Saputo, Groupe Boulangerie inc. (Usine Vachon) et Mathieu |
2008 QCCLP 7347 |
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[2] Par cette décision, la CSST confirme celle rendue initialement le 11 septembre 2007, laquelle acceptait la réclamation de monsieur Jacques Mathieu (le travailleur) pour une surdité professionnelle au 9 mars 2007, donnant droit à une atteinte permanente de 26,25 %.
[3] Le 18 septembre 2008, la Commission des lésions professionnelles tient une audience à Lévis en présence des parties. L’enquête, quant au fond, n’est pas terminée mais le tribunal a requis une argumentation écrite, sur la question préliminaire, quant au délai pour produire la réclamation. L’argumentation de l’employeur est soumise le 29 octobre 2008 et celle du travailleur le 24 novembre 2008. L’employeur réplique le 27 novembre 2008 et s’objecte au dépôt, par le travailleur, d’un document de son médecin traitant. La cause est prise en délibéré ce 27 novembre 2008.
QUESTION PRÉLIMINAIRE
[4] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que le travailleur n’a pas produit sa réclamation dans le délai requis et qu’il ne dispose d’aucun motif raisonnable pour être relevé de son défaut. Il soutient que le travailleur avait la connaissance d’être atteint d’une surdité professionnelle dès son entrée en fonction à l’entreprise en 1972.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations des employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d’avis que la preuve disponible milite en faveur du respect du délai de six mois imposé par l’article 272 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi). En cela, ils retiennent que ce n’est qu’en mars 2007 qu’il est porté à la connaissance du travailleur d’être atteint d’une surdité trouvant potentiellement son origine dans son milieu de travail. La requête de l’employeur, sur la question préliminaire, doit être rejetée.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[6] La Commission des lésions professionnelles doit disposer, dans un premier temps, du délai de production d’une réclamation en application de l’article 272 de la loi libellé comme suit :
272. Le travailleur atteint d'une maladie professionnelle ou, s'il en décède, le bénéficiaire, produit sa réclamation à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, dans les six mois de la date où il est porté à la connaissance du travailleur ou du bénéficiaire que le travailleur est atteint d'une maladie professionnelle ou qu'il en est décédé, selon le cas.
Ce formulaire porte notamment sur les nom et adresse de chaque employeur pour qui le travailleur a exercé un travail de nature à engendrer sa maladie professionnelle.
La Commission transmet copie de ce formulaire à chacun des employeurs dont le nom y apparaît.
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1985, c. 6, a. 272.
[7] Dans le cas présent, le travailleur produit une réclamation, le 9 mars 2007, alléguant une surdité acquise en raison d’une exposition au bruit depuis 40 ans. Le formulaire « Réclamation du travailleur » est accompagné d’une annexe faisant état de son histoire occupationnelle :
§ De 1967-02-08 à 1971-05-04
Électricien-technicien)
IOC (Labrador)
Apprentissage / entretien dans les chambres électriques des composantes électriques et électroniques (CCM); Centre de contrôle des moteurs et chambre de contrôle des maîtres. Appareil de contrôle et instrumentation. Projets spéciaux de modification et entretien en arrêt planifié.
§ De 1972-04-24 à 1976
Électricien-technicien
Saputo (Division Boulangerie)
Technicien électriques dans l’usine, Atelier et bâtisse en périphérie. Tous travaux de fabrication, installation, dépannage d’entretien de toutes les composantes et appareillage de l’usine.
§ De 1972-04-24 à aujourd’hui
Contremaître département électrique
Saputo (Division boulangerie)
Travaux de supervision dans l’usine, Atelier et bâtisse en périphérie, de tous travaux de fabrication, installation, entretien des composantes et appareillage électrique de l’usine.
[8] Le 9 mars 2007, le travailleur est soumis à une investigation audiométrique. Le résultat est interprété en faveur d’une hypoacousie neurosensorielle modérée à sévère à droite et d’une hypoacousie neurosensorielle légère BF (basse fréquence) à sévère HF (haute fréquence) à gauche. L’audiologiste émet l’hypothèse qu’il y a contribution probable de l’exposition professionnelle au bruit. Il réfère le travailleur en oto-rhino-laryngologie, pour une expertise et ouverture d’un dossier CSST. Il recommande un appareillage binaural numérique.
