Décision

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Canada (Procureur général) c. Construction Da-Gar 2000 inc.

2015 QCCS 5388

COUR SUPÉRIEURE

(Chambre civile)

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE QUÉBEC

 

 

 

N° :

200-17-012817-102

 

DATE :

13 NOVEMBRE 2015

 

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

CLÉMENT SAMSON, j.c.s.

______________________________________________________________________

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Demandeur

 

c.

 

CONSTRUCTION DA-GAR 2000 INC.

et

INTACT ASSURANCES

Défenderesses / Demanderesses en garantie

 

c.

 

PROTECTION INCENDIE PRO DU QUÉBEC INC.

Défenderesse / Défenderesse en garantie

et

COMPAGNIE D'ASSURANCE TEMPLE

Défenderesse

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT SUR REQUÊTE POUR PRÉCISIONS

______________________________________________________________________

 

 

[1]          Le demandeur a-t-il le droit de connaître le nom de la personne qui, en son sein, aurait, suivant une allégation des défendeurs, dicté ou influencé l'expert dont le rapport est au coeur de sa réclamation ?

LE CONTEXTE

[2]          Le 4 avril 2008, le Manège militaire de Québec est la proie des flammes. Au terme de cet incendie, le Manège n’est qu’un amas de débris.

[3]          Le 8 avril 2010, le gouvernement fédéral, propriétaire du Manège, par la voie du Procureur général du Canada (PGC), réclame des dommages-intérêts aux défende-resses Da-Gar 2000 inc. (Da-Gar) et à l’assureur de cette dernière, Intact Assurances (Intact), pour les dommages subis lors de cet incendie. Da-Gar procédait à des travaux qui, selon PGC, seraient la cause de l’incendie.

[4]          Le 5 mai 2010, Da-Gar et Intact poursuivent en garantie Protection Incendie Pro du Québec inc. (Protection) qui agissait à titre de sous-entrepreneur de Da-Gar.

[5]          Le 1er avril 2011, PGC poursuit à son tour Protection ainsi que son assureur, Compagnie d’Assurance Temple (Temple).

[6]          Après avoir produit une première défense et l’avoir ensuite amendée, le 15 mai 2015, les défenderesses Protection et Temple déposent à l'encontre de la position du PGC une défense réamendée et demande reconventionnelle.

[7]          S'ensuit de la part du PGC un avis de dénonciation pour obtenir des précisions.

[8]          Les parties s'entendent ensuite sur les précisions demandées, tantôt en les fournissant, tantôt en renonçant à les demander, sauf une.

[9]          Au paragraphe 6 de cet avis de dénonciation, on lit :

« 6.       Au paragraphe 90.1, les défenderesses n'ont pas précisé qui serait à l'origine de l'affirmation de l'absence de grille; »

[10]       De fait, le paragraphe 90.1 de la défense réamendée se lit ainsi :

« 90.1  Le rapport R-9 doit être rejeté de la preuve, étant tendancieux et de complaisance, l'affirmation de l'absence de grille ne pouvant provenir que du demandeur, supérieur de l'employé / enquêteur Gravel au sein de la ligne de commandement de Défense Canada, le demandeur lui-même; »

[11]       En d'autres termes, les défenderesses prétendent que l'expert du demandeur a signé un rapport d'expertise tendancieux et de complaisance fondé sur l'absence d'un élément au coeur de ce litige, cette affirmation ayant été dictée par un supérieur, voire même par le Procureur général du Canada en personne.

[12]       Ces accusations graves de complaisance provoquent une réaction compréhen-sible du PGC qui désire connaître qui aurait dicté, d'une certaine manière, les conclusions à l'expert dont le rapport sert de pierre d'assise à toute la réclamation en demande.

[13]       Les défenderesses plaident qu'il n'est pas approprié qu'un tribunal force une partie à dévoiler le nom de ses témoins. De plus, les défenderesses allèguent que les précisions déjà contenues à ce paragraphe sont suffisamment claires pour permettre au PGC de savoir à quoi s'en tenir en vue de cette audition.

[14]       Il est vrai qu'une partie ne peut jamais être obligée de dévoiler à l'avance ses moyens de preuve, telle l'identité de témoins de faits litigieux[1].

[15]       Dans la présente affaire, il ne s'agit pas de témoins ayant trait à des faits litigieux, il s'agit d'une personne qui, au sein de l'appareil gouvernemental fédéral, aurait incité l'expert à tenir compte d'un fait particulier et aurait, de ce fait, biaisé son jugement. Cette grave accusation n'est pas un fait litigieux en soi, mais constitue une affirmation qui entacherait cruellement la crédibilité d’un témoin important pour le PGC. Cet argument est rejeté.

