Section des affaires sociales
En matière de régime des rentes
Référence neutre : 2015 QCTAQ 03369
Dossier : SAS-Q-199405-1402
DANIEL LAGUEUX
LOUISE GALARNEAU
c.
[1] Le requérant conteste la décision en révision rendue par l’intimée, la Régie des rentes du Québec (la Régie), le 20 janvier 2014.
[2] Cette décision maintient que le requérant n’est pas invalide au sens de la Loi sur le régime de rentes du Québec[1].
[3] Par ailleurs, monsieur ne peut être reconnu invalide en vertu des règles qui s’appliquent aux personnes de 60 à 65 ans, car il n’a pas suffisamment cotisé au Régime de rentes du Québec pour avoir droit à la rente d’invalidité à compter de 60 ans.
[4] De l’ensemble de la preuve documentaire au dossier, le Tribunal retient les éléments pertinents suivants.
[5] Le 30 août 2012, le requérant fait parvenir à la Régie le document « Écrit d’intention - Demande de rente ou de prestation ». Il informe ainsi l’organisme qu’il désire faire une demande de rente d’invalidité d’ici la prochaine année.
[6] Monsieur dépose une demande de prestations d’invalidité à la Régie le 26 novembre 2012. À ce moment, il est âgé de 59 ans. Il travaillait comme chaudronnier, ce qui consiste en la fabrication de tubes, de récipients ou de structures en métaux. Sa dernière journée de présence au travail est le 23 décembre 2007.
[7] Le requérant a travaillé pendant vingt ans dans le domaine de la construction. Il reçoit sa rente du fonds de retraite depuis la fin de l’année 2008.
[8] Le rapport médical qui accompagne la demande a été préparé par le Dr Denis Blanchard, omnipraticien. Il fait état des diagnostics suivants :
- maladie de Crohn active assez stable sous traitement;
- polyarthralgies d’étiologie indéterminée;
- arthrose lombaire;
- apnée du sommeil;
- obésité exogène;
- éthylisme modéré avec début de cirrhose;
- hypothyroïdie.
[9] Selon le médecin de famille, depuis deux ans, la condition physique du requérant s’est nettement détériorée avec l’apparition de polyarthralgies sévères touchant les mains, doigts, pieds, épaules, cou. Il y a atteinte de la motricité fine des doigts et des lombalgies chroniques avec spasmes lombaires fréquents surtout au lever le matin. Monsieur a aussi une incapacité à demeurer assis plus d’une heure. De même, il présente des blocages occasionnels au genou gauche et des échappements à la marche.
[10] Dr Blanchard est d’avis que le requérant ne peut exercer son emploi antérieur de chaudronnier, travail très exigeant, dans des conditions de froid et de chaleur intenses, et ce depuis environ deux ans. De plus, il ne pourrait pas faire un travail plus léger vu ses nombreux problèmes articulaires et son incapacité à demeurer assis plus de 60 minutes.
[11] En ce qui a trait à la maladie de Crohn du requérant, il y a plusieurs consultations en gastroentérologie avec le Dr Alain Watier, de février 2010 à juillet 2013. La condition de monsieur est stable et il répond bien à sa médication. Il est noté une perturbation de sa fonction hépatique probablement due à sa consommation d’alcool et début de cirrhose. Monsieur présente aussi un surplus de poids. Son type d’arthrite ne semble pas lié à la maladie inflammatoire de son intestin.
[12] Un rapport en audiologie du 14 avril 2011 rapporte un acouphène continu de type silement et ajout de grondement de moteur parfois. Le requérant a des difficultés à entendre le son de la télévision, lorsqu’il est au téléphone ou en groupe. Son emploi comme chaudronnier se faisait dans un environnement bruyant. Selon le Dr Sébastien Bathalon, oto-rhino-laryngologiste, le requérant présente une surdité neurosensorielle bilatérale sur le plan fonctionnel causée par ses antécédents d’exposition au bruit professionnel. Il recommande des prothèses auditives bilatérales. Le déficit anatomophysiologique est évalué à 50,7 %.
[13] Selon le résultat d’une polysomnographie effectuée en avril 2012, monsieur présente un syndrome d’apnée/hypopnée du sommeil modéré. L’utilisation d’un appareil CPAP est suggérée.
[14] Une radiographie de la colonne lombaire du 17 décembre 2012 révèle de l’arthrose facettaire multi-étagée et une discopathie modérée. L’imagerie au niveau des deux épaules, des genoux et des mains, ne démontre aucune anomalie particulière sauf une atteinte d’allure dégénérative au niveau des 3e, 4e et 5e IPD à droite.
[15] Le 14 mai 2013, la Régie refuse la demande de prestations d’invalidité du requérant. Il est fait aussi référence aux nouvelles conditions pour avoir droit à la rente d’invalidité à compter de 60 ans.
