DÉCISION
[1] Le 4 mai 2000, Bell Canada (l'employeur) dépose une requête en révision de la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 17 mars 2000.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles rejette la requête de l'employeur, confirme la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 22 février 1999, à la suite d'une révision administrative et déclare que le travailleur a subi une lésion professionnelle le 12 juin 1998.
[3] À l'audience, les employeurs, Bell Canada et Expertech Bâtisseur Réseaux inc., sont représentés par le même procureur. Le travailleur est absent mais il est représenté par monsieur Christian Comeau.
L'OBJET DE LA REQUÊTE
[4] L'employeur demande la révocation de la décision rendue le 17 mars 2000 au motif qu'il n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre. De plus, il invoque que la Commission des lésions professionnelles a excédé sa compétence en rendant une décision alors qu'une entente était intervenue entre les parties. Dans sa requête il résume ainsi les motifs invoqués au soutien de la présente demande :
- qu'un accord est intervenu entre les parties et
qu'il y a donc transaction au sens du Code civil. La Commission des lésions professionnelles n'avait alors pas
compétence pour procéder à l'audience du 16 mars 2000;
- que le conciliateur a failli à ses obligations
professionnelles en n'assurant pas un suivi diligent auprès des parties pour
finaliser la transaction;
-que les procureurs de l'employeur n'ont pas été
convoqués à l'audience du 16 mars 2000.
Il y a donc eu manquement aux règles de justice naturelle car le
conciliateur connaissait l'existence et le mandat des procureurs.
L'AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations syndicales et le membre issu des associations d'employeurs sont d'avis de rejeter la requête de l'employeur. L'employeur a reçu l'avis d'enquête et audition et il ne l'a pas transmis à son procureur. Il n'a pas fait preuve de diligence. Pour ce qui est de l'entente intervenue entre les parties, celle-ci a été transmise aux parties par le conciliateur et c'est l'employeur qui ne l'a pas signée car il demandait des modifications au document. Par conséquent, il ne peut y avoir transaction car le document n'a jamais été signé par l'employeur.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[6] La Commission des lésions professionnelles doit décider s'il y a lieu de réviser ou révoquer la décision qu'elle a rendue le 20 juin 2000.
[7] La révision d'une décision est prévue à l'article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c.A-3.001) (la loi). Cette disposition se lit ainsi :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[8] Par ailleurs, cette disposition doit s'interpréter à la lumière de l'article 429.49 de la loi qui énonce qu'une décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel. Cette disposition se lit ainsi :
429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.
Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
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1997, c. 27, a. 24.
[9] Le fait qu'une partie n'ait pu se faire entendre constitue un motif de révocation expressément prévu au second paragraphe de l'article 429.56 de la loi. De plus, tel que déjà décidé par la Commission des lésions professionnelles dans l'affaire Casino de Hull et Roxanne Gascon[1], la violation des règles de justice naturelle constitue aussi un vice de fond de nature à invalider la décision et ce motif permet la révocation en vertu du troisième paragraphe de l'article 429.56 de la loi.
[10] Y a-t-il eu violation des règles de justice naturelle dans ce dossier ?
[11] Le procureur de l'employeur admet que son cabinet n'a jamais produit une comparution au dossier. Il est admis également que l'avis d'enquête et audition a été transmis à l'employeur et reçu par celui-ci avant la date de l'audience. L'employeur n'a pas transmis cet avis à son procureur.
[12] Par ailleurs, il est aussi vrai qu'un conciliateur de la Commission des lésions professionnelles avait tenté de régler ce dossier par la conciliation et savait que l'employeur était représenté par procureur. Avait-il l'obligation de s'assurer qu'un avis d'enquête et audition soit transmis à ce procureur qui n'avait pas officiellement comparu au dossier ? C'est ce que prétend le représentant de l'employeur.
[13] L'acte de comparution est une procédure par laquelle une personne informe le tribunal ainsi que les autres parties au dossier qu'elle a reçu mandat d'une partie de la représenter. C'est la production de cet avis qui lui donne le droit d'accès à tous les documents déposés au dossier de la personne qu'il représente et à toute la correspondance future.
[14] En l'instance, ni l'employeur ni son procureur n'ont déposé un tel document au dossier. Donc, même si le conciliateur a discuté du dossier avec un procureur, il n'avait aucune obligation de s'assurer qu'un document quelconque concernant ce travailleur lui soit transmis avant la production au dossier d'une comparution. De plus, le conciliateur ne pouvait prendre acte de sa comparution comme le prétend le procureur de l'employeur. Il appartenait au représentant de l'employeur de produire une comparution écrite dans ce dossier.
[15] Quoi qu'il en soit, la Commission des lésions professionnelles ne peut conclure qu'il y a eu violation des règles de justice naturelle en l'instance. La partie elle-même a reçu l'avis de convocation. Elle a simplement négligé d'en aviser son procureur. Elle n'a même pas communiqué avec son procureur pour s'informer de l'état des discussions ou de l'évolution du dossier. On ne peut certainement pas conclure que la partie elle-même a été diligente même si on arrivait à la conclusion que son représentant a fait une erreur en ne produisant pas une comparution. Bref, si l'employeur n'a pas été entendu, c'est parce qu'il a renoncé à se faire entendre. Il n'a simplement pas donné suite à l'avis de convocation.