[9] Le 9 mars 2007, le docteur Paul Giguère, oto-rhino-laryngologiste (ORL), se prononce sur la condition du travailleur. D’entrée de jeu, il mentionne que ce dernier constate une difficulté importante à communiquer depuis quelque temps. Il se plaint d’une baisse d’audition. Il rapporte le résultat de l’examen comme suit :
Moyenne
Arrondie
d’après le
Seuils en dB aux fréquences Moyenne tableau 22
O. Droite 40 +65 +65 +80 = 250 ÷ 4 = 62,5 65
O. gauche 35 +30 +50 +70 = 185 ÷ 4 = 46,25 45
Moyenne arrondie d’après le tableau 22 % DAP
Oreille la plus atteinte droite reportée sur le tableau 23 2,5 %
Oreille la moins atteinte gauche reportée sur le tableau 23 12,5 %
[10] Le docteur Paul Giguère indique que l’examen montre une surdité neurosensorielle compatible avec une exposition aux bruits. Il recommande le port d’un appareil auditif de préférence bilatéral. Il conclut ainsi :
Compte tenu de l’histoire d’exposition aux bruits au travail, de l’âge du patient (61 ans), cette exposition dure depuis 40 ans et d’aucune histoire de surdité, il s’agit probablement d’une surdité engendrée par l’exposition aux bruits au travail.
[11] Il existe au dossier différents documents faisant état d’évaluations relatives à la condition auditive du travailleur, bien avant le mois de mars 2007. La première est datée du 15 janvier 1970 et l’examen a été pratiqué à l’Hôtel-Dieu de Lévis, à la demande du docteur P. Savard. Les autres sont datées du 19 septembre 1978, 5 septembre 1979, 1er septembre 1981, 7 septembre 1982 et 5 novembre 1984. Tous ces examens ont eu lieu au Service de protection de l’ouïe, de Sainte-Foy ou Québec. Enfin, il y a eu une autre évaluation faite le 19 janvier 1983, à l’Hôtel-Dieu de Lévis, à la demande du docteur Raymond-Marie Guay.
[12] Le rapport d’évaluation effectué en 1970 comporte une mention à l’effet que le travailleur présente une baisse d’audition, du côté droit, depuis un an environ. Le résultat est en faveur d’une hypoacousie à l’oreille droite. Le travailleur doit être revu dans un an. En 1978, il est question d’une surdité modérée à investiguer au niveau de l’oreille droite. En 1979, on parle d’une surdité bilatérale, de légère à sévère, à investiguer. Il en est de même en 1981, 1982 et 1984. À chacune de ces évaluations, il est fait mention de référer le travailleur à la clinique pour une investigation plus poussée. Quant à l’évaluation effectuée en janvier 1983, elle rapporte une hypoacousie neurosensorielle bilatérale. Le docteur Raymond-Marie Guay écrit ce qui suit :
Il s’agit d’un patient qui travaille comme contremaître-électricien. Il n’a jamais été exposé à des bruits intenses à son travail à ce qu’il nous dit. Ni hors de son travail. Il a noté depuis très longtemps une baisse d’audition dans son oreille droite qui a été investiguée il y a dix ou douze ans à l’Hôtel-Dieu de Québec et on lui avait dit qu’il avait une perte neurosensorielle pour laquelle il n’y avait rien à faire.
EXAMEN :
Les tympans et les conduits externes sont normaux.
Le nez et la gorge sont sans particularité.
AUDIOGRAMME :
Légère perte neurosensorielle pour les fréquences aiguës à gauche tandis qu’à droite, il y a une perte à toutes les fréquences avec un maximum à la fréquence de 1,000 et de 8,000 cycles/seconde.
IMPRESSION :
Hypoacousie neurosensorielle droite d’origine indéterminée mais possiblement secondaire à une infection virale de l’enfance.
Léger traumatisme acoustique de l’oreille gauche avec une audition excellente dans son oreille quand même.
[13] Il existe également au dossier des déclarations de santé de la clinique médicale de Vachon inc. La première est datée du 22 mai 1972 et rapporte un certain résultat, sans plus, tant pour l’oreille droite que la gauche. En mars 1979, le travailleur précise remarquer une baisse de son audition à l’oreille droite. Le docteur Lévesque suggère le port d’une protection contre le bruit. Il en est de même le 9 mars 1982, le 30 mars 1987 et le 11 juillet 1989. Entre-temps, soit le 4 mars 1985, il est aussi question d’une baisse de l’audition à l’oreille gauche.