[16] À la suite de la demande de révision de monsieur, la Régie demande une expertise médicale au Dr Richard Clermont, médecin spécialiste en médecine interne et gastroentérologie. Dans son rapport du 10 octobre 2013, il mentionne que monsieur lui apparaît en bon état général. La maladie de Crohn semble limitée au côlon et elle est actuellement en rémission complète. Les arthralgies ne correspondent d’aucune façon à une arthropathie secondaire à cette maladie inflammatoire. Il s’agit probablement de phénomènes arthrosiques reliés à l’âge et à l’obésité.
[17] D’autre part, Dr Clermont ne croit pas qu’il existe de cirrhose compte tenu de l’absence de signe d’hépatopathie chronique à l’examen physique et de l’absence de signe compatible avec ce diagnostic lors d’une échographie récente.
[18] Les traitements lui apparaissent adéquats et satisfaisants. La perte de poids et l’utilisation d’acétaminophène pourraient peut-être réduire les malaises articulaires.
[19] Le 20 janvier 2014, une agente de révision de la Régie maintient la décision initiale, d’où le présent litige.
[20] Lors de son témoignage, le requérant passe en revue l’expertise du Dr Clermont et en critique le contenu. Ainsi, le médecin spécialiste ne fait pas état de tous ses problèmes physiques et minimise sa condition. Monsieur soutient que l’expertise a été dirigée par la Régie.
[21] Son appareil CPAP est difficile à ajuster. Il a peu de bon sommeil, en moyenne trois jours par mois. Selon monsieur, sa stéatose hépatique est probablement liée à sa médication. Il est traité actuellement pour son hypertension.
[22] Monsieur ajoute qu’il a toujours travaillé fort et dans des conditions extrêmes. Son état général est loin d’être excellent, il peut difficilement demeurer assis plus de 60 minutes. Le fait que sa maladie de Crohn soit en rémission n’équivaut pas à une guérison.
[23] Le requérant a consulté un rhumatologue le 4 août 2014[2]. Selon son examen, il présente de l’arthrose dégénérative.
[24] Ses problèmes de santé sont dans l’ordre son arthrose, son apnée du sommeil en raison de l’utilisation de l’appareil CPAP et la maladie de Crohn, les symptômes étant toujours actifs. Le requérant mentionne avoir changé de gastroentérologue et il ne prend plus la même médication.
[25] Monsieur a dû quitter son travail de chaudronnier, car il ne pouvait plus suivre le rythme et avait été mis de côté. Il n’a pas fait de démarches d’emploi dans un autre domai-ne. Le requérant avoue qu’il peut couper son gazon et passer la souffleuse l’hiver, mais cela lui demande beaucoup d’efforts. Il participe à la préparation des repas et s’occupe de certaines tâches ménagères. Monsieur est aussi en mesure de faire ses commissions.
[26] L’article 95 de la Loi sur le régime de rentes du Québec se lit comme suit :
« 95. Une personne n’est considérée comme invalide que si la Régie la déclare atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée.
Une invalidité n’est grave que si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.
En outre, dans le cas d’une personne âgée de 60 ans ou plus, une invalidité est grave si elle rend cette personne régulièrement incapable d’exercer l’occupation habituelle rémunérée qu’elle détient au moment où elle cesse de travailler en raison de son invalidité.
Une invalidité n’est prolongée que si elle doit vraisemblablement entraîner le décès ou durer indéfiniment.
[…] »
[27] L’analyse de l’ensemble de la preuve amène le Tribunal à conclure qu’il ne peut accueillir le présent recours, et ce, pour les motifs suivants.
[28] Tout d’abord, il faut rappeler que le requérant a le fardeau de démontrer, par une preuve prépondérante, le bien-fondé de ses prétentions.
[29] Il doit, pour être reconnu invalide, établir qu’il est régulièrement incapable de détenir une occupation rémunératrice, et ce, de façon indéfinie. Cette incapacité doit résulter d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée.
[30] Or, monsieur n’a produit aucune expertise médicale portant sur sa condition physique. Il a plutôt cherché à discréditer le rapport du Dr Richard Clermont.
[31] Tel que constaté par le médecin expert, l’état général du requérant apparaît bon. En effet, il est en rémission complète de sa maladie de Crohn depuis plusieurs années. L’apnée du sommeil est traitée avec un appareil CPAP. Monsieur a une surdité d’origine professionnelle, mais il dispose de prothèses auditives. Il peut aussi lire sur les lèvres de son interlocuteur.
[32] Relativement à ses douleurs articulaires, le requérant a rencontré un rhumatologue récemment. Toutefois, le Tribunal ne dispose pas de son rapport ou d’autres éléments lui permettant d’évaluer objectivement les contraintes causées par les arthralgies.