[16]       Quant à l'argument ayant trait à la suffisance des informations pour éviter de fournir des précisions, rappelons que la jurisprudence a aussi pour critère qu'il faille éviter des surprises qui auraient pour effet de compromettre le bon déroulement d'un procès[2].

[17]       Telle que rédigée, l'imprécision permet aux défenderesses d’assigner à la veille du procès toute personne du ministère de la Défense du Canada, en passant par le Procureur général du Canada en personne afin de démontrer que l’une d’entre elles aurait influencé l'expert en demande dans ce dossier. C'est toute une « armée » de personnes qui sont implicitement visées par cette imprécision. Le PGC a droit de connaître à qui font référence les défenderesses par leur affirmation grave.

[18]       La requête en précisions du demandeur est bien fondée.

Le nouveau Code de procédure civile

[19]       À 6 semaines de l'entrée en vigueur du nouveau Code de procédure civile[3], le Tribunal se permet de rappeler que les dispositions de ce code seront en vigueur et s'appliqueront à ce dossier avant qu'il ne soit mis en état.

 

[20]       Le nouveau Code de procédure civile s'appliquera donc lors de l’audition au mérite de cette affaire.

[21]       Rappelons que l'article 22 oblige un expert, qu'il soit retenu par le Tribunal ou par l'une des parties, à accomplir sa mission avec objectivité, impartialité et rigueur.

[22]       Pour sa part, l'article 235 NCPC prévoit que l'expert doit éclairer le Tribunal et l'aider dans l'appréciation de la preuve puisque le Tribunal fait appel à une personne compétente dans la discipline concernée.

[23]       Cela étant, si aux yeux d'une partie, un expert manque à ses devoirs d'objectivité et d'impartialité, à la demande d'une partie ou à l'initiative du Tribunal, lors d'une conférence de gestion, on peut demander de le désavouer. Cette disposition existe afin d’éviter des surprises lors de la tenue d’un procès.

[24]       La partie qui, préférant le jeu du chat et de la souris, ne dévoile pas à temps le motif justifiant le désavouement d'un expert peut, au sens de l'article 341 NCPC, être condamnée à payer tous les frais de justice engagés par une autre partie.

[25]       Mieux, l'article 342 prévoit même le paiement des honoraires professionnels de l'avocat de la partie adverse s'il y a manquement important au déroulement de l'instance. Or, une telle preuve incidente alléguée par les défenderesses, mais Ô combien importante, portant sur la crédibilité de l’expert, pourrait provoquer la remise d'un procès puisque, trop tardivement, la partie surprise n’aurait pas le temps de désigner un autre expert pour y témoigner.

[26]       Le Nouveau code de procédure civile invite les avocats à coopérer « en s’informant mutuellement, en tout temps, des faits et des éléments susceptibles de favoriser un débat loyal et en s’assurant de préserver les éléments de preuve pertinents. » Il n’est pas utile d’attendre 38 jours pour atteindre cet objectif.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

[27]        ORDONNE aux défenderesses, Protection Incendie Pro du Québec inc. et Compagnie d'assurance Temple, de fournir les précisions demandées et d'indiquer quelle personne du gouvernement fédéral aurait influencé l'expert Gravel quant à l'affirmation de l'absence d'une grille;

[28]        À défaut de fournir ces précisions dans un délai de cinq (5) jours du présent jugement, ORDONNE la radiation du paragraphe 90.1 de la défende réamendée;

[29]        AVEC DÉPENS.

 

 

 

CLÉMENT SAMSON, j.c.s.

 

Ministère de la Justice Canada

Me Vincent Veilleux

Me Diane Pelletier

Me Ludovic Sirois

284, rue Wellington

Ottawa (Ontario)  K1A 0H8

Procureurs du demandeur

 

Langlois Kronström Desjardins, Casier # 115

Me Jean-Philippe Beaudry

Procureurs de Construction DA-GAR 2000 inc. et Intact Assurances

 

Fraticelli Provost

Me Béatrice Boucher

1155, boul. René-Lévesque Ouest, # 2800

Montréal (Québec)  H3B 2L2

Procureurs de Protection Incendie Pro du Québec inc. et Compagnie d'assurance Temple

 

Date d’audience:

12 novembre 2015

 



[1]     9227-1899 Québec inc. c. Gosselin, 2013 QCCS 3527, par. 16 à 19.

[2]     Pisapia Construction inc. c. Fabrique de la paroisse de St-François d'Assise, 1976 R.P. 69 (QCCA); L'espérance c. Korman, 2007 QCCS 1547, par. 8; Énergie atomique du Canada ltée c. Hydro-Québec, 2013 QCCS 2797, par. 77.

[3]     RLRQ, c. C-25.01.

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