Daoulov et Sitel téléservices Canada inc. |
2009 QCCLP 394 |
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[1] Le 9 avril 2008, le travailleur, monsieur Anthony Daoulov, dépose une requête auprès de la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision rendue le 27 février 2008 par la Direction de la révision administrative (la Révision administrative) de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST).
[2] Par cette décision, la Révision administrative rejette la demande de révision du travailleur et confirme la décision rendue le 12 novembre 2007 par la CSST qui déclare que le 27 mars 2007, il n’a pas subi une lésion professionnelle, ceci pour le diagnostic de laryngite, qu’il n’a pas droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) et qu’il doit rembourser un montant de 350,84 $ qui représente l’indemnité de remplacement du revenu versée pendant la période obligatoire des quatorze premiers jours, soit du 28 mars au 1er avril 2007.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[3] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision de la Révision administrative et de reconnaître que le 27 mars 2007, il est atteint d’une maladie professionnelle.
[4] Le travailleur se présente seul à l’audience tenue à Montréal le 9 janvier 2009. L’employeur, Sitel téléservices Canada inc., est représenté.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Conformément à la loi, le soussigné a reçu l’avis des membres issus des associations d’employeurs et syndicales sur l’objet du litige. Les deux membres estiment que la preuve ne permet pas d’établir une relation entre la laryngite et le travail. Ils souscrivent aux motifs ici retenus pour rejeter le moyen préliminaire ainsi que la requête.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
I MOYEN PRÉLIMINAIRE
[6] Au début de l’audience, le travailleur a soulevé un moyen préliminaire invoquant que la « contestation » de l’employeur est irrégulière puisqu’elle n’énonce pas les motifs de son opposition à l’admissibilité, tel que le requiert l’alinéa 8 de l’article 268 de la loi :
268. L'employeur tenu de verser un salaire en vertu de l'article 60 avise la Commission que le travailleur est incapable d'exercer son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle s'est manifestée la lésion professionnelle et réclame par écrit le montant qui lui est remboursable en vertu de cet article.
L'avis de l'employeur et sa réclamation se font sur le formulaire prescrit par la Commission.
Ce formulaire porte notamment sur :
[…]
8° si l'employeur conteste qu'il s'agit d'une lésion professionnelle ou la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion, les motifs de sa contestation.
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1985, c. 6, a. 268; 1999, c. 89, a. 53.
[7] La Commission des lésions professionnelles a rejeté ce moyen préliminaire séance tenante pour les motifs suivants.
[8] Il s’agit du formulaire Avis de l'employeur et demande de remboursement rédigé par l’employeur le 18 juin 2007 dans lequel il écrit :
Claims contracted laryngitis on the job » [sic]
[9] La Commission des lésions professionnelles estime que le langage utilisé par l’employeur ne permet pas de conclure qu’il s’agit d’une opposition ou bien d’une contestation de la réclamation mais plutôt d’une simple constatation des revendications du travailleur. L’employeur n’a fait que les rapporter, sans exprimer ou indiquer son accord ou bien son désaccord. De plus, l’avis fourni par l’employeur conformément à l’article 268 de la loi ne constitue pas une véritable « contestation », alors que les seules contestations retrouvées au dossier sont la demande de révision formulée par le travailleur le 12 décembre 2007 après que la CSST ait exercé sa compétence le 12 novembre 2007, en refusant sa réclamation, ainsi que la requête du travailleur déposée devant nous le 8 avril 2008 à l’encontre de la décision de la Révision administrative du 27 février 2008 qui maintient le refus.
[10] Au surplus, même si l’on retenait l’hypothèse avancée par le travailleur voulant que l’avis de l’employeur équivaudrait à une contestation, une telle hypothèse qui nous semble très discutable, la loi ne prévoit aucune sanction à la lacune alléguée, à savoir, notamment, que devant l’absence de motifs d’opposition à l’Avis de l'employeur et demande de remboursement, la réclamation devrait automatiquement être acceptée par défaut :
353. Aucune procédure faite en vertu de la présente loi ne doit être rejetée pour vice de forme ou irrégularité.
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1985, c. 6, a. 353; 1999, c. 40, a. 4.
