Décision

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9154-6192 Québec inc. c. Bow Groupe de plomberie inc.

2017 QCCQ 14352

COUR DU QUÉBEC

« Division de pratique »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

« Chambre civile »

N° :

500-22-235378-166

 

 

 

DATE :

30 novembre 2017

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

ENRICO FORLINI, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

 

9154-6192 QUÉBEC INC.

et

AUBERGE SUTTON BROUËRIE INC.

Demanderesses

c.

BOW GROUPE DE PLOMBERIE INC.

Défenderesse

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]   Le Tribunal est saisi de deux demandes en cours d’instance, à savoir :

·        Demande des demanderesses pour rejet d’un rapport d’expertise;

·        Demande non contestée des demanderesses pour prolongation du délai pour la mise en état du dossier.

 

 

[2]   La demande pour rejet de rapport d’expertise s’appuie sur l’article 232 du Code de procédure civile (C.p.c.). Les demanderesses demandent le rejet du deuxième rapport d’expertise communiqué par la défenderesse au motif qu’il s’agit d’un deuxième rapport qui porte sur une discipline ou une matière qui a déjà été abordée dans un premier rapport d’expertise. De plus, elles soutiennent que ce deuxième rapport d’expertise contrevient au Protocole de l’instance.

Questions en litige

a)    Le Tribunal doit-il permettre à la défenderesse de se prévaloir d’un deuxième rapport d’expertise, à savoir le rapport de M. Danny Kack du 10 octobre 2017?

b)   La demande en prolongation de délai pour la mise en état du dossier est-elle bien fondée?

Contexte

[3]   Ces demandes s’inscrivent dans le cadre d’une action en responsabilité du fabricant introduite par les demanderesses 9154-6192 Québec inc. (« 9154 ») et Auberge Sutton Brouërie inc. (« l’Auberge Sutton »).  Elles sont respectivement propriétaire et locataire d’un immeuble commercial (« Immeuble ») dans lequel Auberge Sutton exploite un restaurant et une auberge.

[4]   Selon la demande introductive d’instance, l’Immeuble est construit en 2011. Des conduites d’eau fabriquées par Bow Groupe de Plomberie inc. (« Bow ») sont incorporées dans le système de circulation d’eau chaude de l’Immeuble.

[5]   Toujours selon la demande introductive d’instance, six bris sont survenus dans les conduites fabriquées par Bow, causant des dommages matériels à l’Immeuble et des pertes de revenu causés par la fermeture de l’Auberge Sutton. Les demanderesses réclament des dommages-intérêts de 51 557,56 $.

[6]   Bow nie toute responsabilité et plaide qu’il y a absence de défaut de fabrication des conduites d’eau. De plus, elle allègue que les bris des conduites résultent de coups de bélier (water hammer), lesquels provoquent une pression excessive d’eau dans les conduites.

Analyse et décision

a)    Le Tribunal doit-il permettre à la défenderesse de se prévaloir d’un deuxième rapport d’expertise, à savoir le rapport de M. Danny Kack du 10 octobre 2017?

[7]   La demande introductive d’instance est introduite le 29 novembre 2016.

[8]   Les 11 et 12 janvier 2017, les parties signent un protocole de l’instance, lequel prévoit que chacune d’elle prévoit invoquer un rapport d’expertise relatif à la cause des défaillances du système des conduites d’eau.

[9]   Les 9 et 11 mai 2017, les parties signent un protocole de l’instance modifié, lequel ne modifie pas leurs intentions relativement aux expertises.

[10]        Le 1er septembre 2017, le Tribunal entérine un protocole de l’instance remodifié (signé les 27 et 28 août 2017). À nouveau, il y est prévu que Bow se prévaudra d’un seul rapport d’expertise traitant de la cause des défaillances du système de conduites d’eau. La date limite pour communiquer ce rapport est le 8 septembre 2017.

[11]        Cependant, le 24 août 2017, Bow communique aux demanderesses un avis de communication d’un rapport d’un témoin expert auquel est joint un rapport rédigé par Peter Guttilla, ingénieur à l’emploi de Bow (Rapport Guttilla).

