles ou lui imposer toute autre sanction parce qu'il a été victime
d'une lésion professionnelle ou à cause de l'exercice d'un droit que lui
confère la présente loi.
Le travailleur qui croit avoir été l'objet d'une sanction ou d'une mesure
visée dans le premier alinéa peut, à son choix, recourir à la procédure de
griefs prévue par la convention collective qui lui est applicable ou
soumettre une plainte à la Commission conformément à l'article 253
253. Une plainte en vertu de l'article 32 doit être faite par écrit dans les
30 jours de la connaissance de l'acte, de la sanction ou de la mesure dont
le travailleur se plaint.
Le travailleur transmet copie de cette plainte à l'employeur.
255. S'il est établi à la satisfaction de la Commission que le travailleur a
été l'objet d'une sanction ou d'une mesure visée dans l'article 32 dans les six
mois de la date où il a été victime d'une lésion professionnelle ou de la date
où il a exercé un droit que lui confère la présente loi, il y a présomption en
faveur du travailleur que la sanction lui a été imposée ou que la mesure a
été prise contre lui parce qu'il a été victime d'une lésion professionnelle ou
à cause de l'exercice de ce droit.
Dans ce cas, il incombe à l'employeur de prouver qu'il a pris cette sanction
ou cette mesure à l'égard du travailleur pour une autre cause juste et
suffisante.
Le travailleur est victime d'un accident du travail le 5 février 1998. Il est
congédié et perd son ancienneté le 27 avril 1998. Il dépose sa plainte le 12 mai
1998. Les délais prévus aux articles 253 et 255 de la loi sont respectés. Il y a
certainement sanction puisqu'il y a perte d'ancienneté et congédiement.
La plainte du travailleur est donc recevable et il bénéficie de la présomption
prévue à l'article 255 de la loi. L'employeur doit prouver que ce congédiement
a été fait pour une cause juste et suffisante, autre que la lésion professionnelle
subie par le travailleur.
La preuve démontre que le 20 avril 1998, le travailleur est assigné à des
travaux légers. Il ne conteste pas cette assignation conformément à la loi.
Devant la CSST, il affirme que la douleur et l'enflure apparaissent en fin de
journée le 21 avril 1998. Devant la Commission des lésions professionnelles,
il affirme que la douleur et la raideur sont présentes lorsqu'il commence à
travailler mais s'accentuent dès qu'il commence à travailler le 20 avril 1998.
Le travailleur déclare au cours des audiences s'être plaint à son contremaître et
des compagnons de travail que cette assignation ne respecte pas ses limitations
fonctionnelles et que l'employeur refuse de modifier cette assignation en
prétextant que les ordres reçus sont de l'assigner à ce poste particulier.
Le contremaître nie cette affirmation et déclare plutôt que le travailleur lui
demande de changer d'assignation parce qu'il n'aime pas faire le travail auquel
il est assigné, il ne s'y sent pas utile.
Le compagnon de travail assigné comme témoin constate que le travailleur a
un pouce plus raide que l'autre, les 20 et 21 avril 1998.
Bien que juridiquement, l'assignation respecte les limitations fonctionnelles du
travailleur, puisque non contestée, la Commission des lésions professionnelles
étudie les témoignages entendus pour évaluer la crédibilité des parties.
D'une part, le travailleur reproche à l'employeur le nombre élevé d'accidents
qui surviennent au poste qu'il occupe au moment de l'accident en raison d'un
outil inadéquat et d'autre part, il se déclare plus apte à occuper ce poste que
celui auquel il est assigné temporairement.
Le travailleur décide après deux jours de congé au cours desquels il ne consulte
pas de médecin mais applique des compresses sur son pouce en pensant que le
tout rentrera dans l'ordre, de ne pas entrer au travail pendant trois jours et de
consulter son médecin.
Il prévient son employeur de son absence en lui indiquant que c'est à cause de
son pouce. Le contremaître corrobore ces faits et déclare avoir été surpris parce
que le travail effectué par le travailleur les 20 et 21 avril 1998 est léger, facile.
D'autre part, le travailleur est syndiqué.
Les parties se réfèrent à un article de la convention collective qui régit le
travailleur. Cette convention collective n'est pas produite mais le travailleur
n'en conteste pas le contenu allégué. La Commission des lésions
professionnelles prend donc pour acquis qu'il y est prévu que l'employeur peut
faire perdre son ancienneté à un travailleur et le congédier après trois jours
consécutifs d'absence non motivée.
Le travailleur explique que ne sachant pas que son médecin n'est pas à son
bureau le vendredi 24, il ne le consulte que le lundi suivant 27 avril 1998. Il ne
communique pas avec son employeur lorsqu'il apprend cela ni ne consulte
ailleurs parce que dit-il, il sait qu'un repos de trois jours lui sera prescrit avec
application de glace sur le pouce.