[11] Il y a lieu de rappeler que le législateur confère à la CSST l’obligation de traiter la réclamation et de décider de son admissibilité :
349. La Commission a compétence exclusive pour examiner et décider toute question visée dans la présente loi, à moins qu'une disposition particulière ne donne compétence à une autre personne ou à un autre organisme.
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1985, c. 6, a. 349; 1997, c. 27, a. 12.
[12] Elle doit rendre une décision écrite avec motifs et la notifier aux parties intéressées :
354. Une décision de la Commission doit être écrite, motivée et notifiée aux intéressés dans les plus brefs délais.
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1985, c. 6, a. 354.
[13] Ce n’est qu’après que la CSST exerce sa compétence, conformément aux articles précités, que le droit de contestation, à savoir de formuler une demande de révision énoncée à l’article 358 de la loi, prend naissance.
[14] Pour ces considérations, la Commission des lésions professionnelles ne peut pas conclure que l’Avis de l'employeur et demande de remboursement constitue une contestation, ou bien qu’il comporte un vice de forme, un manque de renseignement ou une irrégularité, lesquels imposeraient l’admissibilité automatique de la réclamation avant même que la CSST exerce sa compétence et avant que le droit de contestation des parties intéressées prenne naissance.
[15] Le moyen préliminaire soulevé par le travailleur est donc rejeté.
II L’ADMISSIBILITÉ
[16] La Commission des lésions professionnelles doit décider maintenant si, le 27 mars 2007, le travailleur a subi une lésion professionnelle ou bien s’il est atteint d’une maladie professionnelle.
[17] Les articles de la loi pertinents à cette question sont les suivants :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1.
28. Une blessure qui arrive sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail est présumée une lésion professionnelle.
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1985, c. 6, a. 28.
29. Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.
Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.
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1985, c. 6, a. 29.
30. Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.
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1985, c. 6, a. 30.
[18] Rappelons que le travailleur est agent au service à la clientèle lorsqu’il soumet à la CSST une réclamation pour une laryngite qu’il estime s’être infligée au travail le 27 mars 2007.
[19] Le lendemain, il consulte le docteur Le qui remplit un rapport médical de la CSST indiquant le diagnostic de laryngite, sans autres renseignements, et met le travailleur en arrêt de travail pour la période du 28 mars au 2 avril 2007.
[20] Dans les notes évolutives de la CSST, l’agent d’indemnisation rapporte la conversation téléphonique suivante avec le travailleur :
• son travail consiste de répondre à des problèmes clients par téléphone, il dit qu’il avait perdu son voix à son travail et son médecin ainsi qu’une spécialiste ont confirmé que c’est relié à son emploi
• il me dit qu’il ne peut pas me dire comment son laryngite est relié à son travail étant donné il n’est pas médecin, il m’offre pas d’autre information sur ses tâches et les causes possible
• le T dit qu’il sait que son dossier va être refusé et qu’il attend notre lettre pour contester la décision [sic]
[21] Le 6 novembre 2007, le médecin-conseil de la CSST, le docteur Zaharia, émet l’opinion suivante concernant l’admissibilité :
Le poste n’implique pas une sollicitation excessive de la voix (parler très fort et de façon soutenue, dans un environnement bruyant, etc.). Donc pas de relation médicale.
