DÉCISION
[1] Le 3 décembre 2001, Bowater Pâtes et Papiers Canada inc. (l'employeur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 7 novembre 2001.
[2] Par cette décision, la CSST confirme sa décision initiale du 4 juillet 2001 et déclare que la réclamation du 19 avril 2001 de monsieur Pierre Chevrier (le travailleur) est admissible, qu’il a droit au remboursement des frais de remplacement de la prothèse dentaire endommagée au travail.
[3] L'employeur est représenté par procureur à l'audience. Le travailleur est pour sa part présent et représenté par un conseiller syndical.
[4] À l'audience, la commissaire soussignée a informé les parties qu'elle demanderait à la CSST une copie de la facture remboursée pour la prothèse dentaire endommagée. La commissaire a également demandé que le travailleur dépose les réclamations déjà produites à son assureur pour des réparations de prothèses dentaires. À la réception des documents le 4 juin 2002, le tribunal a pris la cause en délibéré.
L'OBJET DU LITIGE
[5] L'employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que la CSST n'avait pas à rembourser le remplacement de la prothèse dentaire endommagée lors d'un événement qui serait survenu, selon les allégations du travailleur, le 19 avril 2001.
LES FAITS
[6] Le travailleur est papetier pour le compte de l'employeur au moment où survient un événement qu'il décrit à la Réclamation du travailleur comme suit :
En entrant au travail la machine était en break (feuille brisé) sa faisait 1 heure qu'on essayait de passer la feuille, l'orsque j'ai été entre les dryers et le stock j'ai toussé à cause de poussière et mon palais du bas à tomber dans le beater. [sic]
[7] À l'audience, le travailleur explique qu'il travaillait à l'extrémité d'une machine à papier au moment où une feuille a brisé dans la machine. La machine s’est mise à cracher beaucoup de poussière et des particules qu'il décrit comme du pop corn. Il dit avoir toussé à cause de la poussière et en avoir perdu sa prothèse dentaire du bas. La prothèse serait tombée dans le triturateur ( beater) et aurait été broyée.
[8] Le travailleur a reçu une nouvelle prothèse dentaire du bas en février 1999 et a alors été remboursé par l’assureur détenteur de la police d’assurance collective du personnel chez l’employeur. Environ trois semaines avant l’événement du 19 avril 2001, le travailleur avait fait modifier, à ses propres frais, cette prothèse puisqu’il avait fait arracher les deux dernières dents naturelles de son maxillaire inférieur. Le travailleur explique que sa protection d'assurance ne couvrait pas le remplacement d’une autre prothèse, n’ayant droit au remplacement de prothèse dentaire qu’une fois à tous les cinq ans.
[9] Témoigne également à l'audience monsieur Luc Trempe qui est directeur des ressources humaines chez l'employeur. Il se souvient avoir vu le travailleur à son bureau le 23 avril 2001 alors que ce dernier demandait à l’employeur de rembourser le paiement de la prothèse dentaire en question puisque la protection d’assurance ne le couvrait pas. Monsieur Trempe ajoute que son préposé, monsieur Pierre Baril, lui a confirmé que l'assureur ne rembourserait pas la prothèse du fait que le travailleur avait déjà bénéficié du remplacement de celle-ci à l'intérieur d'un délai de cinq ans, soit en février 1999. Monsieur Trempe ajoute que le travailleur ne lui a pas parlé du fait qu'il avait éternué ou qu'il avait toussé à cause de la poussière environnante, mais qu’il s'était plutôt « cogné ». Il prétend qu’au moment où il l'a vu le 23 avril 2001, le travailleur semblait avoir ses prothèses dentaires alors que le travailleur soutient avoir eu ses nouvelles prothèses, que trois semaines plus tard. Le travailleur n'a pas complété de registre d'incident le 19 avril 2001.
[10] À l'audience, un extrait du programme d'assurances collectives est déposé en preuve. À la section garantie d'assurance soins dentaires, il est écrit que le remplacement d'une prothèse dentaire est couvert par le régime d'assurance une fois par cinq ans. Il en est de même pour le remplacement d'une prothèse partielle. Ces services sont couverts, selon le régime d'assurance, à 80 %. De plus, une lettre de l’assureur confirme que le travailleur a reçu le remboursement d’une prothèse dentaire le 18 février 1999 et qu’il redeviendra admissible à un prochain remboursement à partir du 18 février 2004.