Lorsqu'il se présente chez son médecin le lundi, l'employeur a déjà
communiqué avec le médecin. Celui-ci est très contrarié selon le travailleur.
Le travailleur affirme que son pouce est enflé. L'employeur note que le
médecin lui indique que le pouce n'est pas enflé. Aucun certificat médical n'est
émis.
La Commission des lésions professionnelles conclut que l'employeur a dû
communiquer deux fois avec le médecin, avant et après la visite du travailleur
puisque le médecin est contrarié quand le travailleur le voit, (selon les seules
déclarations du travailleur) et que les informations notées par l'employeur n'ont
pu l'être qu'après la visite du travailleur au médecin. D'ailleurs l'employeur
inscrit 11h15 en haut de ses notes. Le travailleur dit avoir consulté entre 10 et
11h.
Le travailleur déclare que le médecin ne l'examine pas; il le voit dans la porte.
Le médecin met fin aux traitements de physiothérapie, pour l'aider, selon le
travailleur car il craint qu'il ne perde son emploi s'il continue à recevoir des
traitements.
L'employeur note que le médecin lui dit que les traitements de physiothérapie
cesseront le 6 mai.
L'employeur ajoute au bas de sa note que le médecin se déclare prêt à venir
témoigner si nécessaire. Malheureusement, personne ne l'assigne.
Un fait reste et il est essentiel. Aucun certificat médical ne justifie l'absence du
24 au 27 avril 1998.
La Commission des lésions professionnelles reste perplexe face à l'inaction du
travailleur lorsqu'il revoit son médecin le 6 mai 1998 après son congédiement.
Pourquoi alors ne pas lui avoir demandé un certificat à cette occasion? Le
travailleur ne répond pas à cette question.
Même si on suppose que tout ce que l'employeur note ne reflète pas toute la
vérité et même s'il existe des contradictions dans tous les témoignages
entendus, il n'en reste pas moins que le travailleur ne conteste pas son
assignation temporaire, ne communique en aucun temps avec son syndicat, ne
consulte pas de médecin en temps opportun, n'obtient pas de certificat médical
après son congédiement et n'assigne pas son médecin qui se dit prêt à l'aider.
Le travailleur avait un recours à sa disposition. Il ne l'utilise pas et s'absente de
son travail sans justifier cette absence.
Lorsqu'il s'adresse à son syndicat, on lui répond que la convention collective
permet à l'employeur d'agir comme il l'a fait.
L'employeur vérifie les démarches faites par le travailleur auprès de la CSST
et de son médecin. En l'absence de toute démarche, il applique la convention
collective et congédie le travailleur.
La Commission des lésions professionnelles se réfère à la jurisprudence de la
Commission d'appel en matière de lésions professionnelles relative aux articles
32, 253 et 255 de la loi.
Dans Canpar Transport ltée(2), la Commission d'appel rend une décision le 13
novembre 1993 et déclare la rechute subie par le travailleur le 24 mars 1992,
consolidée le 20 juillet 1992. Il s'agit d'un appel logé le 8 juillet 1992, d'une
décision rendue le 25 mai 1992.
Le 9 décembre 1993, le travailleur se présente au travail. L'employeur s'en
remet à une disposition de la convention collective dans les cas où il y a une
absence prolongée et considère que depuis la date de consolidation du 20 juillet
1992, le travailleur est absent pour une cause personnelle sans entente entre le
syndicat et l'employeur; il perd ainsi tous les privilèges associés à son
ancienneté.
L'employeur déplace donc le travailleur, du début à la fin de la liste de rappel
des chauffeurs, ce qui équivaut à le congédier puisqu'il n'a pas de chance
d'être rappelé étant donné le contexte économique.
La preuve démontre que le retour au travail de ce travailleur bouleverse toute
l'organisation du travail chez l'employeur car compte tenu de son absence prolongée, l'employeur a fait appel à d'autres chauffeurs et le retour du
travailleur a un effet boule de neige : un travailleur en supplante un autre et
ainsi de suite.
Pour régler ce problème, l'employeur place le travailleur à la fin de la liste de
rappel. Il invoque la convention collective pour justifier ce geste.
La Commission d'appel conclut qu'une partie ne peut présumer du sort d'un
appel et ne peut être pénalisée pour avoir exercé son droit d'appel. La
convention collective ne s'applique donc pas au cas du travailleur: l'article 32
de la loi s'y oppose. La demande de retour au travail du travailleur s'inscrit
dans l'exercice de son droit d'appel. Ce droit s'étend du début à la fin de son
exercice lorsque la décision en appel est rendue, le 13 novembre 1993.
L'employeur n'a pas démontré une autre cause juste et suffisante que la lésion
professionnelle subie pour justifier la perte d'ancienneté imposée au
travailleur. La plainte du travailleur est donc accueillie.
Dans la présente cause, la preuve ne démontre pas que l'assignation du
travailleur cause des problèmes à l'employeur et si le travailleur l'avait
contestée conformément à la loi, l'employeur n'aurait pu invoquer la
convention collective pour le congédier. Vu l'inaction du travailleur, la
convention collective s'applique.