[22] L’agent d’indemnisation de la CSST retient les motifs suivants à l’appui du refus de la réclamation :
Décision : Nous refusons la réclamation pour une laryngite
Considérant :
• qu’une laryngite n’est pas une blessure
l’article 28 ne peut s’appliquer
• que le T n’allègue aucun événement traumatique
• que le T n’allègue aucun changement dans le volume ni les tâches de travail
l’article 2 ne peut s’appliquer
• qu’une laryngite ne s’agit pas d’une lésion visée par l’annexe 1 de la LATMP
l’article 29 ne peut s’appliquer
• que le T nous ne démontre pas que sa lésion est reliée directement aux risques particuliers de ce travail
l’article 30 ne peut s’appliquer
• que selon l’avis de notre médecin conseil il n’y a pas de lien médical
• que nous ne pouvons constater une relation de cause à effet entre les tâches effectuées (répond aux questions téléphonique la journée longue) et le diagnostic [sic]
[23] Le 12 novembre 2007, la CSST émet sa décision écrite et motivée :
Nous avons reçu les documents concernant la réclamation pour une laryngite. Nous vous informons que nous ne pouvons accepter cette réclamation pour la raison suivante :
- Il ne s’agit pas d’une maladie professionnelle. De plus, vous n’avez pas démontré que cette maladie est caractéristique du travail que vous exerciez ou qu’elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.
Après l’étude de votre dossier, nous concluons qu’il ne s’agit pas non plus d’un accident de travail.
En conséquence, aucune indemnité ne vous sera versée. Par ailleurs, nous vous avisons que nous réclamerons la somme de 350.84 $ que l’employeur vous a versée pour la période du 28 mars 2007 au 1 avril 2007. Cependant, cette somme sera exigible seulement à la fin du délai de contestation. Nous vous informerons plus tard des modalités de remboursement.
[24] Saisie de la demande de révision du travailleur, la Révision administrative rapporte les versions du travailleur et de l’employeur :
Selon les notes évolutives figurant au dossier, le travailleur s’entretient avec l’agente d’indemnisation. Il indique que son travail consiste à répondre au téléphone aux problèmes des clients. Il relate qu’il a perdu la voix à son travail. Il ajoute que son médecin traitant et un spécialiste lui ont mentionné que sa lésion était reliée à son travail.
L’employeur soumet à la Révision administrative que le travailleur travaille 37,5 heures par semaine. Le travailleur a deux pauses de 15 minutes et une pause-repas de 30 minutes par quart de travail. L’employeur explique que les tâches du travailleur consistent à répondre aux appels téléphoniques des clients. Ainsi, il souligne que le nombre d’appels et leur durée sont variables selon les quarts de travail et selon le moment de la journée. Il indique que l’achalandage des appels est moindre le matin. Il décrit qu’en novembre et décembre 2007, le travailleur travaillait de 8 h à 16 h 30 ou de 8 h 30 à 17 h. Il soutient que le travailleur ne sollicite pas sa voix de manière continue et bénéficie de nombreuses micro-pauses. Il est d’avis que le travailleur effectuait ses tâches normales et habituelles durant cette période. Il estime qu’il n’y a pas de relation entre l’événement et les tâches exécutées, et la lésion du travailleur.
[25] La Révision administrative invoque les motifs suivants pour maintenir le refus :
Aux fins de rendre sa décision, la Révision administrative est liée par le diagnostic émis par le médecin qui a charge, soit celui de laryngite.
La Révision administrative est d’avis que la présomption de lésion professionnelle ne s’applique pas. En effet, le diagnostic retenu, soit une laryngite, ne constitue pas une blessure.
La Révision administrative estime que la définition d’accident du travail ne s’applique pas aux circonstances décrites par le travailleur. En effet, ces dernières ne permettent pas de conclure à la survenance d’un événement imprévu et soudain. Le travailleur effectue son travail normalement et dans des conditions d’exécution habituelle.
La Révision administrative conclut, en se basant sur les éléments au dossier, qu’il s’agit là d’une sollicitation normale, ordinaire, voulu et prévue. Le seul fait que les symptômes se soient manifestés au travail ne suffit pas à prouver la survenance d’un accident du travail.
De plus, la Révision administrative estime que la présomption de maladie professionnelle ne peut s’appliquer puisque le diagnostic retenu n’est pas énuméré à l’annexe 1 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (ci-après la loi).
Par ailleurs, pour établir que la lésion constitue une maladie professionnelle, le travailleur doit démontrer que cette maladie est caractéristique ou reliée directement aux risques particuliers de son travail.