[14] Il existe enfin, au dossier, une fiche de données relatives à l’exposition au bruit dans le milieu de travail, en date du 3 août 1988. Il ressort, des données recueillies, que le travailleur a été soumis à des doses nocives de bruit dans une proportion de 18,18 % de son temps de travail, le tout en regard de 85 dB et de huit heures d’exposition.
[15] Le 26 juin 2008, le travailleur est examiné par le docteur Patrick Savard, ORL, à la demande de l’employeur. Il fait d’abord état de l’histoire occupationnelle et des activités hors travail du travailleur. Ensuite, il indique que ce dernier n’a pas d’antécédents personnels ou familiaux antérieurs à 2004, moment où sa conjointe lui aurait fait remarquer sa surdité. Il indique également que le travailleur rapporte avoir pris conscience du problème uniquement suite à l’investigation de mars 2007. Le docteur Savard poursuit comme suit :
5. DIAGNOSTIC
L’analyse des éléments recueillis au questionnaire et à l’étude du dossier de M. Mathieu nous oblige à reconsidérer le diagnostic de surdité professionnelle.
À l’oreille droite, il est clair que M. Mathieu souffre d’une surdité bien antérieure à l’histoire d’une possible exposition aux bruits présents dans l’usine de son employeur actuel. La stabilité relative de l’audition de cette oreille milite donc pour un problème soit congénital ou de l’enfance.
À l’oreille gauche, la perte auditive semble en lien avec une exposition aux bruits. À la lumière des différents éléments qui m’ont été soumis, je crois improbable que l’exposition professionnelle de M. Mathieu à l’environnement sonore de son employeur actuel ait causé sa surdité.
Il faut noter :
une perte auditive gauche d’allure post-exposition aux bruits dès 1970 alors qu’il a débuté chez Vachon en 1972;
un emploi antérieur dans un environnement potentiellement très bruyant (compagnie minière);
une exposition à des bruits de tir (chasse, armée ?)
une exposition à des bruits reliés à des loisirs (motocyclette, motoneige, danse);
enfin, une exposition seulement occasionnelle, à des bruits potentiellement dommageables pour l’audition.
On doit aussi tenir compte du vieillissement normal de l’oreille chez un homme qui a maintenant 63 ans.
La surdité gauche semble donc être probablement en lien avec une exposition aux bruits en dehors du milieu de travail de l’employeur actuel, auquel s’ajoute une composante reliée à l’âge.
[16] Concernant cette notion de délai de production de réclamation pour surdité professionnelle, l’employeur prétend qu’il faille computer le délai à partir du 15 janvier 1970, soit à compter du premier test indiquant une surdité neurosensorielle. À cela s’ajoute, de poursuivre celui-ci, le fait qu’entre 1972 et 1975, le travailleur a complété un formulaire de réclamation CSST, confirmant ainsi le lien qu’il faisait entre sa surdité et le travail. Le fait que ce formulaire n’ait pas été acheminé à la CSST ne change en rien sa connaissance de la relation possible. Il en est de même pour les années 1982 et 1983, alors que le travailleur mentionne être exposé au bruit (1982) et avoir une baisse d’audition (1983).
[17] L’employeur indique qu’il est difficile d’imaginer que, entre 1979 et 1983, le travailleur ne se savait pas atteint d’une surdité possiblement reliée à son exposition dans le milieu de travail, et ce, compte tenu des quatre tests audiométriques auxquels il fut soumis.
[18] En subsidiaire, l’employeur soutient que si le départ, pour computer le délai de production d’une réclamation, se rattache à l’intérêt du travailleur à réclamer, cet intérêt était né en 1970. Il réfère, en cela, au fait que sa surdité d’alors était compensable, tel que le démontre le témoignage non contredit du docteur Savard. En guise d’appui à ses prétentions, l’employeur dépose les affaires suivantes :
§ Hydro Québec (Gestion Acc. Trav.) et Denoncourt[2];
§ Morand et Brasserie Labatt ltée[3];
§ Chalifoux et Garage F. Chalifoux[4]
§ Dionne et CSST - Soutien à l’imputation[5].
[19] Le travailleur soutient, pour sa part, qu’en aucun temps, avant l’évaluation de 2007 du docteur Paul Giguère, il n’a été mis au courant des résultats des différents tests audiométriques administrés ni d’un quelconque lien entre sa surdité grandissante et son exposition dans le milieu de travail. Il ajoute que c’est le docteur Giguère qui lui a expliqué qu’il s’agissait d’une surdité acquise en travaillant dans le bruit depuis plusieurs années. C’est également lui qui lui a recommandé de faire une réclamation, la seule qu’il ait faite par ailleurs.