D'autre part comme le souligne le membre issu des associations d'employeurs,
la Commission des lésions professionnelles n'a pas à apprécier la sévérité de
la sanction imposée en regard de la faute reprochée.
La Commission d'appel a affirmé ce principe à plusieurs reprises(3) :
«Il est bien établi par la jurisprudence de la Commission d'appel
que celle-ci n'a pas à évaluer la rigueur de la sanction imposée par
l'employeur, qu'elle n'a pas à substituer son propre jugement à
celui de l'employeur.»
La Commission d'appel a aussi retenu qu'une absence injustifiée pendant plus
de trois jours, sanctionnée par un congédiement en vertu d'une convention
collective est une cause juste et raisonnable de congédiement.(4)
Une nuance est toutefois apportée à cette affirmation : la Commission des
lésions professionnelles doit aussi se demander si la véritable cause du
congédiement du travailleur, et non le prétexte, est son absence injustifiée de
trois jours.
La cause Structure C.Q.S. inc.(5) illustre comment la Commission d'appel
répond à cette question.
Dans ce dossier, le travailleur est victime d'un accident du travail le 12 octobre
1990. La lésion est consolidée le 29 juillet 1991. Le 16 mai 1992, le travailleur
est mis à pied en raison d'un manque de travail. Le 29 juillet 1992, il est
déclaré apte au travail et exerce son droit de retour au travail sans être réintégré
immédiatement par l'employeur.
Le 15 octobre 1992, le travailleur est congédié. Le 27 octobre 1992, il loge une
plainte contre l'employeur en vertu de l'article 32 de la loi.
L'employeur, pour justifier le congédiement du travailleur, s'appuie sur
certaines dispositions de la convention collective qui prévoient que lorsqu'un
salarié est absent pendant plus de vingt-quatre mois par suite entre autres d'un
accident du travail, son service continu et son statut d'ancienneté se terminent et il est considéré licencié, à moins d'une entente écrite entre l'employeur et
le syndicat.
La Commission d'appel ne retient pas cet argument de l'employeur car " cela
permettrait à l'employeur de faire indirectement ce qu'il n'est pas autorisé à
faire directement, en vertu de la loi. Il faut se rappeler que la loi est d'ordre
public et qu'elle a préséance sur toute disposition d'une convention collective
qui est moins avantageuse que la présente loi. "
La plainte est donc accueillie puisque l'employeur n'a pas démontré qu'il avait
une autre cause juste et suffisante que la lésion professionnelle subie pour
licencier le travailleur et lui faire perdre son ancienneté, la convention
collective ne pouvant être appliquée.
Dans la présente cause, la clause de la convention collective à laquelle se réfère
l'employeur n'est pas moins avantageuse que la loi ni donc contraire à l'ordre
public. Contrairement aux causes citées, la convention collective s'applique.
La preuve ne démontre aucun autre motif que celui invoqué par l'employeur
pour congédier M. Lefebvre.
L'employeur mentionne la mauvaise volonté du travailleur dans une note.
Toutefois, dans l'avis de congédiement transmis à M. Lefebvre de même que
devant la CSST et la Commission des lésions professionnelles, seule la
convention collective est invoquée pour justifier le congédiement.
M. Lefebvre s'est absenté trois jours consécutifs, sans motif. L'employeur
invoque la convention collective pour le congédier. Il s'agit d'une cause juste
et suffisante, autre que la lésion professionnelle subie par le travailleur.
La plainte du travailleur est rejetée.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS
PROFESSIONNELLES:
REJETTE la plainte du travailleur, M. Jacques Lefebvre;
CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la
sécurité du travail le 3 juillet 1998;
DÉCLARE que le 27 avril 1998, le travailleur est congédié pour une cause
juste et suffisante, autre que la lésion professionnelle subie le 5 février 1998.
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Me Yolande Lemire, commissaire
Me Éric Julien
CHARLEBOIS, GAULIN & ASS.
291, rue Victoria, 2e étage
Salaberry-de-Valleyfield Qc
J6T 1A9
(représentant de la partie appelante)
Mme Ghyslaine Morel
669, route 201
St-Clet Qc
J0P 1S0
(représentante de la partie intéressée)
CITATIONS ET RÉFÉRENCES
1.
.L.Q. 1997, c.27, entrée en vigueur le 1er avril 1998;
2. .Canpar Transport ltée et de Bellefeuille
(1995) C.A.L.P. 1589
;
3. .Les Services ménagers Roy Ltée et Roger Lavergne
(1996) C.A.L.P.
788
;
4. .Mercier et Cambior inc. C.A.L.P. 32871-08-9109, 1992-08-17, Yves
Tardif, commissaire;
5. .Structure C.Q.S. inc. et Jean-Louis Guignard,
(1995) C.A.L.P. 180
à
184.