Décision

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Modèle de décision CLP - avril 2013

Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys

2013 QCCLP 5540

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Montréal

17 septembre 2013

 

Région :

Montréal

 

Dossier :

481181-71-1208

 

Dossier CSST :

139552673

 

Commissaire :

Pauline Perron, juge administratif

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Commission scolaire

Marguerite-Bourgeoys

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 30 août 2012, la Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 15 août 2012 à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme la décision qu’elle a initialement rendue le 11 juin 2012 et déclare que le coût des prestations versées pour l’accident du travail survenu à madame Christine Bégin (la travailleuse) doit être imputé à l’employeur.

[3]           L’employeur et la CSST sont représentés lors de l’audience tenue par la Commission des lésions professionnelles le 3 juillet 2013. La cause est mise en délibéré à cette date.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]           L’employeur demande de reconnaître que la lésion professionnelle survenue est attribuable à un tiers et ainsi d’accorder, en vertu du deuxième alinéa de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la Loi), un transfert du coût des prestations dues en raison de cette lésion professionnelle.

LES FAITS

[5]           La travailleuse est enseignante dans une école alternative.

[6]           La travailleuse, sur le formulaire intitulé Déclaration d’accident du travail, inscrit à titre d’événement :

Je suis intervenue auprès d’un enfant excité. En me penchant à sa hauteur, il m’a violemment cognée le nez de son coude. Bien qu’étourdie, j’ai complété ma journée de travail.

 

 

[7]           À l’audience, madame Lawrence Houllier, directrice de l’école, témoigne à la demande de l’employeur.

[8]           Il s’agit d’une école avec une clientèle qui n’est pas à risque, c’est-à-dire que les écoliers n’ont pas de problèmes de comportement. L’élève impliqué n’avait, lui non plus, aucun problème de comportement.

[9]           Elle indique que la travailleuse lui a mentionné qu’alors qu’elle était penchée pour vérifier le travail de l’élève, ce dernier a relevé la tête et a cogné le nez de la travailleuse avec sa tête. « Ce n’était pas de sa faute ».

[10]        Le diagnostic retenu est celui de commotion légère post trauma. La lésion professionnelle est consolidée le 21 juin 2012, sans déficit anatomo-physiologique ni limitations fonctionnelles.

[11]        Le 25 mai 2012, l’employeur fait une demande de transfert du coût d’imputation.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[12]        La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si l’employeur a droit au transfert d’imputation demandé.

[13]        L’article 326 de la Loi édicte :

326.  La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.

 

Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.

 

L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.

__________

1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.

[14]        Sur la notion de transfert d’imputation en raison d’un accident du travail attribuable à un tiers, la Commission des lésions professionnelles réfère ici aux principes énoncés à ce sujet dans les motifs de la décision rendue, le 28 mars 2008, par une formation de trois juges administratifs dans l’affaire Ministère des Transports et Commission de la santé et de la sécurité du travail[2], que la soussignée fait entièrement siens.

[15]        On y énonce que d’abord, l’employeur doit démontrer que l’« accident du travail » survenu est « attribuable » à un « tiers » et qu’il est « injuste » de lui faire supporter les coûts de cette lésion professionnelle.

[16]        Il est clair ici qu’il y a eu accident du travail.

[17]        La Commission des lésions professionnelles doit maintenant examiner si celui-ci est attribuable à un tiers.

[18]        Dans la décision précitée, la Commission des lésions professionnelles indique, après une longue analyse des principes juridiques de la Loi, ce qu’est un tiers : « toute personne autre que le travailleur lésé, son employeur et les autres travailleurs exécutant un travail pour ce dernier ».

[19]        Dans le présent cas, l’élève est sans aucun doute un tiers au sens de l’article 326 de la Loi.

[20]        Il faut analyser si l’accident lui est attribuable. À ce sujet, la Commission des lésions professionnelles estime que la preuve présentée lui permet de conclure que c’est majoritairement en raison du tiers que la travailleuse a été blessée, puisque c’est son geste qui a causé la lésion professionnelle.

[21]        L’employeur doit maintenant déterminer si l’imputation qui lui est faite est injuste.

[22]        À ce titre, il se dégage de la décision précitée que les facteurs suivants doivent être considérés pour cette analyse :

-           les risques inhérents à l’ensemble des activités de l’employeur, les premiers s’appréciant en regard du risque assuré alors que les secondes doivent être considérées, entre autres, à la lumière de la description de l’unité de classification à laquelle il appartient ;

 

-           les circonstances ayant joué un rôle déterminant dans la survenance du fait accidentel, en fonction de leur caractère extraordinaire, inusité, rare et/ou exceptionnel, comme par exemple, les cas de guet-apens, de piège, d’acte criminel ou autre contravention à une règle législative, règlementaire ou de l’art; et

 

-           les probabilités qu’un semblable accident survienne, compte tenu du contexte particulier circonscrit par les tâches du travailleur et les conditions d’exercice de l’emploi.

 

 

[23]        Notons ici que la théorie de cause de l’employeur est principalement basée sur le fait qu’une « altercation avec violence » ne fait pas partie intégrante de la description de tâches de la travailleuse.

[24]        Avec respect, d’abord sur le fait accidentel, il y a une certaine discordance dans les versions. La travailleuse parle d’un élève excité, la directrice ne mentionne rien de la sorte. De toutes façons, la preuve ne démontre certainement pas la survenance d’une « altercation avec violence » ni même un geste de violence. La preuve démontre que la travailleuse s’est penchée pour vérifier son travail et que l’élève a relevé la tête et a cogné accidentellement le nez de son enseignante.