[33] En ce qui a trait à la capacité de travail de monsieur, le Dr Clermont se prononce comme suit [3]:
« […]
Compte tenu des arthralgies généralisées probablement d'origine arthrosique, compte tenu qu'il n'est pas retourné travailler en 2008 à cause des arthralgies généralisées, compte tenu de l'obésité grade II, compte tenu de l'hypertension artérielle, compte tenu d'un déconditionnement physique très probable dans un contexte d'arrêt de travail depuis six ans, compte tenu de la description de la tâche qu’il effectuait, je crois que monsieur [nom de l’accusé] est porteur de limitations fonctionnelles l’empêchant d’accomplir les tâches usuelles de sa fonction antérieure. Toutefois, compte tenu du bon état général, compte tenu qu’il pourrait utiliser une médication analgésique sous forme d’Acétaminophène dans un contexte d’arthrose, compte tenu que les diverses conditions médicales sont traitées adéquatement, compte tenu des activités permises, monsieur [nom de l’accusé] pourrait vraisemblablement accomplir un travail rémunérateur de façon régulière en autant qu’il soit sédentaire avec, comme limitations, le fait de ne pas effectuer de gestes répétés avec les mains, rester debout pendant de longues périodes de temps, ou marcher sur de longues distances. Il existe définitivement une légère surdité malgré le port de prothèses auditives, de sorte qu’il ne pourrait pas travailler dans un milieu bruyant.
[…] »
(Transcription conforme)
[34] Depuis 2008, monsieur n’a fait aucune démarche pour occuper un emploi plus léger, notamment dans un autre domaine que la construction. Plusieurs éléments de sa situation familiale peuvent avoir eu un impact sur sa motivation de retourner au travail.
[35] Le Tribunal est d’avis que le requérant, en respectant les limitations fonctionnelles établies, pourrait occuper un emploi de nature sédentaire.
[36] La preuve permet de conclure que monsieur ne peut plus occuper son emploi habituel de chaudronnier. Malheureusement, il ne peut pas être reconnu invalide entre l’âge de 60 à 65 ans en raison de nouvelles dispositions législatives en vigueur depuis le 1er janvier 2013. Ces modifications nécessitent que le requérant démontre un attachement récent au marché du travail et donc qu’il ait cotisé quatre des six dernières années pour être reconnu admissible.
[37] L’article 106 de la Loi prévoit maintenant que :
« 106. Un cotisant n’est admissible à une rente d’invalidité que s’il est âgé de moins de 65 ans, est invalide et a versé des cotisations pour l’un des groupes d’années suivants :
a) deux des trois dernières années comprises entièrement ou partiellement dans sa période cotisable ou deux années, si cette période ne comprend que deux années;
b) cinq des 10 dernières années comprises entièrement ou partiellement dans sa période cotisable;
c) la moitié du nombre total des années comprises entièrement ou partiellement dans sa période cotisable, mais au moins deux années.
Toutefois, un cotisant âgé de 60 ans ou plus visé au troisième alinéa de l’article 95 n’est admissible à une rente d’invalidité que s'il a versé des cotisations pour au moins quatre des six dernières années comprises entièrement ou partiellement dans sa période cotisable.
Pour l’application du présent article, la période cotisable du cotisant se termine à la fin du mois où il est devenu invalide. »
(Notre soulignement)
[38] Le requérant soutient que ces changements sont entrés en vigueur après le dépôt de sa demande de prestations d’invalidité le 26 novembre 2012.
[39] Une lecture combinée du troisième alinéa de l’article 95 de la Loi avec celui du deuxième alinéa de l’article 106 précité s’avère nécessaire pour comprendre la norme applicable.
[40] Ainsi, l’ouverture du droit à l’invalidité de monsieur pour son emploi habituel s’est faite à compter du 24 septembre 2013, date où il a atteint l’âge de 60 ans. Ce n’est donc pas la date du dépôt de la demande de prestations ou l’avis d’intention donné à cet effet qui entre en considération.
[41] La période cotisable s’est terminée le 1er octobre 2013. Puisque le requérant a cessé de travailler à la fin de l’année 2007, il n’a pas cotisé pour la période minimale prévue par la Loi, soit quatre des six dernières années[4], et ne peut être déclaré admissible.
[42] Somme toute, le Tribunal en arrive à la conclusion que la preuve médicale prépondérante démontre que la condition médicale du requérant, au moment de présenter sa demande de prestations d’invalidité, n’était pas grave au point de rendre ce dernier incapable d’occuper un emploi rémunérateur. De plus, monsieur ne peut être déclaré invalide après l’âge de 60 ans pour les raisons expliquées précédemment.
[43] POUR CES MOTIFS, le Tribunal :
REJETTE le recours du requérant;
CONFIRME la décision rendue en révision par l’intimée le 20 janvier 2014.
Lafond, Robillard & Laniel Avocats
Me Mario Laprise
Procureur de la partie intimée
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.