D’une part, la Révision administrative ne peut conclure que cette maladie est caractéristique d’un travail au service à la clientèle puisqu’il n’a pas été démontré par des études scientifiques que cette maladie se retrouve de façon significative chez les personnes occupant ce type d’emploi.
D’autre part, le travailleur n’a pas démontré que sa maladie est reliée directement aux risques particuliers de son travail. En effet, les éléments au dossier et la sollicitation telle que documentée ne permet pas d’établir que cette maladie est reliée directement aux risques particuliers du travail effectué par le travailleur.
[26] À l’audience, le travailleur affirme qu’il a perdu sa voix entre 15 h 30 et 16 h le 27 mars 2007. Il dit qu’il se sentait fatigué en rentrant au travail ce jour-là et qu’il éprouvait de la difficulté à respirer. Il n’a pas consulté le spécialiste vers lequel il fut dirigé par le docteur Le. Il estime que le lien entre la maladie et le travail est déterminé par son médecin et qu’il n’y a aucune autre explication.
[27] Que retenir de tout ceci?
[28] Selon la preuve, le travailleur a présenté un épisode de laryngite de brève durée qui a été précédée la veille d’un état de fatigue généralisée. Il faisait son travail habituel lorsque l’aphonie s’est manifestée, sans survenance d’événement imprévu et soudain au sens de l’article 2 de la loi, de sorte que les circonstances de l’apparition de cette laryngite ne permettent pas de conclure à un accident du travail au sens de cet article.
[29] Or, la laryngite est une inflammation et non pas une blessure proprement dite au sens commun. Le travailleur ne peut donc bénéficier de l’application de la présomption de lésion professionnelle énoncée à l’article 28 de la loi.
[30] Il consulte le docteur Le qui prescrit un arrêt de travail de quatre à cinq jours. L’épisode s’est résorbé de façon spontanée et il n’y a eu aucune autre visite ou traitement, ni consultation auprès du spécialiste vers lequel ce médecin dirige le travailleur.
[31] Or, la laryngite ne figure pas parmi les maladies énumérées à l’Annexe I de la loi, de sorte qu’il n’y a pas ouverture à la présomption de la maladie professionnelle énoncée à l’article 29.
[32] Il en va de même pour celle énoncée à l’article 30, la preuve, aussi mince soit-elle, ne démontre pas que la maladie est caractéristique du travail exercé ni reliée directement aux risques particuliers de ce travail. La preuve nous amène à conclure qu’il s’agit d’un épisode probable de laryngite d’origine virale. La Commission des lésions professionnelles partage l’opinion du médecin-conseil de la CSST, d’ailleurs la seule au dossier, et estime que le fait de parler au téléphone, sans preuve d’un environnement bruyant, nécessitant une sollicitation soutenue ou excessive de la voix, ne permet pas de reconnaître un lien entre la maladie et les conditions de travail. Autrement dit, le travail n’est pas la cause du problème, mais plutôt l’occasion de sa manifestation. D’ailleurs, le docteur Le, dans le seul rapport médical qu’il a complété, se limite à établir le diagnostic, sans faire mention du travail comme cause possible du problème, ceci, a contrario de l’affirmation du travailleur.
[33] Il s’ensuit que la requête doit être rejetée.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête déposée le 9 avril 2008 par le travailleur, monsieur Anthony Daoulov;
CONFIRME la décision rendue le 27 février 2008 par la Direction de la révision administrative ainsi que celle rendue le 12 novembre 2007 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail;
DÉCLARE que le 27 mars 2007, le travailleur n’est pas victime d’un accident du travail, n’a pas subi une lésion professionnelle ni n’est atteint d’une maladie professionnelle; et
DÉCLARE en conséquence qu’il n’a pas droit aux bénéfices de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
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J.-David Kushner |
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M. Jay Robertson |
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Sitel téléservices Canada inc. |
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Représentant de la partie intéressée |
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.