L'AVIS DES MEMBRES
[11] Le membre issu des associations d'employeurs est d'avis que le témoignage du travailleur ne peut être retenu, celui-ci ayant établi des circonstances vagues et confuses de l'événement. Elle ne reconnaîtrait ainsi pas le droit au travailleur de se voir rembourser par la CSST pour le prix de ses prothèses dentaires.
[12] Quant au membre issu des associations syndicales, il croit au contraire que le travailleur devrait bénéficier du remboursement puisque la preuve a démontré qu'un événement imprévu et soudain est survenu et que cet événement est en relation avec le fait que le travailleur a perdu sa prothèse dentaire et que celle-ci a été détruite.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[13] La Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur a le droit à une indemnité pour le remplacement de sa prothèse dentaire du bas. L'article 113 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) se lit ainsi :
113. Un travailleur a droit, sur production de pièces justificatives, à une indemnité pour la réparation ou le remplacement d'une prothèse ou d'une orthèse au sens de la Loi sur la protection de la santé publique (chapitre P - 35) endommagée involontairement lors d'un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant par le fait de son travail, dans la mesure où il n'a pas droit à une telle indemnité en vertu d'un autre régime.
L'indemnité maximale payable pour une monture de lunettes est de 125 $ et elle est de 60 $ pour chaque lentille cornéenne; dans le cas d'une autre prothèse ou orthèse, elle ne peut excéder le montant déterminé en vertu de l'article 198.1.
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1985, c. 6, a. 113; 1992, c. 11, a. 5.
[14] Il ressort de cette disposition que quatre conditions doivent être respectées pour que, sur production de pièces justificatives, un travailleur puisse recevoir une indemnité pour le remplacement d'une prothèse. Celle-ci doit :
- 1° être endommagée involontairement;
- 2° lors d'un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause;
- 3° survenant par le fait de son travail;
- 4° dans la mesure où il n'a pas droit à une telle indemnité en vertu d'un autre régime.
[15] En l'espèce, le tribunal est d'avis que la prothèse dentaire a été endommagée involontairement. En effet, il est vraisemblable que le travailleur ait toussé ou éternué à cause de la poussière résultant du bris de la feuille dans la machine à papier. Le témoignage crédible du travailleur n’a aucunement été contredit à ce sujet. De plus, il est probable que sa prothèse du bas ne tenait pas solidement en place du fait que quelques semaines auparavant elle avait été modifiée et que les dents naturelles sur lesquelles elle reposait avaient été extraites. Ainsi, la prothèse n'était donc plus aussi solidement posée qu'auparavant. Il est donc fort probable dans ces circonstances que le travailleur l'ait perdue involontairement lorsqu'il a toussé ou éternué à cause de la poussière dans l'air.
[16] Par conséquent, le tribunal retient qu'il y a eu survenance d'un événement imprévu et soudain, soit un surplus de poussière dans l'air. De plus, le travailleur était dans l'exécution de son travail. Ainsi, les trois premières conditions édictées à l’article 113 de la loi sont rencontrées.
[17] Reste à savoir si le travailleur avait droit à l'indemnité de remplacement de sa prothèse en vertu d'un autre régime. Le tribunal est d'avis que le régime d'assurance dont bénéficie le travailleur est moins avantageux que celui prévu par loi en ce qu'il ne permet le remboursement que de 80 % du coût du remplacement de la prothèse dentaire, et ce, une seule fois à tous les cinq ans. Au surplus, dans les circonstances de la présente affaire, le travailleur n'aurait de toute façon pas droit à quelque remboursement que ce soit par l’assureur puisqu'il avait déjà bénéficié, au cours des cinq dernières années, d'un remboursement et que son régime d’assurance ne prévoit le remboursement qu'une fois par cinq ans. La loi statue que pour perdre la protection prévue à l'article 113, le travailleur doit bénéficier d'un régime aussi avantageux que celui qui y est prévu, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
[18] Par conséquent, le tribunal retient que le travailleur a droit à l'indemnité pour le remplacement de la prothèse qui a été endommagée lors de l'événement du 19 avril 2001.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de l'employeur, Bowater Pâtes et Papiers Canada inc.;
CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 7 novembre 2001 à la suite d'une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur, monsieur Pierre Chevrier, a droit au remboursement des frais de remplacement de sa prothèse endommagée à la suite de l'événement du 19 avril 2001.
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Marie Langlois |
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Commissaire |
Dancosse, Brisebois, avocats (Me Michel J. Duranleau) |
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Représentant de la partie requérante |
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S.C.E.P. (M. Luc Houle) |
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Représentant de la partie intéressée |
AVIS :
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