[12]        Le 11 octobre 2017, bien qu’ayant déjà communiqué le Rapport Guttilla, et malgré l’expiration du délai stipulé au protocole de l’instance remodifié, Bow transmet un avis de communication d’un rapport de témoin expert auquel est joint le rapport d’expertise rédigé par Danny Kack (Rapport Kack).

[13]        Le 26 octobre 2017, les demanderesses notifient leur demande pour rejet du Rapport Kack.  Elles demandent le rejet du Rapport Kack compte tenu de la règle prévue à l’article 232 C.p.c.  De plus, elles plaident que Bow agit contrairement au Protocole de l’instance en communiquant un deuxième rapport d’expertise.

L’argument fondé sur l’article 232 C.p.c.

[14]        Cette demande s’appuie sur l’article 232 C.p.c. qui prévoit ce qui suit :

232. Les parties conviennent de la nécessité de l’expertise dans le protocole de l’instance ou, avec l’autorisation du tribunal, en tout temps avant la mise en état du dossier.

Qu’elle soit commune ou non, les parties ne peuvent se prévaloir de plus d’une expertise par discipline ou matière, à moins que le tribunal ne l’autorise en raison de la complexité ou de l’importance de l’affaire ou du développement des connaissances dans la discipline ou la matière concernée.

(soulignement du Tribunal)

[15]        L’alinéa 2 de l’article 232 C.p.c. prévoit que sauf avec autorisation du Tribunal, les parties ne peuvent se prévaloir de plus d’une expertise par discipline ou matière.

[16]        Cet article est un droit nouveau. Selon les Commentaires de la ministre de la Justice, l’article 232 C.p.c. s’inscrit dans la démarche générale du Code d’accélérer le déroulement des instances et de réduire les coûts importants liés aux expertises[1].

[17]        La règle prévue à l’alinéa 2 de l’article 232 C.p.c. s’inscrit également dans le respect de la règle de la proportionnalité prévue à l’article 2 C.p.c.

[18]        Le pouvoir du Tribunal d’autoriser une deuxième expertise doit être exercer en corrélation avec les pouvoirs de gestion de l’instance prévus à l’article 148 C.p.c.

[19]        En l’espèce, les demanderesses plaident que puisque Bow entend déjà se prévaloir du Rapport Guttilla, ni la complexité ou l’importance de l’affaire milite en faveur d’autoriser la production du Rapport Kack.

[20]        De plus, elle argumente que de toute façon, Bow agit tardivement et à l’extérieur du délai prévu au Protocole de l’instance pour déposer une expertise.

[21]        Bow n’invoque pas la complexité ou l’importance de l’affaire comme motif pour justifier le dépôt du Rapport Kack. Selon Bow, le Rapport Kack n’est pas véritablement un deuxième rapport d’expertise. Elle soutient plutôt que les rapports Guttilla et Kack ne forment qu’un seul et unique rapport puisque le Rapport Guttilla est complémentaire et inclus dans le rapport Kack[2].

[22]        Le Tribunal estime que dans les circonstances exceptionnelles et particulières de la présente affaire, Bow pourra se prévaloir du Rapport Kack, et ce, parce que permettre ce deuxième rapport ne va pas ralentir le déroulement de l’instance et ne fera pas augmenter les coûts liés aux expertises. Voici pourquoi.

[23]        Danny Kack, auteur du Rapport Kack, est ingénieur. En avril 2015, ses services sont retenus pour analyser et émettre une opinion sur la cause d’une fuite d’une conduite d’eau de l’Immeuble. Selon le Rapport Kack, il rédige un rapport daté du 21 août 2015 dans lequel il opine que le bris de la conduite résulte d’une abrasion mécanique de la conduite et non pas d’un défaut de fabrication.

[24]        Le 1er mai 2015, 9154 se porte acquéreur de l’Immeuble. Depuis l’achat, de nouveaux bris de conduites d’eau surviennent.