[20] Le travailleur indique n’avoir jamais reçu d’information de son employeur, suite aux différents examens ou questionnaires complétés, tel qu’affirmé au moment de son témoignage. Il termine comme suit sur ce point :
Il est donc pour moi très clair que malgré les examens et questionnaires passés, dont je n’ai pas eu de résultat, suite à mon embauche et même ceux avant cela, je ne disposais vraisemblablement pas d’assez d’éléments pour conclure que la dégradation de mon audition était liée à mon travail, et ce, même si je mentionnais dans les questionnaires de santé, commandés par mon employeur, que j’avais une petite différence entre l’oreille droite et l’oreille gauche.
[21] Le travailleur réfère, au soutien de ses prétentions, aux affaires suivantes :
§ Poulin et Pavage Beau Bassin 1967 inc.[6];
§ Allard et Stone Consolidated[7];
§ Montgrain et Aliments Humpty Dumpty ltée[8]
[22] Le travailleur discute de ces jugements et conclut en ces termes :
Alors, dans ces trois jugements, il me semble que la surdité diffère des autres maladies professionnelles en ce qui a trait au point de départ de la connaissance de sa maladie par le travailleur. Le fait d’avoir personnellement constaté une baisse marquée de mon audition en 2007, en plus d’avoir eu le suivi de l’O.R.L. Paul Giguère, avec résultats et explications de ceux-ci et me démontrant que cette surdité serait liée à mon emploi, serait, à mon avis, le point de départ de ma « connaissance » exigé à l’article 272 de la loi.
[23] Le travailleur est en complet désaccord avec la prétention de l’employeur voulant, qu’entre 1972 et 1975, il aurait complété un formulaire de réclamation à la CSST. Il s’agit, de préciser celui-ci, d’un questionnaire médical comme tous les autres.
[24] La Commission des lésions professionnelles constate qu’en matière de délai de production d’une réclamation, en application de l’article 272 de la loi, la jurisprudence fait état de plusieurs positions. Certains commissaires estiment que le délai de six mois, de la connaissance du travailleur d’être atteint d’une maladie professionnelle, réfère à la conviction personnelle qu’a le travailleur de la relation causale entre sa maladie et l’exposition au travail, et ce, même si cette conviction découle uniquement de sa propre analyse. On parle d’un travailleur qui possède suffisamment d’éléments de faits pour établir le lien, probable ou possible, ou, encore, d’une connaissance suffisante pour produire une réclamation.
[25] D’autres commissaires sont d’avis, quant à eux, que cette connaissance existe seulement lorsque, sur le plan médical, le médecin fait part au travailleur des résultats de l’examen et du fait qu’il existe un lien avec l’exposition professionnelle. Ce n’est que de cette manière qu’il est possible de valider l’expression du législateur, à savoir « porter à la connaissance du travailleur ». Suivant ces commissaires, la conviction du travailleur, d’être atteint d’une maladie professionnelle, découle nécessairement d’une interaction entre celui-ci et un professionnel de la santé.
[26] D’autres commissaires, enfin, disposent de cette question en référant à l’intérêt réel et actuel du travailleur à produire une réclamation. Il est, entre autres, question d’être en possession d’un diagnostic formel, élément nécessaire pour faire une demande à la CSST. On y précise que la notion de « connaissance » implique beaucoup plus que le simple doute, même s’il n’est pas obligatoire de détenir une certitude découlant d’une opinion médicale définitive.
[27] Mais qu’en est-il pour notre dossier?
[28] D’entrée de jeu, le présent tribunal précise qu’il partage le point de vue voulant que la véritable connaissance, d’être atteint d’une maladie professionnelle, se rapporte à l’information reçue, par le travailleur, d’être atteint d’une surdité qui, potentiellement, pourrait trouver son origine dans l’exposition nocive au travail. Cela dépasse, de l’avis de la Commission des lésions professionnelles, la simple conviction personnelle. Il faut que le travailleur détienne un diagnostic de surdité et qu’il ait été informé de la relation possible ou probable entre ce diagnostic et son exposition dans son milieu de travail. D’ailleurs, c’est à partir de l’existence d’un véritable diagnostic de surdité professionnelle qu’il devient possible, pour le travailleur, de produire une réclamation.