[16] La Commission des lésions professionnelles considère qu'il n'y a eu aucune transgression aux règles de justice naturelle.
[17] Le deuxième argument soumis par l'employeur à l'appui de la requête est que la Commission des lésions professionnelles a excédé sa compétence lorsqu'elle a procédé à une enquête et audition de l'affaire et rendu une décision puisqu'une entente était intervenue entre les parties. En effet, l'employeur plaide que le présent dossier a été réglé par une transaction au sens du Code civil.
[18] Une erreur portant sur la compétence constitue un vice de fond de nature à invalider la décision. En effet, dans un tel cas, l'erreur simple suffit à donner ouverture à la révision[2].
[19] Toutefois, en l'instance, l'employeur a-t-il démontré que la Commission des lésions professionnelles a excédé sa compétence ?
[20] Le présent tribunal ne peut souscrire aux prétentions de l'employeur et conclure que le présent dossier a été réglé par transaction ou entente.
[21] En effet, la preuve révèle qu'il y a eu une démarche de conciliation dans ce dossier et que le 16 août 1999, soit le jour prévu pour l'audience, les parties se sont entendues verbalement sur la façon de régler le dossier. Un document a été préparé par le conciliateur et transmis aux parties la même journée. Le travailleur a signé ce document le 18 août 1999 mais l'employeur ne l'a jamais signé.
[22] La raison pour laquelle cette entente n'a pas été signée demeure nébuleuse. Le procureur de l'employeur soumet que sa collègue, Me Lafond, qui représentait l'employeur à cette époque et qui a quitté le bureau depuis, lui a dit que le conciliateur exigeait une signature d'Expertech Bâtisseur Réseaux inc., qui est partie au dossier. Or, cette compagnie gère les dossiers d'invalidité pour Bell Canada. Me Lafond avait alors demandé de faire enlever le nom de cet employeur sur l'accord. Le conciliateur devait rédiger une nouvelle entente et la faire parvenir à Me Lafond et il ne l'a pas fait.
[23] Le représentant du travailleur soumet plutôt qu'au mois de novembre 1999, alors qu'il faisait un suivi de ses dossiers, il a constaté qu'il n'avait pas reçu copie de l'entente avec la signature de l'employeur. Il a communiqué avec le conciliateur et celui-ci lui a dit que l'employeur n'avait pas signé l'entente et ne retournait pas ses appels. Il lui a dit qu'il pensait à remettre le dossier au rôle.
[24] Le travailleur soumet, par l'entremise de son représentant, qu'il s'est écoulé sept mois entre la date de l'alléguée entente et la date de la décision finale. L'employeur n'a jamais donné signe de vie pendant toute cette période.
[25] Or, la transaction est définie comme suit à l'article 1918 du Code civil :
Art. 1918. La transaction est un contrat par lequel les parties terminent un procès déjà commencé, ou préviennent une contestation à naître, au moyen de concessions ou de réserves faites par l'une des parties ou par toutes deux.
1866 a/s. 1918.
[26] En l'instance, une démarche en conciliation a été amorcée mais elle n'a pas abouti à un règlement final. L'employeur n'a jamais signé le document qui devait refléter cette rencontre des volontés. Le tribunal considère que dans ces circonstances il n'y a pas eu échange de consentements par les parties. Ce que la preuve révèle c'est qu'une des deux parties n'a pas consenti aux termes de cette alléguée entente.
[27] Le procureur de l'employeur soumet que ce document n'a pas été signé en raison d'un détail technique. Cependant, la preuve n'est pas claire quant au motif du refus par l'employeur de signer ce document. Le procureur qui représente l'employeur devant la présente instance n'est pas le même que celui qui a été impliqué dans le processus de conciliation et le conciliateur en question n'a pas été assigné. De plus, sept mois se sont écoulés entre la date de cette alléguée entente et la date de la décision de la Commission des lésions professionnelles et l'employeur n'a fait aucun effort, pendant cette période, pour communiquer avec le conciliateur, la Commission des lésions professionnelles ou l'autre partie.
[28] Dans ces circonstances, la Commission des lésions professionnelles considère que l'employeur n'a pas fait la preuve que ce dossier a été réglé par entente ou par transaction.
[29] Le dernier motif invoqué par l'employeur à l'appui de la requête est que le conciliateur a failli à ses obligations professionnelles en n'assurant pas un suivi diligent auprès des parties pour finaliser la transaction.
[30] Or, d'une part, cette allégation n'a aucunement été prouvée. D'autre part, les parties ont aussi l'obligation d'assurer un suivi de leurs dossiers et l'employeur n'a pas démontré qu'il a été diligent dans le suivi de son dossier.
[31] L'employeur n'a pas fait la preuve d'un motif permettant la révocation ou la révision de la décision du 17 mars 2000.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête en révision de l'employeur, Bell Canada.
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Santina Di Pasquale |
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Commissaire |
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Gilbert, avocats (Me Jean-François Gilbert) |
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Représentant de Bell Canada |
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S.C.E.P. (M. Christian Comeau) |
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Représentant du travailleur |
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AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.