[25]        En avril 2016, les services de M. Kack sont à nouveau retenus en lien avec de nouvelles fuites d’eau provenant des conduites de l’Immeuble. Le Rapport Kack dont Bow souhaite se prévaloir découle de ce deuxième mandat.

[26]        Le Rapport Kack porte sur la cause des défaillances des conduites d’eau. L’auteur soulève essentiellement 4 causes possibles pour expliquer ces bris :

      I.        Dommage externe aux conduites : il écrit qu’il y a preuve d’abrasion des conduites d’eau qu’il a examinées en avril 2015 à l’occasion de son premier mandat et que cette abrasion explique la fuite. Cependant, quant au mandat reçu en avril 2016 visant les bris subséquents, son examen révèle qu’il n’y a pas de signe d’abrasion ou de dommage externe à la conduite;

     II.        Exposition des conduites au soleil : il écarte cette hypothèse;

    III.        Coups de bélier : un coup de bélier (water hammer) résulte d’une augmentation soudaine et importante de la pression d’eau dans les conduites causées par l’ouverture ou la fermeture rapide des robinets[3]. Se fondant notamment sur le Rapport Guttilla et les tests que M. Guttilla a effectués, il conclut que des coups de bélier peuvent avoir causés les bris des conduites d’eau[4]. Il constate que le réseau d’eau chaude de l’Immeuble n’est pas muni d’un dispositif de protection contre les coups de bélier et il opine que cela est contraire au Code national de plomberie. Plus loin dans son rapport il réfère à nouveau au Rapport Guttilla et conclut qu’il appert que les conduites d’eau ont été soumises à une pression excessive en raison des coups de bélier et de l’absence des dispositifs de protection[5].

  IV.        Défaut de fabrication : il écrit que selon les recherches, il n’y a pas d’historique de vice caché et de plus, il y a absence de rappel du produit fabriqué par Bow. Selon le Rapport Kack, un vice caché du produit est possible, mais selon son enquête, il n’a pas constaté de preuve scientifque qui appuie cette hypothèse.

[27]        Le Rapport Guttilla est relativement court : il inclut deux pages plus cinq pages de photographies.  Son auteur, Richard Guttilla est ingénieur à l’emploi de Bow.

[28]        M. Guttilla y relate qu’il a effectué des tests d’éclatement avec trois échantillons de conduites d’eau récupérées de l’Immeuble. Selon ses tests, les échantillons ont été construits selon les normes de fabrication du produit. Il a également examiné des particules des conduites (shavings) et cette analyse révèle que la fabrication est faite selon les normes. Enfin, il a examiné des photos du Rapport Origin et selon son examen, il conclut que la cause des fissures et des bris de conduites résultent de coups de bélier.

[29]        Comme expliqué par l’avocat de Bow, les tests d’éclatement que M. Guttilla a fait auraient pu être réalisés par M. Kack, mais ont été faits à l’interne chez Bow dans un souci d’économie.

[30]        Il ressort de cette analyse comparative des Rapports Guttilla et Kack qu’il n’y a pas de chevauchement de sujets entre ces deux rapports, à l’exception des commentaires des auteurs sur l’hypothèse des coups de bélier. Les rapports se complètent.

[31]        Puisque les sujets abordés par les auteurs des Rapport Guttilla et Kack sont distincts, à l’exception de la question des tests d’éclatement, le Tribunal estime que le risque d’alourdir et d’allonger le procès est faible ou inexistant. Il est vraisemblable qu’il ne s’agit pas de deux rapports distincts mais plutôt de rapports complémentaires.

[32]        L’avocat des demanderesses reconnaît que le Rapport Origin est complet et couvre les mêmes matières que celles abordées dans le Rapport Guttilla et le Rapport Kack, bien que la méthodologie soit différente dans les différents rapports.

Le Protocole de l’instance et l’argument de contrat judiciaire

[33]        Les demanderesses soutiennent que Bow viole le Protocole de l’instance en communiquant le Rapport Kack.