[29] On sait, dans le cas présent, que, dès 1970, le travailleur a passé un examen à la demande du docteur P. Savard, et ce, en raison d’une baisse d’audition à droite depuis un an environ. Aux notes médicales du docteur Savard, il n’est nullement fait mention d’une quelconque relation possible entre les résultats obtenus et l’exposition au travail. On ne peut donc retenir, de l’avis de la Commission des lésions professionnelles, que le travailleur était en mesure d’établir un quelconque lien entre sa surdité à droite et l’exposition dans son milieu de travail. Le travailleur dira, en témoignage, ne pas avoir été exposé au bruit avant son entrée en fonction, en 1972, chez l’employeur actuel. Il confirme, par le fait même, sa méconnaissance d’être porteur, en 1970, d’une surdité en relation avec une quelconque exposition au travail.
[30] Certes, le docteur Patrick Savard, ORL, témoigne que si, dès 1970, un diagnostic de surdité professionnelle avait été émis, les résultats obtenus à l’audiogramme auraient permis une certaine compensation. Or, un tel diagnostic n’a pas été émis. Du moins, la Commission des lésions professionnelles n'en retrouve aucune trace. Il est seulement question, aux notes manuscrites du médecin, d’une hypoacousie à droite depuis un an et de revoir le travailleur dans un an. La Commission des lésions professionnelles estime donc qu’on ne peut prétendre, malgré le témoignage du docteur Savard, qu’il a été porté à la connaissance du travailleur, en janvier 1970, qu’il était atteint d’une surdité trouvant son origine dans une quelconque exposition au travail.
[31] Vient, ensuite, une série de tests faits par le Service de protection de l’ouïe de Sainte-Foy et de Québec. Ceux-ci ont été faits de 1978 à 1984. Voyons, d’abord, ceux se terminant en 1982.
[32] Que ce soit le test de 1978, 1979, 1981 ou celui de 1982, tous les rapports font état d’une surdité à investiguer. On y précise que le travailleur doit être référé à la clinique pour une investigation plus poussée. Quant à l’année de 1984, on fait état d’un problème connu et d’une détérioration modérée depuis le test de base. On ne réfère pas le travailleur pour une investigation plus poussée et on indique qu’il n’est pas exposé au bruit.
[33] Il est donc évident, de l’avis de la Commission des lésions professionnelles, que ces quelques examens, quoique faisant état d’une surdité à investiguer, ne donnaient aucune information sur la nature même de cette surdité. On ne peut prétendre qu’il s’agit de documents établissant un véritable diagnostic de surdité professionnelle. D’ailleurs, le travailleur témoigne ne pas avoir été informé du contenu de ces tests. Rien, de la preuve disponible, ne nous permet de croire que celui-ci ne dit pas la vérité à ce propos.
[34] Certes, le travailleur a complété des formulaires de santé à ces mêmes époques dans lesquels nous retrouvons l’information à l’effet qu’il présente une baisse de son acuité auditive à l’oreille droite. C’est particulièrement le cas en 1979 et 1982. En 1979, le docteur Lévesque, de la compagnie, recommandait même le port de protection contre le bruit. Or, malgré ces bilans et la recommandation du docteur Lévesque, aucune mention ne nous permet de croire que le travailleur a été informé, d’une quelconque manière, que sa surdité était en lien avec son exposition au travail. Le rapport de 1982 nous oriente même dans le sens contraire. En effet, même si une case, référant au bruit, était prévue au questionnaire de bilan de santé, elle n'a pas été cochée comme faisant partie des risques d’exposition. Il faut donc conclure, suivant une forte probabilité, que le travailleur n’établissait nullement le lien entre sa surdité et son exposition au travail.
[35] Il est intéressant de constater qu’en 1983, le 19 janvier, le travailleur se soumettait à une évaluation auditive à l’Hôtel-Dieu de Lévis. Une interprétation en faveur d’une hypoacousie neurosensorielle bilatérale était émise avec recommandation de surveiller l’audition. Loin d’établir un quelconque lien avec une exposition au travail, le spécialiste, Raymond-Marie Guay, précisait que la perte à droite était d’origine indéterminée, voire probablement en relation avec une infection virale. Quant à l’oreille gauche, il faisait état d’une excellente audition, malgré une certaine perte. Aucune origine n’était mentionnée pour cette perte. Il faut dire que le travailleur avait affirmé n’avoir jamais été exposé au bruit dans son travail. Il n’avait donc aucune connaissance, à cette époque, d’être atteint d’une surdité professionnelle.