[25]        Dans l’esprit de la Commission des lésions professionnelles, il ne fait aucun doute que l’accident en cause s’inscrit dans le cadre de l’ensemble des activités de l’employeur. En effet, il va de soi que la travailleuse s’acquittait de sa tâche d’enseignante lorsqu’elle vérifie le travail d’un élève. Que l’enfant soit excité -et non en crise- ne change, par ailleurs, rien au fait qu’elle fait son travail.

[26]        La Commission des lésions professionnelles[3] a déjà traité de la situation où les élèves ou étudiants sont les tiers impliqués. Étant la raison d’être de la nature de l’ensemble des activités qu’exercent les commissions scolaires, il n’est pas injuste qu’elles soient imputées :

[28]      Il en est de même du raisonnement suivi dans l’affaire Commission scolaire des Affluents[4]. La Commission des lésions professionnelles refuse un transfert de coûts dans le cas où un surveillant est blessé par une balle de tennis frappée par un écolier dans la cour d’école lors de la récréation. Elle énonce avec justesse que les activités de surveillance que l'employeur demande à ses professeurs d'accomplir durant les périodes de récréation des étudiants font partie de la nature de l'ensemble des activités d'enseignement qu'il exerce. Autrement, il ne les inclurait pas dans les tâches qu'il confie à ses enseignants. Le fait d'exercer des tâches d'enseignement ou de surveillance dans les écoles comporte des risques d'accident reliés à ces activités. La jurisprudence du tribunal qualifie ces risques de «risques inhérents».

 

[29]      Dans cette affaire, la Commission des lésions professionnelles ajoute avec raison que bien qu'un étudiant puisse être considéré comme un tiers, dans un contexte de lésion professionnelle, c'est-à-dire une personne autre que le travailleur lésé, son employeur et les autres travailleurs exécutant un travail pour ce dernier, il demeure la raison d'être de l'ensemble des activités exercées par l'employeur. Sans étudiants, l'employeur ne pourrait pas exercer ses activités d'enseignement ni ses activités accessoires de surveillance en dehors des périodes consacrées à l'enseignement. Il est donc de la nature de l'ensemble des activités de l'employeur d'enseigner et de surveiller les écoliers y compris durant les périodes de récréation prévues au programme scolaire. Les risques d'accident attribuables à ces étudiants ou écoliers sont donc inhérents à la nature de l'ensemble des activités de l'employeur. Ils ne peuvent en être dissociés.

 

[30]      De plus, la Commission des lésions professionnelles énonce à bon droit que lorsqu'il s'assure auprès de la CSST en vertu de la loi, l'employeur le fait pour couvrir les risques d'accident qui découlent de la nature de l'ensemble de ses activités. Il n'est donc pas étonnant ni injuste que la loi prévoit qu'il soit imputé du coût des prestations versées en raison d'accidents attribuables à des tiers lorsque ces tiers sont la raison d'être de la nature de l'ensemble des activités qu'il exerce.

 

[Nos soulignements]

[27]        Il serait donc ici difficile de soutenir que les risques de l’accident survenu ne sont pas inhérents aux activités de l’employeur, sous réserve d’une analyse tenant compte des autres critères mentionnés précédemment, notamment des circonstances ayant joué un rôle déterminant dans la survenance du fait accidentel.

[28]        Comme le rappelle la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Entreposage Le Clos inc.[5] :

[67]      En terminant, la Commission des lésions professionnelles souligne que les termes choisis par les auteurs de la décision  Ministère des Transports et CSST précitée et qui exigent la démonstration de circonstances extraordinaires, inusitées, rares ou exceptionnelles, doivent recevoir une interprétation à la hauteur de ces qualificatifs.

 

 

[29]        Dans la présente affaire, il est également clair pour la Commission des lésions professionnelles que les circonstances ne font pas en sorte que l’employeur sort des risques pour lesquels il est assuré.

[30]        La Commission des lésions professionnelles partage la réflexion de la juge administratif Armand dans l’affaire LK Industries inc.[6] lorsqu’elle énonce :

[40]      Le tribunal souligne que le facteur humain fait en sorte qu’il peut arriver qu’un conducteur dépasse la vitesse permise, aborde un virage un peu plus rapidement que nécessaire ou, même par distraction, ne réagisse pas de manière optimale aux aléas de la circulation.  Cela peut avoir pour conséquence la survenance de ce qu’on appelle simplement « un accident », chose qui se produit de temps à autre sur les routes ou sur tout terrain où peuvent circuler des automobiles et des piétons, et ne revêt pas en soi un caractère exceptionnel, inusité ou rare. Il n’y a pas pour autant de la négligence grossière et volontaire, laquelle doit, de toute façon être démontrée, chose qui n’a pas été faite dans la présente affaire.

 

 

[31]        En somme, un accident, c’est un accident. Ça ne devient pas une situation extraordinaire, inusitée, rare ou exceptionnelle de ce seul fait.

[32]        La demande de l’employeur doit être rejetée. Il ne s’agit pas d’un événement étranger à la situation d’être d’une commission scolaire qui est de donner des services à des élèves, lesquels peuvent être parfois la source d’un accident.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête de la Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, l’employeur;

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 15 août 2012 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le coût des prestations versées pour l’accident du travail survenu à madame Christine Bégin (la travailleuse) doit être imputé à l’employeur.

 

 

__________________________________

 

Pauline Perron

 

 

 

 

Me Marie-France Dion

GAUTHIER ET ASSOCIÉS

Représentante de la partie requérante

 

 

Me Annick Marcoux

VIGNEAULT THIBODEAU BERGERON

Représentante de la partie intervenante

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           [2007] C.L.P. 1804.

[3]           Commission scolaire Portages-Outaouais, 2011 QCCLP 6200.

[4]           2009 QCCLP 7040.

[5]           2012 QCCLP 3902.

[6]           C.L.P. 323486-64-0707, 19 novembre 2009, D. Armand.

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