[34]        Selon Bow, elle a à de nombreuses reprises communiqué à l’avocat des demanderesses son intention de se prévaloir d’un rapport d’expert externe, le Rapport Kack, en sus du rapport interne de son employé, M. Guttilla[6].

[35]        Le Rapport Guttilla a été communiqué aux demanderesses le 24 août 2017, avant le Rapport Kack afin de permettre aux demanderesses d’interroger M. Guttilla en toute connaissance de cause, puisque ce dernier est désigné comme le représentant de Bow qui sera interrogé au préalable.

[36]        L’interrogatoire de M. Guttila n’a pas encore eu lieu en raison de contretemps, incluant notamment la présentation de la demande en rejet d’expertise des demanderesses.

[37]        De plus, un nouvel avocat est devenu responsable du présent dossier pour Bow puisque l’avocat précédent (Me Drolet) a dû se retirer du dossier.  Cela explique, selon le nouvel avocat de Bow, le fait d’avoir communiqué le Rapport Kack 33 jours après le délai prévu au Protocole modifié.

[38]        Il est vrai qu’un protocole de l’instance est en quelque sorte un contrat judiciaire qui impose aux parties une obligation de moyens raisonnables. Mais ce n'est pas un carcan rigide destiné à faire perdre des droits[7].

[39]        La tardivité de la communication du Rapport Kack est justifié dans les circonstances et le Protocole ne doit pas faire perdre des droits à Bow. Permettre à Bow de se prévaloir du Rapport Kack à ce stade-ci ne ralentit pas le déroulement de l’instance puisque notamment, l’interrogatoire de M. Guttilla n’as pas encore été tenu.

[40]        En conclusion, dans les circonstances particulières de la présente affaire, le Tribunal est d’avis que de permettre à Bow de se prévaloir du Rapport Kack n’enfreint pas la règle de la proportionnalité et ne causera pas de préjudice et de coûts additionnels importants aux demanderesses.

b)   La demande en prolongation de délai pour la mise en état du dossier est-elle bien fondée?

[41]        Le Tribunal est également saisi d’une demande non contestée en prolongation du délai.

[42]        Considérant les allégations à la demande et les représentations qui ont été effectuées par les avocats des parties.

[43]        Considérant que les parties ont signées un Protocole de l’instance modifié en date du 29 novembre 2017.

[44]        Le Tribunal fera droit à la demande non contestée et entérinera le Protocole de l’instance modifié.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[45]        REJETTE la demande des demanderesses pour rejet d’un rapport d’expertise;

[46]        AUTORISE Bow Groupe de Plomberie inc. de se prévaloir du rapport d’expertise préparé par l’ingénieur Danny Kack qui est daté du 10 octobre 2017;

[47]        ACCUEILLE la demande non contestée de prolongation du délai pour mise en état du dossier;

[48]        PROLONGE le délai de production de la demande d’inscription pour instruction et jugement au 1er juin 2018;

[49]        ENTÉRINE le protocole de l’instance modifié dûment signé en date du 29 novembre 2017;

 

 

 

[50]        SANS FRAIS DE JUSTICE.

 

 

__________________________________

ENRICO FORLINI, J.C.Q.

 

Me Yannick Derome

Derome Avocats

Avocat des demanderesses

 

Me Jordi Montblanch

Robinson Sheppard Shapiro sencrl

Avocat de la défenderesse

 

Date d’audience :

29 novembre 2017

 



[1]           Québec, Ministère de la Justice, Commentaires de la ministre de la Justice: le Code de procédure civile, chapitre C-25.01, Montréal, SOQUIJ/Wilson & Lafleur, 2015, pp. 193-194.

[2]     Le Rapport Kack réfère au Rapport Guttilla à la page 10 et l’inclut à l’annexe E.

[3]     Rapport Kack, page 9.

[4]     Rapport Kack, page 10.

[5]     Rapport Kack, page 11.

[6]     Voir lettre du 25 octobre 2017 de l’avocat de Bow à l’avocat des demanderesses.

[7]     Néron c. Société Radio-Canada, 2003 CanLII 28529 (QC CS).

 

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