[36] Il y aura, par la suite, d’autres rapports de bilan de santé. C’est le cas en 1985, 1987 et 1989. Encore là, il s’agissait d’énumérer les différents troubles physiques sans qu’aucune origine ou résultat diagnostic ne soit donné. Le travailleur consentait seulement à subir les examens physiques et les analyses jugées nécessaires. Malgré cet accord, on ne retrouve au dossier aucune évaluation en bonne et due forme permettant d’émettre un diagnostic de surdité, pas plus qu’une quelconque relation entre la baisse auditive et l’exposition au travail.
[37] Il y a au dossier cet autre document, relatif à l’exposition au bruit, daté du 3 août 1988. Cette journée-là, le travailleur a porté sur lui un appareil permettant de relever le niveau d’exposition au bruit. On pourrait prétendre, dès lors, que celui-ci était en mesure d’établir une relation entre sa perte d’acuité auditive et son exposition au bruit. Or, la Commission des lésions professionnelles est d’avis qu’on ne peut pas tirer une telle conclusion. Encore une fois, le diagnostic de surdité professionnelle n’a pas été émis, à cette époque, et rien, de la preuve disponible, ne nous permet de croire que le travailleur a été informé, par un professionnel en matière de surdité ou autres, qu’il était atteint d’une surdité à cause de son milieu de travail. De plus, le résultat de cette analyse, du 3 août 1988, est à l’effet que l’exposition nocive au bruit n’a été que dans une proportion de 18,18 % du temps travaillé. Comment le travailleur pouvait-il conclure, à partir de ce pourcentage, que sa surdité était d’origine professionnelle, même s’il avait été informé des résultats?
[38] Arrive finalement l’évaluation du 9 mars 2007, évaluation qui, suivant le témoignage du travailleur, a eu lieu à sa demande. L’audiologiste d’alors, madame Claudia Côté, précise, noir sur blanc, l’existence de la contribution probable de l’exposition professionnelle au bruit à cette surdité. C'est la première fois qu’une telle mention est faite de la part d’un professionnel de l’audition. On y précise également que le travailleur doit être évalué dans le but de fournir une expertise en vue d’une réclamation à la CSST. Cette évaluation aura lieu sous les soins du docteur Paul Giguère, ORL. Le 4 juin 2007, la CSST recevra l’évaluation établissant que le travailleur est atteint d’une surdité professionnelle bilatérale, avec une atteinte donnant droit à un déficit anatomo-physiologique de 8,5 % à droite et 12,5 % à gauche. La réclamation du travailleur a été produite le 9 mars 2007, avant même que le rapport du docteur Giguère ne soit disponible.
[39] La Commission des lésions professionnelles est d’avis, dans les circonstances, que c’est effectivement au moment où le travailleur voit le docteur Paul Giguère, en mars 2007, qu’il est porté à sa connaissance d’être atteint d’une surdité dont l’origine peut être son exposition au travail. Avant cette période, il n’en avait aucune connaissance même si, à première vue, cela semble difficile à croire.
[40] La Commission des lésions professionnelles conclut, en conséquence, que le travailleur a produit sa réclamation dans le délai de six mois de sa connaissance d’être atteint d’une maladie professionnelle. Quant à la note du docteur Réjean Paulin, médecin ayant charge, fournie en annexe de l’argumentation du travailleur, la Commission des lésions professionnelles tient à préciser qu’elle n’a pas été prise en compte pour disposer du présent litige.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de Saputo, Groupe Boulangerie inc. (Usine Vachon) (l’employeur) concernant la question préliminaire;
DÉCLARE que le travailleur a produit sa réclamation dans le délai prescrit à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001);
DÉCLARE qu’il y a lieu de poursuivre l’audience quant au fond.
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Marielle Cusson |
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Me Mario Parent |
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BEAUVAIS, TRUCHON & ASSOCIÉS |
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Représentant de la partie requérante |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] C.L.P. 238800-71-0407, 31 juillet 2006, S. Arcand.
[3] C.L.P. 184320-62C-0205, 5 mars 2004, R. Hudon.
[4] C.L.P. 256584-71-0502, 30 mai 2006, L. Couture.
[5] C.L.P. 315269-01A-0704, 26 février 2008, R. Arseneau.
[6] C.A.L.P. 89528-01-9706, 5 février 1998, C. Bérubé.
[7] C.L.P. 265869-01C-0507, 29 septembre 2005, L. Dubois.
[8] C.L.P. 34032-62-9111, 9 juin 1994, M. Kolodny.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.